[modifier] 2.1 Rapport du commissaire
Diffamation commise et injures proférés au cours d'un sermon. Affaire M. Nicolas, vicaire à Ergué-Gabéric
Quimper, le sept novembre 1904. Rapport.
En transmettant à M. le Préfet l'enquête ci-jointe, j'ai l'honneur de faire connaitre que le sieur Nicolas, vicaire à Ergué-Gabéric, est considéré comme absolument militant, irréductible et intolérant. Il s'est toujours montré violent et grossier à l'égard des républicains, même des républicains pratiquants.
Dans ses sermons comme au catéchisme il fait exclusivement usage du langage breton et pendant la période électorale municipale il s'est souvent départi publiquement de la neutralité qui convenait à son caractère ! C'est ainsi qu'à la grand'messe, il aurait indiqué aux assistants qu'ils étaient seuls responsables de la situation actuelle et que si nous avions un gouvernement républicain qui chassait les sœurs, ce n'était que le résultat de leurs votes inintelligents.
On dit aussi le sieur Nicolas de très mauvaise moralité. Il aurait fréquemment des rendez-vous dans un bois voisin de son domicile avec la fille d'un maçon de la commune ; il rechercherait et ... les femmes, le soir !
D'ailleurs il y a lieu de rappeler que cet ecclésiastique aurait été déplacé de Plogastel, où il exerçait précédemment, à la suite d'une affaire de mœurs.
Le commissaire spécial Rouquier
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[modifier] 2.2 Déclaration du sieur Balès
L'an mil neuf cent quatre, le sept novembre à deux heures du soir. Nous, Emile Rouquier, commissaire spécial de Police sur les Chemins de Fer d'Orléans en résidence à Quimper département du Finistère Officier de Police judiciaire, auxiliaire de Monsieur le Procureur de la République.
Agissant en vertu et pour l'exécution des instructions de M. le Préfet relativement à la plainte verbale partie par le sieur Balès contre le vicaire Nicolas d'Ergué-Gabéric.
Nous sommes transporté en la dite commune au lieu-dit St André, où étant nous avons entendu
Le sieur Balès, Louis, âgé de 42 ans, propriétaire à St André, commune d'Ergué-Gabéric. Lequel a dit :
Le 16 octobre dernier à la messe de 7 heures du matin à la chapelle St André, je me trouvais assistant à l'office, à peu près au milieu de la nef.
Le vicaire Nicolas a, comme il est d'usage, prêché et il s'est exprimé à peu près en ces termes :
« J'engage les jeunes conscrits à aller à la retraite qui va avoir lieu la semaine prochaine, ainsi que je vous l'ai déjà annoncé dimanche dernier à la grand'messe.
Lorsque je parlais de cela, il y avait un homme qui avait l'air de sourire et il sourit chaque fois que je vais faire mon sermon, cet homme cherche à détourner les jeunes soldats.
Je le vois cet homme, il est là dans la chapelle, il est là devant moi, je l'ai devant les yeux, il est là ! Je le déteste, c'est un mauvais homme, un malfaiteur, un damné. Prions pour lui, afin qu'il se convertisse ».
Puis le vicaire, qui était dans une très grande colère, se retira oubliant de dire les dernières prières de la messe.
Bien que le vicaire Nicolas ne m'ait pas désigné par mon nom, tout le monde a compris que c'était moi qu'il voulait indiquer car lorsqu'il disait « je l'ai devant les yeux, il est là ! », il me montrait de son doigt pointé dans ma direction. D'ailleurs afin que personne ne puisse s'y tromper, il a même indiqué ma situation de famille en disant « Cet homme n'a jamais été soldat, il n'a pas d'enfants qui puissent l'être, il n'en aura jamais ».
Ces faits constituent une diffamation, des injures qui sont punissables par les tribunaux, mais si l'évêque déplace ce prêtre, je me déclarerais satisfait et n'intenterais pas d'action - autrement je l'appellerai devant les tribunaux.
