La campagne pour l'indépendance italienne en 1859 par Jean-Marie Déguignet - GrandTerrier

La campagne pour l'indépendance italienne en 1859 par Jean-Marie Déguignet

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*Toulon : le 26e Régiment d'Infanterie y embarque le 23 mai. Jean-Marie Déguignet est en casernement dans le fort d'Ivry près de Paris lorsque son régiment va prendre le train pour Toulon. Quatre navires vont quitter la France en direction de la Toscane : le Cristophe-Couloup, le Carlo-Alberto, le Maltafano et le *Toulon : le 26e Régiment d'Infanterie y embarque le 23 mai. Jean-Marie Déguignet est en casernement dans le fort d'Ivry près de Paris lorsque son régiment va prendre le train pour Toulon. Quatre navires vont quitter la France en direction de la Toscane : le Cristophe-Couloup, le Carlo-Alberto, le Maltafano et le
-*Livourne : lieu de débarquement en Italie. + 
 +*Livourne : lieu de débarquement en Italie le 24 mai.
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 +*Florence : le 27 mai Déguignet fait son « <i>entrée triomphale dans la capitale de la Toscane</i> ». Le lendemain le frère de Napoléon III, surnommé le prince « <i>Plomb Plomb</i> », est accueilli sous les hourras.
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 +*Parme : Déguignet y arrive le 25 juin. La veille ils entendent le « <i>roulement sourd des canons</i> » de la célèbre bataille de Solférino, avant que ne se déclenche un gros orage. Le régiment (5e corps) reçoit un pli : « <i>Grande bataille, grande victoire, à demain les détails - Solférino 24 juin 1859</i> ».
*Apennins (chaîne de montagne) *Apennins (chaîne de montagne)
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*Casalmaggiore *Casalmaggiore
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-*Florence  
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*Pontrémoli *Pontrémoli
-*Solférino (bataille, Déguignet n’y participe pas) [24 juin 1859]  
*Toscane *Toscane
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Pages 623 à 631 de la Revue de Paris de février 1905. XIV LA GUERRE D’ITALIE Pages 623 à 631 de la Revue de Paris de février 1905. XIV LA GUERRE D’ITALIE
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-D’Aix, nous fîmes la route à pied jusqu’à Toulon, où nous arrivâmes le 22 mai. Là, le général Uhlrich, notre général de division, nous adressa son discours d’entrée en cam­pagne. Après nous avoir parlé météorologie et climatologie, il nous parla de la baïonnette qui était toujours l’arme ter­rible des soldats français ; il ne doutait pas un seul instant de l’énergie et du courage de ses hommes ; mais ce qu’il crai­gnait, c’est que nous puissions nous laisser entraîner par l’enthousiasme, par un trop grand élan, par la furia française, à laquelle rien ne résiste. Nous devions faire partie du 5e corps, commandé par le prince Napoléon, surnommé plus tard le prince Plonplon. Celui-là aussi nous fit un discours, mais d’un autre genre. Il dit d’abord que l’empereur l’avait appelé à l’honneur de nous commander, puis que beaucoup d’entre nous étaient ses camarades de Crimée, de l’Alma et d’Inkermann, que nous allions entrer dans le pays qui fut le berceau de la civilisation antique et de la régénération moderne, que nous allions délivrer un peuple de ses domi­nateurs, de ses éternels ennemis, qui étaient aussi les ennemis de la France ; il termina par les cris de : Vive l’empereur! Vive la France !Vive l’indépendance italienne !+D’Aix, nous fîmes la route à pied jusqu’à Toulon, où nous arrivâmes le 22 mai. Là, le général Uhlrich, notre général de division, nous adressa son discours d’entrée en cam­pagne. Après nous avoir parlé météorologie et climatologie, il nous parla de la baïonnette qui était toujours l’arme ter­rible des soldats français ; il ne doutait pas un seul instant de l’énergie et du courage de ses hommes ; mais ce qu’il crai­gnait, c’est que nous puissions nous laisser entraîner par l’enthousiasme, par un trop grand élan, par la furia française, à laquelle rien ne résiste. Nous devions faire partie du 5e corps, commandé par le prince Napoléon, surnommé plus tard le prince Plonplon. Celui-là aussi nous fit un discours, mais d’un autre genre. Il dit d’abord que l’empereur l’avait appelé à l’honneur de nous commander, puis que beaucoup d’entre nous étaient ses camarades de Crimée, de l’Alma et d’Inkermann, que nous allions entrer dans le pays qui fut le berceau de la civilisation antique et de la régénération moderne, que nous allions délivrer un peuple de ses domi­nateurs, de ses éternels ennemis, qui étaient aussi les ennemis de la France ; il termina par les cris de : Vive l’empereur! Vive la France ! Vive l’indépendance italienne !
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Pourquoi et comment le soldat Jean-Marie Déguignet participe avec le 26e RI [1]à la deuxième guerre d'indépendance italienne, pendant laquelle l’armée franco-piémontaise affronte celle de l’empire d'Autriche. L'issue de cette guerre sera la réunion de la Lombardie au royaume de Sardaigne et posera la base de la constitution du royaume d’Italie.

