1902 - Le scandale arrosé de la réunion publique du candidat conservateur Henri de Servigny - GrandTerrier

1902 - Le scandale arrosé de la réunion publique du candidat conservateur Henri de Servigny

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§ E.D.F.
Le rapport circonstancié d'un sympathisant républicain qui décrit avec un brin d'ironie les excès de consommation d'alcool lors d'une réunions électorale tenue au bourg d'Ergué-Gabéric et sponsorisée par le candidat conservateur aux législatives et les curés de la paroisse.

Merci à Pierrick Chuto [1] de nous avoir communiqué ce document, trouvé dans le cadre de ses recherches sur cette période si importante pour l'histoire locale quimpéroise.

Autres lectures : « 1844 - Placards réglementaires pour les cabarets gabéricois » ¤ « Les élections municipales annulées par le Conseil d'Etat, journaux finistériens 1893 » ¤ « Jean Hascoët, recteur (1897-1908) » ¤ « François Nicolas, vicaire (1900-1905) » ¤ « 1904 - Dénonciation par le préfet d'un sermon pour la retraite des conscrits » ¤ « Déguignet s'oppose au candidat Bolloré lors des élections législatives de 1877 » ¤ « Reportage sur l'expulsion des soeurs blanches, L'Ouest-Eclair 1902 » ¤ « 1902 - Témoignage de JM Déguignet sur la fermeture de l'école ND de Kerdévot » ¤ « CHUTO Pierrick - IIIe République et Taolennoù » ¤ 

[modifier] 1 Présentation

Cela se passe en plein climat d'interdiction des congrégations religieuses, juste avant la loi de séparation des églises et de l'état, une époque où, en Bretagne, les catholiques conservateurs et les républicains laïcs se disputent quotidiennement et de façon encore plus exacerbée lors des campagnes électorales.

En 1901 déjà, aux élections au conseil général, se présente le conservateur Henri de Beauchef de Servigny [2] « jeune avocat dynamique, ambitieux et riche » (cf le livre "IIIe République et Talennoù" de Pierrick Chuto) dans le canton de Quimper : à Ergué-Gabéric on vote massivement pour lui et, à la surprise générale, il gagne contre son opposant républicain Jules Soudry [3], proche d’Hémon [4].

En 1902 il se représente aux élections législatives contre Louis Hémon [4] (lequel sera élu dès le premier tour avec 7519 voix contre 6959) dans la 1ère circonscription de Quimper. Le 11 avril 1902 le candidat Servigny [5][6] est en visite au bourg d'Ergué-Gabéric pour une réunion électorale publique pendant laquelle sont distribués alcools et cigares.

Le compte-rendu, conservé dans le fonds Soudry [3] des Archives Départementales, est dressé par « un passant attardé au bourg d'Ergué-Gabéric », un sympathisant républicain dénommé Nouille [7] qui raconte à son conseiller général le « scandale de hier », à savoir comment la libation de la réunion publique s'est poursuivie dans tous les débits de boisson entourant l'église paroissiale.

La consommation de boissons est impressionnante : « Le vin rouge, le vin blanc, l'eau de vie coulèrent en abondance » ; « Les rafraichissements circulèrent de nouveau avec des paquets de cigarettes et de cigares » ; « Maintenant on dédaignait le vin et le cidre, c'était le cognac qui avait la préférence » ;

 
« quelques gosses de 15 à 16 ans qui, peu accoutumés à de pareilles ingurgitations de liqueurs rouler sur la route » ; « Le malheureux vint s'affaler sur une pierre du cimetière pour cuver son vin » ; « un mendiant qui avait fraternisé trop souvent avec la divine bouteille protestait de son dévouement à l'honorable candidat en criant d'une voix avinée : "Vive M. Servigny" ».

Et cela est bien dans la logique politique du candidat : « Pour atteindre son but M. de Servigny trouva que le plus sûr moyen était de s'adresser au ventre de ses invités : "Hémon, dit-il, a voté pour l'augmentation du prix des boissons, moi je suis absolument contre et je demanderai la suppression de cette loi". »

Les responsables gabéricois sont désignés par le dénommé Nouille : « ces messieurs, les curés », c'est-à-dire le recteur et le vicaire de la paroisse. Ce dernier est même désigné par un début de phrase rayé, l'auteur préférant finalement le pluriel. Le recteur est Jean Hascoet celui qui s'était opposé à la fermeture de l'école des sœurs, et le vicaire François Nicolas sera en 1904 accusé de prononcer en chaire des sermons bien marqués politiquement. En 1902 le témoin républicain dénonce « comment l'argent des curés s'évanouit en fumée et en boissons pour la cause sacrée »

En conclusion, le rapporteur ironise encore une fois : « Ca a été une bonne soirée en l'honneur de Bachus ».

