Un grand mariage breton à Squividan, Le Petit Journal et Finistère 1892 - GrandTerrier

Un grand mariage breton à Squividan, Le Petit Journal et Finistère 1892

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Catégorie : Journaux
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§ E.D.F.

Où il est question d'un grand mariage unissant deux familles de tradition républicaine, la mariée étant fille d'un agriculteur républicain du village de Squividan, avec 600 invités au repas de noce, le tout relaté dans le grand quotidien français « Le Petit Journal » [1], le journal local républicain « Le Finistère » [2] et dans le journal catholique « Le Courrier de la Cornouaille ».

Autres lectures : « Louis Guyader (1842-1920) de Squividan, agriculteur républicain » ¤ « Ur trakt evit votadegoù e 1883-84 » ¤ « 1900 - Demande préfectorale de déclassement du recteur par trois républicains » ¤ « 1896 - Felix Faure remet la médaille d'honneur agricole à Alain Le Berre de Kerellou » ¤ « 1883-1885 Construction de l'école des garçons au Bourg » ¤ « François et Louise Bothorel, instituteurs de 1890 à 1895 » ¤ 

[modifier] 1 Présentation

La relation de l'évènement est publiée sous forme de dépêche en page 3 du numéro du 8 novembre 1892 du « Petit Journal » [1] sous le titre « Un mariage breton ».

Le marié est Jean Le Crane, fils de Michel. Son père est maire de Beuzec-Conq, et il le sera également, poursuivant le combat pour l’ouverture d'une école laïque dans sa commune.

La mariée est Perrine Guyader, fille de Louis [3]. Son père est agriculteur et marchand de bois à Squividan en Ergué-Gabéric. Il est connu pour ses positions politiques  : en 1884 et en 1892 il se présente sans succès aux élections municipales comme tête de liste du parti républicain. En 1883-84 un tract rédigé en breton par la liste des conservateurs conduite par Hervé Le Roux de Mélennec le présente de façon ironique sous son surnom Louis Squividan. En 1900 il cosigne une lettre au préfet dans laquelle les républicains dénoncent l'attitude du recteur qui pressurise les familles pour qu'elles inscrivent leurs filles dans son école privée.

Le mariage a lieu à Squividan et au bourg d'Ergué-Gabéric : 600 personnes invitées : « À l'heure du repas, la plupart ont trouvé place dans les salles de l'école communale, où de longues tables avaient été dressées pour la circonstance ». Et la fête est très appréciée : « Pendant toute l'après-midi, les gavottes et les jabadaos se sont succédé dans la cour de l'école, si admirablement placée au sommet d'une colline qui domine les environs de Quimper. Impossible de souhaiter un cadre plus pittoresque à cette fête comme on en voit peu.  », et se prolonge tard dans la nuit.

Autant les journaux parisiens (Le Petit Journal) et républicains (Le Finistère) font l'éloge des familles des mariés, autant un journal très catholique comme « Le Courrier de la Cornouaille » ne manque de critiquer le déroulement de ce mariage et la personnalité du père de la mariée [4].

Le surnom du père républicain fait l'objet de moquerie : « Dour-Kloar » ou "eau tiède". Cet épithète relevait sans doute le flegme de l'homme politique qui recherche les compromis, et aussi, pour ses ennemis, son sens des affaires troubles. En tous cas, ses torts sont les suivants : « il est allé tout simplement demander à l'instituteur de lui prêter, pour une semaine, les locaux des écoles communales de garçons et filles d'Ergué-Gabéric. » ; « à la noce il y avait peu de paysans et trop de citadins. »

  Et le journaliste de finir son billet par une évocation d'une fable connue : « Il n'y a plus qu'à enlever les plaques qui ornent les portes d'entrée de nos écoles communales et les remplacer par cet écriteau un peu naturaliste mais beaucoup plus vrai : ICI L'ON DANSE !  ».

Le préfet Victor Proudhon [5] et son épouse sont de la fête, ainsi que le député Louis Hémon, et de nombreuses personnalités. D'après la dépêche, le clou de la fête est la robe de la mariée : « La toilette de la mariée, à la gracieuse mode de Quimper (robe en satin blanc garnie de velours blanc, brodée d'argent, tablier, souliers de même, coiffe en dentelle) a coûté près de 2,000 francs.  ». Quand on sait que pour avoir l'équivalence en francs de l'an 2000 il faut multiplier les francs de 1892 par 20, on peut noter l'importance de la dépense.

Le lendemain les pauvres sont invités pour un repas à la ferme de Squividan : 150 selon le Finistère, le double pour le Petit Journal :

  • « Suivant l'usage traditionnel, l'épousée les a servis elle-même. On a tué un bœuf à cette occasion » ;
  • « Suivant l'excellente tradition bretonne, M. Guyader avait voulu que les pauvres eussent leur part des réjouissances. Lundi matin, 150 indigents se sont assis à la table hospitalière de Squividan, et l'on peut croire qu'ils n'ont pas été les moins sincères dans le concert des souhaits de bonheur adressés aux jeunes mariés.. »
Repas de noces, Olivier Perrin, Breiz Izel, t3
Repas de noces, Olivier Perrin, Breiz Izel, t3

[modifier] 2 Le Petit Journal

Un mariage breton

(Dépêche de notre correspondant).
Quimper, 7 novembre.

