Les statues de saint Michel et la peste d'Elliant - GrandTerrier

Les statues de saint Michel et la peste d'Elliant

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Catégorie : Patrimoine
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§ E.D.F.
Tout le monde s'accorde à dire que saint Michel ne peut être honoré qu'en un lieu élevé, du fait que le saint était un archange et chef des armées angéliques, et que sa lutte contre le dragon eut lieu dans le royaume céleste (Apocalypse = "Il y eut guerre dans le ciel. Michel et ses anges combattirent contre le dragon."). Et à partir du 5e siècle nombreuses furent les apparitions du saint sur des hauteurs, notamment au Mont Gargan dans le royaume de Naples en Italie.

En France il est apparu aussi à Saint Aubert (Evêque) lui demandant de lui édifier une église (consacrée en 709) sur le mont appelé de nos jours Mont Saint Michel. On peut également citer le Menez Mikael (Mont Saint-Michel de Brasparts) en Bretagne, le Saint Michael Mount en Cornouailles et le Monte Sant'Angelo en Italie dans le massif du Premont-Gargan, ainsi que la Sacra di San Michele dans la vallée de Suse.

Mont St-Michel
Mont St-Michel

Or à Ergué-Gabéric, les points culminants ne dépassent pas la centaine de mètres, et à Kerdévot, où le saint est présent sur le calvaire, la chapelle est quelque peu enclavée dans son écrin de verdure. Quelle est la raison de la vénération du saint qui est représenté par ailleurs dans l'église paroissiale et dans deux autres chapelles ?

Notre sentiment est qu'il était localement perçu comme le symbole de la lutte contre le mal, et notamment contre la fameuse Peste d'Elliant. Certes sainte Marie, Intron Varia Kerzevot, est bien la sainte patronne qui est réputée et honorée pour avoir interrompu le fléau, mais, dans la conscience populaire du 16e (première élévation du calvaire), et du 18e siècle (restauration) saint Michel est aussi celui qui apparut au pape Grégoire Le Grand pour marquer la fin de grande Peste de Rome en l'an 590. La représentation du dragon terrassé peut être assimilée à une victoire sur le mal, le diable ou ses signes terrestres comme le fléau de la peste.

Outre le Mont-Saint-Ange italien, on peut signaler en France un certain nombre de sanctuaires dédiés à saint Michel en tant que protecteur contre les épidémies : la chapelle Saint Michel de Bertranet (Alpes-de-Haute-Provence), l'église Saint-Michel de Sospel (Alpes-Maritimes), ... Après la grande Peste Noire du 14e siècle, on a également organisé en Bretagne des pèlerinages au Mont Saint-Michel en guise de processions à la fois expiatrices et protectrices.

La peste d'Elliant par L. DUVEAU - 1849 - Musée de Quimper
La peste d'Elliant par L. DUVEAU - 1849 - Musée de Quimper

[modifier] 1 Pourquoi la peste ?

