Les sagesses antiques de Jean-Marie Déguignet et de Michel Onfray - GrandTerrier

Les sagesses antiques de Jean-Marie Déguignet et de Michel Onfray

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Le nombre des auteurs antiques cités par Jean-Marie Déguignet dans la dernière partie de son livre des « Mémoires d'un paysan bas-breton » est remarquable pour un ancien illettré : Epictète (13), Socrate (12), Lucrèce (8), Diogène (8), Platon (3), Epicure (1), Pythagore (1).

Dans l'édition de 2001, ce n'est pas un hasard si le titre choisi pour cette période de 1901 à 1905 est « Le Diogène quimpérois ». Celui qui osait se présenter ainsi : « Je suis un philosophe stoïcien, plus stoïcien sans doute qu'aucun de ceux qui se donnaient ce nom au temps de Diogène et d'Epictète ».

Il nous semble intéressant de faire un parallèle avec un philosophe d'aujourd'hui, Michel Onfray, dont les premières conférences « Les sagesses antiques » ont été publiées chez Grasset en 2006.

Autres lectures : « Espace Déguignet » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Mémoires d'un Paysan Bas-Breton » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ 

1 Présentation

Jean-Marie Déguignet, autodidacte à tous points de vue, s'est beaucoup documenté sur les philosophes antiques, avec motivation de comprendre quelles étaient les origines du Christianisme. Et on retrouve donc, surtout dans la dernière partie de ses mémoires, des citations et propos qu'il élaborait grâce à ses lectures à la bibliothèque municipale de Quimper, car il ne possédait personnellement aucun livre.

Parmi ses références, on note essentiellement trois sources : la somme « L'origine de tous les cultes » de Charles-François Dupuis [1], la traduction française du manuel d'Epictète par André Dacier [2], et la revue « Littérateur universel » de 1836 où il trouve des écrits de l’helléniste Paul-Louis Courier [3].

Socrate est souvent cité par Déguignet n'évoque que sa mort et très peu la spécificité de sa pensée : « ce peuple ignorant, abruti par les prêtres, l'injuria, l'insulta et le fit arrêter et conduire en prison et força les sénateurs, du reste aussi ignorants que lui, à condamner ce grand homme à mort, le plus grand que la Grèce ait jamais eu ».

Par contre, il se sent un peu plus en phase avec le romain de langue grecque Epictète [4]: « Epictète disait : "Que suis-je moi ? Un petit homme très malheureux ...". Tu parlais bien, mon vieux philosophe.  ». Mais il trouve tout de même qu'Epictète « chez qui on trouve toutes les maximes attribuées à Jésus, disait aussi à ses disciples qu'il fallait supporter tout avec résignation et stoïcisme ».

Malgré tout, le paysan bas-breton assume son choix : « Je suis un philosophe stoïcien, plus stoïcien sans doute qu'aucun de ceux qui se donnaient ce nom au temps de Diogène et d'Epictète ».

 

Quant à Diogène le Sinoppe, Jean-Marie Déguignet fait lui-même le parallèle sa propre situation : « Tant ma misère est grande en ce moment dans mon trou, plus petit que le tonneau de Diogène, sans feu, sans lit, sans vêtements et souvent sans pain et sans le sou ».

Du point de vue des idées, il semble que Lucrèce et son célèbre "De Natura rerum " ont le plus influencé Déguignet : « ils n'auraient eu qu'à consulter le poème De la Nature, à défaut de leur science et de leur pauvreté intellectuelle » ; « E tenebris tantis tam clarun extollere lumen qui primus postuiti, inlustrans commoda viate ».

* * *

Dans le premier tome « Les sagesses antiques » de sa « Contre histoire de la philosophie », Michel Onfray réhabilite la grande famille des philosophes hédonistes, matérialistes, épicuriens et cyniques en opposition à l'Idée Platonique.

Comme on vient de le voir, Jean-Marie Déguignet dans ses « Mémoires d'un paysan bas-breton » tenait des propos assez similaires. Lui aussi admirait Diogène, Lucrèce et Epicure. Et à l'instar d'Onfray, il abhorrait Platon et Socrate pour avoir préparé la venue du Christianisme dominant.

En tout cas, Déguignet aurait été pleinement d'accord avec Onfray quand ce dernier écrit : « Tout est bon qui conduit le philosophe dans la direction de la jubilation, si elle ne se paie pas d'une aliénation ».

Il y a quand même un point de divergence car Déguignet, tout en les critiquant, défend certaines pensées des Stoïciens, notamment Epictète, alors qu'Onfray les considère comme aussi néfastes que les platonicien et socratiques.

2 Morceaux choisis

Diogène, page 544

Je me trouve depuis dix ans logé dans un trou plus petit sans doute que le tonneau de Diogène et beaucoup plus malheureux que lorsque je mendiais mon pain de ferme en ferme.

Diogène, page 475

Depuis que je suis dans ce trou, plus petit que le tonneau de Diogène [5], quoique ce tonneau selon M. Courrier [3] n'était qu'un pot de terre, j'ai continué à écrire quand le temps me le permet ... « Sic est vitam pauperes in bace mundo  » (telle est la vie des pauvres en ce bas monde).

