Vie de saint Guen-Ael ou Guenaut [1]
Deuxième Abbé de Land-Tevenec, Confesseur, le 3. Novembre.
Du temps que Conan Meriadec, premier roy Chrestien de la Bretagne Armoricaine residoit en la ville de Nantes, pour plus aisément reprimer les course des Poictevins & Aquitains, il avoit laissé le gouvernement du Conté de Cornouaille, à un noble Seigneur, nommé le Comte Romelius, lequel eut pour espouse une dame de Maison, non moins illustre, appellée Levenez; & ils faisoient, leur ordinaire demeure en la ville de Kemper-Odetz (qui, depuis, fut nommée Kermper-Corentin), capitale de leur gouvernement. Ce furent les pere & mere de nostre Saint, qui leur nasquit l'an de de grace 306, sous le Pontificat du Pape S Sirice, & l'impire d'Arcadius & Honoré, & fut nommé, sur les Fonds de baptesme, GUEN-AEL, c'est à dire, en breton Ange blanc, présage de la candeur & innocence Baptismale qu'il recevait & qu'il conserva toute sa vie. Ayant passe les plus tendres années de son enfance, lors qu'il commença à parler distinctement, sa mere luy apprit son Catechisme & les principes de nostre créance, &, le croyant capable d'apprendre quelque chose de plus relevé, on luy bailla un precepteur, pour l'instruire & élever en la vertu & és bonnes lettres, esquelles il faisait un notable progrez, l'estude n'atiedissant en luy la ferveur de l'Oraison.
§ II. Dés qu'il commença à connoistre le monde ...
II. Dés qu'il commença à connoistre le monde, il commença aussi à le mépriser, & s'accrut tellement ce mépris en son Ame, qu'il se resolut de le quitter entierement & se rendre Religieux en quelque Monastere. Sur cette resolution, S. Wennolé, nouvellement beny Abbé du Monastere de Land-Tevenec en Cornouaille, fondé par le Roy Grallon, lors regnant, assisté de quatre de ses Religieux, vint à Kemper, visiter son maistre S. Corentin, premier Evesque de Cornouaille ; & comme il passoit par une rue, nostre S. Guen-ael, qui jouoit sur le pavé avec quelques autres enfans de son âge, quittant ses jeux puerils, s'encourut vers luy, se mit à genoux & demanda sa benediction. Saint Wennolé, lisant en son visage quelque présage de future Sainteté, jugea que Dieu luy adressait cet enfant, pour servir, un jour, d'ornement à son Monastere, &, le caressant doucement, luy dit : « Et bien (mon fils) voulez-vous venir quant & nous pour servir Dieu en nostre Monastere ? Ouy, mon Pere (répondit Guin-ael) c'est la chose que plus je desire en ce monde, & vous promets, dés à present, que je veux passer ma vie au service de Dieu, sous vostre Regle & Discipline. » Et, disant cela, il quitta tous ses compagnons & suivit le saint Abbé, lequel, pour éprouver sa perseverance, luy dit : Non, mon enfant, retournez-vous en chez vostre pere, le chemin d'icy au Monastere est long & difficile, vous ne sçauriez nous suivre. L'enfant luy répondit : Mon Pere, j'ay quelques fois ouy lire, dans l'Evangile, que quiconque met la main à la charruë & regarde en arriere n'est pas propre pour le Ciel ; comment donc pourray-je, sans danger de mon salut, abandonner la resolution que j'ay fait de me dedier au service de Dieu en vostre Monastere ? S. Wennolé, admirant sa perseverance, le conduisit chez ses pere & mere, &, de leur consentement, l'emmena en son Monastere, & prit luy-mesme le soin de son instruction.
§ III. Ce fut la septiéme année de son âge ...
