Déguignet s'oppose au candidat Bolloré lors des élections législatives de 1877 - GrandTerrier

Déguignet s'oppose au candidat Bolloré lors des élections législatives de 1877

Un article de GrandTerrier.

(Différences entre les versions)
Jump to: navigation, search
Version du 1 février ~ c'hwevrer 2014 à 10:08 (modifier)
GdTerrier (Discuter | contributions)

← Différence précédente
Version du 1 février ~ c'hwevrer 2014 à 10:09 (modifier) (undo)
GdTerrier (Discuter | contributions)

Différence suivante →
Ligne 31: Ligne 31:
A Ergué-Armel les résultats furent sans appel : « <i>Le scrutin ne fut pas long, ne portant que sur deux noms et sur cinq cents électeurs. Quand les bulletins furent tous extraits et comptés, il se trouvait qu'il y avait 450 pour le candidat républicain et seulement 34 pour le candidat clérical</i> ». A Ergué-Armel les résultats furent sans appel : « <i>Le scrutin ne fut pas long, ne portant que sur deux noms et sur cinq cents électeurs. Quand les bulletins furent tous extraits et comptés, il se trouvait qu'il y avait 450 pour le candidat républicain et seulement 34 pour le candidat clérical</i> ».
-Au premier abord, Déguignet semble se réjouir des résultats du vote. Toutefois, il commente comme suit l'action du gouvernement qui en était issu : « <i>Mais le malheur était que parmi les représentants de cette république démocratique, il n'y avait pas un seul démocrate ...</i> ». Et sans doute la force des récits de Déguignet est dans ces nuances.+Au premier abord, Déguignet semble se réjouir des résultats du vote. Toutefois, il commente comme suit l'action du gouvernement qui en était issu : « <i>Mais le malheur était que parmi les représentants de cette république démocratique, il n'y avait pas un seul démocrate ...</i> ». La force des récits de Déguignet est certainement dans l'expression de ces nuances.
|} |}

Version du 1 février ~ c'hwevrer 2014 à 10:09

Image:Espacedeguignetter.jpg Des élections locales dans la 1ère circonscription de Quimper où Jean-Marie Déguignet va jouer un bon tour lors du vote que les conservateurs auraient bien voulu gagner.

Autres lectures : « 1877 - Tract "votit evit An Aotrou Bollore ha na votit ket evit Loiz Hemon" » ¤ « Jean-René Bolloré (1818-1881), chirurgien et entrepreneur » ¤ « GEMIE Sharif - La nation invisible, Bretagne 1750-1950 » ¤ 


1 Présentation

Dans les Mémoires du paysan bas-breton, il y a un récit des élections législatives d'octobre 1877 qui constituèrent un tournant de la IIIe République. Cela se passe après le vote de février 1876 qui fut une victoire des Républicains et la dissolution de mai 1877 : « Les députés qui avaient été renvoyés parce qu'ils étaient trop républicains se représentèrent à nouveau contre les candidats jésuitico-monarchistes : il étaient dans toute la France au nombre de 363, nombre qui restera célèbre dans l'histoire [1] ».

Ce récit a récemment été cité et commenté dans deux ouvrages historiques et sociologiques. Le premier est le livre de Philippe Madeline et Jean-Marc Moriceau « Les paysans 1870-1970 » (page 100). Le second ouvrage écrit par un historien gallois contient une fine analyse du contexte et des positions de Déguignet : « GEMIE Sharif - La nation invisible, Bretagne 1750-1950 » ¤ 

Pour Déguignet, la possession du pouvoir était la question centrale : « Les nobles et les jésuites nous ramèneraient certainement quatre ou cinq siècles en arrière, au bon vieux temps où les paysans et les ouvriers étaient considérés et estimés à dix-sept degrés au-dessous des bêtes de somme et des chiens ».

Et pour assurer la victoire aux républicains, il joue un tour aux monarchistes locaux, c'est-à-dire aux châtelains et à l'ancien maire, en laissant ces derniers distribuer argent, alcool et bulletins conservateurs, ayant au préalable convaincus les paysans électeurs de cacher dans leur gilet un deuxième bulletin de vote, républicain celui-là.

L'histoire se déroule à Ergué-Armel où était domicilié Déguignet en 1876, mais est transposable aux communes voisines. À Ergué-Gabéric des scènes similaires s'y déroulèrent (cf. article publié prochainement avec des extraits des journaux « L'Océan », « L'impartial du Finistère » et « Le Finistère »).

De plus le candidat conservateur, non nommé dans le récit de Déguignet, est l'entrepreneur propriétaire des papeteries d'Odet en Ergué-Gabéric : « un gros industriel, plusieurs fois millionnaire, clérical et monarchiste jusqu'au bout des doigts, ayant pour l'appuyer toute l'administration, les nobles, les curés et confrères ».