Diogène, page 706

Tant ma misère est grande en ce moment dans mon trou, plus petit que le tonneau de Diogène, sans feu, sans lit, sans vêtements et souvent sans pain et sans le sou, et ayant sur la conscience des insultes de misérables charlatans et fripons comme vous qui me font souffrir plus que tout le reste.

Diogène et Epictète, page 554

Je suis un philosophe stoïcien, plus stoïcien sans doute qu'aucun de ceux qui se donnaient ce nom au temps de Diogène et d'Epictète, j'en ai donné des preuves durant toute ma vie et j'en donne encore en ce moment, en me laissant condamner à mort ...

Diogène et Epictète, page 741

Le philosophe, le stoïcien, fait comme le légendaire Job, il repousse toujours dédaigneusement toutes ses tentations. Du reste, un philosophe de ma trempe doit se trouver bien partout. Diogène se trouvait le plus heureux des Athéniens alors qu'il n'avait pour logement qu'un vieux tonneau et pour tout bien qu'une sébile en bois pour boire de l'eau. Epictète, avec une jambe cassée et n'ayant pour logement qu'un trou dans un mur, était aussi le plus heureux des Romains de son temps.

Épicure et Lucrèce, page 768

« In tenebris tantis extalleri lumen qui primus postuisti, illis trans comedia vitae », disait Epicure [6]. Le seul moyen d'échapper à toutes ces misères est de posséder une forte dose de philosophie naturelle, de s'élancer en esprit dans les espaces célestes, loin de tous ces bipèdes sans plumes et sans raison.

Lucrèce et Pythagore, page 694

Lucrèce [7] et Pythagore [8] dans la métempsychose [9]
Prétendent que l'âme est aussi quelque chose
Qui passe et repasse de l'homme au végétal
Du végétal à l'homme ou autre animal.

Lucrèce, page 657

Lucrèce disait aussi que les criminels étaient toujours punis sinon par le bourreau, du moins par leur conscience, par leur conscience surtout. Mais Lucrèce ne savait pas qu'un jour viendraient des hommes, des chrétiens qui ignorent complètement ce que veut dire conscience ...

Juvénal, Lucrèce et Virgile, page 703

D'après Juvénal, Lucrèce et Virgile, c'était par là, par la conscience que les citoyens romains étaient punis, c'était elle les vrais enfers des criminels. « Hinc Achuresia fit stultorum denique vita » [10].

Lucrèce, page 800

Ces savants, qui se vantent d'être érudits, et parlent un peu de tout dans ce gros volume, semblent cependant ne pas connaître Lucrèce et son poème De la Nature, ni les œuvres des dieux, desquels ils parlent partout. S'ils avaient voulu savoir comment les premiers hommes trouvèrent le feu, ils n'auraient eu qu'à consulter le poème De la Nature, à défaut de leur science et de leur pauvreté intellectuelle.

 

Epictète, page 419

Epictète [4], de l'école des stoïciens et chez qui on trouve toutes les maximes attribuées à Jésus, disait aussi à ses disciples qu'il fallait supporter tout avec résignation et stoïcisme.

Epictète, page 452

Epictète parlant de ces divinités disait aux Romains : « Défaites-vous donc de vos dieux de boue et, pour être libres, ouvrez vos yeux à la vérité ». Mais Monsieur Dacier [2] dit dans la préface de sa traduction d'Epictète [2], qu'il est difficile aujourd'hui à l'homme de bien connaître ses devoirs d'honneur, parce que les docteurs en tout genre de servilisme ont tout brouillé.

Epictète, page 532

Epictète disait : « Que suis-je moi ? Un petit homme très malheureux et ces chairs dont mon corps est composé sont effectivement très chétives et très misérables, mais tu as en toi quelque chose de bien plus noble que ces chairs, pourquoi donc t'éloignant de ces principes si élevés t'attaches-tu à ces chairs ? Voilà la pente de presque tous les hommes et voilà pourquoi il y a parmi nous des monstres, des loups, des tigres, des pourceaux. Prends grade à toi et tâche de ne pas augmenter le nombre de ces monstres. » [2] Tu parlais bien, mon vieux philosophe.

Platon, page 654

la fable solaire, faite sur le chef de douze apôtres ou sur le héros de la légende des chrétiens, et dix huit siècles d'impostures et d'ignorance ne détruiront pas les rapports frappants qu'à cette fable avec les autres romans sacrés faits sur le soleil, que Platon appelle fils de Dieu [1].

Socrate et Platon, page 523

Quand Socrate voulut expliquer au peuple que ces dieux qu'ils adoraient n'étaient que des êtres imaginaires, ce peuple ignorant, abruti par les prêtres, l'injuria, l'insulta et le fit arrêter et conduire en prison et força les sénateurs, du reste aussi ignorants que lui, à condamner ce grand homme à mort, le plus grand que la Grèce ait jamais eu. Et lorsque Platon, son disciple, voulut parler pour le défendre, le peuple imbécile et abruti et les sénateurs lui imposèrent le silence.

