Sant Friard
Un article de GrandTerrier.
1 Fiche signalétique
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2 Almanach
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3 Sources
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4 Iconographie |
5 Monographies
CEF/Nominis :
Saint Friard et Secondel
(+ 573)
Ermites fêtés au diocèse de Nantes. Tout ce que nous savons d'eux, nous le tenons de saint Grégoire de Tours, leur contemporain. Friard était un jeune paysan de la région nantaise, résolu de se consacrer tout à Dieu. Après avoir passé quelques années à cultiver la terre, objet tout à la fois des espiégleries de ses compagnons de travail et objet de leur secrète admiration, il se retira dans une île de la Loire, devenu l'actuel bourg de Besné. Un abbé, Sbaudus et un diacre, Secondel, se joignirent à lui. Sabaudus effrayé par l'austérité de saint Friard les abandonna bientôt. Saint Secondel resta mais ne tarda pas à mourir dans les bras de son maître spirituel. Quand, à son tour, saint Friard sentit venir la mort, il fit appeler l'évêque, mais celui-ci était retenu par une affaire importante. Il pria donc son ami d'attendre un peu pour mourir. Saint Friard s'exécuta de bonne grâce et attendit l'arrivée de l'évêque pour s'endormir dans le Seigneur. La paroisse de Besné conserve et honore leurs reliques.
Vie des Saints d'Albert Le Grand :
LA VIE DE SAINT FRIARD
Moyne reclus, Confesseur, le premier jour d'Aoust.
Saint Friard, parfait modelle de simplicité & innocence, Patron des Laboureurs & Vignerons, nasquit en la Paroisse de Besné, au Diocèse & Comté de Nantes, en Bretagne Armorique, environ l'an de grace 511, sous le Pontificat de saint Symmachus & l'Empereur Anastase I, regnant en Bretagne Armorique le Roy Hoël II du nom. Ses parens estoient pauvres Laboureurs, neanmoins gens de bien & craignans Dieu, lesquels luy apprîrent sa croyance, l'accoustumans, dés son enfance, à frequenter l'Eglise, assister devotement au service divin, entendre les Prédications, &, quand il fut en âge, frequenter les Sacremens de Penitence & de l'Eucharistie. Estant devenu grand & ne sçachant point de métier, il se mit à labourer la terre pour gagner son pain à la sueur de son visage, &, lors qu'il estoit à sa tasche, la beche ou la pelle en main, il prioit continuellement Dieu, repetant quelques versets des Pseaumes qu'il avoit appris par cœur, s'en servant comme d'Oraison jaculatoire, &, l'heure du déjeuné, disné & goûté estant venuë, au lieu que les autres employoient ce temps à rire, gausser & faire bonne chere, il prenoit sobrement sa refection, puis se retiroit en quelque coin du champ, &, se jettant à genoux, prioit Dieu de grande affection, avec larmes & soûpirs. Jamais la fatigue du labeur ne luy fit transgresser les jeusnes commandez de l'Église, outre lesquels, il en observoit plusieurs autres, se contentant le plus souvent, de gros pain & d'eau froide. Il gardoit presque un continuel silence, s'occupant interieurement avec Dieu, qui luy parloit au plus profond de son cœur, n'ouvrant la bouche que pour loüer Dieu, ou reprendre ses compagnons, s'il leur eschappoit quelque parole ou action indigne de Chrestiens.