III. Ce fut la septiéme année de son âge, & de nostre salut l'an 402. qu'il vint à Land-Tevenec, & y passa trois années en habit séculier, comme pensionnaire, en grande impatience de recevoir l'habit, dont il faisoit continuellement instance à saint Wennolé & aux autres Religieux, lesquels enfin luy accorderent sa requeste, & il fut vêtu en presence du Roy Salomon I. du nom & de toute sa cour, qui fondoit en larmes, voyant un jeune Seigneur, en un âge si tendre, fouler genereusement aux pieds les vanitez du monde & embrasser courageusement la Croix de la Penitence. Il coulait la dixiéme de son âge, qu'on comptoit de nostre salut l'an 405 &, nonobstant son jeune âge, il s'adonna avec tant de soin à l'acquisition des vertus, qu'en bref il égala les plus anciens & parfaits Religieux du Monastere. Jamais on ne le trouvoit oysif ; il passoit les nuits à prier & lire la sainte Escriture , assistoit devotement au Choeur, de nuit & de jour ; son humilité paroissoit en toutes ses paroles & actions ; il supportait patiemment les infirmitez de son prochain, & jamais ne murmuroit de chose qui se passast ; il conserva soigneusement sa chasteté, & pour mieux s'en asseurer, il cherissoit la mortification & les rigueurs & austeritez ; il jeûnoit presque continuellement ; endurait les chaleurs de resté & les froideurs de l'hyver, estant également vestu en l'une & l'autre saison. Pendant les plus grands froids de l'hyver, tous les soirs, lors que les Religieux s'estaient retirez en leurs Cellules, il alloit au bas du jardin du Monastere, &, se dépoiiillant tout nud, horsmis de son Cilice, il se plongeoit jusqu'aux aisselles dans l'estang ou vivier qui estoit en ce lieu, &, en cét estat, recitoit les sept Psalmes Penitentiaux, pour les Bien-faiteurs de son Monastere.
|
|
|
§ IV. Il avoit vescu dans le Monestre 43 ans ...
IV. Il avoit vescu dans le Monestre 43 ans, lors que Dieu, voulant recompenser saint Wennolé de ses longs travaux, luy revela sa mort prochaine, dont le saint vieillard extremément aise, convoqua tous ses Religieux en Chapitre, leur annonça la revelation que l'Ange luy avoit faite, les exhorta à l'observance de leur Regle, prit congé d'eux, & leur nomma pour son successeur S. Guen-ael, les priant de luy donner ce contentement, avant mourir, que de confirmer, par leur élection, cette sienne nomination; ce qu'ils firent trés volontiers, sans avoir égard à ses excuses & protestations, & S. Wennolé confirma son élection, &, peu de jours après, mourut saintement, & ses obseques celebrées, nostre Saint fut beny Abbé, au contentement de tous ses Religieux, au mois de mars l'an 448 laquelle charge il exerça 7 ans, jusqu'à l'an 455 que, desirant voyager en l'Isle de Bretagne, pour visiter les Monasteres qui y florissoient en sainteté, il se démit de son Abbaye, &, s'estant fait élire un Successeur, il prit onze de ses Religieux, avec lesquels il passa la mer, & fut quatre années en ce voyage, laissant, par tout où il passoit, des marques de sa Sainteté ; car il rendoit la vouë aux aveugles, l'ouye aux sourds, le marcher aux boëteux, & aux paralytiques le libre usage de leurs membres ; il chassoit le diable des corps des possedez & operoit d'autres miracles, qui le faisaient respecter des peuples & admirer des plus parfaits. Dieu exauçant les prieres des Religieux de Land-Tevenec, qui, depuis l'absence du saint Abbé, n'avoient cessé de requerir son retour, luy envoya un Ange, qui luy fit commandement de s'en retourner en Bretagne ; à quoy il obéit, &, s'étant embarqué en un vaisseau Breton, qui étoit au Havre prochain, il vint prendre port en l'Isle de Groys, à la coste de Bretagne, l'an 459.
§ V. Si-tost que saint Guen-ael & ses Confrères ...