[modifier] 2 Transcription

Page 1

Réunion publique de Monsieur de Servigny
Le scandale de hier.

C'est bien, vendredi 11 avril, jour à jamais mémorable, que M. de Servigny a convoqué tous les électeurs de la commune dans une réunion solennelle. Il devait dans cette réunion prouver d'une façon indiscutable que son adversaire était un zéro et leur montrer en même temps tous les avantages qu'il leur procurerait si sa candidature était acceptée.

Dans l'après-midi entre 1 h et 2 h les braves conservateurs endimanchés pour la circonstance arrivèrent par petits groupes sur la place de l'église.

Lorsque la famille fut à peu près complète, ils rentrèrent dans la salle de la réunion où des rafraichissements leur furent généreusement offerts. Le vin rouge, le vin blanc, l'eau de vie coulèrent en abondance. Des cigares gracieusement donnés à ces messieurs furent non moins gracieusement acceptés.

M. de Servigny prit enfin la parole au milieu d'un religieux silence. Le littéral des anneries de son discours n'est pas nécessaire,

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le fond simplement suffit.

Pour atteindre son but M. de Servigny trouva que le plus sûr moyen était de s'adresser au ventre de ses invités : « Hémon, dit-il, a voté pour l'augmentation du prix des boissons, moi je suis absolument contre et je demanderai la suppression de cette loi ». La boisson coûtant de cette manière un prix dérisoire, on pourra se payer de bonnes bitures sans grands frais.

Il continuera sur ce chapitre pendant quelques temps et ce fut tout. Les rafraichissements circulèrent de nouveau avec des paquets de cigarettes et de cigares. Puis ils sortirent la tête un peu échauffée, mais presque tous d’aplomb encore. Il est vrai que ce n'était que le commencement. Un mendiant qui avait fraternisé trop souvent avec la divine bouteille protestait de son dévouement à l'honorable candidat en criant d'une voix avinée : « Vive M. Servigny ». Les hurlements qu'il poussait et qu'on pouvait à la rigueur prendre pour une voix humaine étaient accompagnés d'une mimique expressive : il frappait à tour de bras de son gros bâton sur le mur du cimetière.

L'honorable assemblée devait passer par tous les débits du bourg avant de se dissoudre. Comme les auberges étaient trop petites pour contenir tout le monde, la boisson se distribuait

 

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à la porte, sur la voie publique. Maintenant on dédaignait le vin et le cidre, c'était le cognac qui avait la préférence. De grandes chopes remplies et vides avec un louable empressement faisaient le tour de la société. Les discussions étaient interrompues pour siffler d'une seule lampée les grands récipients de boisson.

Lorsque les électeurs quittaient un débit ils partaient comme à regret, et se soutenant fraternellement, ils se dirigeaient vers le suivant. Quelquefois un camarade tombait entrainant deux ou trois autres dans sa chute. Mais cela passait inaperçu, car après quelques tentatives avortées on pouvait les remettre sur leurs jambes pour continuer gaillardement leur route.

Le jour baissait déjà lorsque la tournée fut finie, c'est alors que s'effectua le retour à la fois risible et dégoutant. Le mendiant qui s'était fait remarquer au début, continuait ses vociférations ; mais bientôt à bout de forces le malheureux vint s'affaler sur une pierre du cimetière pour cuver son vin. On voyait aussi quelques gosses de 15 à 16 ans qui, peu accoutumés à de pareilles ingurgitations de liqueurs rouler sur la route par suite de ces libations trop fréquentes. Tous moins quelques rares exceptions étaient souls perdus. Ils regagnaient

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leur demeure en titubant et la route se semait de cadavres qui après quelques instants de station sur le dos se soulevaient péniblement, se relevaient et parvenaient généralement à continuer leur chemin. Une rue a mis un beau dénouement à cette orgie gratuite offerte à M. de Servigny (Avis à ceux qui ont soif).

