La scène des funérailles du retable flamand dans les sources apocryphes du christianisme
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|width=60% valign=top|__NOTOC__<i>Enquête sur les origines de cette scène violente du retable flamand de Kerdévot où l'on voit trois soldats aux mains tranchées.</i> | |width=60% valign=top|__NOTOC__<i>Enquête sur les origines de cette scène violente du retable flamand de Kerdévot où l'on voit trois soldats aux mains tranchées.</i> | ||
- | Les références utilisées sont les textes apocryphes commentés dans la Légende dorée de Jacques de Voragine, le livre de Constantin Tischendorff sur les Apocalypses apocryphe en 1866, la publication d'Hersart de La Villemarqué sur le trépas de la Vierge-Marie, et l'étude en 1930 de Martin Jugie sur la littérature apocryphe sur la mort et l'assomption de Marie. | + | Les références utilisées sont les textes apocryphes <ref name="Apocryphe">{{K-Apocryphe}}</ref> commentés dans la Légende dorée de Jacques de Voragine, le livre des Apocalypses apocryphes de Constantin Tischendorf en 1866 <ref name="Tischendorf">TISCHENDORF (Constantinus), <i>Apocalypses Apocryphar Mosis, Esdrae, Pauli, Iohannis, item Mariae Dormito</i>, Lipsiae, 1866</ref>, la publication de 1879 d'Hersart de La Villemarqué sur le trépas de la Vierge-Marie <ref name="Tremenvan">« <i>Tremenvan an Ytron Guerches Maria</i> », Le trépas de madame la Vierge Marie, transcrit et traduit par Hersart de La Villemarqué dans une publication intitulée "Poèmes bretons du Moyen Age" publiée en 1879, Paris Librairie Académique Didier.</ref>, et l'étude en 1930 de Martin Jugie sur la littérature apocryphe sur la mort et l'assomption de Marie <ref name="Jugie">JUGIE (Martin), La littérature apocryphe sur la mort et l'assomption de Marie à partir de la seconde moitié du VIe siècle, dans « <i>Echo d'Orient tome 29 n° 159</i> », 1930, pp. 265-295.</ref>. |
- | Autres lectures : {{tpg|La chapelle de Kerdévot}}{{Tpg|BARRIÉ Roger - La construction de la chapelle de Kerdévot au XVème siècle}}{{Tpg|ABGRALL Jean-Marie - Le Retable de Kerdévot}}{{Tpg|Les marques de fabrique des ateliers flamands du 15e siècle sur le retable de Kerdévot}}{{tpg2|:Category:Kerdévot|Espace Chapelle de Kerdévot}} | + | Autres lectures : {{tpg|La chapelle de Kerdévot}}{{Tpg|Les deux retables de la Vierge d'origine flamande et du 15e siècle à Ternant et Kerdévot}}{{Tpg|BARRIÉ Roger - La construction de la chapelle de Kerdévot au XVème siècle}}{{Tpg|ABGRALL Jean-Marie - Le Retable de Kerdévot}}{{Tpg|Les marques de fabrique des ateliers flamands du 15e siècle sur le retable de Kerdévot}}{{tpg2|:Category:Kerdévot|Espace Chapelle de Kerdévot}} |
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==Présentation== | ==Présentation== | ||
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- | Le cortège funèbre est formé de la Vierge allongée sur un brancard porté par les apôtres et saint Jean ouvre le chemin en tenant la palme resplendissante. Cette Translation de la Vierge, de "transitus" en latin, qui se passe après la scène de la Dormition et avant son Assomption et son Couronnement, n'est pas très souvent représentée dans l'iconographie chrétienne classique. | + | Le cortège funèbre de Kerdévot est formé de la Vierge allongée sur un brancard porté par les apôtres Pierre à la tête de la défunte et Paul devant, saint Jean ouvrant le chemin en tenant la palme resplendissante, et les autres apôtres en procession. Cette Translation (du latin "transitus") de la Vierge qui suit l'épisode de la Dormition et précède l'Assomption et le Couronnement, n'est pas très souvent représentée dans l'iconographie chrétienne classique. |
