LARTIGUE Jacques-Henri - L'oeil de la mémoire 1932-1985 - GrandTerrier

LARTIGUE Jacques-Henri - L'oeil de la mémoire 1932-1985

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Image:LivresB.jpgCatégorie : Media & Biblios  

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LARTIGUE (Jacques-Henri), L’œil de la mémoire 1932-1985, ‎ Carrère/Lafon, Paris, 1986, ISBN 978-2868042828
Titre : L’œil de la mémoire 1932-1985
Auteur : LARTIGUE Jacques-Henri Type : Livre/Brochure
Edition : ‎ Carrère/Lafon Note : -
Impression : Paris Année : 1986
Pages : 564 Référence : ISBN 978-2868042828

[modifier] Notice bibliographique

Couverture
Autres lectures : « René-Guillaume Bolloré (1911-1999), résistant et entrepreneur » ¤ « René Bolloré (1885-1935), entrepreneur » ¤ « Album-photo de 1939 de J.H. Lartigue en vacances chez les héritiers Bolloré » ¤ « LARTIGUE Jacques-Henri - L'Émerveillé, écrit à mesure (1923-1931) » ¤ 

Jacques-Henri Lartigue est un peintre et photographe majeur du XXe siècle, né en 1894 d'un père qui pratiquait la photographie en amateur. Passionné par l’automobile, l’aviation et tous les sports, il photographie des manifestations sportives et, ensuite, menant une vie luxueuse et mondaine, il met en scène des célébrités, ce qui le rend célèbre aux Etats-Unis. On le présente comme « le génie du noir et blanc ».

Parallèlement à la photo et la peinture, il entreprend la rédaction d’un journal qu’il poursuivra toute sa vie. Ce journal publié pour la période de 1932 à 1985 sous le titre de « L’œil de la mémoire » inclut quelques pages sur ses vacances en juillet 1939 avec René-Guillaume Bolloré, le fils de « son ami René ».

En voici quelques extraits chronologiques, qu'il est intéressant de rapprocher des planches de ces vacances dans son album-photo conservé à la Médiathèque de Charenton-le-Pont :

  • Le résumé de l'escapade : « Ce voyage en Bretagne avec la Bugatti de Bolloré d’où nous avons ramené un petit caniche rond comme une éponge, "Noisette". »
  • Son hôte est René-Guillaume Bolloré (1911-1999), fils de son ami René décédé en 1935 : « Le René Bolloré de maintenant n’est plus le René Bolloré de 1926 : c’est son fils. Avec le même nom, presque les mêmes qualités et les mêmes défauts — en un peu moins bien — comme un collier de perles imitation. »
  • Dès le 29 juillet, avec Coco [1] son épouse, ils font la route de Paris à Quimper : « Bugatti 3 litres 4. La voiture de sport la plus extraordinaire du moment. Route de Bretagne : lui, Coco, moi. Démarrage de voiture de course, tenue de route incroyable. »
  • Sur place, ils rejoignent l'épouse de René-Guillaume, Céline Rhalavsky [2], alias Lyne Clevers sur scène : « Odet : dans ce château que je connais déjà, je vais faire le portrait de cette comique petite chanteuse Lyne Clevers devenue "châtelaine" en devenant madame Bolloré. »
  • Les occupations au manoir d'Odet : « Pêches miraculeuses dans la rivière de l’usine à papier, les hectares du grand parc, la petite chapelle vide ... »
  • Les sorties en mer : « Le bateau de René Bolloré père s’appelait le « Dahu II », celui du René de maintenant est le « Dahu III ». Ce n’est plus un petit yacht suédois en bois précieux, c’est un bateau à voiles peut-être moins luxueux mais plus « marin » ».
  • Des sorties familiales et des essais de scaphandre : « Les glénans. 5 heures du matin : Trois reflets de trois bateaux. Des reflets si figés que les images des mâts elles-mêmes ne font aucun zig-zag. Le Dahu III, la pinasse hollandaise de madame Bolloré mère (veuve de mon ami René Bolloré numéro 1) et le bateau d’un autre de ses fils. »
  • Et une angoisse en arrière-plan : « Avec des bruits de guerre qui, de temps à autre, tombent dans mes joies comme une pierre.  »

[modifier] Textes choisis

PARIS AOÛT 1938

Je n’ai pas parlé de mon exposition chez Charpentier. Aboutissement de tant de choses. Les immenses salles du bas pour moi tout seul avec tous mes trop grands tableaux revenus dans ces espaces, à des « tailles normales ». Je n’ai pas parlé non plus de ce voyage en Bretagne avec la Bugatti de Bolloré d’où nous avons ramené un petit caniche rond comme une éponge, « Noisette ». Et ce matin il faut que je parle de la chose à laquelle j’ai le plus horreur de penser. La « Guerre ».


29 JUILLET 1939

René Bolloré. Le René Bolloré de maintenant n’est plus le René Bolloré de 1926 : c’est son fils. Avec le même nom, presque les mêmes qualités et les mêmes défauts — en un peu moins bien — comme un collier de perles imitation. Pourquoi toujours en « un peu moins bien » et pas en « un peu mieux », à mesure que les générations avancent ?

