Déguignet et l'alcoolisme en Bretagne au 19e siècle - GrandTerrier

Déguignet et l'alcoolisme en Bretagne au 19e siècle

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<spoiler text="Suite - Les légendes alcooliques d'Anatole Le Braz">Ils étaient peu nombreux. Je n'ai vu entrer qu'une demi-douzaine de tonsurés, une douzaine de messieurs à gants et à lunettes, trois ou quatre dames du même acabit et une demi-douzaine de gamins. Mais que diable a pu dire ce jésuite au sujet de l'alcool qui n'aît pas été dit et redit cent fois par les déments de l'antialcoolisme ! <spoiler text="Suite - Les légendes alcooliques d'Anatole Le Braz">Ils étaient peu nombreux. Je n'ai vu entrer qu'une demi-douzaine de tonsurés, une douzaine de messieurs à gants et à lunettes, trois ou quatre dames du même acabit et une demi-douzaine de gamins. Mais que diable a pu dire ce jésuite au sujet de l'alcool qui n'aît pas été dit et redit cent fois par les déments de l'antialcoolisme !
-Il aurait pu conter quels-unes de ces légendes bretonnes dont il a, chez lui, un stock considérable et dans lesquelles l'alcool joue en grand rôle, par exemple l'histoire de <i>glaoud ar Skaon</i> <ref>Conte « Glaoud ar Skañv », <i>La légende le Mort en Basse-Bretagne</i>, chap. IXXIII, p. 429-432.</ref> qui fut enlevé par Paolic, le diable, parce qu'il se saoulait trop et que dans ses folies alcooliques, il blasphémait Dieu et appelait toujours le diable, ou bien cette belle légende de la route du paradis sur laquelle, d'après la légende bretonne, il y a quatre-vingt dix-neuf auberges dans lesquelles les âmes allant au ciel doivent s'arrêter boire et payer comptant, sous peine d'être contraintes de prendre le chemin de l'enfer. +Il aurait pu conter quels-unes de ces légendes bretonnes dont il a, chez lui, un stock considérable et dans lesquelles l'alcool joue en grand rôle, par exemple l'histoire de <i>glaoud ar Skaon</i> <ref>Conte « Glaoud ar Skañv », <i>La légende le Mort en Basse-Bretagne</i>, chap. IXXIII, p. 429-432, édition de 1893.</ref> qui fut enlevé par Paolic, le diable, parce qu'il se saoulait trop et que dans ses folies alcooliques, il blasphémait Dieu et appelait toujours le diable, ou bien cette belle légende de la route du paradis sur laquelle, d'après la légende bretonne, il y a quatre-vingt dix-neuf auberges dans lesquelles les âmes allant au ciel doivent s'arrêter boire et payer comptant, sous peine d'être contraintes de prendre le chemin de l'enfer.
-Il n'y a que l'auberge de moitié route, appelée <i>Bitéklé</i> <ref><i>Bitéklé</i> est l'auberge citée dans le premier des comtes « L'auberge du paradis », <i>La légende le Mort en Basse-Bretagne</i>, chap. LXXVII, p. 356. </ref> où l'on donne à crédit, aussi cette auberge est toujours remplie. le bon Dieu y vient faire sa ronde une fois par semaine, le samedi soir, pour conduire avec lui ceux qui répondent à l'appel. Mais il y en beaucoup qui sont tellement saouls et la langue si épaisse qu'ils ne peuvent jamais répondre présents. De ce nombre sont Laurent Kérichard et Joseph An Toër <ref>Laur Kerichard et Job an Toër sont les personnages du second des comtes « L'auberge du paradis » (ce comte sera rebaptisé ensuite « Les deux ivrognes »), <i>La légende le Mort en Basse-Bretagne</i>, chap. LXXVII, p. 356.</ref>, les deux plus grands buveurs de leur temps. Voilà ce que Le Braz aurait pu conter à son auditoire, il y a des centaines de légendes de ce genre, qui aurait porté une variante dans ces conférences anti-alcooliques qui n'en finissent plus+Il n'y a que l'auberge de moitié route, appelée <i>Bitéklé</i> <ref><i>Bitéklé</i> est l'auberge citée dans le comte « L'auberge du paradis », <i>La légende le Mort en Basse-Bretagne</i>, chap. LXXVII, p. 356, éd. 1893.</ref> où l'on donne à crédit, aussi cette auberge est toujours remplie. le bon Dieu y vient faire sa ronde une fois par semaine, le samedi soir, pour conduire avec lui ceux qui répondent à l'appel. Mais il y en beaucoup qui sont tellement saouls et la langue si épaisse qu'ils ne peuvent jamais répondre présents. De ce nombre sont Laurent Kérichard et Joseph An Toër <ref>Laur Kerichard et Job an Toër sont les personnages de la seconde partie (rebaptisée ensuite « Les deux ivrognes » dans l'édition de 1902) de « L'auberge du paradis », <i>La légende le Mort en Basse-Bretagne</i>, chap. LXXVII, p. 356, ed. 1893.</ref>, les deux plus grands buveurs de leur temps. Voilà ce que Le Braz aurait pu conter à son auditoire, il y a des centaines de légendes de ce genre, qui aurait porté une variante dans ces conférences anti-alcooliques qui n'en finissent plus
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Version du 19 septembre ~ gwengolo 2014 à 22:48