Autres lectures : « D. Citoyen du Monde (ex site .org) » ¤ « Jean-Marie Déguignet et sa campagne d'Algérie (1862-1865) » ¤ « La médaille de Crimée de Jean-Marie Déguignet » ¤ « La médaille de Crimée de Jean-Marie Déguignet » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Mémoires d'un paysan bas-breton - Revue de Paris » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ 

1 Deuxième guerre d'indépendance italienne

La campagne d'Italie de 1859, aussi appelée guerre d'Italie de 1859, correspondant à la deuxième guerre d'indépendance italienne [2], voit s’affronter l’armée franco-piémontaise et celle de l’empire d'Autriche. Sa conclusion permet la réunion de la Lombardie au royaume de Sardaigne et pose la base de la constitution du royaume d’Italie.

 
Les dates de réunifications italiennes
Les dates de réunifications italiennes

2 Carte et itinéraire de campagne

  • Toulon : le 26e Régiment d'Infanterie y embarque le 23 mai. Jean-Marie Déguignet est en casernement dans le fort d'Ivry près de Paris lorsque son régiment va prendre le train pour Toulon. Quatre navires vont quitter la France en direction de la Toscane : le Cristophe-Couloup, le Carlo-Alberto, le Maltafano et le
  • Livourne : lieu de débarquement en Italie le 24 mai.
  • Florence : le 27 mai Déguignet fait son « entrée triomphale dans la capitale de la Toscane ». Le lendemain le frère de Napoléon III, surnommé le prince « Plomb Plomb », est accueilli sous les hourras.
  • Parme : Déguignet y arrive le 25 juin. La veille ils entendent le « roulement sourd des canons » de la célèbre bataille de Solférino, avant que ne se déclenche un gros orage. Le régiment (5e corps) reçoit un pli : « Grande bataille, grande victoire, à demain les détails - Solférino 24 juin 1859 ».
  • Apennins (chaîne de montagne)
  • Bergame (l’unité de Déguignet y tint garnison)
  • Bologne
  • Casalmaggiore
  • Gênes
 
  • Lombardie (Déguignet y resta un an)
  • Lucques
  • Magenta (bataille, Déguignet n’y participe pas) [4 juin 1859]
  • Mantoue
  • Massa
  • Mincio (fleuve coulant au pied de Villafranca))
  • Mont Cenis
  • Peschiera
  • Pescia
  • Pietra Santa
  • Pô (fleuve)
  • Pontrémoli
  • Toscane
  • Vénétie
  • Vérone
  • Villafranca : lieu furent signé les préliminaires de paix, Jean-Marie Déguignet fit partie des troupes françaises qui se tenaient aux abords de la ville le jour de la signature de ces préliminaire).

3 Témoignages (Intégrale et Revue de Paris)

A. Entrée dans la guerre

Pages 229 à 231 de l'Intégrale des « Mémoires du paysan bas breton » parue en 2001.

Nous étions au commencement du printemps de 1859, et des bruits de guerre couraient depuis quelques temps. Déjà les Italiens étaient, disait-on, aux prises avec les Autrichiens, et cela presque sur nos frontières. C'était une belle occasion pour le sire de Badinguet [3], qui ne pouvait vivre et régner que par la force et le prestige de son armée, qu'on appelait la meilleure du monde, puisque nous avions vaincu la grande armée du tsar Nicolas devant laquelle le vainqueur des Pyramides fut obligé de battre en retraite.

Par ces bruits de guerre, nous fûmes encore envahis par une autre bande de charlatans, ceux-ci patentés et garantis par le gouvernement : c'était les jésuites, qui venaient nous offrir des chapelets, des petits livres de prière et de cantiques appropriés pour la circonstance, et des scapulaires [4] qui garantissaient les soldats des balles et des boulets. Ils venaient tous les soirs dans la chapelle du fort chanter des cantiques et confesser les soldats catholiques, afin qu'ils allassent avec une conscience pure devant l'ennemi, qui triplait leur force ; et au cas où ils seraient tués, malgré le scapulaire [4] protecteur, le chemin du paradis s'ouvrirait immédiatement devant deux, et ils entreraient en triomphe au beau séjour de gloire et de félicités éternelles.