Bugatti 3 litres 4. La voiture de sport la plus extraordinaire du moment. Route de Bretagne : lui, Coco, moi. Démarrage de voiture de course, tenue de route incroyable. Au bout d’une demi-heure on ne pense plus « cette fois je rentre dans ce mur ». Rien n’empêche mes yeux extra-rapides ce matin de voir les photos à faire et de dire à René : « Stop arrête ». Mais quand on fait du 160 et que l’air vous tourbillonne sur la figure, on se dit « s’arrêter pour photographier un paysage, c’est d’une bêtise incorrigible ».

Odet : dans ce château que je connais déjà, je vais faire le portrait de cette comique petite chanteuse Lyne Clevers devenue « châtelaine » en devenant madame Bolloré. Souriante, laide, presque grassouillette déjà, a-t-elle perdu sa fantaisie ? Pas tout à fait. Par éclairs, elle peut encore être comique. Je ferai son portrait. Bonne excuse (cousue de fils blancs) pour rester une ou deux semaines ici. Avec pêches miraculeuses dans la rivière de l’usine à papier, les hectares du grand parc, la petite chapelle vide... Mais aussi avec des bruits de guerre qui, de temps à autre, tombent dans mes joies comme une pierre.

Le bateau de René Bolloré père s’appelait le « Dahu II », celui du René de maintenant est le « Dahu III ». Ce n’est plus un petit yacht suédois en bois précieux, c’est un bateau à voiles peut-être moins luxueux mais plus « marin ». Les Bretons sont tous des marins. Les propriétaires de bateaux se croient tous des marins. Donc, en principe, René est doublement marin. Quand la mer est plate comme un tapis, il guette les marsouins avec sa carabine. Quand les grandes vagues nous chahutent, il donne des ordres à ses marins, barre le bateau ou aide à la manœuvre des voiles. Je suis aussi profane ici que je le serais dans une arène un jour de courses de taureaux.

 

GLENANS

5 heures du matin : Trois reflets de trois bateaux. Des reflets si figés que les images des mâts elles-mêmes ne font aucun zig-zag. Le Dahu III, la pinasse hollandaise de madame Bolloré mère (veuve de mon ami René Bolloré numéro 1) et le bateau d’un autre de ses fils. Je suis dans un youyou avec Coco, Lyne et un de nos marins. René est recouvert d’un nouveau « scaphandre » pour amateur, plus léger et maniable que ceux des scaphandriers professionnels. Il va descendre, relié à nous par un tuyau, et marcher au fond de l’eau. La mer dort. On appelle cela une « mer d’huile ». L’huile n’est pas lumineuse comme ce miroir étalé jusqu’à l’horizon. Il y a des jours — ou plutôt de grandes minutes — où soudain on se trouve dans un tel paradis que la mort est effacée, que l’on passe par-dessus l’angoisse. Quand j’étais petit, j’appelais mes idées « du réfléchi ». Mon réfléchi ce matin est dépassé par plus fort que lui.

A Paris, il faut retomber dans l’imminence du drame. Avec toutes mes « choses ». Toutes mes photos. Albums, boîtes de négatifs. Tous mes tableaux, tout, sans avoir le droit de rien oublier, sans avoir le droit de s’affoler. Tout ce « vivant » de mon grand atelier, de notre terrasse fleurie. Tout, y compris mes souvenirs : au garde-meuble ! Avec l’espoir immense de tout remettre bientôt dans une petite maison entourée d’un jardin, avec l’angoisse (immense) que cette guerre problématique vienne barrer la route à nos projets et que je ressemble au gagnant d’une course à pied qui se foule la cheville vingt mètres avant l’arrivée.


MARS 1940

Nous devions partir avec la Bugatti de Bolloré, ce matin à 5 heures. Il avait trop bu. Il ne s’est pas réveillé, et a été forcé de frêter un avion (en ce moment !) pour que son petit adjudant ne l’engueule pas !...


[modifier] Annotations

  1. Marcelle Paolucci (1924-2014), surnommée Coco, épouse Jacques-Henri Lartigue le 12 mars 1934. Son père était chef-électricien au casino de Cannes. C'est Coco qui introduit Lartigue dans les milieux du cinéma. [Ref.↑]
  2. Lyne Clevers est une chanteuse et actrice française, née Céline Marie Rhalavsky, de juifs immigrés, le 22 octobre 1909 à Paris XIe et morte le 28 novembre 1991 à Poissy (Yvelines). Orpheline dès l'âge de huitans, elle est recueillie par Adolphe Clevers, directeur de tournée et metteur en scène (théâtre, revues) qui en fera une des comédiennes de sa troupe dès l'âge de 16 ans. Petit à petit, elle se fait connaître en chanteuse de cabarets, avec notammentun duo avec Saint-Granier en 1930, et en tournant dans un premier film et faisant partie de la distribution d'une reprise de Madame de Pompadour des l'année suivante. René-Guillaume Bolloré l'épouse en secondes noces en 1938. [Ref.↑]


Thème de l'article : Fiche bibliographique d'un livre ou article couvrant un aspect du passé d'Ergué-Gabéric

Date de création : Mai 2022    Dernière modification : 26.05.2022    Avancement : Image:Bullgreen.gif [Fignolé]