Les souvenirs d'ar Pellgent ou nuits de Noël du siècle dernier
Un article de GrandTerrier.
| Autrefois la veille de Noël à Ergué-Gabéric n'était pas aussi "commerciale" que de nos jours, et on lui donnait ce nom mystérieux de « Pellgent » [1] signifiant "aurore" en vieux breton.
Lanig Rouz de Drohen |
Autres lectures : « Le conte de Noël du Korrigan et du retable de Kerdévot » ¤ « La nativité du retable de Kerdévot » ¤ « An Nedeleg » ¤ « ROUZ Lanig - Koñchennoù, histoires vécues de mon enfance » ¤ « Souvenirs d'enfance en version originale, Le Télégramme 2009 » ¤ « Les retrouvailles du souvenir des Barreau à Odet en août 2011 » ¤ « 1955-1986 - Les gars de la classe 1956 d'Ergué-Gabéric » ¤
[modifier] 1 Présentation
La formulation d'Ar Pelgent pour désigner la messe de minuit, et par extension la nuit sacrée entre le 24 et le 25 décembre, était encore bien usitée à Ergué-Gabéric dans les années 1940-50. Lanig Rouz précise : « Gwechall yae a pe brazoc'h deus an dud dar pellgent, an oferenn hanternoz e gouel Nedeleg » (autrefois, la plupart des gens allaient à la messe de minuit pour la fête de Noël). René Le Reste se rappelle qu'à Ergué « on ne prononçait pas le g de Pellgent : "mond d'ar Peillient" (aller à ...) », les lettres ll et g étant "mouillées". Que ce soit au Bourg ou à Odet-Lestonan, les traditions étaient un peu les mêmes en cette soirée et nuit de Noël ; on devait patienter jusqu'à l'heure de minuit pour se réunir dans l'église ou la chapelle. Au bourg les nombreux bistrots, les cafés Bihannic, René Poupon, François Lennon, Corentin Heydon, Alain Troalen, faisaient office de salles d'attente : « Barzh a vourc'h tam an ostaleri bennaked evit hortoz hanternoz, lod evit evan banniou a da gaozeal ; a re all evit da c'hoariet kartou. » (Arrivés au bourg, ils allaient dans les bistrots attendre minuit ; certains buvaient des coups et discutaient, d'autres jouaient aux cartes) Pour la messe à la papeterie d'Odet, on se distrayait au patronage : « Il est vrai que je chantais en intermède à la soirée du patro de Kéranna, avant la messe de minuit, avec la chorale dirigée par M Salaün, notre maître et directeur de l'école, un chant sur les bergers justement ... Ensuite on descendait, tous ensemble, à la messe de minuit d'Odet qui démarrait vers minuit précisément et durait assez longtemps d'ailleurs. » Au bourg les jeunes qui assistaient à la messe de minuit étaient un peu dissipés : « Barzh a c'horn an iliz, barzh a lec'h e oa ar baotred trouzus, en a selaoua ket koulz lavared tamm bet ar c'hanerien nag ar velleien, met ar gaoz a yae dro hag o vech dre var o mell taol c'hoarzhadig a lakei tout an dud, barzh an iliz, da zistroe deus war ho c'hadoriou ; a person koz a dennei ho zaoulagad kuit deus hi levr a daole o sell fuloret war traon an iliz. » (Dans le coin de l'église où étaient les garçons turbulents, on n'écoutait pratiquement rien, ni les chants ni les paroles des prêtres. Mais on causait et de temps en temps ça riait, ce qui faisait retourner tout le monde dans l'église, le vieux recteur quittait son livre des yeux et jetait un coup d’œil furieux au fond de l'église.) Par contre à Odet la discipline était de rigueur : « Les garçons de l'école avaient leur place réservée, plusieurs rangées de bancs près de la porte d'entrée à droite de l'autel nos maîtres étaient à nos côtés. Les filles de l'école des sœurs, avaient aussi leur banc, mais de l'autre côté de l'allée centrale. Les dirigeants de l'usine avaient leurs places attitrées au premier rang et leur chaise à leur nom. J'ai le souvenir à chaque fois d'avoir vu une église bien remplie, bien chauffée et appréciée, une bonne animation. Minuit Chrétien, le chant traditionnel avait son chanteur attitré, Robert Padioleau |
Les conditions atmosphériques extérieures étaient à peu près les mêmes. Ainsi au Bourg : « Yen oa alies an amzer, avel fresk, an douar e oa skormad, a koulz lavared ech me ne oa ket morse ... A loar oa skler, an avel yen a c'hwezed deus an uhel » (Le temps était souvent froid avec un vent frais et la terre était gelée ; cependant il n'y avait pour ainsi dire jamais de neige ... La lune était claire, le vent frais soufflait du nord). À Odet « il faisait froid bien sûr, nuit noire parfois, et pas de lumière après Lestonan, très peu de voitures heureusement, on ne trainait pas trop, près de 3 km ». Et ces années-là le dicton se vérifiait : « Pell-gent du, Blavez ed du » (messe de minuit noire, année de blé noir). On peut se demander si la référence à l'aurore n'est pas un rappel des trois messes basses d'antan popularisées par Alphonse Daudet : la messe de la nuit (minuit), la messe de l'Aurore Et les autres expressions bretonnes étaient « Nozvezh ar Pellgent », la nuit de Noël, et bien sûr le « Tad Kozh ar Pellgent », le grand père de l'aurore qu'on appelle aujourd'hui en pays francophone le « Père Noël ».