V. Si-tost que saint Guen-ael & ses Confrères eurent mis pied à terre, les Cloches de la principale Eglise de l'Isle (en laquelle il y avoit des Reliques de plusieurs Saints) commencerent à sonner d'elles-mesmes, d'un son & branle tout extraordinaire, ce qui fit que le peuple s'y rendit en foule, & aussi les Moynes d'un Monastere fort renommé qui estoit dans l'Isle, dont l'Abbé, voyant le peuple estonné de cette merveille, fit signe de la main qu'on luy prestast audience, &, étant monté au pupiltre, il leur dit : « Mes Freres, croyez mon conseil, & visitons les costes & rades de cette Isle, car je crois sans doute que ce sont quelques saints Personnages qui nous sont venus visiter, dont nos saints Patrons (desquels les Reliques reposent en cette Eglise) nous ont voulu donner avis par ce miracle. » Tout le peuple approuva ce conseil & alla voir à la prochaine rade, où ils trouverent le vaisseau à l'ancre & le Saint & ses compagnons qui sortoient de l'esquif. L'Abbé les salua & les mena en son Monastere, où s'estant rafraischis, quelques jours, ils remonteront sur mer & debarquerent en terre ferme à la coste de Cornoûaille, d'où ils allèrent par terre à leur Abbaye, où ils furent receus avec un contentement extréme.
§ VI. Aussi-tost qu'il fut arrivé à Land-Tevenec ...
VI. Aussi-tost qu'il fut arrivé à Land-Tevenec, ses Religieux le suplierent de reprendre sa charge d'Abbé ; à quoy il ne voulut consentir du commencement, mais ils l'en importuneront tellement, qu'il fut contraint de le leur accorder, & il exerça la charge trois ans, jusqu'à l'an 462 qu'il s'en démit de rechef & fit élire un autre en sa place, &, si-tost qu'il eut esté beny, il luy demanda congé de se retirer en quelque lieu solitaire & desert, pour faire penitence & se disposer à la mort ; mais l'Abbé le refusa tout court, ne voulant se priver du secours & assistance qu'il esperoit avoir de luy en la conduite & direction de son Monastere. Tous les autres Religieux se joignirent à l'Abbé, s'opposans à la retraite du Saint ; mais il les importuna tant, qu'enfin, vaincus de ses instantes suplications, ils luy donnerent congé pour un an, & non plus. Le saint Homme, ayant receu la benediction de son Abbé, prit congé de ses Confreres & sortit, avec deux compagnons, touchez aussi d'un mesme desir de vivre en solitude ; &, d'autant qu'il estoit trop connu dans tout le Comté de Cornouaille, il entra dans le Vennetois, où, ayant rencontré un lien fort écarté & desert, il y édifia un petit Oratoire & trois petites Cellules & s'y habitua. II n'y eut gueres demeuré, que ses deux Confreres commencerent à se plaindre de la sterilité de ce lieu nommément de l'incommodité qu'ils avoient faute d'eau potable, laquelle il falloit aller querir fort loin ; saint Guen-tel les consola & exhorta d'avoir recours à Dieu en leurs necessitez, lequel jamais ne delaisse ceux qui esperent en luy & les mena à la Chapelle, où ayant fait Oraison, en commun, il sortit dehors, & imprima le signe de la Croix en terre, laquelle ayant frappé de son baston, elle jetta une grosse source d'eau, qui n'a cessé de couler jusques aujourd'huy.
§ VII. Ce saint Personnage n'acheva pas son année ...
VII. Ce saint Personnage n'acheva pas son année dans la solitude ; car Dieu, se voulant servir de luy pour le salut de plusieurs, le manifesta au Comte de Venues Guerec, lequel, chassant, un jour, en ces quartiers, leva une biche, qui, fuyant la meutte des chiens, entra dans la solitude de saint Guen-ael & se coucha sous son Aumusse ; les chiens suivirent leur beste, mais, arrivez au lieu, ils n'oserent approcher vingt pas prés du Saint. Le venneur, estonné de cela, en donna avis au Comte & à sa compagnie, qui s'y rendit incontinent & trouva la biche couchée sous l'Aumusse du Saint [2] . Guerec, voyant cela, le salua fort affectueusement & l'emmena avec luy à Vennes, & l'y retint, quelque temps, pour jouir plus à plein de ses bonnes instructions & avis salutaires ; puis, ayant pris congé du Comte, il s'en retourna en son Hermitage, où ayant passé 9 mois, il fut mandé de son Abbé de revenir au Monastere, ce qu'il fit, comme enfant d'obedience, encore qu'il regretast sa chere solitude.