 

A. Entrée dans la guerre

Pages 623 à 631 de la Revue de Paris de février 1905. XIV LA GUERRE D’ITALIE

Au commencement de 1859 aussi, il était beaucoup question de guerre. Le caporal dont j’ai parlé, l’ex-sergent-major, qui était presque un savant, s’intéressait aux choses de la poli­tique. Il était riche de chez lui et allait souvent dans les grands cafés, où il voyait les journaux. Celui-là m’assurait, vers le milieu du mois de mars, que la guerre était immi­nente entre l’Autriche et le Piémont, et que la France ne pouvait manquer d’intervenir en faveur du Piémont, notre allié, qui nous avait donné un bon coup de main en Crimée. Dans les premiers jours d’avril, toute l’armée de Paris était convoquée au Champ de Mars pour une grande revue de l’empereur ; on disait que c’était la revue de départ.

Notre régiment était alors au fort d’Ivry. Il y avait là un aumônier, qui invitait les soldats catholiques à faire leurs Pâques. Je n’avais pas encore renoncé à la religion, quoique les charlataneries que j’avais vues à Jérusalem m’en eussent presque dégoûté. Cet aumônier, qui avait l’air d’un vieux bonhomme, avait sa chapelle dans une casemate, au fond du fort.

Un soir après la soupe, j’allai me promener de ce côté ; je voyais beaucoup de soldats entrer et sortir de la chapelle. J’entrai aussi, avec un sentiment partagé entre la piété et la curiosité : plus de curiosité que de piété, je crois. Je pris un livre et me cachai dans un coin, et lorsque tout le monde fut parti, j’entrai dans le confessionnal. Je racontai brièvement mon histoire et mon voyage à Jérusalem, où j’avais vu les choses tout au contraire des pèlerins.

B. Arrivée en Italie

Pages 232 à 250 de l'Intégrale des « Mémoires du paysan bas breton » parue en 2001.

Arrivés à Toulon, nous n'eûmes que le temps de secouer la poussière de nos capotes et de casser une croûte, qu'il nous fallait encore embarquer, mais sur l'eau cette fois. Cependant, avant d'embarquer, nous eûmes le temps de connaître le général de division qui allait nous commander là-bas. C'était le général Uhlrich. Il nous fit un discours dans lequel il y avait un peu de tout : de l'histoire ancienne, de l'histoire moderne des armes perfectionnées, des légions, de la géographie et même de la météorologie, car il expliquait comment il nous fallait nous prémunir des brusques variations de la température que nous allions supporter. Puis il termina pour dire que nous pouvions avoir confiance en lui, comme il avait confiance en nous : « Rappelez-vous que vous allez combattre sur une terre où à chaque pas vous trouverez des traces glorieuses de vos pères, soyez dignes d'eaux ». Mais, déjà, des chalands nous attendaient pour nous conduire à bord, et bientôt nous fûmes installés sur le navire, serrés comme des sardines. On voyait de tous côtés des navires chargés comme le nôtre, des chalands qui en emportaient toujours, partout on voyait un grouillement de képis rouges. Les cris et les chants se faisaient entendre sur terre comme sur l'eau. On poussait des cris d' « Adieu la France ! » ; pour beaucoup ce fut adieu éternel. Notre navire se mit en route avec plusieurs autres. Nous allâmes droit vers le soleil couchant qui allait disparaître à l'horizon, tandis que nous voyions d'autres navires également chargés de troupes venant de Marseille et d'Afrique, qui filaient droit au Nord.

 

B. Arrivée en Italie

Pages 623 à 631 de la Revue de Paris de février 1905. XIV LA GUERRE D’ITALIE

D’Aix, nous fîmes la route à pied jusqu’à Toulon, où nous arrivâmes le 22 mai. Là, le général Uhlrich, notre général de division, nous adressa son discours d’entrée en cam­pagne. Après nous avoir parlé météorologie et climatologie, il nous parla de la baïonnette qui était toujours l’arme ter­rible des soldats français ; il ne doutait pas un seul instant de l’énergie et du courage de ses hommes ; mais ce qu’il crai­gnait, c’est que nous puissions nous laisser entraîner par l’enthousiasme, par un trop grand élan, par la furia française, à laquelle rien ne résiste. Nous devions faire partie du 5e corps, commandé par le prince Napoléon, surnommé plus tard le prince Plonplon. Celui-là aussi nous fit un discours, mais d’un autre genre. Il dit d’abord que l’empereur l’avait appelé à l’honneur de nous commander, puis que beaucoup d’entre nous étaient ses camarades de Crimée, de l’Alma et d’Inkermann, que nous allions entrer dans le pays qui fut le berceau de la civilisation antique et de la régénération moderne, que nous allions délivrer un peuple de ses domi­nateurs, de ses éternels ennemis, qui étaient aussi les ennemis de la France ; il termina par les cris de : Vive l’empereur! Vive la France ! Vive l’indépendance italienne !