Quel regard portait Jean-Marie Déguignet sur l'alcoolisme breton dans ses écrits ? Était-il lui même atteint du même mal que celui de ses contemporains ?

Autres lectures : « CARRER Philippe - Ethnopsychiatrie en Bretagne » ¤ « Espace Déguignet » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ « 1844 - Placards réglementaires pour les cabarets gabéricois » ¤ « Deux morts et un rescapé suite à ivresses prononcées, Le Quimpérois 1839 » ¤ « Déguignet s'oppose au candidat Bolloré lors des élections législatives de 1877 » ¤ 

( dessin de Vincent Rif )

1 Présentation

À la deuxième question, l'ethnographe Philippe Carrer répond ainsi : « Notre héros échappe, dans l'ensemble, au danger toxicomaniaque. Il n'y a guère que pendant la période assez brève où il place des assurances qu'il mentionne une nette surconsommation. »

C'est surtout en tant qu'observateur d'une société rurale du 19e siècle que les écrits du paysan bas-breton sont intéressants. La consommation d'alcool y était bien ancrée que ce soit lors d'évènements comme les élections et les pardons, mais aussi au quotidien.

Au pardon de Kerdévot, il observe une consommation de boissons fortes : «  L'esplanade était entièrement couverte de débits et de longues tentes blanches, lesquelles étaient remplis de gens buvant des camots [1] et demi-camots, c'est-à-dire de l'eau noircie mêlée de la plus mauvaise eau-de-vie ».

Aux élections l'alcool fort est largement offert aux électeurs : « Le soir, la veille du vote. Après le rastel [2], il leur avait dit de se trouver le lendemain matin à une auberge près du bourg où il y auraient encore distribution de gwin ardent [3] ».

 


2 Extraits des mémoires

Mort de sa femme

(page 404)

Je faisais bien des réflexions maintenant sur mon lit là-bas à Toulven, sachant que ma femme était en train de gaspiller stupidement tout l'argent qui nous restait de la vente, j'étais certain qu'avec elle cela ne durerait pas six mois, si toutefois la folie alcoolique lui permettait de vivre si longtemps.


(page 405)

La maison était bien et richement meublée et le débit était garni de boissons de toutes sortes dont la moitié au moins n'avait cours chez les buveurs. Je ne pouvais rien dire, c'était inutile. Du reste, je dus garder encore le lit pendant quinze jours. Pendant ce temps, des gens, des commères et compères venaient tous les jours me voir par bande, non en réalité pour s'informer de mon état qui leur importait peu, mais pour boire et manger, ce que ma femme, toujours fière et glorieuse, et toujours entre deux vins, ne faisait pas faute de leur en servir à bon compte. Ces bonnes gens la payaient en éloges sur ses beaux meubles et la riche installation de son débit, cela lui suffisait.


(page 411)

En traversant mon ancienne commune, je m'étais arrêté dans un débit, tenu par une femme qui avait été autrefois bonne chez moi à Toulven. cette femme savait bien dans quel triste état je me trouvais depuis que ma femme était tombée dans l'alcoolisme.


(pages 416-417)

Mais hélas, quand j'arrivai chez moi, je vis bien que tout était fini. Ma femme était tombée de la folie modérée dans la folie furieuse, on était obligé de l'attacher et deux jours après le médecin me dit qu'il fallait la conduire à l'hospice, car elle commettrait certainement quelques malheurs ... Ma femme, depuis qu'elle était dans ce malheureux débit, n'avait fait que dépenser. Tout l'argent était sorti et aucun sou n'était entré, et il restait encore des boissons à payer.

 

Les tournées d'assureur

(page 413)

Notre homme s'était levé, alla nous chercher du cidre, et tout en buvant, et après avoir demandé toutes les explications concernant l'assurance, il consentit à s'assurer, et alla même chercher un voisin qui s'assura aussi séance tenante. Mais il fallut aller chez lui afin de voir l'état de ses bâtiments, de ses instruments aratoires, de son mobilier. Chez lui, nous eûmes encore du bon cidre à boire, du lard frit à manger et le café encore à la fin. Nous restâmes longtemps là car le cidre et le café fortement carabiné avaient délié toutes les langues.


