Elections municipales houleuses et contestées, l'Impartial du Finistère 1881 - GrandTerrier

Elections municipales houleuses et contestées, l'Impartial du Finistère 1881

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Catégorie : Journaux
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§ E.D.F.

Une relation des élections municipales, publiée en février 1881 dans l'Impartial du Finistère [1], journal catholique anti-républicain.

Autres lectures : « 1881 - Elections municipales et influence patronale à la papeterie Bolloré » ¤ 

[modifier] 1 Présentation

En 1881 les élections municipales pour la désignation du 14e maire d'Ergué-Gabéric furent très agitées, les précédentes ayant été bien plus calmes car les maires étaient auparavant nommés par le préfet. Elles firent l'objet d'une protestation au conseil préfectoral par l'équipe perdante, à savoir la liste républicaine de Joseph Le Roux [2], maire sortant.

L'article ci-dessous liste les nombreux griefs invoqués par les contestataires : l'ouverture tardive des bureaux (à 8H néanmoins) empêchant certains cultivateurs de voter avant la messe dominicale, les autorisations de vote données à des électeurs non inscrits, les menaces faites aux indigents de perdre des aides du bureau de bienfaisance s'ils ne votaient pas pour la liste des conservateurs (appelés aussi réactionnaires), le chantage fait par l'entrepreneur Bolloré [3] à ses ouvriers au nom du vote anti-républicain, les dons d'argent versés par le même Bolloré [3] pour acheter certains votes, et le renvoi pur et simple de l'usine pour deux ouvriers ayant osé faire de la propagande adverse.

Le ton ironique et allusif de l'article de l'Impartial du Finistère, journal ultra-catholique, est résolument anti-républicain. Le comble est qu'il nous informe néanmoins assez précisément sur les actes répréhensibles des conservateurs, et nous éclaire sur la personnalité du fervent Républicain qu'était Joseph Le Roux [2] de la ferme de Lezouanac'h.

Ce dernier est décrit comme un ex-maire Républicain, mais pas moins « tout dévoué à la religion et plein de respect pour ses ministres », et également grand admirateur de Tindal Gestin [4], maire Républicain de St-Pierre (commune annexée à Brest depuis). Le petit fils de Joseph Le Roux, à savoir Jean Louis Le Roux, sera maire d'Ergué-Gabéric, de 1925 à 1929, sous une étiquette de Radical, après une période de 44 ans de mandature conservatrice entre lui et son grand-père.

Après délibération du conseil préfectoral, l'élection ne sera pas annulée, mais du fait que 47 bulletins proviennent d'électeurs non inscrits, la décision administrative est que le 16e élu de la liste conservatrice doit céder sa place à un républicain.


[modifier] 2 Transcription

Les protestations électorales devant le conseil de préfecture
L'Impartial du Finistère [5], février 1881)

Une protestation a été adressée au conseil contre les élections municipales du 9 janvier dans la commune d'Ergué-Gabéric, elle repose sur les griefs suivants :

Contrairement aux prescriptions de l'arrêté préfectoral le scrutin n'aurait été ouvert qu'à 8 heures du matin [6], ce retard aurait empêché plusieurs électeurs de voter. Des électeurs non inscrits sur la liste électorale auraient été admis à voter. Plusieurs candidats portés sur la liste républicaine, ont protesté au dernier moment contre l'inscription de leurs noms sur cette liste. M. Bolloré [3] aurait menacé de mettre à la porte de sa papeterie tous ceux de ses ouvriers qui ne voteraient pas pour la liste réactionnaire, il leur aurait même distribué de l'argent afin de les engager à voter dans son sens. Enfin, M. Nédellec [7] aurait dit à divers pauvres que s'ils ne votaient pas pour sa liste, ils ne recevraient plus rien du bureau de bienfaisance dont il fait partie.

Me Cormier est encore l'avocat des demandeurs. Il prétend que l'ouverture tardive du scrutin a dû porter un grand préjudice à ses clients, les cultivateurs ayant l'habitude d'aller à la messe matinale et de se point s'attarder au bourg. Il est, pour lui, incontestable qu'un grand nombre d'électeurs non inscrits ont pris part au vote, il en connait même le nombre -- seraient-ils donc tous de ses amis ? -- ils sont au nombre de trente-trois ! -- ni plus ni moins est-ce assez précis ! -- Quatre d'entre eux se sont rendus en l'étude de Me Lesneven, notaire, et l'ont prié de prendre note de leur déclaration : « bien que n'étant pas inscrits, ils ont voté le 9 janvier à Ergué-Gabéric ».