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+ | Cette rareté est sans doute due au fait que les sources primitives de ce mystère marial sont présentes uniquement dans quelques textes apocryphes <ref name="Apocryphe">{{K-Apocryphe}}</ref> qui ont été condamnés très tôt par l'Église catholique. | ||
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+ | Les écrits apocryphes chrétiens mettant en scène le mystère de la Vierge Marie, à savoir essentiellement le pseudo-Méliton de Sardes, le livre de Jean sur la dormition et l'homélie de saint Jean Damascene, datent des 6e et 7e siècles. Des poèmes en latin en ont été produits, « <i>Transitus Beatae Mariae Virginis</i> » ("La translation de la bienheureuse Vierge Marie"), et des copies et commentaires insérés en 1261-1266 dans la Légende dorée de Jacques de Voragine. On connaît même une copie imprimée en 1530 d'un poème breton non daté « <i>Tremenvan an Ytron Guerches Maria</i> » ("Le trépas de madame la Vierge Marie") <ref name="Tremenvan">-</ref>. | ||
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+ | Pour l'épisode représenté sur le retable de Kerdévot, à savoir la punition divine des mains coupées lors de la procession funèbre de la Vierge, les textes apocryphes parlent d'un offenseur juif nommé Jéphonias (et Ruben dans une variante plus tardive) et le présentent comme un « <i>Prince des prêtres</i> ». | ||
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+ | Or, à Kerdévot, ce sont trois soldats qui sont punis de sacrilège, et non un seul prêtre. Les deux premiers soldats tenant une lance sont à terre avec chacun une main tranchée, et le troisième est debout avec ses deux mains collées au brancard. Comme dans les écrits du 6-7e siècle, la « <i>Légende dorée</i> » de Voragine mentionne un prince des prêtres, mais par contre il existe une version nestorienne <ref name="Nestorien">{{K-Nestorien}}</ref> plus ancienne, issue de l'apocryphe du pseudo-Jean, qui nomme expressément un « <i>soldat Jôphanâ</i> » ("le Jéphonias de l'apocryphe grec"). | ||
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+ | Si l'on pousse un peu plus l'observation de la scène représentée à Kerdévot, on note que l'armure du soldat de droite est ornée de la tête à la taille d'une bandelette ressemblant à un attribut de haut prêtre juif : | ||
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- | <diapo w=380 w2=800 f1="RetableKerdévotFunérailles.jpg" t1="Photo année 2011"></diapo>{{rama|RetableKerdévotFunérailles.jpg}} | + | <diapo w=380 w2=800 f1="RetableKerdévotFunérailles.jpg" t1="Photo année 2013"></diapo>{{rama|RetableKerdévotFunérailles.jpg}} |
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+ | on a sans doute là le double personnage Jôphanâ-Jephonias, mi prêtre mi soldat, qui sera guéri de sa blessure par un saint Jean le regardant avec compassion. | ||
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+ | Nous n'avons trouvé que cinq représentations artistiques de la scène de la translation de la Vierge : dans deux peintures respectivement à Venise et à Troyes, sur les vitraux de la cathédrale de Chartres, et sur une icône orthodoxe. Ces œuvres présentent la légende initiale du méchant prêtre juif. | ||
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+ | La cinquième trouvaille est une scène très similaire inscrite dans le retable de la Vierge de Ternant. À Ternant, on peut voir le prêtre juif à genoux à terre, avec ses deux mains coupées et implorant saint Pierre. De notre point de vue les funérailles représentées à Kerdévot sont néanmoins plus originales. | ||
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<gallery caption="Retable de Kerdévot"> | <gallery caption="Retable de Kerdévot"> | ||