§ VIII. Il seroit difficile d'exprimer avec quelle joye ...
VIII. Il seroit difficile d'exprimer avec quelle joye & contentement il fut receu de ses Religieux ; mais cette allegresse finit bientost ; car ayant passé 4 années avec eux, estant déjà vieil & cassé, rompu de penitences & austeritez, Dieu le voulant recompenser de ses travaux, il tomba malade, &, en peu de jours, il fut reduit à l'extremité ; il se confessa generalement à son Abbé, receut le S. Sacrement en Viatique, puis demanda l'Extrême-Onction, qu'il receut le mesme jour, le reste duquel il passa en meditation, ayant les yeux arrestez sur un Crucifix qu'il tenoit en sa main ; enfin, ayant agonisé toute la nuit, sur le point du troisième jour de novembre, l'an 467 & de son âge le 70 il rendit son Ame à Dieu. Son Corps fut incontinent lavé & revêtu de ses Ornemens Abbatiaux & porté en l'Eglise, où il fut reveré & baisé d'une multitude de peuple, qui, de toutes parts, s'y rendit pour honorer ses obseques. Le Roy de Bretagne, qui, avec sa cour, estoit à Kempercorentin, distant de six lieuês de Land-Tevenec, envoya dire à l'Abbé qu'il ne se hastast d'ensevelir le saint Corps ; cela fit qu'on le garda trois jours dans l'Eglise, où il se conserva frais & entier, répandant une merveilleuse odeur. Le troisiéme jour, le Roy arriva, accompagné du Prince son fils aisné, des Princes, Comtes, Vicomtes & de grand nombre de Seigneurs, qui tous donnerent l'eau benîte au saint Corps & assisterent à son enterrement.
§ IX. Il fut ensevely dans une petite Chapelle ...
IX. Il fut ensevely dans une petite Chapelle, hors l'Eglise Abbatiale, laquelle a esté tenuê en si grande veneration, que personne n'y osoit entrer, crainte de fouler aux pieds ce saint Corps, où il demeura jusqu'à l'an 857 que Neomene, Roy de la Bretagne Armorique, estant de retour des Guerres de France, alla en Pelerinage à Land-Tevenec visiter les Sepulchres des SS. Wennolé & Guen-ael, & fit reédifier l'Eglise Abbatiale & y transferer les Os des saints Wennolé & Guen-ael, lesquels il fit enchasser en Chasses d'argent doré ; neanmoins, en l'Eglise Cathedrale de Vennues, on montre le Sepulchre de ce Saint, comme on sort du choeur, du costé de l'Epistre. Enfin, l'an 878. les Normands & Danois, ayans mis pied à terre en Bretagne, les Moynes de Land-Tevenec abandonnerent leur Monastere & se retirerent en France, pour fuir la rage et cruauté de ces Barbares, qui faisoient un cruel traitement aux Reliques des Saints, aux Monasteres & aux Gens d'Eglise, emporterent le Corps de S. Guen-ael à Paris, où ils furent receus fort benignement de Theudon, prevost de Paris, qui leur donna une maison qui luy appartenoit, avec ses terres et metairies , situez en la Paroisse de Courcoronné, prés Corbeil, où ils édifierent une Chapelle & y mirent les Reliques du Saint. Mais les Saxons & Normands continuans leurs ravages en France, crainte que ce precieux thresor ne tombast en leurs mains sacrileges, il fut porté à Corbeil, par le commandement du trés illustre Comte Edmont, lequel fit faire une Procession generale, où il assista avec tout le Clergé, non seulement de ladite ville de Corbeil, mais encore des Paroisses & bourgades circonvoisines, qui se rendirent à Courcoronné, où, ayons receu reveremment les saintes Reliques, ils les apporterent au fauxbourg S. Jacques de Corbeil, où elles furent mises en une petite Chapelle, que le susdit Comte avoit fait bastir, du côté de la Brie. Mais, depuis, en l'an 1007 Fouettard, Comte de Corbeil, à la sollicitation de son fils Legauld (qui depuis fut Evesque de Paris), fit bastir une belle Eglise en l'honneur du Saint, où il transfera ses Reliques, & s'appelle, encore à present, de son nom, saint Guenault ; ç'a esté, à son commencement, une Abbaye Collegiale, ayant un Abbé & quatre Chanoines ; depuis, le Roy Loûis le Gros, venant à la couronne, l'incorpora à l'Abbaye de S. Victor lez Paris, & est un Prieuré dépendant d'icelle. Ce neanmoins, le catalogue des Reliques qui sont en l'Eglise Cathedrale de Vennes porte que le Corps de ce Saint y est ; je croyrois qu'il y en a partie à Vennes & autre partie à Corbeil.