On put voir comment l'argent des curés s'évanouit en fumée et en boissons pour la cause sacrée. Ces messieurs ont (rayé : Le vicaire a) poussé l'audace jusqu'à venir offrir des cigares et des cigarettes aux électeurs sur la place de l'église. Il faut remarquer que ceux-ci avaient déjà bu et commençaient à être grisés. Remercions toutefois ces bons religieux du spectacle édifiant qu'ils nous ont procuré de la façon la plus charmante et la plus déguisée.

Ca a été une bonne soirée en l'honneur de Bachus.

Un passant attardé au bourg d'Ergué-Gabéric.

Signé Nouille J. Thom.


[modifier] 3 Originaux

 

Lieu de conservation : Archives Municipales de Quimper.

Série / cote : 25 J 5 - fond Soudry

Droit d'image : Protégé.

Usage : Accès privé et restreint aux abonnés inscrits

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[modifier] 4 Annotations

  1. Pierrick Chuto, passionné d'histoire régionale, auteur de nombreux articles (Le Lien du CGF, La Gazette d'Histoire-Genealogie.com ... ) et de livres sur les pays de Quimper et du Pays bigouden : § [ses publications] . La dernière parution est « Bien-aimée Marie-Anne avec de belles lettres d'amour de son arrière-grand-père à sa promise. [Ref.↑]
  2. Henri de Beauchef de Servigny (1874-1934), né à Saint-Goazec (29) et mort au Havre, professeur de droit à Rennes, avocat à Paris, vice-président du conseil général du Finistère (1901-1911), candidat aux élections législatives de 1902, 1906 et 1910 à Quimper et Pont-L'Abbé, chevalier de la Légion d'Honneur en 1922, maire de 1932 à 1934 d'Arrou (Eure-et-Loir) où il achète le domaine de la Rémonière. [Ref.↑]
  3. Julien Soudry (-1928), avoué-notaire, conseiller général du canton de Quimper, conseiller municipal de Quimper et partisan du député républicain Louis Hémon. [Ref.↑ 3,0 3,1]
  4. Louis Hémon (1844-1914) est un avocat et homme politique quimpérois. Il est élu député républicain de Quimper de 1876 à 1885 et de 1889 à 1912, puis sénateur du Finistère. Il connait son heure de gloire en 1897, lors d'un discours sur la validation d'un prêtre catholique, élu à Brest, où il dénonce les ingérences du clergé dans les élections. [Ref.↑ 4,0 4,1]
  5. L'Ouest-Eclair du 13 mars : « M. de Servigny à Quimper. Nous recevons les meilleures nouvelles de la candidature de M. de Servigny à Quimper. Le jeune et sympathique candidat conquiert chaque jour de nouveaux suffrages parce que les électeurs reconnaissent en lui un homme d'affaire, tout dévoué aux intérêts des ouvriers et des cultivateurs, incapable de faire passer les préoccupations malsaines de la politique avant le souci de son devoir. Nettement républicain libéral, M de Servigny sera le candidat de tous ceux qui ont à cœur de faire disparaître, en France, les derniers vestiges du vieil opportunisme anti-clérical dont M. Hémon est le représentant autorisé. » [Ref.↑]
  6. Le Finistère du 15 mars : « Lorsqu'il se présentait l'an dernier à l'élection du Conseil général, M. de Servigny prenait le titre de « libéral  », mais n'osait aller jusqu'à celui de « républicain  ». Fi de ce vain scrupule! L'Ouest-Eclair accouple bravement les deux mots, et c'est sous le nom de « républicain libéral  » que M. de Servigny est présenté officiellement ... » [Ref.↑]
  7. L'auteur du rapport nommé Nouille n'est pas identifié, et il n'est pas sûr qu'il habite la commune d'Ergué-Gabéric. Sur la dernière page, derrière Nouille on croit lire une initiale J et ensuite "Thom....". En 1910 à Ergué-Gabéric un Jean Nouy, âgé de 28 ans, est cordonnier à Pen-Carn. [Ref.↑]


Thème de l'article : Document d'archives sur le passé d'Ergué-Gabéric.

Date de création : Janvier 2018    Dernière modification : 27.03.2018    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]