La représentation du saint sur le calvaire de Kerdévot amène les remarques suivantes qui peuvent conforter la thèse d'une relation entre l'adoration populaire portée à saint Michel et le souvenir de la peste d'Elliant :
  • La silhouette du saint sur le fût du calvaire est accompagnée de bosses ou protubérances semi-sphériques qui sont sensées rappeler les bubons de la peste. De ce fait, le calvaire de Kerdévot est généralement classifié comme une "croix de peste".
  • Enfouie au pied du calvaire de Kerdévot, une pierre en provenance du lieu Roudoubloud, frontière entre les deux paroisses d'Elliant et d'Ergué, commémore l'arrêt du fléau par la Vierge de Kerdévot et porte la trace de l'empreinte d'un bouc, représentation du diable et de la peste, très proche de la symbolique du dragon de saint Michel.
  • La facture de la statue est très simple. Le dragon est de petite taille et peu travaillé. Le saint porte une cape et une coiffure à la Jeanne d'Arc, ce qui lui donne l'allure d'un contemporain des temps médiévaux précédant la première construction du calvaire au 16e siècle. On devine aussi sous la cape une armure de côte de mailles et des genouillères grossières et érodées par les ans.
  • Les saints Michel en statue de calvaire de ce type ne sont pas légion ailleurs en Basse-Bretagne. On peut citer celui de Kerbreudeur en St-Hernin (plaque sculptée placée en bas de calvaire, cf. photo ci-dessous), de Saint-Philibert de Moëlan (il tient le dragon au dessus de sa tête), à Brasparts (il tient son épée pointe en bas sur la tête du dragon).
  • Le saint de Kerdévot ne porte pas l'épée, mais une lance aux allures de bâton maintenu sur la tête du dragon enroulé à ses pieds. Il ressemble en ce point à celui du calvaire très ancien de Kerbredeur en Saint-Hernin.
  • Il n'existe pas de représentations des saints anti-pesteux classiques comme saint Roch ni à Ergué-Gabéric, ni à Elliant, si ce n'est une statue de saint Sébastien dans l'église paroissiale d'Ergué-Gabéric, et à Elliant la chapelle de Bon-Secours était anciennement dédiée à saint Roch. Par contre saint Michel est présent sous la forme de nombreuses statues, de bannières, de vitraux dans l'église paroissiale, les chapelles St-Guénolé et St-René.
  • La statue du saint est placée du côté est du calvaire, c'est à dire face à la paroisse d'Elliant, comme faisant face et arrêtant le fléau.
Juillet 2008 - saint Michel terrassant le dragon, façade est du calvaire de Kerdévot
Juillet 2008 - saint Michel terrassant le dragon, façade est du calvaire de Kerdévot

Hormis les statues, vitraux, bannière de saint Michel à Ergué-Gabéric, le culte du saint dans le contexte de la peste d'Elliant n'a donné à aucune trace écrite. Ni les écrits de Guy Autret au 17e siècle, ni l'ancien cantique de Kerdévot daté de 1712, ni le chant collecté par La Villemarqué au 19e siècle, ni les légendes racontées par Jean-Marie Déguignet n'en font mention. Mais il est fort à parier qu'au début du 16e siècle lors de la construction du calvaire de Kerdévot l'imaginaire populaire attribuait au saint une mission de protecteur contre les fléaux.

Ce qui est plus sûr, c'est que jusqu'en 1570 existait près de Kerdévot un important prieuré de Saint Michel, au lieu-dit du Moustoir en Elliant. Cet établissement dépendait directement des moines de l'abbaye du Mont Saint-Michel. Il ne subsiste au Moustoir qu'une petite chapelle édifiée au début du 17e siècle. Mais avant 1337 l'influence du prieuré d'Elliant était très grande, localement et même jusqu'au St-Michel-en-Grève en Côtes d'Armor où le prieuré-cure était déclaré uni à celui d'Elliant. Dans ce contexte, on peut supposer que la présence de saint Michel sur le calvaire de Kerdévot est une conséquence de l'influence du prieuré sur les trèves d'Elliant.

[modifier] 2 Le saint Michel de Kerdévot

[modifier] 3 Autres statues

[modifier] 3.1 Saint Michel à Kerbreudeur en St-Hernin (29)

Saint Michel délivrant une âme des entrailles du dragon ; facture similaire à celle du calvaire de Kerdévot - Photo Gwezen Dero (cf ref. site en page de description de l'image)
Saint Michel délivrant une âme des entrailles du dragon ; facture similaire à celle du calvaire de Kerdévot - Photo Gwezen Dero (cf ref. site en page de description de l'image)

[modifier] 3.2 Les autres saints Michel d'Ergué-Gabéric

Eglise paroissiale St-Guinal
Eglise paroissiale St-Guinal
Eglise paroissiale St-Guinal
Eglise paroissiale St-Guinal
Bannière de saint Michel exposée en l'église St-Guinal
Bannière de saint Michel exposée en l'église St-Guinal
Chapelle de St-Guénolé
Chapelle de St-Guénolé
Église St-Guinal
Église St-Guinal

Au-dessous des fleurs de lys des meneaux de la maîtresse-vitre - édifiée en 1516 - de l'église paroissiale, on trouve une mosaïque d'un saint Michel terrassant le démon qui est en verre rouge très léger ; la tête du saint est du XIXe siècle (source Roger Barrie).