- | Image:RetableKerdévotFunérailles.jpg| | + | Image:AffFunerailles.jpg|2013 |
- | Image:Funérailles.jpg| | + | Image:Funérailles.jpg|1970 |
- | Image:RetableFunérailles.jpg| | + | Image:RetableFunérailles.jpg|2017 |
- | Image:KerdévotRestaurationFunérailles-1.jpg|restauration de | + | Image:KerdévotRestaurationFunérailles-1.jpg|restauration de 1973 |
Image:KerdévotRestaurationFunérailles-3.jpg|soldat 1 | Image:KerdévotRestaurationFunérailles-3.jpg|soldat 1 | ||
Image:KerdévotRestaurationFunérailles-2.jpg|soldat Jôphanâ | Image:KerdévotRestaurationFunérailles-2.jpg|soldat Jôphanâ | ||
- | Image:Funérailles2017A.jpg|saint Paul | + | Image:Funérailles2017A.jpg|saint Pierre |
- | Image:Funérailles2017B.jpg|saint Pierre en tête | + | Image:Funérailles2017B.jpg|saint Paul |
Image:Funérailles2017C.jpg|soldat 1 | Image:Funérailles2017C.jpg|soldat 1 | ||
Image:Funérailles2017D.jpg|soldat 2 | Image:Funérailles2017D.jpg|soldat 2 | ||
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<gallery caption="Autres représentations des Funérailles"> | <gallery caption="Autres représentations des Funérailles"> | ||
- | Image:TableauConvoiVierge.jpg|Eglise Pont-Sainte-Marie | + | Image:TableauConvoiVierge.jpg|Eglise Pont-Sainte-Marie de Troyes |
- | Image:TableauOrthodoxeFunérailles.jpg|Assomption religion orthodoxe | + | Image:TableauOrthodoxeFunérailles.jpg|Icône orthodoxe, assomption |
Image:FunéraillesVitrailChartres.jpg|Vitrail cathédrale de Chartres | Image:FunéraillesVitrailChartres.jpg|Vitrail cathédrale de Chartres | ||
+ | Image:ZompiniMiracleViergeVenise.jpg|Venise, Gaetano Zompini (1702-1778) | ||
</gallery> | </gallery> | ||
==Sources documentaires== | ==Sources documentaires== | ||
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- | |width=48% valign=top {{jtfy}}| récit du Pseudo-Méliton. | + | |width=48% valign=top {{jtfy}}| |
<big>Martin Jugie, Le récit du Pseudo-Méliton</big> | <big>Martin Jugie, Le récit du Pseudo-Méliton</big> | ||
{{Citation}} | {{Citation}} | ||
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des prêtres</b>, fut saisi d'un transport de fureur : « Voilà, dit-il, le | des prêtres</b>, fut saisi d'un transport de fureur : « Voilà, dit-il, le | ||
tabernacle de celui qui a jeté le trouble parmi nous et parmi notre | tabernacle de celui qui a jeté le trouble parmi nous et parmi notre | ||
- | nation. De quelle gloire n'est-il pas environné? » Et se précipitant | + | nation. De quelle gloire n'est-il pas environné ? » Et se précipitant |
sur le cercueil il chercha à le renverser. Mal lui en prit : <b>ses mains | sur le cercueil il chercha à le renverser. Mal lui en prit : <b>ses mains | ||
séchèrent à partir des coudes, et restèrent attachées au cercueil</b>, | séchèrent à partir des coudes, et restèrent attachées au cercueil</b>, | ||
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là seuls moururent aveugles qui restèrent incrédules. | là seuls moururent aveugles qui restèrent incrédules. | ||
{{FinCitation}} | {{FinCitation}} | ||
- | <big>Martin Jugie, L'apocryphe grec, juif Jéphonias</big> | + | <big>Martin Jugie, Apocryphe grec ou pseudo-Jean, juif Jéphonias</big> |
{{Citation}} | {{Citation}} | ||
- | Oiiprépare tout pour | + | Tel est le récit du Pseudo-Méliton. Bien différente est la narration |
+ | du Livre de Jean sur la dormition de la sainte Théotocos. | ||
+ | |||
+ | On prépare tout pour | ||
les funérailles. Pierre dirige la psalmodie, et les autres apôtres | les funérailles. Pierre dirige la psalmodie, et les autres apôtres | ||
- | portent le cercueil. Puis vient l'épisode du Juif Jéphonias, qui yeut | + | portent le cercueil. Puis vient l'épisode du <b>Juif Jéphonias, qui yeut |