Cette Vie a esté par nous recueillie des anciens Breviaires des Eveschez de Leon, Cornouaille et Vennes, qui en font Office et en ont la Legende en neuf leçons ; les vieux Legendaires manuscrits de Cornouaille, Vennes et Land-Tevenec ; les MSS. de la vie de S. Wennolé ; Pierre de la Barre en parle en ses Antiquitez de la Ville de Paris, et le Pere Le Bon, Chanoine Regulier de l'Abbaye de S. Victor de Paris, desquels l'a pris T. Friard, qui l'a ajoustée à la Legende de Ribadeneira, et le Pere Jacques de Breul, en son Theastre des Antiquitez de la Ville et Diocese de Paris, parlant dudit Prieuré de saint Guenault de Corbeil, met un abregé de sa vie.
ANNOTATIONS. [3]
§ Date et lieu de naissance de saint Guenael (A.-M. T.) ...
MONSIEUR DE LA BORDERIE indique la première année du VIe siècle comme l'époque où vint au monde celui qui devait succéder au grand saint Guénolé comme abbé de Landevenec; il pense que Romelius et Levenez (Laetitia) auraient habité à deux ou trois lieues au sud de Loc-Majan, sur le territoire de la paroisse actuelle de Lanrivoaré ; c'est là que saint Guénolé, faisant dans le Léon une expédition évangélique en compagnie de plusieurs de ses moines, rencontra ce bel enfant priant dans l'atrium de la maison paternelle, l'interpella comme on l'a vu dans le texte d'Albert Le Grand et lui dit les paroles qui devaient décider de sa vocation et de toute sa vie.
En effet, « les chartes de l'abbaye de Landevenec (n° XXXIX) disent qu'une terre appelée Languenoc (aujourd'hui Lanvenec) située au sud de Lanrivoare, était le patrimoine de Guenhael, par conséquent le domaine de son père; c'est là que Gwennolé trouva l'enfant et exerça sur lui sans le vouloir ce phénomène d'attraction instantanée et irrésistible. »
Quoi qu'il en soit de cette conclusion qui parait bien admissible, la tradition cornouaillaise est que saint Guenaél a vu le jour sur le territoire de la paroisse d'Ergué-Gabéric (le Grand-Ergué) mais tout près de Kerfeunteun et de Quimper. Il a sa fontaine vénérée, dans le village qui est considéré comme le lieu de sa naissance.
§ Différentes étapes dans la vie de saint Guenael (A.-M. T.) ...
