La Dépêche de Brest, 24.11.1924
Vieilles pierres de Bretagne
Un château historique menacé de destruction
Dans la commune d'Ergué-Gabéric, près de la route de Quimper à Coray, se trouve le vieux et pittoresque château de Lezergué, bâti vers le milieu du XVIIIe siècle par la famille de la Marche, dont les armoiries, sculptées sur des cartouches Louis XV, timbrent encore la façade. Converti en ferme depuis la Révolution, Lezergué est une belle demeure aux nobles proportions et, malgré sa déchéance, garde très grand air tel qu'on l'aperçoit en perspective fuyant du bout de l'avenue, avec ses murs de sombre granit qui ont pris la patine du bronze, ses hautes fenêtres, ses lucarnes de pierre et ses deux pavillons d'angle à frontons courbes en arc surbaissé.
Intérieurement, Lezergué est dans un triste état, bien qu'on y admire toujours le grand escalier d'honneur et sa voûte plate d'une surprenante hardiesse. Les salles basses, aux cheminées et aux lambris élégamment moulurés, sont seules habitées par le fermier-propriétaire ; tout le reste du château n'offre qu'abandon et ruine. La toiture s'est effondrée en partie et dans les grandes pluies d'hiver, l'eau du ciel ruisselle à travers les planchers troués pour aller se perdre au fond des caves.
§ Le possesseur de ce vieux manoir serait disposé à le vendre ...
Le possesseur de ce vieux manoir serait disposé à le vendre ; mais, inspiré par un sentiment respectable, quoiqu'un peu exclusif, et surtout fâcheux par les conséquences qui fatalement en découleront, il ne veut aliéner que les pierres, laissant à l'acquéreur, s'il lui plaît, la faculté de les rassembler ailleurs ; quant à lui, il entend garder l'emplacement du château et y rebâtir une maison moderne où il vivra dans le même cadre familier qu'on connu ses ancêtres. Nous savons qu'une personne désireuse d'acquérir Lezergué pour le restaurer et lui rendre son ancienne splendeur en a offert la somme de 400.000 francs ; mais en raison des prétentions du propriétaire qui ne veut céder que les murs, et non le tertre sur lequel ils sont assis, aucun accord n'a pu intervenir. On nous a même assurer que l'intention du dit propriétaire est, s'il ne trouve point à bref délai un acheteur disposé à entrer dans ses vues, de livrer ce beau monument à un entrepreneur de démolitions et à le faire raser jusqu'au sol, pour construire en ces lieux et place la plus insignifiante des habitations rurales.
Ce serait là une solution extrêmement regrettable. D'une part, Lezergué offre un type intéressant - et très rare dans le Finistère - des châteaux bas-bretons du XVIIIe siècle, et mériterait à ce seul titre d'être conservé. D'autre part, il s'y rattache des souvenirs historiques très heureusement évoqués, devant ses murailles vénérables, à l'une des dernières excursions de la Société archéologique du Finistère, par M. Waquet, archiviste départemental. C'est là, dans un manoir plus ancien, que vivait sous Louis XIII et Louis XIV, le bon Guy Autret de Missirien, gentilhomme lettré et acharné travailleur, d'une conscience et d'une probité admirables, mort avant d'avoir pu mettre en œuvre les trésors de documents amassés par lui sur l'histoire bretonne. C'est là aussi, croit-on, qu'est né, en 1729, le dernier évêque de Saint-Pol de Léon, Mgr Jean-François de la Marche, dont M. l'abbé Kerbiriou a récemment restitué, dans sa remarquable thèse de doctorat, l'attachante et énergique physionomie.
Que Lezergué donc, loin de disparaître, puisse échoir à quelque homme de goût, qui saura l'arracher à la ruine, et y faire revivre les vieilles traditions abolies ! Le site est charmant, tout baigné de fraîcheur et d'eaux courantes. Une riche campagne l'environne, et la ville n'est pas loin. Qu'un amateur fortuné de la paix des champs vainque, par des arguments irrésistibles, les honorables scrupules du propriétaire actuel, et qu'il restitue à cette demeure si longtemps avilie, son prestige et sa fierté d'autrefois ! Ce serait un beau geste et une bonne œuvre à accomplir.
Signé : L. G.
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Journal des Débats, 01.04.1929
Elginisme [7] et vandalisme en Bretagne
§ La Bretagne, a-t-on dit, recèle dans ses églises, ...