renverser le cercueil et voit ses bras coupés par un ange à partir | renverser le cercueil et voit ses bras coupés par un ange à partir | ||
- | des coudes. Il est guéri en invoquant Marie. | + | des coudes</b>. Il est guéri en invoquant Marie. |
{{FinCitation}} | {{FinCitation}} | ||
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Juifs vinrent de nouveau se plaindre au gouverneur, celui-ci se | Juifs vinrent de nouveau se plaindre au gouverneur, celui-ci se | ||
moqua d'eux. » | moqua d'eux. » | ||
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+ | |||
+ | <big>Constantin Tischendorf, Transitus Beatae Mariae Virginis A.</big> | ||
+ | {{Citation}} | ||
+ | « Lectio XII | ||
+ | |||
+ | Tunc apostoli tanta claritate perterriti, levantes se cum psalmodio, corpus sanctum de monte Sion ferebant in valle Iosaphat. | ||
+ | |||
+ | Sed venientes media via, ecce quidam Iudaeus, Ruben nomine, sanctum volens feretrum in terra iactare cum corpore beatae Mariae. Sed manus eius aruerunt usque ad cubitum ; nolendo volendo usque in valle Iosaphat descendit plorans et lugens, quia manus eius erant erectae ad feretrum, etnon valebat manus suas ad se retrahere. | ||
+ | |||
+ | Leçon XII | ||
+ | |||
+ | Or, les apôtres, qui avaient été éblouis par la clarté céleste, se levèrent et emportèrent | ||
+ | en chantant le corps saint du mont Sion à la vallée de Josaphat. | ||
+ | |||
+ | Comme ils étaient à mi-chemin, voilà qu'<b>un certain juif appelé Ruben, voulut jeter par terre le brancard | ||
+ | où l'on portait le corps de la bienheureuse Marie. Mais ses mains séchèrent jusqu'au coude</b>, et elles restaient attachées au brancard, et il ne pouvait plus les retirer à lui ; et bon gré mal gré il descendit ainsi en pleurant et en gémissant dans la vallée de Josaphat. | ||
+ | |||
+ | <spoiler text="Suite ..."> | ||
+ | Lectum XIII | ||
+ | |||
+ | Et coepit rogare apostolos ut per orationem eorum salvaretur et Christianus efficeretur. Tunc apostoli flectentes genua rogaverunt dominum ut eum solveret. Quo sanato eadem hora, gratias referens deo et osculans pedes reginae omnium sanctorum et apostolorum, in ipso loco baptizatus est, et coepit praedicare nomen dei nostri Ihesu Christi. | ||
+ | |||
+ | Leçon XIII. | ||
+ | |||
+ | Et il se mit à conjurer les apôtres de prier pour sa guérison, promettant de se faire chrétien. Et les apôtres, se jetant à genoux, prièrent le Seigneur de le délivrer ; ce qui fut fait sur l'heure ; et rendant grâce à Dieu, et baisant les pieds de la reine de tous les saints et des apôtres, il reçut le baptème dans le lieu même, et il commença à prêcher le nom de notre Dieu Jésus-Christ. » | ||
+ | </spoiler> | ||
+ | {{FinCitation}} | ||
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+ | <big>Martin Jugie, notes complémentaires</big> | ||
+ | {{Citation}} | ||
+ | « La littérature apocryphe sur le passage de Marie de la terre au | ||
+ | ciel est très, abondante, jusqu'au milieu du siècle dernier, on n'en | ||
+ | connaissait guère que trois échantillons, les seuls qu'on trouve | ||
+ | habituellement mentionnés dans les ouvrages spéciaux sur | ||
+ | l'Assomption; à savoir le Pseudo-Méliton, le Pseudo-Denys et l'extrait | ||
+ | de l'<i>Histoire euthymiaque</i> inséré dans la seconde homélie sur la | ||
+ | Dormition de saint Jean Damascene. | ||
+ | |||
+ | L'apocryphe latin que publia Tischendorf en 1865, sous la | ||
+ | rubrique Transitus Mariae A, combine des données empruntées au | ||
+ | Pseudo-Jean, à Jean de Thessalonique et à l'histoire euthymiaque. | ||
+ | |||
+ | Les apôtres | ||
+ | organisent la cérémonie de la sépulture. Les Juifs conçoivent le | ||