C'EST en 532 que saint Guenaël succéda à saint Guénolé comme abbé de Landevenec. Après un septennat il donna sa démission, et avec onze moines de cette maison, il partit. C'est le commencement d'une vie d'émigration où il va se montrer voyageur aussi infatigable que saint Cado. « La première étape, dit M. de la Borderie, fut, parait-il, les îles de la Manche. De là il s'élança dans l'île de Bretagne au moment où les Bretons insulaires en sortaient pour venir en Armorique, et en la quittant, il se rendit en Irlande. Selon la plus ancienne version de sa Vie, il ne consacra pas moins de trente-quatre ans à ces missions insulaires. Il fonda dans ces deux îles deux ou trois monastères considérables, et cinquante couvents, dit-on, lui confièrent le soin de réformer leur discipline, car ses principaux efforts furent consacrés à maintenir dans sa pureté, à ramener à sa ferveur primitive, l'institution monastique. Il éprouva enfin le besoin de revoir sa patrie. Il revint seul dans une barque d'osier (recouverte de cuir) fabriquée de ses propres mains, rapportant avec lui beaucoup de livres et de reliques. Selon d'autres, il était suivi de cinquante disciples. Il débarqua en Cornouaille, où il fonda trois monastères (qu'on ne nomme pas) et passa de là dans l'île de Groix (comme nous l'a raconté Albert) ; il y resta plusieurs années, toujours occupé de la réformation monastique. Né au commencement du vie siècle il avait environ quatre-vingts ans ; malgré son activité infatigable il lui fallut prendre quelque repos. Il quitta Groix et s'arrêta à l'entrée du Blavet, rive droite, sur une langue de terre bordée à l'Est par le fleuve, à l'Ouest par les sables et le petit bras de mer du Rohu. Il y avait encore des bois sur cette côte, car il y trouva une louve et ses petits qui lui obéirent avec une docilité exemplaire quand il leur commanda de quitter la place. Il avait grande familiarité avec les fauves. Un jour étant allé visiter l'un de ses moines appelé Caradec, retiré à quelques lieues de son monastère pour vivre en anachorète et dont l'oratoire est représenté aujourd'hui par l'église de Saint-Caradec d'Hennebont, comme il était là, un cerf ardemment chassé, à bout de souffle, vient se réfugier sous son manteau, et les chiens s'arrêtent la queue basse aux pieds de Guenaél. C'était la chasse du comte Waroch (le même qui est appelé Guérec par Albert Le Grand) qui courait dans la vallée du Blavet. Quand le comte apprit ce fait, il manda près de lui le saint homme, le combla d'honneurs, le laissa à regret et difficilement retourner à son monastère, enfin — pour le salut de son âme et pour celui du pays [4] — il donna à Guenaël deux beaux domaines destinés à l'entretien de sa maison. Guenaël mourut peu de temps après (vers 585-590) dans son monastère du Blavet. "
§ Reliques de saint Guenael (A.-M. T.) ...
EN indiquant ce monastère du Blavet comme ayant été témoin de la précieuse mort de Guenaël, M. de la Borderie parait être dans le vrai. C'est là aussi que le saint dut être inhumé, bien que plusieurs, comme Albert Le Grand, fixent sa première sépulture à Landevenec. « Au xe siècle, vers la fin des invasions normandes, son corps fut transporté à Paris et peu après déposé à Corbeil. Plus tard, Guéthénoc, évêque de Vannes (1182-1222), en obtint la majeure partie, et dès 1350 on vit exposer à Vannes une partie de la tète de saint Guenaël ; un tombeau fut même élevé dans le transept sud de la cathédrale pour recevoir une portion de ses reliques. A l'époque de la Révolution, les reliques conservées à Corbeil furent brûlées; celles qui étaient honorées à Vannes furent perdues » (Histoire du diocèse de Vannes, par M. l'abbé Le Mené, chanoine).
J'ai dit dans les Annotations à la Vie de saint Guénolé que parmi les reliques du monastère d'Anaurot (Quimperlé) cachées à l'île de Groix, et retrouvées en 1070 par les moines de l'abbaye de Sainte-Croix, figure une relique de saint Guenael.
Je ne connais d'autres reliques du bienheureux abbé que deux parcelles assez minimes, l'une à Landevenec, l'autre dans le reliquaire d'argent donné par la princesse Blanche de Bretagne aux Dominicains de Quimperlé (actuellement propriété du couvent de la Retraite de cette même ville).
§ Les monuments de saint Guenael (A.-M. T.) ...
