Courrier du Finistère du 20.05.1893 :
Élections annulées
Nos lecteurs n'ont pas oublié les diverses élections municipales du Finistère, entre autres celles de Pluguffan, Tréflez et Ergué-Gabéric, qui étaient déférées au Conseil d'Etat. Après une attente de près d'un an, le Conseil d’État vient de terminer l'examen de ces affaires et, comme on s'y attendait, a annulé les élections municipales des trois communes ci-dessus, où la liste catholique avait battu la liste opportuno-franc-maçonne.
Le premier arrêt a été rendu à l'audience du 5 mai. Il concerne les élections d'Ergué-Gabéric, que le Conseil de préfecture avait maintenues : en voici l'unique considérant :
« Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'enquête à laquelle il a été procédé devant le Conseil de préfecture, qu'il a été tenu en chaire, par un des vicaires de la paroisse d'Ergué-Gabéric, huit jours avant le scrutin, des propos de nature à influencer les électeurs et à porter atteinte à la liberté de leur vote ; que, par suite, c'est à tort que le Conseil de préfecture a refusé d'annuler les opérations électorales ».
En conséquence, les élections municipales du 1er mai 1892 à Ergué-Gabéric sont annulées. Et elles sont annulées pour un sermon !
Oui, tout simplement pour un sermon ! Et ce qu'il y a de mieux, c'est que, au moment de l'enquête qui eut lieu devant le Conseil de préfecture de Quimper, les opportunistes battus déclarèrent que se sermon était bien et ne contenait rien de contraire aux lois.
Du reste, en voici la principale partie telle qu'elle a été reconstituée d'après les dépositions des témoins et versée au dossier de l'affaire. C'est le dimanche de Quasimodo que ce sermon fut prononcé et, après avoir commenté les paroles de l’Évangile du jour : Pax vobis. Que la paix soit avec vous, le prédicateur, M. l'abbé Favé, ajoutait :
« ... Oui, c'est bien là le souhait qu'il est bon de vous faire à la fin de ces belles fêtes Pascales. Vous y avez trouvé la paix, vous saurez la conserver, car vous prendrez les moyens pour cela. Jamais, il n'a été plus nécessaire de vous souhaiter la paix, la paix avec Dieu, la paix avec vous-mêmes, la paix avec le prochain. À cette heure surtout, le cœur du prêtre est triste parce qu'il voit avec douleur que, peut-être, la dissension va se mettre entre nous, la haine et la rancune : des haines et des rancunes qui dureront, hélas, longtemps !
C'est triste à y penser, quand on vous a vu, pendant ces jours, assis à la même Table Sainte, répondant à la même invitation du Sauveur béni, enfants de la même paroisse, enfants du même Père qui est aux cieux.
Mais, qu'est-ce que paix ? - Le bon ordre en toutes choses. Qu'est-ce que l'ordre en toutes choses ? - Chaque chose à sa place. Pas d'ordre, donc de paix, si Jésus notre Dieu, ne tient pas toujours la place qu'il doit avoir : la première place dans chaque cœur, dans chaque paroisse, dans chaque État.
Cette paix ne peut donc se trouver que dans l'accomplissement de tous nos devoirs, sans excepter un seul, y compris celui que vous aurez à accomplir dimanche prochain, un des plus graves, des plus importants dans la vie d'un vrai chrétien.
Je veux parler du vote que vous aurez à donner.
- "Faut-il voter ?" - Celui qui reste sans aller voter engage sa conscience.
- "Mais alors pour qui voter ?" - Je ne vous répondrai pas : cela vous regarde. - Je n'ai pas vous le dire : je ne vous le dirai pas ! Mais votez selon votre conscience, comme doit le faire un bon chrétien et un homme libre.
Votez selon votre conscience en songeant que le billet que vous mettrez dans l'urne, dimanche, sera dépouillé (countet) deux fois : une fois par le Maire, au soir du 1er mai, une autre fois par Dieu, au soir de votre vie, au jour du jugement qui suivra immédiatement votre mort ».