Me Cormier, non content des griefs articulés dans la protestation, en invoque un nouveau : les nommés Le Roux et Pétillon ont rapporté qu'il avaient entendu Yaouanc [8] dire que si l'on votait pour la liste républicaine on verrait bientôt les prêtres chassés de leur presbytère et le crucifix enlevé des salles d'école ! -- Ô abomination ! l'âme timorée de Me Cormier s'indigne d'un pareil procédé. (N'est-ce pas aussi plus fort que de couper une ficelle ?) -- Me Cormier considère ce bruit, qu'on a colporté dans la commune, comme une diffamation. Il est certainement des républicains qui ont ces opinions, c'est leur droit. -- Peste ! orthodoxe Me Cormier ! -- quant à lui et à ses clients, s'ils sont républicains, ils n'en sont pas moins tout dévoués à la religion et pleins de respect pour ses ministres. -- Vous auriez bien dû, très dévot Mr Cormier, refuser de plaider la cause de M. Deschamp, l'homme aux cloches de Lesneven, cela eut donné une grande force à votre argument d'aujourd'hui. -- Bref, tous ces faits constituent pour Me Cormier une illégalité flagrante, et il conclut à l'annulation de l'élection.

Me de Chamaillard prend la parole pour les conseillers élus. -- Inutile d'ajouter qu'ils sont tous réactionnaires.

Les signataires de la protestation, dit-il, se sont amusés à se créer des griefs pour le cas où ils auraient été battus, ils l'ont été à 65 voix de majorité, -- aujourd'hui ils protestent. C'est, selon lui, faire preuve d'une rare audace que d'oser venir arguer devant le conseil du retard apporté à l'ouverture du scrutin pour demander l'annulation de l'élection municipale d'Ergué-Gabéric. Quoi ! parce que M. Le Roux [2], maire républicain, digne émule de M. Gestin [4], de Saint-Pierre, a jugé bon de résister pendant une demi-heure aux justes observations d'électeurs réclamant l'application de la loi relativement à la constitution du bureau, ce seraient ces mêmes électeurs sortis vainqueurs de l'élection qui seraient rendus responsables du retard apporté à l'ouverture du scrutin ? Ce serait par trop fort ! M. Le Roux [2] a, il est vrai, sur son émule [4], l'avantage d'avoir enfin obtempéré aux réclamations des électeurs, mais ceux-ci ne sont point en reste avec lui, car sans user de la plénitude de leur droit, bien que les conditions d'âge leur permissent d'accaparer la majorité du bureau, ils ont bien voulu se contenter d'y introduire deux des leurs.

 

On prétend aussi que M. Bolloré [3] aurait menacé d'un renvoi les ouvriers de son usine qui ne voteraient pas pour la liste anti-républicaine. Or, au dossier figure une pièce par laquelle tous les ouvriers de cet établissement déclarent protester contre cette allégation ; et les signatures sont légalisés ! Voici ce qui a donné lieu au grief articulé par les protestataires. Deux ouvriers s'étant permis, dans l'usine, de faire de la propagande pour la liste opposée à celle qu'ils savaient être agréable à leur patron, M. Bolloré [3], fils, leur avait fait observer que, s'ils étaient libres de voter pour qui bon leur semblerait, il les priait d'aller faire ailleurs de la propagande contre lui.

Quant aux votes émis par des électeurs non inscrits, Me de Chamaillard reconnait que, malgré les protestations des deux assesseurs conservateurs, le président du bureau a admis à voter cinq ou six individus non inscrits sur la liste électorale. Mais, il est étonné que l'on ose encore se prévaloir de ce grief contre les conseillers élus : c'est une immoralité révoltante ! Comment ! le bureau est présidé par M. Le Roux [2] ; ses amis forment la majorité du bureau, il leur a plu de laisser voter trente-trois individus, (puisque Me Cormier est sûr de ce chiffre), et ces mêmes membres du bureau ont l'impudence d'en faire aujourd'hui un grief contre leurs adversaires élus ; c'est immoral ! Ils se sont évertués à accumuler les cas de nullité et aujourd'hui ils s'en font une arme contre les candidats qui, plus heureux qu'eux, ont été investis de la confiance de leurs concitoyens ! Comment qualifier une pareille conduite ? ...

Me Cormier réplique à son confrère. Il cherche, mais en vain, à justifier Le Roux [2], son confrère en République catholique, en faisant retomber sur les assesseurs non républicains la verte philippique que Me de Chamaillard a si justement adressée au président du bureau. Me Cormier prétend que son client n'a pas été constamment au bureau.