+ | dessein de les tuer et de livrer aux flammes le corps de la Vierge. | ||
+ | Mais ils sont frappés de cécité, heurtent leurs têtes contre les murs | ||
+ | et se battent entre eux. Cela n'empêche pas <b>l'un d'eux, nommé | ||
+ | Ruben, de se jeter sur le cercueil pour le faire tomber. Aussitôt ses mains sèchent jusqu'aux coudes et restent attachées à la bière </b> que | ||
+ | les apôtres continuent de porter, en se dirigeant vers la vallée de | ||
+ | Josaphat. » | ||
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C'est pourquoi Pierre et Paul enlevèrent la bière ; Pierre se mit à chanter : « Israël sortit de l’Egypte, alleluia. » Puis les autres apôtres continuèrent ce chant doucement. Or, le Seigneur enveloppa d'un nuage le brancard et les apôtres, en sorte qu'on ne voyait rien, seulement on les entendait chanter. Des anges aussi unirent leurs voix à celle des apôtres et remplirent toute la terre d'une mélodie pleine de suavité. Tous les habitants furent réveillés par ces (422) doux sons et cette mélodie : ils se précipitèrent hors de la ville en demandant avec empressement ce qu'il y avait. Les uns dirent : « Ce sont les disciples de Jésus qui portent Marie décédée. C'est autour d'elle qu'ils chantent cette mélodie que vous entendez. » <b>Aussitôt ils courent aux armes</b>, et s'excitent les uns les autres en disant : « Venez, tuons tous les disciples et livrons au feu ce corps qui a porté ce séducteur. » <b>Or, le prince des prêtres</b>, en voyant cela, fut stupéfait et il dit avec colère: « Voici le tabernacle de celui qui a jeté le trouble parmi nous et dans notre race. Quelle gloire il reçoit en ce moment ! » Or, en parlant ainsi <b>il leva les mains vers le lit funèbre avec la volonté de le renverser et de, le jeter par terre. Mais aussitôt ses mains se séchèrent et s'attachèrent au brancard</b>, en sorte qu'il y était suspendu : il poussait des hurlements lamentables, tant ses douleurs étaient atroces, Le reste du peuple fut frappé d'aveuglement par les anges qui étaient dans la nuée. Quant au prince des prêtres, il criait en disant : « Saint-Pierre, ne m’abandonnez pas dans la tribulation où je me trouve; mais je vous en conjure, priez pour moi, car vous devez vous rappeler qu'autrefois je vous suis venu en aide et, que je vous ai excusé lors de l’accusation de la servante. » Pierre lui répondit : « Nous sommes retenus par les funérailles de Notre-Dame et nous ne pouvons nous occuper de votre guérison : néanmoins si vous vouliez croire eu Notre-Seigneur J.-C. et en celle qui l’a engendré et qui l’a porté, j'ai lieu d'espérer que vous pourriez être guéri de suite. » Il répondit : « Je crois que le Seigneur Jésus est vraiment le Fils de Dieu et (423) que voilà sa très sainte mère. » A l’instant ses mains se détachèrent du cercueil ; cependant ses bras restaient desséchés et la douleur violente ne disparaissait pas. Alors Pierre lui dit : « Baisez le cercueil et dites : « Je crois en Dieu Jésus-Christ que celle-ci a porté dans ses entrailles tout en restant vierge après l’enfantement. » Quand il l’eut fait, il fut incontinent guéri. | C'est pourquoi Pierre et Paul enlevèrent la bière ; Pierre se mit à chanter : « Israël sortit de l’Egypte, alleluia. » Puis les autres apôtres continuèrent ce chant doucement. Or, le Seigneur enveloppa d'un nuage le brancard et les apôtres, en sorte qu'on ne voyait rien, seulement on les entendait chanter. Des anges aussi unirent leurs voix à celle des apôtres et remplirent toute la terre d'une mélodie pleine de suavité. Tous les habitants furent réveillés par ces (422) doux sons et cette mélodie : ils se précipitèrent hors de la ville en demandant avec empressement ce qu'il y avait. Les uns dirent : « Ce sont les disciples de Jésus qui portent Marie décédée. C'est autour d'elle qu'ils chantent cette mélodie que vous entendez. » <b>Aussitôt ils courent aux armes</b>, et s'excitent les uns les autres en disant : « Venez, tuons tous les disciples et livrons au feu ce corps qui a porté ce séducteur. » <b>Or, le prince des prêtres</b>, en voyant cela, fut stupéfait et il dit avec colère: « Voici le tabernacle de celui qui a jeté le trouble parmi nous et dans notre race. Quelle gloire il reçoit en ce moment ! » Or, en parlant ainsi <b>il leva les mains vers le lit funèbre avec la volonté de le renverser et de, le jeter par terre. Mais aussitôt ses mains se séchèrent et s'attachèrent au brancard</b>, en sorte qu'il y était suspendu : il poussait des hurlements lamentables, tant ses douleurs étaient atroces, Le reste du peuple fut frappé d'aveuglement par les anges qui étaient dans la nuée. Quant au prince des prêtres, il criait en disant : « Saint-Pierre, ne m’abandonnez pas dans la tribulation où je me trouve; mais je vous en conjure, priez pour moi, car vous devez vous rappeler qu'autrefois je vous suis venu en aide et, que je vous ai excusé lors de l’accusation de la servante. » Pierre lui répondit : « Nous sommes retenus par les funérailles de Notre-Dame et nous ne pouvons nous occuper de votre guérison : néanmoins si vous vouliez croire eu Notre-Seigneur J.-C. et en celle qui l’a engendré et qui l’a porté, j'ai lieu d'espérer que vous pourriez être guéri de suite. » Il répondit : « Je crois que le Seigneur Jésus est vraiment le Fils de Dieu et (423) que voilà sa très sainte mère. » A l’instant ses mains se détachèrent du cercueil ; cependant ses bras restaient desséchés et la douleur violente ne disparaissait pas. Alors Pierre lui dit : « Baisez le cercueil et dites : « Je crois en Dieu Jésus-Christ que celle-ci a porté dans ses entrailles tout en restant vierge après l’enfantement. » Quand il l’eut fait, il fut incontinent guéri. | ||
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<big>De La Villemarqué, Tremenvan an Ytron Guerches Maria</big> | <big>De La Villemarqué, Tremenvan an Ytron Guerches Maria</big> | ||
{{Citation}} | {{Citation}} | ||
+ | Poèmes bretons du Moyen Age | ||
+ | |||
+ | Les textes bretons qui font l'objet de la présente publication sont tirés d'un petit volume in-24, imprimé en lettres gothiques, à Paris, l'an 1530. Il se trouve à la Bibliothèque Nationale et porte le n° 6183-Y. | ||
+ | |||
+ | Le <i>Tremenvan</i> sort directement d'une antique légende latine intitulée : Transitus Beatae Mariae Virginis. | ||
+ | |||
97. Maz mennas un Yysen divat | 97. Maz mennas un Yysen divat | ||
<br>Disquenn an corff goar, hegarat, | <br>Disquenn an corff goar, hegarat, | ||
Ligne 137: | Ligne 214: | ||
<br>Ez manaz hep goap e dou dorn, | <br>Ez manaz hep goap e dou dorn, | ||
<br>Ha nenn doae marz ? Bedenn arzornn. | <br>Ha nenn doae marz ? Bedenn arzornn. | ||
- | <br><small>(<b>Comme il saisissait très rudement le corps précieux et sacré, ses deux mains (n'était-ce pas merveille ?) y restèrent attachées jusqu'au poignet.</b>)</small> | + | <br><small>(<b>Comme il saisissait très rudement le corps précieux et sacré, ses deux mains, n'était-ce pas merveille ?, y restèrent attachées jusqu'au poignet.</b>)</small> |
<spoiler id="991" text="Suite ..."> | <spoiler id="991" text="Suite ..."> | ||
Ligne 145: | Ligne 222: | ||
<br>Maz pede prest an Abestel ; | <br>Maz pede prest an Abestel ; | ||
<br><small>(Une fois sans mains, le misérable éprouva une grande douleur, avec beaucoup de regret et de honte, et il supplia les Apôtres ;)</small> | <br><small>(Une fois sans mains, le misérable éprouva une grande douleur, avec beaucoup de regret et de honte, et il supplia les Apôtres ;)</small> | ||