C. Arrivée à Florence

Pages 236-237 de l'Intégrale des « Mémoires du paysan bas breton » parue en 2001.

Nous voyageâmes ainsi tous les jours au milieu de ces populations frémissantes au son des musiques et des cloches, couverts de poussière et de fleurs jusqu'à Florence (Firenza) la belle capitale du duché, d'où le duc autrichien venait de s'enfuir avec sa garde sans avoir voulu essayer de défendre son duché. Là, nous allâmes camper dans un grand pré justement en face du palais ducal. Nous avions donc pris le plus beau et plus riche pays de la péninsule sans tirer un coup de fusil. Le lendemain de notre arrivée, je me trouvais de planton chez le général de division qui s'était installé dans une des plus belles maisons donnant sur la grande place. Du premier étage de cette maison où je me trouvais, j'assistais à la dernière scène frémissante et délirante des Toscans ou plutôt des Toscanes car je [ne] voyais partout que des femmes, surtout de jeunes filles formant comme ailleurs des haies des deux côtés de la grande rue et de la place ; les autres femmes se tenaient sur les balcons d'où pendaient des draperies multicolores, avec des paniers de fleurs et des couronnes. Les cloches de toutes les églises sonnaient à toute volée, auxquelles se mêlaient la voix du canon et les cris ininterrompus de : « Viva la Francia ! Viva L'Italia ! Viva Napoleone ! Viva VittorioEmmanuele ! Viva gli soldati francesi et piemontesi, nostri liberatori ! ». Mais bientôt j'entendis un hourra plus formidable encore de: « Viva il principe Napoleone ! ». C'était en effet le prince Jérôme Napoléon [6], surnommé par nous le prince "Plomb Plomb", qui faisait son entrée triomphale dans la capitale toscanaise, qui fut plus tard, un instant la capitale d'Italie. De la croisée où je me trouvais, je le voyais venir sur son cheval blanc le long de la grande rue ; mais on ne pouvait l'apercevoir qu'à travers une véritable pluie de fleurs et de couronnes par lesquelles il était littéralement inondé.

 

C. Arrivée à Florence

Pages 623 à 631 de la Revue de Paris de février 1905. XV FLEURS ET LAURIERS

De Pistoia, nous pouvions aller en un jour à Florence, mais on nous fit faire un petit détour et même deux. Enfin, le 27 mai, nous fîmes notre entrée triomphale dans la capitale de la Toscane que le grand-duc avait quittée depuis quelques jours avec sa garde autrichienne. Il est inutile de dire que, là comme à Livourne, à Pise et à Pistoia, les ovations, les transports d’enthousiasme éclataient sur notre passage. Nous allâmes camper dans les jardins et les parcs du palais grand-ducal. Le 14e chasseurs à pied et le 18e de ligne arrivèrent le même jour, venant par d’autres routes. Toute la première brigade se trouvait alors réunie à Flo­rence ; la deuxième brigade, 80e et 82e, devait rester à Pistoia. Le lendemain, je me trouvais de planton chez le général qui était installé dans un palais sur la grande place. Là, j’ai pu assister à une scène plus délirante, encore, si c’est possible.

Le prince Jérôme, venu de Livourne par le train, faisait son entrée triomphale dans la cité florentine, monté sur un beau cheval blanc, semblable à celui de son oncle. Les mai­sons bordant les rues par où il devait passer étaient décorées des plus riches tapis et de trophées aux armes de France et d’Italie ; tous les balcons étaient chargés de lauriers, de bou­quets et de couronnes ; des jeunes filles tenaient à la main de grandes corbeilles de fleurs effeuillées. J’étais bien placé pour voir cette scène féerique ; je me trouvais à une croisée qui faisait face à la rue par où le prince devait déboucher sur la place.

D. Bataille de Solférino

Pages 241-242 de l'Intégrale des « Mémoires du paysan bas breton » parue en 2001.

