Jean Guéguen, laborantin à la papeterie d'Odet
Un article de GrandTerrier.
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« Tous les matins, je passais à toutes les machines. Les conducteurs préparaient deux feuilles d'un demi-mètre carré. On gardait une feuille de côté, comme témoin, et je travaillais sur l'autre » Jean Guéguen interviewé le 14 avril 2007 par Jean Cognard. Autres articles : « Souvenirs de 'chez Bolloré' depuis les 12 ans de Jean Guéguen en 1938 » ¤ « Souvenirs de huit anciens salariés des papeteries Bolloré » ¤ « Jean Guéguen, Odet de 1900 à nos jours * » ¤ « L'entreprise Bolloré, Réalités Noël 1949 » ¤ « L'essor de Lestonan (1900-1950) raconté par Jean Guéguen » ¤ « André Péres, le dernier papetier, OF-LQ 1986 » ¤ « Fermeture de l'usine d'Odet, OF-LQ 1983 » ¤ |
1 Transcription de l'entretien
As-tu fait de longues études ? J'ai été à l'école privée St-Joseph. J'étais tout près de l'école, j'y suis resté jusqu'à mes 13 ans, l'année du certificat d'études. Je voulais continuer le cours supérieur. Il s'est trouvé que l'oncle d'un de mes copains d'école était directeur de l'école Ste-Barbe du Faouët, et on a donc été les deux seuls du sud-finistère à aller au Faouët. J'y étais en pension pendant l'année 1939-1940, et j'aurais continué pour avoir le brevet. Mais mon frère a été fait prisonnier, et mon père a préféré que je mette la main à la pâte. Comme mon père est né en 1884, il était trop vieux pour être réquisitionné. Il avait eu un ouvrier quand il avait eu une hémiplégie, mais après il n'y avait plus personne, et c'est pour ça que je suis resté à la boulangerie. Avant même d'entrer à l'usine Bolloré on m'appelait Georges Briquet. Car à l'époque il n'y avait très peu de radios, seuls les commerçants en avaient. J'écoutais les résultats à la boulangerie, et c'était Georges Briquet le journaliste qui commentait les matchs. Ensuite je disais aux autres ce que j'avais entendu, et j'aimais beaucoup m'occuper des sports. Je jouais un peu au basket au patronage. Et c'est comme ça qu'on m'a appelé Georges Briquet pendant de longues années. Comment s'est passée ton entrée dans la vie active ? Pendant la guerre, de 1940 à 1946, j'ai donc travaillé à la boulangerie de mon père à Lestonan. Comme je suis né en 1926, fin 1946 jusqu'à fin janvier 1948 j'ai fait mon service militaire à Tubingen en Allemagne. Après je suis rentré le 2 mai 1948 à l'usine d'Odet comme manoeuvre de cour. La papeterie avait repris ses activités début 1947. Ensuite, j'ai passé des tests le même jour qu'Hervé Rannou et Jo Cojean, et j'ai été le seul pris pour le labo dont l'activité augmentait avec l'analyse du papier à cigarettes. On avait commencé à travailler avec la BAT (British American Tobacco) qui commercialisait les Philip Morris, les Camel, et les autres marques, et les contrôles étaient devenus stricts.Au labo, on était 12 personnes au total. M. Ferronière, le directeur de l'usine à l'époque, était ingénieur chimiste de formation et suivait de près le labo. Louis Barreau était ingénieur chimiste aussi. Melle Menez, jeune ingénieur chimiste, était responsable pour la partie chimie. Au point de vue physique c'était Louic Quiec et François Clère qui supervisaient. Le père d'Henri Le Gars était là aussi pour la physique. Louis Bréus était occupé comme coursier au labo car il était handicapé d'un bras suite à un accident à une machine. Il faisait aussi le chronométrage de la porosité du papier. Jérome Quelven, Alain Niger (qui est parti au traitement de l'eau), Yvon Le Beuze (qui est devenu surveillant général) étaient laborantins. Pendant 7-8 ans, on est resté douze au labo, situé près de la chapelle de l'usine. Quel était ton travail exact au labo ? A cette époque, jusqu'en 1959, on ne fabriquait que du papier à cigarette. Cette activité a été transférée chez Mauduit. Pour les mesures physiques, c'était la résistance du papier, en long et en travers, sa porosité, sa blancheur, son opacité. D'un point de vue chimique, on mesurait les taux de phosphate, de carbonate de chaux, de tartrate, de nitrate. Et on contrôlait les liqueurs noires de cuisson de chiffons, et ensuite on faisait des tests sur la pâte blanchie pour voir sa résistance. Les piles laveuses était sensées enlever le maximum de jus de cuisson, avant d'aller au blanchiment, ensuite dans les raffineurs, et enfin des sur-raffineurs. Et cette pâte allait ensuite sur les machines, la 7 à l'époque. La numérotation des machines : 7, 8, 9 et 10 était en fait la suite des machines 2 à 6 de Cascadec. La machine 8 d'Odet a pris la place de la 1, quand on a démarré le papier de support condensateur, et ensuite en 71-73 le papier de support carbone qui était de couleur écrue, noir, blanc, violet, rouge. Quand le carbone est arrivé, je travaillais davantage dans le domaine chimique, sous la responsabilité de Mlle Menez. |