II. Il estoit sur tout soigneux de conserver la pureté de son corps, aussi-bien que celle de son Ame ; jamais il ne pût estre induit à chose qui la soüillast, &, lorsque les autres jeunes laboureurs, que sa profession l'obligeoit de hanter, disoient quelques paroles, ou faisoient quelques actions lascives, il ne le pouvoit endurer, sans les reprendre aigrément ; &, s'ils ne vouloient desister, il les quittoit là & se retiroit au logis, aimant mieux perdre le salaire de ses journées (comme Joseph son manteau), que de contaminer la pureté de son Corps, ny de son Ame. Les autres Laboureurs, considerans les déportemens & façons de faire de Friard, bien éloignées des dissolutions de ces rustiques, se mocquoient de luy & le jugeoient fol ; dont ce Saint estoit extremément joyeux & remercioit Dieu de la faveur qu'il luy faisoit de permettre qu'il fust ainsi méprisé, d'autant qu'il jugeoit que l'humilité se conserve parmi les mépris & affronts, comme le feu sous la cendre ; mais Dieu voulut manifester à ces moqueurs la Vertu & Sainteté de son Serviteur, car, estans, un jour, tous ensemble en un champ occupez à couper & scier du bled, ils marcherent sur des exains de grosses guespes ou freslons, lesquels s'éleverent en l'air & commencerent à leur mener telle guerre & les piquer si serré, qu'ils furent contraints de quitter leur besogne & de s'en fuïr, disans par derision & moquerie : "Or sus, Fraird, toy qui fais tant de signes de Croix, que tu ne les peux compter, & sur tes yeux & sur tes aureilles & sur ta bouche, que ne t'approches-tu pour chasser ces bestioles importunes, par tes Patenostres & Oraisons ?" L'heureux Saint, extremément mary de ce que ce discours tournoit au mépris de la puissance de Dieu & de la vertu du signe de la Croix & de l'Oraison, les reprît de leur impiété, &, ayant fait sa priere, les genoux en terre, leur sit : "Or çà, suivez-moi & retournons à notre labeur, car ces mouches ne nous nuiront plus." Et estant arrivé au lieu où estoit cette nuée de guespes, il fit le signe de la Croix, et dist : "Adjutorium nostrum in nomine Domini, qui fecit cœlum et terram", &, tout incontinent, elles se retirerent en un trou dans la terre, sans plus en sortir ; ce que voyans les autres Laboureurs, ils reconnûrent leur faute & furent, désormais, plus sobres & retenus à se mocquer de luy, admirans la vertu divine de ce sien serviteur.
III. Estant monté, une fois, en un haut arbre pour l'esbrancher & émonder, la branche sur laquelle il étoit porté se rompit : ce que voyant, il se recommanda à Dieu, disant : "Jesus-Christ, Tout-Puissant, sauvez-moy !" Il tomba du haut de l'arbre en bas, mais de branche en branche, de sorte qu'il se trouva sur ses pieds, &, en actions de graces, dist : "Adjutorium nostrum.."etc., mots qu'il avoit toûjours en la bouche, &, raisonnant à par soy, commença à philosopher ainsi rustiquement (quoiqu'utilement) et dire : "Si cela est, que la seule invocation du nom de Jesus-Christ et l'application du signe de sa sainte Croix, m'ont préservé d'un si grand danger, que tarday-je parmy les tracas du monde ? A quoy me sert le peu de commoditez que j'amasse avec tant de peine et risque de mon salut ? Non, non, c'est trop tardé, je me veux donner du tout à Dieu, & passer le reste de mes jours à son service." C'étoit l'an 564, que la ville de Nantes, estant détenuë par les François depuis la mort du comte Connobert, tué en bataille par le Roy Clotaire, tout le Comté Nantois pillé & couru par l'Armée de Bretagne (laquelle épioit les occasions de reprendre Nantes), servoit de theatre où se joüoient, tous les jours, de sanglantes tragédies, entre les deux parties & nations, lors qu'ils se rencontroient par la campagne. Saint Friard, lassé de voir tant de miseres, quitta la maison de ses parens, &, s'estant associé un jeune Diacre, nommé Secondel, & un certain, nommé Sabaudus (qui avoit esté domestique de Clotaire, Roy de France, &, aprés sa mort, s'estoit rendu Moyne & étoit devenu Abbé de son Monastere, mais, desireux de plus grande retraite & solitude, estoit venu à Nantes trouver saint Felix, &, par son conseil, s'étoit adressé à saint Friard), il se retira en une Isle dans la riviere de Loyre, où, ayant édifié quelques Cellules & un Oratoire, ils commencerent à mener une vie fort austere & penitente, où l'Abbé Sabaudus ne demeura gueres, mais s'en retourna en son Monastere, où, peu aprés, il fut assassiné pour quelques causes occultes.
