Éloge funèbre pour le maire Jean Mahé, l'Impartial du Finistère 1882 - GrandTerrier

Éloge funèbre pour le maire Jean Mahé, l'Impartial du Finistère 1882

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Catégorie : Journaux
Site : GrandTerrier

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§ E.D.F.

La nécrologie d'un maire au caractère bien trempé, trouvée [1] dans l'édition du 26 août 1882 dans l'Impartial du Finistère [2], journal catholique anti-républicain.

Autres lectures : « Jean Mahé, maire (1881-1882)‎ » ¤ « Elections municipales houleuses et contestées, l'Impartial du Finistère 1881 » ¤ « Appel républicain pour les élections municipales partielles, Le Finistère 1882 » ¤ 

[modifier] 1 Présentation

L'article ci-dessous daté du 26 août 1882, après plus de 10 ans de troisième république, nous en apprend beaucoup sur les relations tendues entre les préfets et les maires conservateurs de communes rurales.

A Ergué-Gabéric le maire décédé 4 jours auparavant, Jean Mahé, agriculteur du village de Kerdévot, est décrit comme ne se laissant pas marcher sur les pieds, même lorsqu'il est convoqué par le préfet, le comte Léon-Paul Lagrange de Langre [3].

Ce dernier pensa qu'il pouvait user de son autorité : « Le haut fonctionnaire se méprenant sur l'attitude déférente de son subordonné en "jupen" (chupenn), s'imagina qu'il n'avait plus de mesure à garder ».

Face à la critique de trop favoriser les empiètements cléricaux dans ses affaires communales, le maire rétorqua : « - Oh ! Monsieur le préfet, vous pouvez être tranquille, je ne me laisserai pas plus mener par mon curé que par vous ».

Dans cet article le journaliste cite également le salaire du haut-fonctionnaire, 30.000 francs par an, dont le montant ne pouvait que choquer les agriculteurs, journaliers et ouvriers de la commune d'Ergué-Gabéric.

À la même époque, en 1860, le salaire moyen journalier d'un ouvrier des papeteries Bolloré était de 1,80 francs [4], soit 504 francs par an. On notera qu'un ouvrier dans les mines de houille était payé 2.58 francs par jour en 1860 et 3.58 en 1879 [5]. A Ergué-Gabéric en 1882, l'écart entre le salaire de l'ouvrier ouvrier local (si l'on tient compte d'une évolution à 2,4 par jour, soit 672 francs par an) et celui du préfet était un facteur de 45 !

 
En 1882, un préfet coiffé d'un képi, et non d'une casquette, et un paysan bas-breton en chupenn.
En 1882, un préfet coiffé d'un képi, et non d'une casquette, et un paysan bas-breton en chupenn.

En octobre 1882, des élections partielles seront organisées pour le remplacement du maire et d'un autre conseiller décédé. Deux conseillers républicains seront élus, mais la majorité du conseil restera conservatrice. Hervé Le Roux de Mélennec sera élu maire, et réélu jusqu'en 1906.


[modifier] 2 Coupure, transcription

Nous apprenons avec regret la mort de M. Mahé, maire d'Ergué-Gabéric. Il a été enlevé jeudi 24, dans la force de l'âge par une maladie prématurée, il n'avait que 33 [6] ans.

Comme beaucoup d'enfants des familles aisées de nos campagnes, M. Mahé avait fait une partie de ses humanités ; mais au sortir du collège de Quimper, il retourna aux travaux des champs au lieu de se déclasser comme bien d'autres. La confiance et l'estime qu'il sut inspirer à ses concitoyens, lui méritèrent l'honneur d'être mis à la tête d'une commune où l'on compte d'ailleurs tant de cultivateurs distingués.

Resté fidèle aux vieilles traditions bretonnes, M. Mahé était bon catholique et savait au besoin se faire respecter. Tout en remplissant correctement ses fonctions municipales, il n'essayait pas de dissimuler son peu de sympathie pour le régime républicain ; aussi l'administration préfectorale ne lui ménageait-elle pas les tracasseries de tout genre.

