Souvenirs de huit anciens salariés des papeteries Bolloré
Un article de GrandTerrier.
| Reportage publié sous le titre « Ergué-Gabéric : le berceau des papeteries Bolloré » dans le bulletin municipal de 1997-1998 et réalisé par Maryvonne Blondin, Adjointe à la Vie Culture et à l'Animation.
Huit témoins racontent leur quotidien à la papeterie d'Odet : Laurent Huitric, Pierre Huitric, Pierre Eouzan, Thérèse Le Dé, André Marc, Jean Le Gall, Jean Hascoët et Jean Guéguen. Autres lectures : « BLONDIN Maryvonne - Le berceau des papeteries Bolloré » ¤ « Louis Bréus, sécheur à la papeterie d'Odet » ¤ « Jean Guéguen, laborantin à la papeterie d'Odet » ¤ « Souvenirs de 'chez Bolloré' depuis les 12 ans de Jean Guéguen en 1938 » ¤ « Chronique de Ménez-Groaz par Laurent Huitric en 1998 » ¤ |
[modifier] 1 Introduction
Fidèles à ses racines implantées dans le sol gabéricois en 1822, les Papeteries Nicolas Le Marié d'abord, puis Jean-René Bolloré, neveu de N. Le Marié et chirurgien dans la Royale, sont le fleuron de l'économie locale mais aussi une entreprise de dimension internationale. De très nombreux articles sont déjà retracé l'histoire du papier et la saga de la famille Bolloré (voir n° 26 d'ArMen, par Christine Le Portal, très complet). Ce qui m'a paru important - pour les Gabéricois d'aujourd'hui - c'était de recueillir les témoignages des anciens ouvriers du "Veilh-paper" sur leur vie passée à l'usine et à Lestonan, les petits détails qui font la réalité du quotidien. Grâce à Jean Guéguen - dont chacun connaît l'attachement à sa commune et à son patrimoine - quelques "anciens" se sont retrouvés à la salle de Ker-Anna, haut-lieu symbolique pour eux : Thérèse Le Dé, Pierre Eouzan, André Marc, Jean Hascoët, Jean Le Gall et Laurent et Pierre Huitric, les doyens, accompagnés de Laurent Huitric fils et bien entendu, Jean Guéguen. Quelle joie de se retrouver et de pouvoir parler de Bolloré ! Les souvenirs affluent, les mots jaillissent, la discussion s'anime et part dans toutes les directions. Mais d'emblée, il apparaît important et nécessaire de distinguer trois étapes dans la vie de l'usine, donc dans la vie des ouvriers :
|
Ce qui nous intéresse ici, c'est surtout la première période, plus précisément celle d'avant la deuxième guerre et juste après. C'est la période dont il ne reste que peu de témoins directs. En fait, à Ergué-Gabéric, il n'en reste que quatre |
[modifier] 2 Laurent Huitric
Le doyen, Laurent Huitric, est né le 19 mars 1908 (il a donc 90 ans !) à Lestonan. Pas de problème d'emploi à l'époque, il entre à l'usine le 2 janvier 1925. Il est affecté à l'extérieur, c'est-à-dire à l'entretien des jardins et des bois de la propriété (200 ha). Il faut préciser que Bolloré attachait une grande importance à ce cadre de verdure entourant l'usine. Le Père Garin était chargé d'acheter fermes et terrains des alentours, faisant même des échanges entre Kéranguéau et Le Vruguic pour préserver l'environnement de l'usine et son territoire de chasse. Puis Laurent Huitric effectue son service militaire, est prisonnier pendant cinq ans, fait un petit séjour à la campagne, mais regagne l'usine qu'il ne quittera plus avant 1973 pour jouir d'une retraite bien méritée.