IV.Saint Friard & Secondel persevererent fermes & constans en leur resolution, menans, en ce lieu, une vie plus d'Anges que d'hommes, assistez & secourus des aumônes & charitez que saint Felix, Evêque de Nantes, leru envoyoit : ils demeuroient chacun en sa Cellule, separez & éloignez, quelque peu, l'un de l'autre, passans les jours & les nuits en prieres & meditations. L'ennemy du genre humain, envieux de leur felicité, ne les laissa pas long-temps sans les separer par un étrange stratagême : Car, une nuit que le Diacre Secondel estoit au plus fort de son Oraison, Dieu permît que le diable luy apparut, déguisé en Ange de lumière, & luy dit : "Sçaches que je suis Jesus-Christ, celuy que tu sers si fidellement, & à qui tu adresses le sacrifice de tes Oraisons, qui te daigne visiter pour te faire goûter, par avance, du contentement de mes éleus & t'asseurer que je t'ay écrit au livre de vie & mis au rang de mes élûs ; mais, afin que tu profites à plusieurs, quitte cette solitude, sors de cette Isle & va prescher mon peuple, & j'authoriseray ta mission par operation de miracles, & rendras la santé à tous malades." Ayant dit cela, il disparut. Secondel, croyant que cette revelation fust de Dieu, quitte son Hermitage, &, sans rien communiquer à S. Friard, sortit de l'Isle, passa en la grande terre, & se mit à prescher & converser parmy le monde, faisant de grandes œuvres, de sorte qu'il estoit suivy, honoré & reputé pour un grand Saint. Quelque temps aprés, tout ravy d'aise de se voir si bien venu parmy le peuple, il repassa en l'Isle pour voir saint Friard, luy faire part de ses bonnes nouvelles & luy persuader de quitter sa solitude, comme luy, & converser parmy le monde. Le saint Hermite, le voyant tant décontenancé & comme secularisé, & ne sçachant bonnement ce qu'il vouloit dire, Secondel, le prévenant, luy raconta tout ce qu'il avoit fait & la révelation qu'il avoit euë. Alors, saint Friard se mit à déplorer le malheur de ce pauvre abusé, & luy dit, en pleurant : "Helas ! mon Frere, ça esté le diable qui vous a seduit & trompé ; retournez-vous-en en vostre Cellule, faites penitence de vostre faute, & priez Dieu de vous la pardonner, & vous assister, de peur que l'ennemy ne vous séduise de rechef." Secondel, touché des paroles de saint Friard, se jetta à ses pieds, avoüant sa legereté & la faute qu'il avoit faite de n'avoir conferé de sa vision, avant d'y ajouster foy, le suppliant de prier Dieu qu'il luy pardonnast sa faute ; saint Friard le releva & le consola, luy disant : "Mon Frere, prions tous deux, & j'espere que Dieu, qui ne veut point la mort du pecheur, mais qu'il se convertisse & fasse penitence, nous accordera nostre requeste."
V. Ils se retirerent chacun en sa Cellule & se mîrent en prieres. Cependant, le diable, bien mary d'avoir perdu sa proye, & que Secondel s'estoit reconnû, luy apparut en même forme que l'autre fois, &, d'un visage severe, luy dit : "Comment as-tu esté si hardy que de desobeïr à mes commandemens ? Ne t'avois-je pas commandé de sortir & converser parmy mon peuple pour l'instruire & le guerir de ses infirmitez ?" Alors, Secondel, connaissant que c'estoit Sathan, luy respondit : "Je connais en effet que tu es l'ennemy du genre humain, & non celuy que tu dis estre, qui cherche à perdre & ruïner les Ames, & non à les guérir & medicamenter ; au reste, si tu veux que je croye que tu es Jesus-Christ, imprime sur ton front le signe adorable de la Croix, en laquelle le même Jesus-Chrsit a enduré la mort pour notre Redemption." &, disant cela, il fit le signe de la Croix, & le diable disparut. Mais il ne tarda gueres à s'en venger ; car, quelques jours aprés, il s'en vint en sa Cellule, accompagné d'une troupe de Démons, &, le trouvant en Oraison, il le battit tellement, qu'il le laissa demy mort, tout soüillé & veautré dans son sang ; ce fut le dernier effort du Diable contre luy ; car il ne l'inquieta plus, mais le laissa en paix ; &, aprés avoir perseveré, plusieurs années, en sa profession, mourut saintement, auparvant saint Friard. Son corps fut inhumé en ladite Eglise de Besné, où Dieu a fait de smiracles par son intercession, & est l'un des Patrons de ladite Paroisse, où on en fait la feste le 29 Avril.