Je compte obtenir la satisfaction que je réclame avant la fin du mois, afin de ne pas laisser prescrire le délit. Je n'attendrai pas au-delà.
Lecture persiste et signe. Balès Louis. Le commissaire spécial, Rouquier.
Ce même entendu. Nous avons ensuite entendu par procès verbaux séparés : n° 2 Le sieur Leroux ; n°3 Les sieurs Thomas et Istin ; n°4 Le sieur Le Meur.
Le commissaire spécial, Rouquier.
Conclusions. Et vu ce qui précède avons clos la présente enquête que nous transmettons à M. le Préfet avec une liste de témoins dép... par le plaignant et annexée au présent. Le commissaire spécial, Rouquier.
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[modifier] 2.3 Déclaration du sieur Leroux
L'an mil neuf cent quatre, le sept novembre à trois heures du soir. Nous, Emile Rouquier, commissaire spécial de Police sur les Chemins de Fer d'Orléans en résidence à Quimper département du Finistère Officier de Police judiciaire, auxiliaire de Monsieur le Procureur de la République.
Continuant notre information avons entendu le sieur Leroux, Pierre, âgé de 42 ans, propriétaire à Kernaon, commune d'Ergué-Gabéric. Lequel a déclaré :
J'assistais à la basse messe à la chapelle de St-André le 16 octobre dernier et tous les assistants ont été outrés de l'attitude du vicaire M. Nicolas et des injures qu'il a adressées à M. Balès. Il a dit :
« J'engage les jeunes soldats à assister à la retraite qu'on organise pour la semaine prochaine et ainsi que je l'ai déjà fait à la grand messe dimanche dernier. Lorsque je parlais de cela il y avait un homme qui souriait et qui sourit toujours chaque fois que je parle. Cet homme est dans la chapelle, je le vois, il est ici présent devant mes yeux.
Cet homme n'a jamais été soldat, il n'a même pas d'enfant pour l'être et il n'en aura jamais. C'est un mauvais homme et un damné. Prions pour lui pour qu'il change ».
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J'avais cru tout d'abord que ces paroles outrageantes s'adressaient à moi car le vicaire ne m'aime pas et parce que son doigt était dirigé de mon côté, qu'il semblait me désigner mais, lorsqu'il a donné les détails sur la situation de famille, j'ai compris qu'il s'agissait de Balès qui, d'ailleurs, était mon voisin, tout à côté de moi, et c'était lui que le vicaire montrait du doigt.
Personne ne s'y est trompé et tous les assistants ont compris que le vicaire désignait Balès.
Lecture persiste et signe. P Le Roux. Le commissaire spécial, Rouquier.
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[modifier] 2.4 Déclaration des sieurs Thomas et Istin
L'an mil neuf cent quatre, le sept novembre à quatre heures du soir. Nous, Emile Rouquier, commissaire spécial de Police sur les Chemins de Fer d'Orléans en résidence à Quimper département du Finistère Officier de Police judiciaire, auxiliaire de Monsieur le Procureur de la République.
Continuant notre information avons entendu le sieur Thomas, Jean-Marie, 24 ans, charron, demeurant à la Croix St André. Lequel a dit :
J'étais à la basse messe à la chapelle St André le 16 octobre et, dans son sermon, le vicaire M. Nicolas a dit :
« J'invite les jeunes gens à aller à la retraite comme je les ai déjà engagés dimanche dernier à la grand'messe.
Quand je parlais il y avait un homme qui souriait. Cet homme est dans la chapelle, il est là devant mes yeux, je le vois.
Cet homme n'a jamais été soldat, il n'a pas d'enfant pour l'être et il n'en aura jamais.
C'est un mauvais homme, si je le rencontre un jour sur ma route, je le traiterai (sic), c'est un damné, prions pour lui pour qu'il change
».
Toutes les personnes présentes ont compris que le vicaire voulait désigner M. Balès, quand il disait : « il est dans la chapelle, je le vois », il dirigeait le doigt de son côté et le désignait. Enfin il a précisé en donnant les renseignements sur la situation de famille de M. Balès et sur sa position militaire car M. Balès a été réformé.