+ | |||
+ | 100. Ma ho pede a poellat don | ||
+ | <br>Ez grasent hep gaes oraeson | ||
+ | <br>De lamet prest a drouc eston | ||
+ | <br>Dre moyan hep sy an Passion. | ||
+ | <br><small>(Il les supplia du fond de l'âme de se mettre tous en prière pour le tirer de peine et d'émoi par la grâce de la Passion.)</small> | ||
+ | |||
+ | 101. Ha mar galsent e ober plen | ||
+ | <br>Da bezaff franc a pep anquen, | ||
+ | <br>Ez vise, hep sy, ansien, | ||
+ | <br>En hanu Jesu Christ, guir Christen. | ||
+ | <br><small>(Que s'ils pouvaient complètement le délivrer de toute douleur, il se ferait, une fois guéri, véritable chrétien au nom de Jésus-Christ.)</small> | ||
+ | |||
+ | 102. An Abestel neuse ez stousont piz tizmat | ||
+ | <br>Dan nou glynou, en un conhat, | ||
+ | <br>Da pedif an guir Roeanes quer | ||
+ | <br>Da nep he galv da reiff salvder | ||
+ | <br><small>(Les Apôtres se mirent donc tous ensemble bien vite à genoux, pour prier la vraie Reine chérie de rendre la santé à celui qui l'invoquait.)</small> | ||
+ | |||
+ | 103. Quen buhan scaff, nen nachaff quet, | ||
+ | <br>Heman he galv a voe salvet, | ||
+ | <br>He dou dornn hoantec mezeguet ; | ||
+ | <br>Hac eno hep mez badezet. | ||
+ | <br><small>(À l'instant même, je l'affirme, le suppliant fut guéri, et ses deux mains pansées à souhait ; et sans honte il fut baptisé dans ce lieu.)</small> | ||
+ | |||
+ | 104. An den man groaet Cristen guiryon | ||
+ | <br>Hep nep mar ayez da sarmon | ||
+ | <br>En hanu an Antrou spec Jesu, | ||
+ | <br>Ne dougeas nigun a nep tu. | ||
+ | <br><small>(Devenu bon chrétien; cet homme s'en alla prêcher au nom du beau Seigneur Jésus et ne craignit personne nulle part.)</small> | ||
</spoiler> | </spoiler> | ||
{{FinCitation}} | {{FinCitation}} |
Version actuelle
| Enquête sur les origines de cette scène violente du retable flamand de Kerdévot où l'on voit trois soldats aux mains tranchées.
Les références utilisées sont les textes apocryphes Autres lectures : « La chapelle de Kerdévot » ¤ « Les deux retables de la Vierge d'origine flamande et du 15e siècle à Ternant et Kerdévot » ¤ « BARRIÉ Roger - La construction de la chapelle de Kerdévot au XVème siècle » ¤ « ABGRALL Jean-Marie - Le Retable de Kerdévot » ¤ « Les marques de fabrique des ateliers flamands du 15e siècle sur le retable de Kerdévot » ¤ « Espace Chapelle de Kerdévot » ¤ |
[modifier] 1 Présentation
Le cortège funèbre de Kerdévot est formé de la Vierge allongée sur un brancard porté par les apôtres Pierre à la tête de la défunte et Paul devant, saint Jean ouvrant le chemin en tenant la palme resplendissante, et les autres apôtres en procession. Cette Translation (du latin "transitus") de la Vierge qui suit l'épisode de la Dormition et précède l'Assomption et le Couronnement, n'est pas très souvent représentée dans l'iconographie chrétienne classique. Cette rareté est sans doute due au fait que les sources primitives de ce mystère marial sont présentes uniquement dans quelques textes apocryphes Les écrits apocryphes chrétiens mettant en scène le mystère de la Vierge Marie, à savoir essentiellement le pseudo-Méliton de Sardes, le livre de Jean sur la dormition et l'homélie de saint Jean Damascene, datent des 6e et 7e siècles. Des poèmes en latin en ont été produits, « Transitus Beatae Mariae Virginis » ("La translation de la bienheureuse Vierge Marie"), et des copies et commentaires insérés en 1261-1266 dans la Légende dorée de Jacques de Voragine. On connaît même une copie imprimée en 1530 d'un poème breton non daté « Tremenvan an Ytron Guerches Maria » ("Le trépas de madame la Vierge Marie") Pour