Aujourd’hui même on célèbre à Ergué-Gabéric, commune située à une lieue et demie de Quimper, un grand mariage suivant notre bonne vieille mode bretonne, entre deux riches familles de cultivateurs.

M. Jean Le Crâne, fils du maire de Beuzec-Conq, épouse Mlle Perrine Guyader, dont le père est un des représentants distingués de l'agriculture finistérienne, lauréat dans maints concours.

Le nombre des invités s'élève à environ six cents.

Trois cents pauvres se sont donnés rendez-vous à la ferme de la mariée. suivant l'usage traditionnel, l'épousée les a servis elle-même. On a tué un bœuf à cette occasion.

La toilette de la mariée, à la gracieuse mode de Quimper (robe en satin blanc garnie de velours blanc, brodée d'argent, tablier, souliers de même, coiffe en dentelle) a coûté près de 2,000 francs.

Le préfet du Finistère et Mme Proudhon [5] ont dû assister à la noce.

 
Le Petit Journal, 8 novembre 1892
Le Petit Journal, 8 novembre 1892

[modifier] 3 Le Finistère

Ergué-Gabéric - Lundi dernier, la commune était en fête, à l'occasion d'un mariage qui rapprocha deux des familles rurales les plus considérables et les plus justement estimées de notre pays.

M. Jean Le Crâne, fils de l'excellent maire de Beuzec-Conq, éppusait Mlle Perrine Guyader, fille de M. Louis Guyader, l'agriculteur si connu par la razzia de récompenses qu'il fait dans tous les concours.

Près de six cents invités se trouvaient assemblés au bourg d'Ergué-Gabéric pendant cette journée : c'est dire combien elle a été abimée et fructueuse pour le commerce local. Courses de chevaux, courses d'hommes, danses bretonnes, avaient attiré en outre une foule de curieux dont la ville de Quimper a fourni sa bonne part.

Une autre cause d'attraction était le spectacle des costumes féminins, qui offrent une si rare variété dans notre arrondissement. Plusieurs ont fait sensation lundi.

Mais on a surtout admiré le goût et la richesse de la toilette de la mariée, toute en satin blanc, relevé de broderies d'or fin.

C'est du coupé de M. le préfet [5] que Mlle Guyader est descendue pour faire son entrée à l'église. Une longue file de voitures précédaient ou suivaient la sienne, formant sur la route de Squividan au bourg un cortège du plus pittoresque effet.

Les ressources du bourg d'Ergué-Gabéric sont restreintes : ce n'était pas une petite affaire d'y recevoir et d'y héberger tant de visiteurs à la fois. À l'heure du repas, la plupart ont trouvé place dans les salles de l'école communale, où de longues tables avaient été dressées pour la circonstance. Citons au nombre des convives : M. Proudhon, préfet du Finistère, et son chef de cabinet ; M. L. Hémon, député ; MM. Jaouen et Bonduelle, conseillers généraux ; MM. Roulland et Diligeart, conseillers d'arrondissement ; M. Laurent, président du tribunal de commerce ; M. Le Floc'h, président de la Société d'Agriculture, etc. , etc. Le Cercle républicain, dont M. Guyader fait partie, était représenté par presque tous ses membres. Enfin, un assez grand nombre de dames de Quimper avaient tenu à prendre place dans cette réunion cordiale, dont M. et Mme Guyader faisaient fort gracieusement les bonheurs.

Pendant toute l'après-midi, les gavottes et les jabadaos se sont succédé dans la cour de l'école, si admirablement placée au sommet d'une colline qui domine les environs de Quimper. Impossible de souhaiter un cadre plus pittoresque à cette fête comme on en voit peu.

 
Le Finistère, 10 novembre 1892
Le Finistère, 10 novembre 1892

L'heure de la séparation a sonné tard, très tard, de jour-là. Mais la fête n'était point finie : elle s'est continuée mardi à Ergué-Gabéric, pour recommencer mercredi et jeudi à Beuzec-Conq, au domicile du nouvel époux.

Suivant l'excellente tradition bretonne, M. Guyader avait voulu que les pauvres eussent leur part des réjouissances. Lundi matin, 150 indigents se sont assis à la table hospitalière de Squividan, et l'on peut croire qu'ils n'ont pas été les moins sincères dans le concert des souhaits de bonheur adressés aux jeunes mariés.

[modifier] 4 Le Courrier de la Cornouaille

À un autre bout du département, il vient de se passer un fait encore plus grave.

M. Guyader, Dour-Klouar [6] pour ses amis, cultivateur à Ergué-Gabéric, mariait sa fille lundi dernier, avec le fils du maire de Beuzec-Conq. C'est très heureux pour un père de marier sa fille et nous offrons aux jeunes époux toutes nos félicitations : qu'ils soient heureux et qu'ils aient beaucoup d'enfants.