OBJET de la faveur de Waroch, le lamm de saint Guenaël sur le Blavet prit nécessairement au VIe siècle une grande importance. Plus tard, surtout pendant l'asservissement de la Bretagne sous le joug carolingien (de 786 à 843), le monastère chéri de Waroch associé à la mauvaise fortune de la patrie bretonne tomba en décadence, mais vers le milieu du IXe. siècle le roi Nominé (843-851), qui alliait toujours aux manifestations de sa piété sa sollicitude pour la Bretagne, tint à honneur de relever la fondation patriotique de Waroch et bâtit sur le tombeau de Guenaël un très beau et très grand monastère. Au Xe siècle, l'invasion normande le détruisit. Ce qui en pouvait rester après les désastres de ces incursions devint au XIe siècle un prieuré dépendant de l'abbaye de Saint-Gildas-de-Ruis. Aujourd'hui cet antique lann est encore représenté par une très vieille chapelle de Saint-Guenaël, au village du même nom en la paroisse de Caudan près Lorient, sur le Blavet, dans la situation indiquée plus haut. Un savant archéologue (M. Rosenzweig) qui a étudié avec grand soin les monuments du département du Morbihan dit de ce monument :
« Chapelle Saint-Guenaël. Restes d'une très ancienne construction. Appareil mélangé. Forme rectangulaire, chevet plat. Dimension dans oeuvre : 15 mètres sur 4 mètres 50 environ. Petites fenêtres à plein-cintre très étroites et très évasées à l'intérieur [caractère irrécusable de l'architecture du XIe siècle]. — Près de la chapelle de Locunel [village très proche], lec'h [5] bas, arrondi ; c'est à cette pierre, suivant la tradition, que saint Guenaël venait prier. Près de la chapelle Saint-Guenael, autre lec'h de même forme [5] .
M. de la Borderie ajoute en terminant : « Le souvenir de cet important monastère de l'âge primitif, complètement oublié par nos historiens et nos hagiographes, méritait d'être remis en lumière. »
On pourrait considérer Landevenec comme un autre monument de saint Guenaël ; nous n'avons pas à revenir sur les ruines décrites à la suite de la Vie de saint Guénolé.
L'église d'Ergué-Gabéric est une intéressante construction du xve siècle. La fenêtre principale comprend dans son tympan trois fleurs de lis parfaitement belles ; elle est ornée d'une remarquable verrière présentant, dans ses quatre baies, différentes scènes de la vie et de la passion de Notre-Seigneur; dans le tympan, la Trinité, plusieurs saints et des anges portant différentes armoiries; une inscription mutilée ne présente plus, malheureusement, le nom de l'habile verrier qui a exécuté cette œuvre.
Au-dessus d'un autel latéral une autre fenêtre fleurdelisée représente François de Kergonan et Marguerite de Lanros, sa compagne, agenouillés au pied de leurs patrons, saint François d'Assise et sainte Marguerite.
L'église d'Ergué-Gabéric possède en outre six chandeliers (d'inégale grandeur, deux par deux), une croix d'autel, deux lampes (dont l'une à la chapelle de Kerdevod), un encensoir et sa navette, le tout d'argent, du dessin le plus riche, le plus original, de l'exécution la plus fine; le style indique l'époque de Louis XIII. Un ostensoir du même genre complétait cette belle argenterie ; il a été aliéné et remplacé par un grand objet sans caractère.
Dans la même église, la statue de saint Guenaêl, oeuvre du XVIIe siècle, est la plus belle représentation que j'ai vue de notre saint.
A Plougonvelin, où il est également patron, l'église est dépourvue de tout caractère, mais elle renferme un beau retable d'autel en partie du style Louis XV ; un bas-relief y représente la rencontre de saint Guenaél en moine avec le comte Waroch portant chapeau à plume et pourpoint, et chassant avec une arquebuse.
Il avait encore des chapelles à Guiscriff, Poullaonèn, Elliant, Coray, Moélan, Penhars, Plonéis, Landivisiau. La chapelle de Coray existe encore.
Saint Guenaël est encore patron de la paroisse de Bolazec et d'une petite chapelle en Pouldergat près Douarnenez ; c'est le lieu où il est le plus honoré et l'on y vient beaucoup en pèlerinage. A Vannes une rue porte son nom et un vitrail moderne le représente à la cathédrale.
A Rumengol il figure en costume monastique, entre son père et sa mère, dans un très beau vitrail moderne (oeuvre de M. L. Lubin).
Il est étonnant qu'une scène aussi gracieuse que celle de l'appel de saint Guénolé et de la vocation de saint Guenaël n'ait inspiré aucun artiste; il n'y a peut-être pas dans l'histoire des saints un récit aussi bien fait pour tenter un peintre de talent.
|
|