Un jour, entre autres, le préfet du Finistère, M. Lagrange [3], l'appela dans son bureau, le semonça d'importance, et lui traça en termes impérieux la ligne de conduite qu'il avait à suivre.

Le haut fonctionnaire se méprenant sur l'attitude déférente de son subordonné en jupen [7], s'imagina qu'il n'avait plus de mesure à garder et il en vint à lui intimer l'ordre de tenir son curé à distance et de défendre ses droits de maire contre les empiètements cléricaux.

M. Mahé qui, dès le début de l'entrevue, s'était trouvé à bon droit froissé par les allures autocratiques du Salarié à 30.000 francs qu'il avait en face de lui, coupa court à ses blessantes admonestations en lui répliquant tranquillement, sans passion mais sans faiblesse :

- Oh ! Monsieur le préfet, vous pouvez être tranquille, je ne me laisserai pas plus mener par mon curé que par vous.

On comprend que l'entretien finit là et que M. Lagrange [3] ne demanda pas son reste.

Nous tenons ces détails de la bouche même de M. Mahé, qui nous les raconta au sortir de l'audience, - car nous avions l'honneur d'être de ses amis.

Puisse la belle et brave commune d'Ergué-Gabéric lui trouver un digne successeur ! et cela dans son intérêt comme dans celui de la Patrie et de la Religion. ...

 

[modifier] 3 Annotations

  1. Information et document communiqués par Pierrick Chuto, passionné d'histoire régionale, auteur de nombreux articles (Le Lien du CGF, La Gazette d'Histoire-Genealogie.com ... ) et de livres sur les pays de Quimper et du Pays bigouden : § [ses publications] . La dernière parution est « Bien-aimée Marie-Anne avec de belles lettres d'amour de son arrière-grand-père à sa promise. [Ref.↑]
  2. L'Impartial du Finistère est un journal catholique fondé le 21 juillet 1847 par Eugène Blot qu'il imprime lui-même. Son imprimerie, héritage paternel, est également au service de l'Evéché. Le rédactionnel du journal est politiquement anti-républicain. [Ref.↑]
  3. Le Comte Léon-Paul Lagrange de Langre est né en 1830 et décédé en 1909. Il est préfet de l'Orne en 1876, de la Sarthe en 1877. Le 20 novembre 1880 il succède à Louis-Gilbert Leguay à la préfecture du Finistère, et il est nommé préfet des Alpes-Maritimes de 1882 à 1885. Son successeur à Quimper le 11 juillet 1882 est M. Gragnon. L-P. Lagrange est l'auteur d'un « manuel de l'engagé volontaire ». [Ref.↑ 3,0 3,1 3,2]
  4. Voir évolution des salaires des ouvriers papetiers dans l'article « 1825-1860 - Relevés de production de la papeterie d'Odet » ¤  [Ref.↑]
  5. Cf article « Les salaires des ouvriers des mines de houille depuis 1860 », Journal de la société statistique de Paris, tome 32 (1891), p. 20-22. [Ref.↑]
  6. Jean Mahé, né le 30 octobre 1839 à Ergué-Gabéric, est décédé le 24 août 1882, à l'âge de 43 ans, 19 mois après son élection comme maire. [Ref.↑]
  7. Chupenn, féminin (pluriel chupennoù) : veste courte pour homme, veston, pourpoint. « Glas e jak, ha gwenn e chupenn ; Bodroù ler ha bragoù lien » : "Sa veste est bleue, son chupenn blanc ; guêtres de cuir, bragoù bouffants" (extrait de Marv Pontkalleg, dans Barzaz Breiz). [Ref.↑]


Thème de l'article : Coupures de presse relatant l'histoire et la mémoire d'Ergué-Gabéric

Date de création : Avril 2013    Dernière modification : 8.05.2013    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]