La Bretagne, a-t-on dit, recèle dans ses églises, ses chapelles, ses logis moyenâgeux, ses vieux manoirs, une véritable « poussière de chefs-d’œuvre ». Ces richesses d'art, d'un mérite secondaire, mais d'accent si savoureux, lui valurent d'être longtemps la terre d'élection des brocanteurs, des collectionneurs à prix doux de meubles sculptés, de statues archaïques, d'ustensiles ménagers ou professionnels au galbe amusant. Mais voici qu'après avoir pillé et vidé la plupart de ces oratoires ruraux, de ces « chapelles sans nombre » dans lesquelles Brizeux voyait l'un des plus caractéristiques traits de sa province natale, et que la coupable incurie des municipalités voue à une destruction plus ou moins lente, mais générale et inéluctable, on s'attaque à la pierre taillée, à la maçonnerie elle-même.
Voici le dernier méfait des « déménageurs de sanctuaires ». Il y a cinq mois à peine existaient encore, sur la route de Quimper à quimperlé, non loin du bour d'Ergué-Armel, de très pittoresques ruines d'une chapelle du treizième siècle, Sainte-Anne de Guélen, antique dépendance d'une aumônerie établie par les chevaliers Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem. Posé au bord de la grande artère qui suivaient jadis les pèlerins du Tro-Vreiz, du « Tour de Bretagne » (dévotion voyageuse consistant à visiter, dans le délai d'un mois, en suivant un itinéraire invariable, sept des neuf cathédrales du duché), l'hôpital de Guélen offrait aux fidèles un gîte pour se reposer, des soins pour les éclopés et les malades, un oratoire pour prier et ouïr messe avant le départ matinal.
Bien des siècles plus tard, alors que le Tro-Vreiz était tombé dans l'oubli, la vieille chapelle, mi-effondrée, privée de toiture, envahie par le lierre et les ronces, demeurait comme un témoin historique de ces pieuses randonnées. Deux pèlerins, littéraires ceux-là, Gustave Flaubert et Maxime du Camp, la visitèrent en 1847. Le premier y nota « le portail, petit, bas, d'une jolie ogive, d'un excellent goût », qu'accompagnait une élégante fenêtre à meneaux trilobés. Un lierre touffu pansait les blessures des vieilles murailles, et l'aspect tout romantique de cette masure illustrait à merveille le mot de Puvis de Chavannes : « Il y a quelque chose de plus beau qu'une belle chose, ce sont les ruines d'une belle chose. »
Aujourd'hui, Sainte-Anne de Guélen n'existe plus. L'été dernier, un touriste qui passait par là en auto s'arrêta, regarda, et, moyennant dix mille francs, il obtint du propriétaire licence de tout emporter. Huit jours plus tard, le charmant portail, avec son ébrasement tapissé de seize colonnettes, et la fenêtre gothique, démontés et emballés, prenaient par voie ferrée la direction du Midi.
Le bruit d'une telle aubaine s'est répandu dans le pays. De l'autre côté du vallon de l'Odet, dans la commune d'Ergué-Gabéric, la monumentale façade du château de Lezergué attend aussi un acquéreur. Vaste page de granit sombre, conçue dans le style sévère du dix-huitième siècle breton, patinée de lèpres verdâtres ainsi qu'un vieux bronze, elle ouvre dans le ciel les rectangles de ses hautes fenêtres. Le fermier-propriétaire, qui jusqu'ici campait dans l'unique coin habitable de cette immense ruine, s'est décidé à la démolir et à construire une autre maison avec les matériaux. Mais il a épargné la façade, et espère, parait-il, qu'un Américain milliardaire viendra bientôt lui en proposer beaucoup de dollars. Lezergué revivra peut-être un jour sur les rives du Potomac ou de l'Ohio.
§ Voici l'elginisme. Passons au vandalisme ...
Voici l'elginisme [7] . Passons au vandalisme, et, qui plus est, au vandalisme officiel. Un conflit vient de s'allumer dans le paisible Quimper, au sujet d'une de ces maisons du temps d'Henri III qui forment le quartier médiéval de « la Terre-au-Duc ». Le propriétaire de ce vénérable logis l'a voulu rajeunir. En grattant le morne badigeon au lait de chaux que Loti comparait à un suaire jeté sur des ruines, les ouvriers ont dégagé sur ses deux façades un agencement de potelets verticaux ou disposés en croix de Saint-André, du plus plaisant effet, et la maison est redevenue l'une des plus jolies vieilles demeures de Quimper-Corentin. Mais la municipalité, estimant que la rue est trop étroite, et voulant l'élargir, a justement choisi comme première victime la maison si fraîchement restaurée. Pour préserver celle-ci, du moins à titre provisoire, la « Société archéologique du Finistère » vient de la faire inscrire sur la liste supplémentaire des monuments historiques, et se propose d'en poursuivre le classement. La municipalité réclame contre cette mesure. Elle a saisi de sa protestation le ministre, le préfet, les députés et sénateurs du département. Les défenseurs des souvenirs du passé sont qualifiés de « monomanes », la valeur artistiques de la maison est contestée, sa restauration l'aurait transformée en un « décor d'opérette ».