M. le commissaire du gouvernement trouve, lui aussi, que les véhémentes admonestations de Me de Chamaillard s'adressent en partie à ses clients, -- heureux Le Roux [2] te voilà repêché, -- mais la thèse est ardue, si ardue que M. Cothereau, toujours de plus en plus enrhumé, cherche dans son verre des idées toujours récalcitrantes. Une enfin se présente, il la saisir aux cheveux et le voilà parti. Mortels écoutez :

Plusieurs griefs ont été articulés contre l'élection d'Ergué-Gabéric ; il abandonne les premiers, il n'en retiendra qu'un seul mais celui-là suffit. Quoi ! en 1881, il s'est trouvé des gens assez malintentionnés, pour répandre contre la République, les bruits absurdes dont Me Cormier a déjà fait justice ! -- M. Cothereau et son habit ne font plus qu'un ... pour la douleur -- On a osé exploiter le profond respect que professent pour la religion tous les électeurs bretons et s'en faire une arme contre la République ! Ah ! qu'est-il besoin d'autres griefs ? Si ce fait est vrai, si les bruits en question ont été répandus dans la commune, l'élection doit être annulée. Pour être éclairé le conseil devra ordonner l'enquête.

Le conseil renvoie à une audience ultérieure pour se prononcer.





En ce qui concerne la protestation rédigée contre les élections municipales d'Ergué-Gabéric, le conseil, considérant que 43 électeurs non inscrits ont pris part au vote, retranche ce nombre de voix de celles obtenues par les conseillers élus. En conséquence, l'élection des quinze premiers est maintenue, celle du dernier est invalidée.

[modifier] 3 Coupures

[modifier] 4 Annotations

  1. L'Impartial du Finistère est un journal catholique fondé le 21 juillet 1847 par Eugène Blot qu'il imprime lui-même. Son imprimerie, héritage paternel, est également au service de l'Evéché. Le rédactionnel du journal est politiquement anti-républicain. [Ref.↑]
  2. Joseph Le Roux de Lezouanac'h est le maire nommé par le préfet entre 1862 et 1881. Il conduit la liste Républicaine pour les élections de 1881 et se fait battre par la liste Réactionnaire de Jean Mahé et d'Hervé Le Roux de Mélennec. [Ref.↑ 2,0 2,1 2,2 2,3 2,4 2,5 2,6]
  3. En 1881 la direction de la papeterie Bolloré est assurée par Jean-René Bolloré (1818-1881) qui décédera en mai. Le dénommé M. Bolloré est ici vraisemblablement son fils ainé René-Guillaume Bolloré (1847-1904) qui prendra officiellement la direction de l'usine et qui sera conseiller municipal pendant les mandatures de Jean Mahé (décédé en 1882) et Hervé Le Roux (maire jusqu'en 1906). [Ref.↑ 3,0 3,1 3,2 3,3 3,4]
  4. Robert Tindal Gestin (1832-1888): premier maire républicain de Saint-Pierre Quilbignon (commune rattachée à Brest en 1945) de 1881 à 1888. En 1877, après plus de vingt-six ans d’exercice comme Médecin principal de la marine, Tindal Gestin prend sa retraite et se lance dans la politique. En 1878, il est élu conseiller municipal de Saint-Pierre. Fervent républicain, le docteur Gestin décide de la création d’un groupe scolaire moderne et fonctionnel aux Quatre Moulins sur des terrains qu’il lègue à la ville de Saint-Pierre Quilbignon. Il ne verra pas l’achèvement du bâtiment construit de 1884 à 1890. Le 15 septembre 1912, le Groupe scolaire reçut son nom et la rue des Ecoles devint « rue Docteur T. Gestin » (Sources : Michel Baron et cahiers de l’Iroise n°157 A.Henwood) [Ref.↑ 4,0 4,1 4,2]
  5. L'Impartial du Finistère est un journal catholique fondé le 21 juillet 1847 par Eugène Blot qu'il imprime lui-même. Son imprimerie, héritage paternel, est également au service de l'Evéché. Le rédactionnel du journal est politiquement anti-républicain. [Ref.↑]
  6. Normalement les débits de boisson ouvraient dès 4 heures du matin : « 1844 - Placards réglementaires pour les cabarets gabéricois » [Ref.↑]
  7. François Nédelec est conseiller de 1882 à 1895, élu sur les listes des conservateurs Jean Mahé et Hervé Le Roux. [Ref.↑]
  8. Jean Yaouanc est conseiller de 1882 à 1891, élu sur les listes des conservateurs Jean Mahé et Hervé Le Roux. [Ref.↑]


Thème de l'article : Reportages, revues de presse

Date de création : avril 2010    Dernière modification : 24.04.2013    Avancement : Image:Bullgreen.gif [Fignolé]    Source : Impartial du Finistère de février 1881