Tout le monde a considéré l'attitude du vicaire comme très injurieuse et j'aurais été à la place de M. Balès je ne crois pas que j'aurais eu sa patience.
Après lecture, le sieur Thomas a persisté dans sa déclaration. Que le sieur Istin, Jean Louis, âgé de 22 ans, charron, demeurant à la Croix St André, a confirmée.
Et tous deux ont signé avec nous. Thomas Jean. Istin. Le commissaire spécial, Rouquier.
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[modifier] 2.5 Déclaration du sieur Le Meur
L'an mil neuf cent quatre, le sept novembre à quatre heures du soir. Nous, Emile Rouquier, commissaire spécial de Police sur les Chemins de Fer d'Orléans en résidence à Quimper département du Finistère Officier de Police judiciaire, auxiliaire de Monsieur le Procureur de la République.
Continuant notre information avons entendu le sieur Le Meur, Jean, âgé de 59 ans, fermier à Kerrousel, commune d'Ergué-Gabérc. Lequel a dit :
Le 9 octobre j'étais à la grand messe à côté de M. Balès et je puis affirmer qu'il n'a pas souri lorsque le vicaire M. Nicolas a engagé les jeunes soldats à aller à la retraite.
M. Balès s'est toujours montré très respectueux à l'église et l'injure que le vicaire lui a faite à la chapelle ne peut avoir et n'a qu'une raison politique.
Après lecture a persisté mais a déclaré ne savoir signer. Le commissaire spécial, Rouquier.
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[modifier] 2.6 Lettre du Préfet du 9 novembre
Quimper le 9 novembre 1904. Monsieur l'Evêque.
J'ai l'honneur d'appeler votre attention sur M. Nicolas, vicaire à Ergué-Gabéric.
Le dimanche 16 octobre, une messe était dite à la chapelle de St-André en Ergué-Gabéric par cet ecclésiastique. À la fin de cette cérémonie, il prononça une allocution spécialement adressée aux conscrits de la classe 1903 qu'il engagea vivement à suivre la retraite qui devait avoir lieu à Quimper à leur intention. Puis il ajouta, en élevant la voix : « J'au déjà fait cet appel aux jeunes gens, dimanche dernier, à la grand'messe de l'église paroissiale. Il y avait là un homme que j'ai vu sourire, comme pour se moquer de mes paroles. Cet homme est aujourd'hui ici parmi nous ».
Cette phrasez fut répétée deux ou trois fois avec un geste indicateur. « Défiez-vous de lui et n'écoutez pas ses conseils : il veut empêcher les jeunes gens d'assister à la retraite, de même qu'il détourne les familles d'envoyer les enfants aux écoles chrétiennes. C'est un malfaiteur et je n'ai pas besoin de le nommer ; je n'en ai d'ailleurs pas le droit. Mais vous le connaissez bien : il n'a jamais fait de service militaire et il n'a pas d'enfants qui en feront. Il n'en a ni n'en aura jamais ». En prononçant les mots qui précèdent, le vicaire indiquait du doigt M. Balès qui se trouvait en face de lui. M. Balès, en effet, n'a que trois filles et il a été déclaré impropre au service. « Oui, c'est un mauvais homme, et je le lui dirai à lui-même si je le rencontrais sur un chemin. Cet homme est un damné ; prions pour qu'il se convertisse ».
Sur ces mots, M. Nicolas descendit de l'autel, dans un état visible de colère, en oubliant de faire, non seulement la prière annoncée, mais les prières usuelles qui suivent la messe.
L'enquête à laquelle j'ai fait procéder atteste ces faits. Aucun des assistants ne s'est, d'ailleurs, mépris sur la personne ... que cet ecclésiastique désignait si clairement.
Je ne doute pas, monsieur l’Évêque, qu'après un examen sérieux de cette affaire, vous n'arriviez à penser comme moi que M. Nicolas n'est plus en situation d'exercer son ministère à Ergué-Gabéric.
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