 

Outre les manipulation et trafic d'influence le jour du vote, avec tournée générale et distribution de bulletin, l'auteur nous explique aussi le rôle des médias conservateurs : « Les amis et protecteurs du candidat officiel avaient fait distribuer des brochures en français et en breton dans lesquelles la République et les républicains étaient flétris et maudits sur tous les tons. Le pauvre candidat républicain y était traité et caricaturisé de toutes les façons : en diable, en loup, en renard et en âne ».

A Ergué-Armel les résultats furent sans appel : « Le scrutin ne fut pas long, ne portant que sur deux noms et sur cinq cents électeurs. Quand les bulletins furent tous extraits et comptés, il se trouvait qu'il y avait 450 pour le candidat républicain et seulement 34 pour le candidat clérical ».

Au premier abord, Déguignet semble se réjouir des résultats du vote. Toutefois, il commente comme suit l'action du gouvernement qui en était issu : « Mais le malheur était que parmi les représentants de cette république démocratique, il n'y avait pas un seul démocrate ... ». La force des récits de Déguignet est certainement dans l'expression de ces nuances.


2 Extraits, page 388 et suivantes

« Les élections furent donc décidées et les candidats officiels désignés. Les députés qui avaient été renvoyés parce qu'ils étaient trop républicains se représentèrent à nouveau contre les candidats jésuitico-monarchistes : il étaient dans toute la France au nombre de 363, nombre qui restera célèbre dans l'histoire [1] ...

Mais quoi qu'il arrive, dans la lutte actuelle [2], je ferai mon possible pour le triomphe de ceux qui se disent républicains : car les autres, les nobles et les jésuites nous ramèneraient certainement quatre ou cinq siècles en arrière, au bon vieux temps où les paysans et les ouvriers étaient considérés et estimés à dix-sept degrés au-dessous des bêtes de somme et des chiens ; la lutte était commencée. Le gouvernement avait choisi le scrutin d'arrondissement ; par ce moyen il espérait un triomphe plus facile et plus complet de ses candidats, choisis dans chaque arrondissement parmi les plus notables, les plus connus, les plus riches et les plus influents du parti jésuitico-clérico-monarchiste. Celui qu'on avait choisi dans notre arrondissement était un gros industriel [3], plusieurs fois millionnaire, clérical et monarchiste jusqu'au bout des doigts, ayant pour l'appuyer toute l'administration, les nobles, les curés et confrères. L'autre, le concurrent républicain n'était qu'un pauvre avocat [4] ayant, il est vrai, pour l'appuyer, quelques vieux monarchiste millionnaires, mais anticléricaux.

Les amis et protecteurs du candidat officiel [3] avaient fait distribuer des brochures en français et en breton dans lesquelles la République et les républicains étaient flétris et maudits sur tous les tons. Le pauvre candidat républicain [4] y était traité et caricaturisé de toutes les façons : en diable, en loup, en renard et en âne. Les jésuites et cléricaux, quoique sûrs du triomphe, avaient cependant jugé à propos d'attirer à eux les paysans et les ouvriers par tous les moyens. Ils mettaient leurs agents en campagne avec des pièces de cens sous plein leurs poches, qui distribuaient partout des discours et des boniments appris par cœur, des brochures, des journaux, des cigares et du gwin ardent [5]. Les châtelains réunissaient chez eux leurs fermiers et leurs ouvriers, auxquels ils donnaient, comme on disait alors, des rastels [6] pleins, c'est-à-dire, à boire et à manger à volonté. Notre châtelain avait aussi convoqué les siens, le soir, la veille du vote. Après le rastel [6], il leur avait dit de se trouver le lendemain matin à une auberge près du bourg où il y auraient encore distribution de gwin ardent [5] et des bulletins et le maître les conduirait ensuite en rangs serrés au scrutin. Mais la plupart de ceux qui avaient été se restaurer au château passèrent par chez moi après, pour me demander des bulletins au nom du candidat républicain. Je leur en avais donné, en leur recommandant de les bien ployer [7] et les cacher dans leur gilet ou leurs manches, car le sire Malherbe [8] pourrait bien les fouiller avant de leur donner les bulletins blancs, le lendemain.

 

Le lendemain, j'étais de bonne heure au bourg, à l'auberge désignée par notre sire Malherbe [8]. Je trouvai la plupart de ceux qui avaient passé chez moi la veille, ayant déjà bu à la santé du seigneur. Tous ils me disaient :

« Laisse faire, va, Jean Marie, nous faisons danser les pièces de cent sous du seigneur noble qui ne dansent pas souvent, mais nous ferons aussi danser ses bulletins tout à l'heure.