Souhaitons qu'un personnage qualifié intervienne sans retard dans ce différend ; qu'au nom de la raison, de la réputation de beauté pittoresque que la petite capitale cornouaillaise se doit de soutenir, de l'intérêt bien compris du commerce local, il sauve l'innocente exquise bicoque.
Signé : R. Penanguer.
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Ouest-Eclair, 30.08.1929
Façade de vieux châteaux à vendre
Les journaux quimpérois publient actuellement l'annonce suivante : « Façade de vieux château à vendre avec escalier de pierres. S'adresser, etc ... ». Cette annonce insolite rappelle le titre de la pièce de théâtre bien connue : « Château historique à vendre », autant que la partie peut rappeler le tout.
Il s'agit ici, sans le moindre doute, du château de Lezergué, sis à quelques kilomètres de Quimper, non loin de la route de Coray, en l'agreste et riante commune d'Ergué-Gabéric.
C'était une massive et sombre bâtisse édifiée dans la seconde moitié du XVIIIe siècle par la famille de la Marche, sur l'emplacement d'un manoir plus ancien qui avait été, au début du règne de Louis XIV, la résidence de l'excellent Guy Autret de Missirien. Ce gentilhomme érudit, féru de généalogie et d'histoire bretonne, du fond de sa thébaïde cornouaillaise, correspondait avec d'Hozier, les frères de Sainte-Marte, etc ..., publiait une seconde moitié augmentée de la Vie des Saints d'Albert Le Grand, et rassemblait les élément d'un important travail historique que la mort l'empêcha par malheur de publier.
§ Le comte de la Marche, frère aîné du dernier évêque de Léon ...
Le comte de la Marche, frère aîné du dernier évêque de Léon, employa les pierres de leur manoir ancestral de Kerfors où était né ce dernier, à faire reconstruire le château de Lezergué qu'il tenait de la succession de leur mère, Marie-Rose de Tréouret. Entrepris sur de belles proportions, l'édifice était à peine achevé quand éclata la Révolution.
Sans précisément émigrer, les de la Marche se retirèrent aux Antilles, après avoir vendu leur domaine à un riche paysan du voisinage. Les descendants de l'acquéreur se souviennent encore que leur aïeul dut aller à Nantes payer à un notaire le prix de son acquisition, qu'il fit le voyage à cheval - jamais il n'avait été si loin ! - sur un bidet chargé de gros sacs d'écus, denrée éminemment périlleuse par ce temps de brigands et de « chauffeurs », et qu'après huit jours de transes, sa famille eut la joie de le voir réapparaître sain et sauf, grâce à sa bonne étoile et à un gros cierge brûlé devant la statue de N.-D. de Kerdévot.
Trop vaste pour ses occupants, qui se cantonnaient dans quelques salles basses, exigeant des réparations trop coûteuses, le château était devenu peu à peu inhabitable. Les pluies d'hiver s'engouffraient par ses toitures crevées, inondaient les greniers, dégoulinaient jusqu'au premier étage et ruisselaient en cascade le long des marches de l'escalier monumental pour s'en aller noyer les caves. Le propriétaire actuel a fini par se résoudre à abandonner cette immense masure. Si les murs en étaient encore robustes, les plafonds transpercés et pourris menaçaient de lui choir dessus.
Il en fait abattre une grande partie, et des matériaux ainsi obtenus il s'est construit au bord de la rabine [8] une maison neuve, dont la porte est surmontée du sanglier héraldique des Tréouret. Mais il a épargné toute la façade, ainsi que l'escalier de granit, à double montée et voûte plate d'un tracé hardi, qui occupait le fond du vestibule. On lui a dit que de « nouveaux riches », que les Américains surtout, payaient très cher les pierres historiques françaises, patinées de passé, et qu'il avait des chances de vendre les siennes un bon prix. C'est pourquoi paraît l'annonce que j'ai citée, et pourquoi la façade de Lezergué, vraiment tragique avec les trous béants de ses fenêtres, les arrachements de ses pignons détruits, la couleur de bronze de ses pierres vêtues d'une moisissure verdâtre et de ses frontons courbes, encadrant dans un double cartouche Louis XV, le blason encore visible des de La Marche attend là-bas, sur sa butte ombragée, un acquéreur.