Voici donc l'ancêtre breton du Père Noël |
[modifier] 2 Deux témoignages
Lanig Rouz du Drohen « Koñchennoù - Histoires vécues de mon enfance », Les Cahiers d'Arkae n° 11, 2009, page 56.
Traduction:
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René Le Reste de Garsalec En août 2011, lors d'une rencontre avec les enfants de Louis Barreau, venus revoir les lieux de leur enfance à Odet-Lestonan. Et en décembre 2016, quelques explications complémentaires par mail.
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[modifier] 3 Annotations
- Pellgent, s.m. breton : aurore, évoquant la nuit de Noël, et par réduction la messe basse de minuit. « Oferenn ar Pellgent » : messe de Minuit ; « Nozvezh ar Pellgent » : nuit de Noël ; « Tad Kozh ar Pellgent » : grand père de l'aurore, ou Père Noël. En pays glazik prononcé « Peillient », les lettres ll et g étant "mouillées". [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑ 1,0 1,1 1,2 1,3]
- Alain Le Roux, né en 1919 au village du Drohen en Ergué-Gabéric, était fils de paysan et d'une mère épicière. Il entre dans l'administration et trvaille à Paris jusqu'en 1958. Ayant toujours aimé sa langue maternelle le breton, il rédige dans les années 1970, avec la complicité de son épouse Rose, ses « Konchennoù », ses souvenirs vécus de son enfance. [Ref.↑ 2,0 2,1]
- Koñchennoù, sf. pl. : bretonnisme, « histoires, bavardages, balivernes ». Konchenner, c'est commérer. Source : Les bretonnismes d'Hervé Lossec, de retour. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑]
- René Le Reste, né le 28 février 1936 à Garsalec en Ergué-Gabéric, écolier de l'école St-Joseph à Lestonan, a travaillé comme infirmier à l’hôpital psychiatrique de Quimper. Baigné dans la langue maternelle bretonne, il a interprété pendant de longues années, avec son ami Lannig Meur, des sketches en breton. On notera entre autres les moments forts comme « La Grève de St-Tugen » (comédie de René Le Reste) ou « Butun Kaoc'h Mar'ch » (pièce de Per-Jakez Hélias) à Quimper en 1974. Ils jouent régulièrement de 1974 à 1986, surtout en Cornouaille, mais aussi au CAC à Brest, à Plouvorn, Redon, et pour le Festival de Cornouaille, sous le nom de troupe « Groupe Biskoaz - Kemend all » ou « Variétés villageoises » tout simplement quand ils jouaient à l'école du Moulin Vert. Amateur de sports, il accompagne le grand club Quimper Volley pendant 38 ans, et reçoit la médaille d’or de la Jeunesse et des Sports en avril 2019. Interviewé en breton sur ses souvenirs personnels et professionnels, il participe à plusieurs émissions de Radio-Kerne. [Ref.↑ 4,0 4,1]
- Robert Padioleau était nantais d'origine et René Bolloré le fit venir à Odet pour occuper le poste de comptable. Il avait une belle voix et avait suivi des cours de musique et chant au conservatoire, ce qui lui donnait l'honneur de mener le Minuit Chrétien à Noël à la chapelle de la papeterie. Il avait épousé une demoiselle Castric, habitait Keranna, puis Stang-Venn. [Ref.↑ 5,0 5,1]
- Dans le conte d'Alphonse Daudet, « Les Trois Messes basses », la première messe basse se déroule normalement mais, dès le début de la seconde messe, la sonnette de Garrigou ne cesse de résonner, le clerc tournant en outre à vive allure les pages du missel. La foule peine à suivre. La troisième messe est expédiée à toute vitesse. [Ref.↑]
- Le Tad-kozh ar Pellgent (grand-père de l'aurore, expression désignant le père Noël en breton) pourrait être aussi le titre d'un poème de Victor Hugo :
Oui, devenir aïeul, c'est rentrer dans l'aurore.
Le vieillard gai se mêle aux marmots triomphants.
Nous nous rapetissons dans les petits enfants.
Et, calmés, nous voyons s'envoler dans les branches
Notre âme sombre avec toutes ces âmes blanches. [Ref.↑]
Thème de l'article : Mémoires de nos anciens gabéricois. Date de création : Décembre 2016 Dernière modification : 24.02.2021 Avancement : [Développé] |