Église St-Guinal
Église St-Guinal
  Nota : Il existe aussi un saint Michel sur un vitrail de la chapelle St-René à Odet

[modifier] 4 Sélection de textes sur la peste d'Elliant

[modifier] 4.1 Mémoires de JM. Déguignet

Le célèbre paysan bas-breton a laissé une version explicative de la légende de peste d'Elliant dans les cahiers où ils consignaient ses souvenirs et qui furent publiés en 1998 sous le titre "Mémoires d'un paysan bas-breton" :

L'histoire, car ici il s'agit de l'histoire de la Bossen, la peste d'Elliant, fut plus terrible que la légende du tableau[1]. Cette Bossen est représentée sous la forme d'une vieille femme. Il y en a qui disent qu'elle est la Mort elle-même, d'autres disent qu'elle est la pourvoyeuse de l'Ankou qui seul a le droit de trancher le fil de la vie. N'importe, un jour, un paysan d'Elliant, en revenant de Quimper, trouve une vieille mendiante assise près du pont du Cleuziou, pont qui sépare la commune d'Ergué-Armel d'Ergué-Gabéric. Elle demanda à monter dans la charrette du paysan. Celui-ci la laissa monter et traversa avec toute la commune d'Ergué-Gabéric, mais aussitôt qu'elle fut sur le territoire d'Elliant, elle disparut sans que le paysant sût comment. Mais deux jours après, le Choléra Morbus, la peste noire, se déclara sur tous les points de la commune à la fois. Le paysan comprit alors qu'il avait amené la Bossen dans sa charrette. Cette peste dura deux mois, jusqu'à ce que presque tous les habitants de la commune furent exterminés. Ceci, c'est de l'histoire.

Cependant la Bossen, sa besogne terminée en Elliant, voulut passer en Ergué-Gabéric. Oh oui, mais la Dame de Kerdévot était là, en face, et lorsque celle-ci sut que la vieille voulait venir chez elle, elle courut vite sur le bord du ruisseau par où la mégère devait venir, et elles se rencontrèrent là, toutes deux face à face, une sur chaque bord [2]. Il paraît qu'elles durent rester là un bon moment à se disputer, car j'ai vu là les deux pierres sur lesquelles elles durent rester en équilibre chacune sur un pied. On voyait [en] effet la marque d'un petit soulier sur la pierre du côté d'Ergué-Gabéric, et la marque d'un pied de cheval sur celle du côté d'Elliant. N'importe, la Bossen dut rebrousser chemin, et la commune d'Ergué-Gabéric fut sauvée de la peste.

J'ai oublié de dire qu'en remarquant l'empreinte du pied de la Mam Doue, je songeai de suite que le maçon ou tailleur de pierre qui avait creusé cette empreinte n'avait pas pris la mesure du pied de la dame, car l'empreinte était au moins deux fois plus petite que le pied qu'on a donné à cette Mam Doue à Kerdévot.

[modifier] 4.2 Barzaz-Breizh de La Villemarqué

Le Barzaz-Breizh rassemble une centaine de chants bretons populaires collectés au 19e siècle, essentiellement en Basse-Bretagne, dont l'un qui concerne la Peste d'Elliant. Noticle bibliographique => VILLEMARQUÉ (vicomte de la) - Le Barzaz Breizh

Texte complet en breton et traduction française du chant Bosenn Eliant :

1. Tre Langolen hag ar Faouet
Ur barzh santel a vez kavet
Hag eñ Tad Rasian anvet

2. Laret en deus d'ar Faouediz :
Lakaet un oferenn bep miz
Un oferenn en hoc'h iliz

3. Aet eo ar vosenn a Elliant
Hogen n'eo ket aet hep forniant
Aet zo ganti seizh mil ha kant

4. E bro Elliant, hep laret gaou,
Emañ diskennet an Ankou
Marv an holl dud nemet daou

5. Ur c'hwregig kozh tri-ugent vloaz
Hag ur mab hepken he devoa

6. "Edi ar vosenn penn ma zi :
Pa garo Doue 'teui en ti
Ni yey 'maez pa deui", emezi