Au labo, on travaillait de jour le matin de 8H à 12H, et ensuite de 13H30 à 17H. Et au début on travaillait tous les samedi matin. Et à tour de rôle, on faisait une permanence le dimanche matin, on faisait des contrôles succincts, on récupérait les feuilles de papier pour ça. Le surveillant de faction passait nous voir le dimanche midi pour voir si les contrôles étaient corrects, s'il ne fallait pas rectifier certaines choses. En 1965, quand le labo a changé de place, Melle Ménez a quitté Bolloré, on n'était plus que deux au contrôle chimique, moi et un ingénieur qui était chef de service. Le labo de fabrication faisait les contrôles courants. Et moi je faisais les vérifications de la pâte à bois. On n'ajoutait plus de produits chimiques pour le papier condensateur ou carbone, et donc on n'avait moins de travail. Le travail était différent entre le papier à cigarettes, et ensuite le papier condensateur ou carbone. C'était devenu de plus en plus de la routine. C'est surtout dans le papier à cigarettes qu'on ajoutait des produits chimiques. Sauf pour les françaises où on en mettait moins, car le fumeur français n'aimaient pas que leurs cigarettes brûlent trop vite. On n'y mettait très peu de carbonate de chaux. Par contre pour les américains il fallait que leur papier soit extra-combustible et donc on y ajoutait du phosphate, du nitrate, du tartrate. Dans quelles conditions fabriquait-on le papier ? Toutes les machines se terminaient par une grande toile métallique horizontale, de 2 mètres de large à 20 mètres. Bien avant que les machines n'arrivent, au tout début de la papeterie, on appelait cette toile par un terme « breton » : ar form, la forme ou le moule en quelque sorte. On a continué à dire en breton « Chang' form » pour le changement de toile, même lorsqu'elles étaient métalliques. Ces toiles venaient de Sélestat, et les fournisseurs étaient Martel-Catalat ou Franck. La pâte s'étalait sur la toile qui avait un mouvement constant de branlement pour bien l'égaliser. Les feutres coucheurs qui étaient derrière recevaient la pate, ensuite il y avait un feutre intermédiaire et ensuite la pâte passait sur le feutre sécheur. Tous les matins, je passais à toutes les machines. Les conducteurs préparaient deux feuilles d'un demi-mètre carré. On gardait une feuille de côté, comme témoin, et je travaillais sur l'autre. Je faisais les relevés d'eau, à la grande tour. Pour le papier condensateur, ça avait complètement changé, on me préparait des beefsteaks de 5 à 6 kilos de papier. Il ne fallait pas toucher le papier avec les doigts, j'utilisais deux paires de ciseaux. Je faisais aussi des prélèvements de pâtes à chaque pile, j'avais des pots dans une petite caissette que j'ai gardée. Je commençais à 7H30, et généralement quand je faisais ma visite, c'était l'heure du casse-croûte. Sauf quand qu'il y avait de la casse. Parmi les surveillants de faction, à la fin, il y avait Fanch Page, Hervé Tymen, Yvon Le Beuze (qui est né en 1927). Yvon est passé par tous les postes jusqu'à finir surveillant général. Il avait été embauché à l'usine parce que c'était un bon footballeur. Yves Léonus qui était responsable des embauches et président des Paotreds l'avait repéré. Bolloré finançait l'équipe des Paotreds, jusqu'à une dizaine d'années après guerre. Il n'y a pas eu de réunions d'anciens papetiers ? Si, une fois, au patronage, on avait été réuni par la municipalité, sur le thème de la fabrication du papier. Il y avait Jean Le Gall, Jean Hascoët, les Huitric, Pierre Eouzan, Thérèse Le Dé, André Marc. Maryvonne Blondin, adjointe à la Vie Culture et à l'Animation, avait mis ça sur pied. Et ça avait été publié dans le bulletin communal de 1998. J'avais amené mon godet pour les prélèvements de pâte et ma hachette pour découper les chiffons. Sur le godet c'est marqué 6, c'est-à-dire six grammes de pâte sèche. J'avais apporté aussi le registre des ouvrières de 1927 où on lit le nom de ma grand-mère, Mae Kergoat, la deuxième femme de mon grand-père. Elle était contremaîtresse à l'usine. Elle est décédée en 1938 du côté de Stang-Luzigou. On lit leurs temps de service, et les occupations de chacune.Voir l'article sur le site GrandTerrier=> Souvenirs de huit anciens salariés des papeteries Bolloré Une autre fois, en 1995, on avait fait un repas d'anciens papetiers chez Germaine Herry, à l'Orée du Bois. C'était Jean Heydon qui l'avait organisé. On avait fait une photo du groupe, mais je ne sais plus où on l'a rangée. Quand es-tu parti en retraite ? Je suis resté au labo jusqu'à ma retraite le 1er avril 1983, deux mois avant la fermeture de l'usine Jean Guéguen,
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2 Annotations
- L'usine a fermé et les machines se sont arrêtées en juillet 1983. La fermeture définitive eut lieu en 1986 après le démontage et l'enlèvement des machines. [Ref.↑]
Thème de l'article : Mémoires de nos anciens gabéricois. Date de création : avril 2006 Dernière modification : 2.03.2018 Avancement : [Fignolé] |