|
On voyait des gens aller par petits groupes de cinq à six personnes, la musette au dos et le pot à la main. Ils se rassemblaient dans la cour devant la chapelle où se trouvait l'horloge et attendaient l'heure de la reprise du travail : soit 5h, 13h ou 21h. Avant la 2e guerre mondiale, l'usine fonctionnait grâce à deux turbines à charbon, plus deux autres hydrauliques qui ne marchaient pas régulièrement. Grâce à des alternateurs, l'usine fabriquait ainsi son électricité. D'où venait ce charbon ? Du Pays de Galles, de Cardiff plus précisément. Bolloré possédait deux bateaux qui faisaient le transport de Cardiff à Quimper. Une équipe de 4-5 ouvriers se rendait au port du Cap-Horn à Quimper pour le déchargement. Laurent Huitric en a souvent fait partie :
"Mais ils ne brûlaient pas bien dans la cuisinière" s'empresse de préciser Thérèse Le Dé. Laurent Huitric poursuit :
|
[modifier] 3 Pierre Huitric
Pierre Huitric, son frère et le deuxième factionnaire le plus âgé d'Ergué-Gabéric, prend sa relève. Lui aussi a passé toute sa vie à Lestonan, d'ailleurs il n'a pas quitté la maison où il est né à Menez-Groas il y a 85 ans. Entré le 1er février 1937, il a quitté l'usine en 1976. Il a travaillé à la fabrication, où il a terminé comme conducteur. |
|
[modifier] 4 Pierre Eouzan
Pierre Eouzan se souvient qu'à une certaine époque, sur plus de 300 ouvriers, un seul venait à vélo. Tous les autres allaient à l'usine à pied et la vie de Lestonan était rythmée par le bruit de leurs sabots sur la pavé de la route (à l'époque, la route de Pen Carn à Odet était privée, c'était des ouvriers de Bolloré qui l'entretenaient !). Pas besoin de pendule à Lestonan ! Pierre Eouzan poursuit :
|
|
[modifier] 5 Thérèse Le Dé
Thérèse Le Dé reprend :
|
[modifier] 6 André Marc
André Marc, lui, est né à Ergué-Armel en octobre 1914. Il est le seul de la bande à déroger à la règle gabéricoise. Il n'avait pas encore 14 ans quand il a commencé à travailler chez Bolloré le 1er mai 1928. |
|
[modifier] 7 Jean Le Gall
Nous arrivons maintenant à l'un des personnages les plus importants de l'usine à cette époque. Véritable ordinateur avant l'heure, possédant une mémoire infaillible, il s'agit de Jean Le Gall. Tout au long de notre entretien, il a donné les dates de naissance, les dates d'entrées à l'usine de tous les participants avec des détails sur leur famille, les postes occupés. Impressionnant, après tant d'années ! |
|
[modifier] 8 Jean Hascoët
Jean Hascoët, entré en novembre 1947, vient le seconder en 1953. Il possède, lui aussi, une excellente mémoire. Il se souvient d'un autre motif d'amende, consigné dans le fameux livre : "a été pris à faire ses besoins dans un endroit défendu ...". |
Il quitta l'usine le 10 juillet 1983. Les machines s'arrêtèrent le vendredi 22 juillet 1983 à 11h du matin précisément. L'on peut comprendre l'émotion de tous les ouvriers. Ils ont vécu avec l'usine, par l'usine et pour l'usine. |
[modifier] 9 Jean Guéguen
Je voudrais ici rendre hommage au remarquable travail de recherche et de collecte de documents effectués par Jean Guéguen. Il consacre sa retraite à la sauvegarde de notre patrimoine afin de le transmettre aux générations futures. Qu'il en soit remercié ! Lui aussi a passé toute sa vie à Lestonan où il réside toujours. Il est né en 1926 à l'actuelle boulangerie Dervouët où ses parents s'étaient installés en 1912.