Nous avons volontairement soulignés les passages visés par l'instruction, mais qui ne contiennent rien de délictueux. « Votez selon votre conscience » a dit M. l'abbé Favé. Si à Ergué-Gabéric, il y avait des députés panamistes, nous eussions compris qu'ils aient traduit : « Ne votez pas pour nous » mais point n'est le cas.
D'autant que M. l'abbé Favé passe à Ergué pour un libéral ; on l'appelle même le « républicain ». C'est un savant, un archéologue qui fouille, bouquine et ne s'occupe pas de politique.
Mais alors ?
Demandez à MM. Proudhon et Hémon [4] pourquoi ils ont fait annuler ces élections.
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Le Finistère du 13.05.1893 :
Au conseil d’État. - Les élections municipales du Finistère
À la suite des élections municipales du 1er mai 1892, on sait qu'un assez grand nombre de réclamations avaient été adressées au Conseil de préfecture du Finistère. Plusieurs d'entre elles ont été portées ensuite jusqu'au Conseil d’État.
Les élections sur lesquelles la haute assemblée administrative était appelée à se prononcer sont celles de Pluguffan, Ergué-Gabéric, Penhars (2e tour de scrutin), Spézet, Tréflez et Plabennec ...
L'élection d'Ergué-Gabéric a été la première soumise aux délibérations de la section du contentieux du Conseil d’État.
L'arrêt a été prononcé dans l'audience du 5 mai. Conformément aux conclusions du commissaire du Gouvernement, le Conseil d’État a réformé l'arrêté du Conseil de préfecture qui avait rejeté les protestations, et faisant droit à ces protestations, a prononcé l'annulation de l'élection.
Voici, du reste, les passages essentiels de l'arrêt :
Le conseil d’État (section temporaire du Contentieux),
Vu la reqête, etc.
Ouï M. Tardieu, auditeur, commissaire du Gouvernement, en ses conclusions,
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'enquête à laquelle il a été procédé devant le Conseil de préfecture, qu'il a été tenu en chaire, par un des vicaires de la paroisse d'Ergué-Gabéric, huit jours avant le scrutin, des propos de nature à influencer les électeurs et à porter atteinte à la liberté de leur vote ; que, par suite, c'est à tort que le Conseil de préfecture a refusé d'annuler les opérations électorales ;
Décide :
Article 1er. - L'arrêté susvisé du conseil de préfecture du Finistère, en date du 4 juillet 1892, est annulé.
Article 2. - Les opérations électorales qui ont eu lieu le 1er mai 1892 dans la commune d'Ergué-Gabéric, pour le renouvellement du conseil municipal, sont annulées.
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La Dépêche de Brest du 16.05.1893 :
Au Conseil d’État
Les élections municipales de Pluguffan, de Tréflez et d'Ergué-Gabéric
Le conseil d’état, saisi de pourvoi contre des arrêts du conseil de préfecture relatifs aux dernières élections municipales dans le Finistère, a rendu vendredi son arrêt dans les deux affaires des élections de Pluguffan et de Tréflez. Ces deux arrêts confirment les arrêts rendus précédemment par le conseil de préfecture et prononçant l'annulation des opérations électorales pour cause d'ingérence du clergé dans la lutte électorale.
Les élections d'Ergué-Gabéric
Dans une précédente audience, le 5 mai, le conseil d’État, statuant sur un pourvoi formé contre un arrêt du conseil de préfecture qui avait rejeté des protestations formulées contre les élections d'Ergué-Gabéric, avait rendu l'arrêt suivant :
Le conseil d’État,
Vu, etc.
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'enquête à laquelle il a été procédé devant le Conseil de préfecture, qu'il a été tenu en chaire, par un des vicaires de la paroisse d'Ergué-Gabéric, huit jours avant le scrutin, des propos de nature à influencer les électeurs et à porter atteinte à la liberté de leur vote ; que, par suite, c'est à tort que le Conseil de préfecture a refusé d'annuler les opérations électorales ;
Décide :
Article 1er. - L'arrêté susvisé du conseil de préfecture du Finistère, en date du 4 juillet 1892, est annulé.
Article 2. - Les opérations électorales qui ont eu lieu le 1er mai 1892 dans la commune d'Ergué-Gabéric, pour le renouvellement du conseil municipal, sont annulées.
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