7. E kreiz Elliant, er marc'hallec'h,
Geot da falc'hat e kavfec'h

8. Nemet en hentig eus ar c'harr
A gas re varv d'an douar

9. Kriz vije 'r galon na ouelje
E bro Elliant, neb a vije :

10. Gwell't triwec'h c'harr tal ar vered
Ha triwec'h all eno tonet

11. Lec'h oa nav mab en un tiad
Aent d'an douar en ur c'harrad
Hag o mamm baour oc'h o charrat

12. O zad a-dreñv o c'hwibannat
Kollet gantañ e skiant-vat

13. Hi a yude, galve Doue
Reustlet e oa korf hag ene

14. "Lakaet ma nav mab en douar
Ha me roy deoc'h ur gouriz koar

15. A rey teir zro en-dro d'ho ti
Ha teir en-dro d'ho minic'hi

16. Nav mab em boa em boa ganet
Setu gant an Ankou int aet

17. Gant an Ankou e toull ma dor
Den da hul din ul lommig dour !"

18. Leun er vered rez ar c'hleunioù
Leun an iliz rez an treuzoù

19. Ret eo benniget ar parkoù
Da lakaat enno ar c'horfoù

20. Me wel er vered un dervenn
Hag en he beg ul liñser wenn
Aet an holl dud gant ar vosenn

 

1. Entre Langolen et Le Faouët,
habite un saint Barbe,
qu'on appelle Père Rasian ;

2. Il a dit aux homme du Faouët :
Faites célébrer chaque mois une messe,
une messe dans votre église.

3. La peste est partie d'Elliant,
mais non pas sans fournée :
elle emporte sept mille cent âmes !

4. En vérité, la Mort est descendu dans le pays d'Elliant,
tout le monde a péri,
hormis deux personnes,

5. Une pauvre vieille femme de soixante ans
et son fils unique?

6. "La peste est au bout de ma maison, disait-elle ;
quand Dieu voudra elle entrera ;
lorsqu'elle entrera, nous sortirons."

7. Sur la place publique d'Elliant,
On trouverait de l'herbe à faucher,

8. Hormis dans l'étroite ornière de la charrette
qui conduit les morts en terre.

9. Dur eût été le coeur qui n'eût pas pleuré,
au pays d'Elliant, quel qu'il fût,

10. En voyant 18 charrettes pleines à la porte du cimetère
Et dix-huit autres y venir.

11. Il y avait neuf enfants dans une même maison,
un même tombereau les porta en terre,
et leur pauvre mère les traînait.

12. Le père en sifflant les suivait...
il avait perdu la raison.

13.Elle hurlait, elle appelait Dieu,
elle était bouleversée corps et âmes ;

14. "Enterrez mes neufs fils
et je vous promets un cordon de cire

15. Qui fera trois fois le tour de votre église
et trois fois le tour de votre asile.

16. J'avais neuf fils que j'avais mis au monde,
et voilà que la Mort est venue me les prendre,

17. Me les prendre sur le seuil de ma porte ;
plus personne pour me donner une petite goutte d'eau !"

18. Le cimetière est plein jusqu'aux murs ;
l'église pleine jusqu'aux degrés ;

19. Il faut bénir les champs
pour enterrer les cadavres.

20. Je vois un chêne dans le cimetière,
avec un drap blanc à sa cîme :
la peste a emporté tout le monde.

[modifier] 5 Annotations

  1. Il s'agit de la légende du retable de Kerdévot. Cf Retable flamand de Kerdévot [Ref.↑]
  2. La tradition rapporte que le lieu en question est à Roudoubloud et que la pierre de la rencontre fut rapportée au pied du calvaire de Kerdévot. Cf. enquête d'Antoive Favé => À propos d'une pierre commémorative de la peste d'Elliant [Ref.↑]


Thème de l'article : Richesses du patrimoine communal.

Date de création : juillet 2008    Dernière modification : 1.11.2014    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]    Source : informations précieuses fournies par Maëlle De Villoutreys[3], notamment sur la statuaire du saint Michel de Kerdévot