l'épisode représenté sur le retable de Kerdévot, à savoir la punition divine des mains coupées lors de la procession funèbre de la Vierge, les textes apocryphes parlent d'un offenseur juif nommé Jéphonias (et Ruben dans une variante plus tardive) et le présentent comme un « Prince des prêtres ». Or, à Kerdévot, ce sont trois soldats qui sont punis de sacrilège, et non un seul prêtre. Les deux premiers soldats tenant une lance sont à terre avec chacun une main tranchée, et le troisième est debout avec ses deux mains collées au brancard. Comme dans les écrits du 6-7e siècle, la « Légende dorée » de Voragine mentionne un prince des prêtres, mais par contre il existe une version nestorienne Si l'on pousse un peu plus l'observation de la scène représentée à Kerdévot, on note que l'armure du soldat de droite est ornée de la tête à la taille d'une bandelette ressemblant à un attribut de haut prêtre juif : |
on a sans doute là le double personnage Jôphanâ-Jephonias, mi prêtre mi soldat, qui sera guéri de sa blessure par un saint Jean le regardant avec compassion. Nous n'avons trouvé que cinq représentations artistiques de la scène de la translation de la Vierge : dans deux peintures respectivement à Venise et à Troyes, sur les vitraux de la cathédrale de Chartres, et sur une icône orthodoxe. Ces œuvres présentent la légende initiale du méchant prêtre juif. La cinquième trouvaille est une scène très similaire inscrite dans le retable de la Vierge de Ternant. À Ternant, on peut voir le prêtre juif à genoux à terre, avec ses deux mains coupées et implorant saint Pierre. De notre point de vue les funérailles représentées à Kerdévot sont néanmoins plus originales. |
[modifier] 2 Iconographie
Retable de Kerdévot | |||||
Autres représentations des Funérailles | |||||
[modifier] 3 Sources documentaires
Martin Jugie, Le récit du Pseudo-Méliton
Martin Jugie, Apocryphe grec ou pseudo-Jean, juif Jéphonias
Martin Jugie, La légende nestorienne
Constantin Tischendorf, Transitus Beatae Mariae Virginis A.
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Martin Jugie, notes complémentaires
Jacques de Voragine, La légende dorée
De La Villemarqué, Tremenvan an Ytron Guerches Maria
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[modifier] 4 Annotations
- Apocryphe, adj. et s.m.pl. : du grec ἀπόκρυφος / apókryphos, « caché », qualifie un écrit dont l'authenticité n'est pas établie (Littré). Pour un texte ou un livre religieux dont l'origine divine n'est pas reconnue par l'Église et qu'elle place hors du canon des Livres inspirés (TLFi). Au pluriel, ouvrages composés par d'anciens hérétiques et attribués par eux à des auteurs sacrés (Littré). [Terme] [Lexique] [Ref.↑ 1,0 1,1]
- TISCHENDORF (Constantinus), Apocalypses Apocryphar Mosis, Esdrae, Pauli, Iohannis, item Mariae Dormito, Lipsiae, 1866 [Ref.↑]
- « Tremenvan an Ytron Guerches Maria », Le trépas de madame la Vierge Marie, transcrit et traduit par Hersart de La Villemarqué dans une publication intitulée "Poèmes bretons du Moyen Age" publiée en 1879, Paris Librairie Académique Didier. [Ref.↑ 3,0 3,1]
- JUGIE (Martin), La littérature apocryphe sur la mort et l'assomption de Marie à partir de la seconde moitié du VIe siècle, dans « Echo d'Orient tome 29 n° 159 », 1930, pp. 265-295. [Ref.↑]
- Nestorien, adj. : relatif à Nestorius (hérésiarque du 5e siècle apr. J.-Ch., patriarche de Constantinople) ou à sa doctrine affirmant que le Christ possède deux natures, deux personnes distinctes, l'une humaine et l'autre divine. Source : TLFi [Terme] [Lexique] [Ref.↑ 5,0 5,1]
Thème de l'article : Richesses patrimoniales Date de création : Mai 2018 Dernière modification : 25.09.2018 Avancement : [Développé] |