Nous étions le 24 juin, depuis le matin nous marchions par une chaleur étouffante. Sur notre gauche, au lointain, nous entendîmes le roulement sourd du canon, et l'on disait : « Ça chauffe ! ». Ça chauffait assurément, le soleil surtout, et nous marchions toujours sans rencontrer d'obstacle. Vers quatre heures du soir, nous fûmes assaillis et arrêtés, non par les Autrichiens, mais par le plus épouvantable orage qu'il fut possible de voir. c'était Jupiter qui voulait sans doute mêler ses foudres avec la poudre. Ce fut ainsi qu'il renversa les géants qui voulaient autrefois escalader le ciel. Ceux-là furent ensevelis sous les rochers qu'ils avaient entassés à cet effet. Nous autres, nous faillîmes être enterrés sous l'eau. Jamais je ne vis tomber une si grande quantité d'eau en si peu de temps. Nous étions littéralement inondés, et la nuit était arrivée. On cherchait à gagner les hauteurs, les monticules, sur lesquels on passa la nuit debout ou accroupis, sans manger, car il était impossible de faire du feu.

 

D. Bataille de Solférino

Pages 623 à 631 de la Revue de Paris de février 1905. XV FLEURS ET LAURIERS

Cependant, le 23 juin, nous avions fini de franchir les Apennins et, le 24, nous marchions sur Fornovo à une étape de Parme. Le 24 juin 1859 est un jour célèbre dans les fastes de la guerre. Toute la journée, nous avions entendu le canon gronder au loin, sur notre gauche, et à chaque instant on entendait dans les rangs : « Ça chauffe, là-bas. » Ça devait chauffer là-bas, certes, mais ici ça chauffait aussi ; jamais, depuis notre départ de Florence, nous n’eûmes une pareille journée. La chaleur était tellement brûlante, l’air tellement étouffant, que les hommes et les chevaux tombaient instantanément sur la route et mouraient en tombant. Dans la nuit, nous fûmes complètement inondés par un épouvantable orage venu du côté du champ de bataille et produit par le bruit du canon. Nous fûmes obligés de décamper et de passer la nuit debout ou accroupis dans l’eau ; le sucre, le sel et le café furent totalement perdus et, le lendemain, nous fûmes obligés de ramasser nos bagages pleins d’eau, ce qui augmenta d’autant le poids du sac. Le général Uhlrich, qui nous avait parlé météorologie à Toulon, aurait bien dû nous expliquer comment et pourquoi, après toutes les grandes batailles, il se produit d’épouvantables orages.

4 Annotations

  1. Le 26e régiment d'infanterie de ligne (ou 26e RI) est un régiment constitué sous l'Ancien Régime sous l'appellation de régiment de Bresse. [Ref.↑]
  2. La première guerre d’indépendance italienne est le premier des nombreux conflits qui opposent le royaume de Sardaigne, qui par la suite deviendra le royaume d’Italie, à l'Empire d'Autriche. Elle se décompose en trois phases : deux campagnes militaires (23 mars-9 août 1848, 20-24 mars 1849), séparées par une période de trêve qui dure quelques mois et se termine par la répression envers les républiques de Rome et de Florence, et la reconquête de Venise où s'était établie la République de Saint-Marc. [Ref.↑]
  3. Badinguet est un surnom satirique donné à l'empereur Napoléon III (son épouse, l'impératrice Eugénie, était surnommée Badinguette). [Ref.↑]
  4. Le "scapulaire de dévotion" est un objet plus petit que le scapulaire monastique (grand morceau de tissu à l'avant et à l'arrière, joint sur ​​les épaules par deux bandes de tissu). Il peut être porté par des personnes qui ne sont pas membres d'un ordre monastique et l 'Église catholique le considère comme un sacramental. Le scapulaire de dévotion se compose généralement de deux petits morceaux (généralement rectangulaire) de tissu, de bois ou de papier plastifié, de quelques centimètres de taille, qui peuvent porter des images ou des textes religieux. [Ref.↑ 4,0 4,1]
  5. Jules Radu, né en 1810 et mort après 1883, est un écrivain et pédagogue français. Il fonde en février 1848 une Société de bienfaisance, dite Société de bibliothèques communales et propagation des bons livres, dont l'objet est de doter d'une bibliothèque toutes les communes de France, d'Algérie et des colonies. [Ref.↑]
  6. Jérôme Napoléon : Fils de Jérôme, frère de Napoléon (1822-1891). Il commandait le 5e corps d'armée, au sein duquel servait Jean-Marie Déguignet. [Ref.↑]


Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet

Date de création : Septembre 2013    Dernière modification : 7.09.2013    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]