Mais Dour-Klouar [6] n'est pas un homme comme tout le monde : c'est un gros et riche opportuniste, ami de M. Hémon et du Préfet, « lauréat dans maints concours » comme disait mardi un journal parisien qui a bien voulu s'occuper de cette grandissime noce.

Or Dour-Klouar [6] ne pouvait pas faire la noce de sa fille comme tout le monde.

Et il est allé tout simplement demander à l'instituteur [7] de lui prêter, pour une semaine, les locaux des écoles communales de garçons et filles d'Ergué-Gabéric.

M. l'instituteur [7], sachant que M. le Préfet et M. Hémon devait venir à la noce, s'est empressé d'écrire à M. Dreux pour lui demander l'autorisation.

Et M. Dreux qui danse sans doute le rigodon aussi bien qu'il chante la Marseillaise a retourné la lettre à l'instituteur avec ces simples mots, sans cachet ni autre signe administratif : « Approuvé. - Dreux. »

La noce Dour-Klouar [6] s'est donc faite à l'école communale lundi dernier ; depuis le mercredi 2 novembre, l'école avait été déménagée et les élèves étaient employés à tresser des guirlandes de fleurs pour décorer les salles !

§ La cour a été en partie dépavée !

Voilà à quoi servent les locaux scolaires, bâtis avec l'argent des contribuables pour y instruire la jeunesse.

Il n'y a plus qu'à enlever les plaques qui ornent les portes d'entrée de nos écoles communales et les remplacer par cet écriteau un peu naturaliste mais beaucoup plus vrai :

ICI L'ON DANSE !

 
Courrier de la Cornouaille, 12 nov 1892
Courrier de la Cornouaille, 12 nov 1892

[modifier] 5 Annotations

  1. Le Petit Journal est un quotidien parisien républicain et conservateur, fondé par Moïse Polydore Millaud, qui a paru de 1863 à 1944. A la veille de la guerre de 1914-18, c'est l'un des quatre plus grands quotidiens français d’avant-guerre, avec Le Petit Parisien, Le Matin, et Le Journal. Il tire à un million d'exemplaires en 1890, en pleine crise boulangiste. [Ref.↑ 1,0 1,1]
  2. Le Finistère : journal politique républicain fondé en 1872 par Louis Hémon, bi-hebdomadaire, puis hebdomadaire avec quelques articles en breton. Louis Hémon est un homme politique français né le 21 février 1844 à Quimper (Finistère) et décédé le 4 mars 1914 à Paris. Fils d'un professeur du collège de Quimper, il devient avocat et se lance dans la politique. Battu aux élections de 1871, il est élu député républicain du Finistère, dans l'arrondissement de Quimper, en 1876. Il est constamment réélu, sauf en 1885, où le scrutin de liste lui est fatal, la liste républicaine n'ayant eu aucun élu dans le Finistère. En 1912, il est élu sénateur et meurt en fonctions en 1914. [Ref.↑]
  3. Louis Guyader, alias Louis Squividan, est né le 10.02.1842 à Ergué Armel, marié à Jeanne Laurent en 1871, décédé le 25.04.1920 à Squividan en Ergué-Gabéric. Il est cultivateur à Squividan, et en 1871-72 il est aussi déclaré comme marchand de bois. En 1884 et en 1892 il se présente sans succès aux élections municipales comme tête de liste du parti républicain. [Ref.↑]
  4. Information et document communiqués par Pierrick Chuto, passionné d'histoire régionale, auteur de nombreux articles (Le Lien du CGF, La Gazette d'Histoire-Genealogie.com ... ) et de livres sur les pays de Quimper et du Pays bigouden : § [ses publications] . La dernière parution est « Bien-aimée Marie-Anne avec de belles lettres d'amour de son arrière-grand-père à sa promise. [Ref.↑]
  5. Victor Proudhon, préfet du finistère du 23 février 1890 jusqu'à septembre 1897. Il fut sous préfet à Saint-Dié-des-Vosges. Quant à la date de nomination comme préfet d'Indre-et-Loir, les biographes hésitent entre le 13.09.1897 et le 05.10.1884. [Ref.↑ 5,0 5,1 5,2]
  6. Dour Klouar : eau tiède en breton. [Ref.↑ 6,0 6,1 6,2 6,3 6,4]
  7. L'instituteur, directeur de l'école des garçons du bourg, était François Bothorel, né le 9 novembre 1863 à La Feuillée. Il est Instituteur de la classe unique des garçons de l'école communale de Lestonan de mars 1889 à février 1890, puis directeur de l'école des garçons du bourg jusqu'au moins 1895. Il sera ensuite nommé à Commana, Scrignac, Plomodiern, La Forêt-Fouesnant. Il décède en janvier 1936 à Foret-Fouesnant « des suites d'une longue maladie ». [Ref.↑ 7,0 7,1]


Thème de l'article : Revue de presse

Date de création : Avril 2011    Dernière modification : 5.07.2015    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]