|
|
[modifier] 10 Politique sociale
L'on parle beaucoup du paternalisme de Bolloré. Il est vrai que la politique sociale, le bien-être des ouvriers a toujours été, pour les dirigeants, une préoccupation essentielle qui, ajoutée à un dynamisme entreprenant et une volonté de modernisation, a permis à l'entreprise de se relever dans les moments délicats. Ex. : extrait du discours du centenaire de l'usine en 1922, par M. René Bolloré (les aînés de la famille Bolloré étaient prénommés René) : quand, il y a quelque 35 ans, l'usine fut mise en vente pour partage de famille, les ouvriers de l'époque rassemblèrent toutes leurs économies et vinrent les offrir à mon père par l'intermédiaire du vieil Auffret el lui disant : - M. René, nous vous aimons, nous ne voulons pas d'autre patron que vous ; tenez, prenez cet argent si vous en avez besoin pour rester propriétaire de l'usine." Certes, les avantages accordés aux ouvriers étaient importants. De bons salaires et des aides sociales : allocations aux jeunes mères, garderies, aides aux familles. La solidarité n'était pas un vain mot. M. Bolloré fit venir une sage-femme, Mme Blanchard, pour ses employés mais aussi pour la commune. Mme Blanchard fit la première femme à siéger au conseil municipal après 1945. Cependant, Ergué-Gabéric doit être l'une des rares communes à avoir eu une femme conseillère municipale avant 1945. Il s'agit de Mme Ferronnière, née Grignon du Moulin dont le mari était ingénieur chimiste, puis directeur de l'usine. Toutes les grandes fêtes de la famille Bolloré se passaient en compagnie des ouvriers. Ex. : pour les 80 ans de Madame Bolloré, tous les employés furent invités à descendre l'Odet et à déjeuner dans un hôtel à Bénodet. Il n'y avait qu'une seule école au Bourg en ce début de siècle. Pour éviter aux enfants de faire le trajet à pied tous les jours, M. Bolloré a donné un terrain pour la construction d'une école publique à Lestonan. Ce n'est que plus tard, en 1928 pour les filles et 1930 pour les garçons qu'il fit construire les écoles privées de Lestonan. Les ouvriers étaient incités à y mettre leurs enfants. Ils bénéficiaient d'avantages tels que : la gratuité des fournitures, les arbres de Noël ... Pour améliorer les conditions de vie de ses ouvriers, il fit édifier la cité de Ker-Anna en 1917-18. Cette cité de maisons d'ouvriers disposées en fer à cheval, avec ses plantations, fut une réalisation magnifique à l'époque. |
Tous ces avantages ne faisaient qu'accentuer le "caractère de vase-clos" propre à la papeterie d'autant que les loisirs des ouvriers étaient aussi organisés par et grâce à l'usine. Il n'y avait pas que le travail, le patronage était important aussi. Il regroupait différentes sections : gymnastique, tir, football, basket (pour les filles), clique et la troupe de comiques-troupiers, réunies à la salle du patronage construite aux alentours de 1930, devenue la salle de Ker-Anna. A Lestonan, la vie était ainsi organisée autour du coeur qu'était l'usine et ceci explique encore les quelques distorsions restantes entre Lestonan et le Bourg qui, lui, n'a pas bénéficié du même développement économique et urbanistique mais qui est resté le centre administratif et religieux de notre ville (le Rouillen est un quartier plus récent). |
[modifier] 11 Conclusion
Après 1960, deux nouvelles unités de production furent mises en route à la papeterie d'Odet, et à partir de ce moment-là, l'usine ne s'est plus arrêtée jusqu'à ce jour de juillet 1983. Un sacré coup au cœur pour les Gabéricois attachés à cette entreprise familiale qui, après avoir connu quelques temps difficiles, est en pleine extension sur le territoire d'Ergué-Gabéric. |
Maryvonne Blondin, Remerciements à tous les participants.
|
[modifier] 12 Annotations
- En fait un ouvrier embauché en 1947 avait été oublié, Louis Bréus de Bigoudic, et sera interviewé en avril 2007 [Ref.↑]
Thème de l'article : Mémoires de nos anciens gabéricois. Date de création : 1997/1998 (magazine municipal d'information) Dernière modification : 3.03.2018 Avancement : [Développé] |