VI. Saint Friard, ayant ensevely Secondel, s'en retourna en son Hermitage, continuant ses exercices de pieté & la rigueur de sa penitence. Se promenant, un jour, par l'Isle, il trouva que la violence de la tempeste avoit rompu une branche d'arbre, laquelle il prît et s'en servit de baston plusieurs années, &, lorqu'il fut devenu tous sec & aride, il le planta en terre, l'arrousant souvent d'eau, si bien qu'il prit racine, porta fleurs & fruits, &, en deux ou trois ans, devint si grand & si beau, qu'on venoit de toutes parts le voir par merveille & admiration ; mais le Saint, craignant que la vaine gloire n'eust quelque prise sur luy, l'arracha & le fit fendre & mettre en pieces. Il trouva, une autre fois, un jeune anton chargé de fleurs, que le vent avoit arraché & renversé ; il le prît, &, de sa serpe, le fit pointu par le pied et le ficha en terre, où il reprit sa vigueur, fit racines & porta, la même année des fruits. Au bruit de ces merveilles, plusieurs personnes de qualité le venoient voir en son Hermitage & se recommander à ses prieres. Il estoit déjà vieil d'âge & cassé d'austeritez, lorsque Dieu, le voulant recompenser de ses travaux, luy envoya une forte fiévre, laquelle lui fit connoistre que sa fin approchoit ; il appella quelques personnes pieuses qui le frequentoient & l'assistoient en ses necessitez, & leur dit : "Je vous supplie d'aller trouver l'Evêque Felix & luy dire, de ma part, que le temps de mon pelerinage est finy, & qu'il n'en doute aucunement" et, prédisant le jour de son decés, il ajousta : "car, Dimanche prochain asseurément, je mourray & iray joüir du repos que Dieu m'a promis, & que je le conjure de me venir voir & ne me dénier ce contentement avant de mourir."
VII. Saint Felix, se trouvant lors occupé, n'y pût si-tost aller, & manda au saint Hermite qu'il le prioit d'attendre encore quelque peu, & qu'aussi-tost qu'il auroit expedié ses affaires, il l'iroit trouver. Les messagers, estans arrivez en son Hermitage, le trouverent couché sur son grabat, si foible & debile, qu'on n'en attendoit que la fin ; il luy rapporterent la reponse de saint Felix, à quoy il ne dit rien si-non : "Levons-nous donc et attendons nostre Frere", &, disant cela, se leva, la fiévre l'ayant tout à coup quitté, au grand estonnement de toute l'assistance, qui n'eût jamais pensé qu'il deût durer une heure en vie. Saint Felix étant arrivé le Samedy, aprés disné, en l'Hermitage, alla trouver saint Friard, lequel luy dît, en l'embrassant : "O saint Prêtre ! vous avez beaucoup tardé à me venir voir ; il est temps que je m'en aille", &, disant cela, la fiévre le saisit & l'agita si fort, qu'il fut contraint de s'aller jetter sur son grabat ; &, s'étant confessé & disposé à la mort, ayant passé la nuit és saints Colloques & discours Spirituels avec saint Felix, sur le point du jour du Dimanche, premier jour d'Aoust, il rendit son heureux esprit, sa Cellule trembla, &, incontinent, uen agréable & suave odeur fut répenduë par toute la chambre. Saint Felix & ses Clercs celebrerent ses obseques & firent porter le saint Corps en l'Eglise de Besné, où il fut inhumé, & Dieu y a fait plusieurs Miracles par son Intercession ; par quoy ses saintes Reliques furent levées de terre & conservées, partie ne l'Eglise Cathedrale de Nantes, partie en ladite Eglise de Besné, qui en est fondée & l'a pour Patron.
Vies des saints de la Bretagne Armorique par Albert Le Grand (1636) - Vè édition de 1901 - Quimper