Signé : L.
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Progrès du Finistère, 24.08.1929
A VENDRE
Façade de vieux Château avec Escalier en pierres.
Prendre adresse au journal
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Le Finistère, 31.08.1929
A VENDRE
façade de vieux château avec escalier en pierres.
S'adresser au journal
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Ouest-Eclair, 27.09.1929
Choses et gens de Basse-Bretagne.
Le château de Lezergué.
Nous apprenons que la Société « La Sauvegarde de l'Art Français » [9] , qui s'occupe avec un zèle si soutenu et de si heureux résultats du sauvetage de nos antiquités nationales menacées par l'avidité des mercantis et la convoitise des milliardaires d'Outre-Atlantique, fait en ce moment des démarches en vue de l'inscription sur la liste complémentaire des monuments historiques de la façade du château de Lezergué, en Ergué-Gabéric, près Quimper, dont la mise en vente a été signalée il y a une quinzaine de jours dans l'Ouest-Eclair.
Tout porte à espérer que ces démarches aboutiront et que ce monument, d'un style assez rare dans le Finistère, ne quittera pas de sitôt la Cornouaille pour les bords du Potomac ou de la Rivière-Rouge [10] .
Le croquis ci-joint représente Lezergué tel il était encore il y a trois ans au plus. Les brèches de la toiture apparaissent à gauche, au-dessus du fronton courbe du pavillon. L'aspect actuel diffère assez peu de celui-là, sauf la démolition partielle du pignon de gauche dont on n'a gardé que les assises suffisantes pour soutenir la partie de la façade qui s'y reliait. De belles boiseries du 18e siècle ont trouvé acquéreur à Quimper même.
Comme on sait, l'historien et généalogiste Guy Autret de Missirien faisait, au temps de Louis XIII et au début du règne de Louis XIV, sa résidence favorite à Lezergué. Il habitait, non le château des de La Marche, bâti plus d'un siècle après sa mort, mais un manoir plus rustique dont quelques débris survivent mêlés aux édifices de la ferme attenante. Ses armoiries, alliées à celles de sa femme, Blanche de Lohéac, se voient encore sur une pierre encastrée dans un talus au bord de l'avenue [11] .
Tout amateur de vieux parchemins et de vieilles chartes qu'il était, l'excellent gentilhomme ne dédaignait point un bon morceau, professant sans nul doute avec Descartes que Dieu n'a pas fait les mets friands que pour les seuls imbéciles. Voici de lui une lettre inédite [12] qui témoigne de son appétit et de son enjouement. Il l'adressait de Lezergué, « le jeudi de l'Ascension 1642 » au procureur du Roi du présidial de Quimper, M. du Haffont de Kerescant :
§ « Monsieur mon cher cousin, il ne faut point user ...
« Monsieur mon cher cousin, il ne faut point user de cérémonies vers ceux qui vous sont si acquis comme nous. Il ne failloet ni convi ni prières pour nous obliger de vous aler aider à festiner. En telles occasions je ne lesse jamais deffaut, et je suis toujours rendu auparavant le messager qui m'en vient quérir ».
« Ne soiés donc point en paine de nous. Je seroy dimanche le coeur de vostre festin, primum vivens et ultimum moriens, je veux dire que le premier à table et le dernier à en sortir. Ma fame ne peut escrire pour avoir mal à la main. Elle espère que vous agrérés ses excuses et qu'elle se serve de la main qui est le meilleur membre de son secrettere ».
« Attandant vous voir je suis vostre très humble serviteur. MISSIRIEN ».
« Monsin (?) barone, qui est devenue marquise du Chastel depuis six jours, ne me done point de patience que je n'escrive en ce lieu les besemains qu'elle vous envoet ».
Signé : L.
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Ouest-Eclair, 02.02.1930
SOCIÉTÉ ARCHÉOLOGIQUE DU FINISTÈRE
La Société Archéologique a tenue le jeudi 30 janvier sa séance mensuelle sous la présidence de M. Waquet, archiviste départemental ...
Les ruines du château de Lezergué, situés dans la commune d'Ergué-Gabéric, sont inscrites sur la liste supplémentaire des monuments historiques. Ce château, bâti vers la fin du XVIIIe siècle par la famille de la Marche, vient d'être en grande partie démoli par son propriétaire, qui a cependant conservé la façade et un escalier de pierres monumental.
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