Socrate et Epictète, page 664

Et je me demande si je dois me suicider lâchement sans tirer aucune vengeance de tant de misères imméritées et de tant de canailleries. La philosophie me dit que c'est ainsi que je dois mourir, laissant à la nature le soin de me venger. Tous les Stoïciens, depuis Socrate jusqu'à Epictète, recommandaient de mourir ainsi ...

Socrate, page 521

Les Grecs en avaient fait une divinité de ce monstre, le Mensonge, et c'était celle qu'on adorait le plus alors, comme aujourd'hui, et malheur alors, comme aujourd'hui, à celui qui n'adorait pas ce monstre et qui lui préférait la Vérité ; Socrate fut condamné à mort pour avoir voulu opposer la déesse Vérité à ce dieu Mensonge.

Socrate, page 559

Mélitos [11], cet agent infâme des prêtres grecs qui forma contre Socrate un complot de calomniateurs qui accusèrent le grand philosophe de ne pas reconnaître les dieux de la République, de corrompre la jeunesse et on demanda la mort pour punition de ces crimes.

Socrate et Condorcet, page 565

La mort de Socrate, dit Condorcet [12], est un évènement important dans l'histoire de l'esprit humain. Elle est le premier crime qu'ait enfanté la guerre de la philosophie et de la superstition.

Socrate, page 736

Soyez certain que je boira avec plaisir et avec autant de stoïcisme et de philosophie une bonne dose d'acide prussique que le philosophe grec Socrate but la ciguë !

3 Annotations

  1. « L'origine de tous les cultes, ou la religion universelle » de Charles-François Dupuis : Platon appelle le soleil également le fils de Dieu qu'il a engendré semblable à lui pour habiter parmi nous et pour tenir dans le monde visible le même rang que Dieu tient dans l'ordre invisible à la tête duquel est le Dieu père ou principe souverainement bon. Platon, dit Macrobe (philosophe fondateur du néoplatonisme), voulant parler du premier principe invisible à l’œil, incompréhensible à la raison, ne trouve point d'image plus parfaite du premier être que le soleil qui éclaire le monde visible, et il nous représente Dieu et son logos ou son intelligence souveraine placée au-dessus de la Nature. [Ref.↑ 1,0 1,1]
  2. André Dacier (1651-1722) : philologue français, traducteur de nombreux auteurs grecs, connu notamment par son "Nouveau manuel d'Epictète". [Ref.↑ 2,0 2,1 2,2 2,3]
  3. Paul-Louis Courier (1772-1825), s'est distingué à la fois comme helléniste et comme écrivain politique. Cité dans le « Littérateur universel  » de 1836 : « on ne connaissait point alors nos tonneaux, les cruches en tenaient lieu ; partout où vos traducteurs disent un tonneau, entendez un cruche. C'était une cruche qu'habitait Diogène. ». [Ref.↑ 3,0 3,1]
  4. Epictète (50-125 ou 130) ; philosophe latin de langue grecque, un des principaux représentants du stoïcisme latin. [Ref.↑ 4,0 4,1]
  5. Diogène de Sinope (313-v. 323 av. J.-C.) : philosophe grec de l'école du Cynisme. Entre autres exemple de sa « vie de chien » (cynos : chien), il était connu pour vivre dans un tonneau. [Ref.↑]
  6. « E tenebris tantis tam clarun extollere lumen qui primus postuiti, inlustrans commoda viate » : du fonds des ténèbres si grandes, toi le premier sus faire jaillir une si éclatante lumière, et nous éclairer sur les vrais biens de la vie (Lucrèce, De Natura Rerum, livre III, v 1-2, p 98). Il s'agit en fait de l'évocation d'Epicure par Lucrèce et non pas d'un discours d'Epicure. [Ref.↑]
  7. Lucrèce définit l'âme comme un composé atomique d'une espèce particulière incapable d'exister hors du corps, ce qui le rapprocherait de la doctrine de la métemphsychose. [Ref.↑]
  8. Pythagore croyait à la réincarnation de l'âme et prétendait avoir été successivement Aethalide (fils d'Hermès), Euphorbe, Hermotime et Pyrrhos. [Ref.↑]
  9. Métempsychose ou métempsycose, s.f. : passage, transvasement d'une âme dans un autre corps, qu'elle va animer. Le métempsycosisme est la croyance selon laquelle une même âme peut animer successivement plusieurs corps soit d'humains soit d'animaux, ainsi que de végétaux. Source : Wikipedia. [Terme] [Lexique] [Ref.↑]
  10. « Hic Achuresia fit stultorum denique vita » : enfin c'est ici-bas que la vie des sots devient un véritable enfer (Lucrèce, De Natura Rerum, livre III, v. 1023, p 141). [Ref.↑]
  11. Mélitos (470-379 av. J.-C.) : poète grec qui fit condamner le philosophe Socrate [Ref.↑]
  12. Nicolas de Condorcet (1743-1794) est un philosophe, mathématicien et homme politique français, représentant des Lumières [Ref.↑]




Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet

Date de création : Octobre 2015    Dernière modification : 23.01.2018    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]