(page 416)

Je fis donc là, séance tenante, quatre bonnes assurances, tout en buvant et mangeant. et, à la fin, on voulait que nous logions là, car ils pensaient que nous ne pourrions jamais retourner au bourg, rapport à la neige et aussi rapport à la boisson que nous n'avions cessé d'ingurgité depuis le matin. Nous y retournâmes quand même, mais avec beaucoup de peine et après avoir roulé vingt fois dans la neige. Je fus obligé de conduire le fossoyeur chez lui, car il ne savait plus où il était.

Jour de pardon

(page 325)

L'aspect de ce grand grand pardon était toujours tel que je l'avais vu autrefois. L'esplanade était entièrement couverte de débits et de longues tentes blanches, lesquelles étaient remplis de gens buvant des camots [1] et demi-camots, c'est-à-dire de l'eau noircie mêlée de la plus mauvaise eau-de-vie.

Les anti-alcooliques

(page 612)

Et bien Malez Toue, voici que le fourbe est escroc Le Braz Anatole vient aussi de faire une conférence [4] au sujet de malheureux alcool . Je disais bien que si les buveurs d'alcool sont parfois atteints d'hydrophobie, ces antialcooliques sont atteints d'alcoolophobie furieuse. Je suis allé voir l'entrée des auditeurs d'Anatole dans une salle dénommée Jeanne-d'Arc.

§ Suite - Les légendes alcooliques d'Anatole Le Braz

Élections arrosées

(page 390)

Les châtelains réunissaient chez eux leurs fermiers et leurs ouvriers, auxquels ils donnaient, comme on disait alors, des rastels [2] pleins, c'est-à-dire, à boire et à manger à volonté. Notre châtelain avait aussi convoqué les siens, le soir, la veille du vote. Après le rastel [2], il leur avait dit de se trouver le lendemain matin à une auberge près du bourg où il y auraient encore distribution de gwin ardent [3] et des bulletins et le maître les conduirait ensuite en rangs serrés au scrutin.

3 Annotations

  1. Camot, kamo : café mêlé d'eau-de-vie, faux bretonnisme issu du gallo « mikamo », ou « micamo, usité en Trégor et Penthièvre. Dictionnaire askoridik, café avec de l'eau-de-vie : « (arg): Pierig paregzañp, Mikamo (?) ». Mon canepin de Galo, de Galoromaen, un mic ou un micamo : «  café arrosé d’eau-de-vie ». Dans un billet du blog ecoutesiilpleut, l'expression « Passez donc prendre un mic ! » utilisée en Mayenne fait aussi référence à un "mic" désignant un café, accompagné ou non de goutte. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑ 1,0 1,1]
  2. Rastell, sm. : râtelier, terme imagé désignant les collations apéritives (« apéros ») ou les buffets, notamment lors des campagnes électorales. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑ 2,0 2,1 2,2]
  3. Gwin ardant, g.n.m. : eau-de-vie de raisin, alcool apéritif traditionnel de 18 à 25°, du breton « gwin » (vin) et « ardant » (ardent). [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑ 3,0 3,1]
  4. La conférence d'Anatole Le Braz sur l'alcoolisme eut lieu le samedi 18 mai 1901 à Quimper, dans la salle Jeanne d'Arc qui sera transformé au 20e siècle en cinéma Bretagne. Extrait du Courrier du Finistère : « La Bretagne ne peut aspirer à ce grand rôle qu'il lui prédit qu'à une condition ; c'est de dompter dès maintenant, quand elle peut encore en avoir la force et la volonté, ce terrible fléau qui la tue : l'alcoolisme. ». Cf coupures de presse : « CF du 25.05.1901 » ¤ « Le Finistère du 22.05 » ¤ . [Ref.↑]
  5. Conte « Glaoud ar Skañv », La légende le Mort en Basse-Bretagne, chap. IXXIII, p. 429-432, édition de 1893. [Ref.↑]
  6. Bitéklé est l'auberge citée dans le comte « L'auberge du paradis », La légende le Mort en Basse-Bretagne, chap. LXXVII, p. 356, éd. 1893. [Ref.↑]
  7. Laur Kerichard et Job an Toër sont les personnages de la seconde partie (rebaptisée ensuite « Les deux ivrognes » dans l'édition de 1902) de « L'auberge du paradis », La légende le Mort en Basse-Bretagne, chap. LXXVII, p. 356, ed. 1893. [Ref.↑]




Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet

Date de création : Septembre 2014    Dernière modification : 19.09.2014    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]