- Il ne faut pas trop crier, leur dis-je, ce soir on verra ».

Quand je vis arriver la voiture du sire, je m'éloignai pour qu'il ne me vit pas avec sa bande. Il descendit de voiture, offrit encore à boire à ceux qui en voulaient, ensuite il les mit en rang sur la route et leur donna chacun un bulletin bien ployé [7] dans la main. Il ne les fouilla pas. La distribution [terminée], il commanda par le flanc droit et les conduisit ainsi jusqu'à la salle du vote, marchant derrière eux pour les empêcher de prendre d'autres bulletins. Touts les autres nobles châtelains arrivaient ainsi avec des bandes de cinquante à soixante. Je trouvai cependant plusieurs électeurs qui avaient tenu à conserver leur indépendance comme moi. C'étaient des nouveaux républicains, convertis depuis qu'ils vu les agissements de ce bon gouvernement dit de l'Ordre moral. Ceux-là disaient bien comme moi que ces nobles, jésuites et compagnie auraient bien des mécomptes à la fin de la journée, eux qui comptaient sur presque l'humanité des électeurs de notre commune. En effet, l'ancien maire bonapartiste de la commune, le principal agent des cléricaux monarchistes, ne quittant la porte de la mairie un seul instant, disait à ces seigneurs, à mesure qu'ils arrivaient avec leurs troupeaux, qu'ils pouvaient être tranquilles car tout le monde votait comme un seul homme pour le candidat officiel, et les seigneurs lui serraient la main en souriant. Moi qui me tenais aussi vers l'entrée de la mairie, je souriais aussi car je voyais la plupart des électeurs en sortant du scrutin derrière leur conducteur pour aller encore à l'auberge boire, manger, toujours au compte de monsieur le comte, me faire du doigt et des yeux des gestes significatifs qui voulaient dire : « le vieux est roulé, allez ».

... Mais le malheur était que parmi les représentants de cette république démocratique, il n'y avait pas un seul démocrate ».

Texte complet (pages 389-394) : « Document PDF » ¤ 


3 Annotations

  1. Les 363 députés républicains avaient refusé la confiance au gouvernement du maréchal Mac-Mahon et ils signèrent un manifeste d'union contre les monarchistes, sous l'impulsion de Léon Gambetta. Ce dernier déclara : « Nous partons 363, nous reviendrons 400 ! ». [Ref.↑ 1,0 1,1]
  2. Il s'agit des élections législatives d'octobre 1877, et non des précédentes de février 1876 comme cela est indiqué par erreur dans les annotations de l'Intégrale des Mémoires de Jean-Marie Déguignet. En effet l'industriel Bolloré et l'avocat Hémon qui étaient déjà candidats en 1876, mais dans deux circonscriptions différentes, s'affrontèrent en 1877 dans la première circonscription de Quimper. [Ref.↑]
  3. Jean-René Bolloré (1818-1881), ancien chirurgien de la marine, est patron des papeteries Bolloré à Odet en Ergué-Gabéric à partir de 1862. Aux élections législatives de février 1876 et octobre 1877 il est le candidat officiel conservateur de la 2e, puis de la 1ère circonscription de Quimper. [Ref.↑ 3,0 3,1]
  4. Louis Hémon (1844-1914) est un avocat et homme politique quimpérois. Il est élu député républicain de Quimper de 1876 à 1885 et de 1889 à 1912, puis sénateur du Finistère. Il connait son heure de gloire en 1897, lors d'un discours sur la validation d'un prêtre catholique, élu à Brest, où il dénonce les ingérences du clergé dans les élections. [Ref.↑ 4,0 4,1]
  5. Gwin ardant, g.n.m. : eau-de-vie de raisin, alcool apéritif traditionnel de 18 à 25°, du breton « gwin » (vin) et « ardant » (ardent). [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑ 5,0 5,1]
  6. Rastell, sm. : râtelier, terme imagé désignant les collations apéritives (« apéros ») ou les buffets, notamment lors des campagnes électorales. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑ 6,0 6,1]
  7. Ployer, v. : (vieilli ou littér.) mettre une matière souple (étoffe, papier) en deux ou plusieurs épaisseurs. Synonymes : plier, replier ; antonymes : déplier, déployer, étaler. Source : Wikipedia. [Terme] [Lexique] [Ref.↑ 7,0 7,1]
  8. Les Malherbe de La Boixière étaient propriétaires de l'exploitation de Toulven (en Ergué-Armel) qui était tenu en fermage par Jean-Marie Déguignet. [Ref.↑ 8,0 8,1]


Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet

Date de création : Janvier 2014    Dernière modification : 1.02.2014    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]