Dépêche de Brest du 16.10.1930
Le crime d'Elliant [5]
L'assassin, un ouvrier agricole de 19 ans, a été arrêté, hier, par la brigade mobile.
Sachant que Gourmelen portait toujours ses économes sur lui, il l'a tué à coups de houe pour le voler.
Quimper, 15. - Depuis dimanche, de nombreux groupes de curieux venus des alentours, bravant le mauvais temps et les chemins boueux où l'on enfance jusqu'aux chevilles, sont venus aux abords du moulin de Kernac'hait s'entretenir avec les habitant du lieu de l'horrible crime qui a douloureusement surpris toute la région.
François Gourmelen, la victime, était une physionomie plutôt sympathique. très sobre, il acceptait rarement à boire - il buvait de l'eau - ce qui, à certains points de vue, le faisait passer pour un original dans un pays où l'on ne recule pas devant la bolée. Soit par goût, soit par calcul, Gourmelen évitait les dépenses superflues, étant d'un naturel très économe, ce qui d'ailleurs lui avait permis de mettre de côté de sérieuses économies.
Avant de s'embaucher au service de M. Quéméré, sur les terres du moulin, il s'employait avec deux autres manœuvres à casser du caillou sur la route de Kerdévot à Niverrot et cela depuis trois ou quatre mois. Il ne fit alors, pas plus qu'antérieurement, parler de lui. On ne lui connaissait pas d'ennemis. Les deux dimanches qui ont précédé le crime, il avait mis à profit son repos hebdomadaire pour aller voir sa fille à Rosporden. C'était là l'un des rares déplacements qu'il s'accorait. Au demeurant un brave homme sur la triste fin duquel on se montre unanime dans le pays à s'apitoyer.
§ Comment fut découvert le cadavre …
Comment fut découvert le cadavre
Peut-être n'est-il indispensable de revenir sur les circonstances qui ont amené la découverte du cadavre, ne serait-ce que pour y ajouter quelques détails qui au premier moment n'avaient pas été retenus.
Lorsque l'alarme eut été donnée à Quimper par M. Kernéis, maire d'Elliant, M. le capitaine Mahé, de la gendarmerie de Quimper, accompagné de ses hommes, MM. Kergonna, Doniec, Degrez, que devaient rejoindre un peu plus tard sur les lieux le maréchal des logis Faivre et le gendarme Morvan, puis l'adjudant Cabellan, commencèrent immédiatement les recherches. C'était dimanche soir. La nuit était complète et il fallait s'aider des lanternes-tempête pour avancer en des sentiers impraticables. Arrivés dans un champ qui se trouve à 150 mètres, en ligne droite du moulin, sur le versant sud de la colline de Ménez-Niverrot, dont l'altitude dépasse 120 mètres, un cercle de curieux entourait le cadavre. Celui-ci était étendu tout droit, les bras au corps, les pieds joints. Il n'y avait aucune trace de sang sur le corps, ce qui indique de l'hémorragie s'était produite alors que le malheureux gisait à terre. Un filet de sang s'échappait des narines et de la bouche ouverte, coulait de chaque côté de la tête vers la base fu cuir chevelu et la casquette jockey que portait la victime était, au reste, remplie de sang. Le faux-col rabattu, en celluloïd, que Gourmelen portait, même au travail, n'était aucunement ensanglanté.
Dans les poches de Gourmelen, on trouva des couteaux de poche, un mouchoir, un morceau de savon et un porte-monnaie d'enfant, très usagé, contenant une image religieuse, des dessins à décalquer et une carte de visite au nom de M. Nicolas, agent d'assurances à Quimper. Aucune trace d'argent.
L'enquête
Dès le lendemain matin, la gendarmerie battit la campagne et bientôt les soupçons se resserrèrent autour d'un jeune domestique de ferme âgé de 19 ans, Jean-Louis Lizen, au service de M. Bourbigot, à Niverrot. Il avait raconté à ses camarades qu'il devait quitter ke pays le 19 courant pour aller rejpoindre une jeune fille qu'il avait connue alors qu'il exerçait la profession de verrier dans la Seine-Inférieure, ayant à se plaindre d'elle et résolu, dit-on, à lui faire un mauvais parti.
Mais il n'avait pas le sou pour se mettre en route et, d'autre part, il savait, comme la plupart des habitants de l'endroit, que Gourmelen, porteur d'une forte somme, devait terminer son travail rapidement et peut-être aller travailler plus loin. Le dimanche 12 courant offrait donc une ultime occasion à ce jeune vaurien de se procurer des fonds. Notons dès maintenant que Lizen a un passé assez orageux, ayant été condamné notamment à neuf jours de prison pour port d'arme prohibée, rixe et vol.
Un retard compromettant
Ayant été mis au courant de ces détails, fort importants, M. le capitaine Mahé, entre autres pistes sérieuses, s'attacha à celle-ci et s'employa activement à reconstituer l'emploi du temps de Lizen le jour du crime.
Le dimanche 12, un grand nombre de chasseurs de la région étaient sur pied, se livrant à leur plaisir favori. Or, le hasard voulut que quatre d'entre eux, MM. Leroux père et fils, de Kerdévot, et les deux fil Rannou, de Kerampellec, vinssent à passer, au cours de leur battue à travers les terres du moulin, précisément sur le champ où Gourmelen travaillait. Il était près de 15 heures. Ils adressèrent au journalier, lui demandant s'il y avait du gibier dans la contrée. Sur une réponse négative de Gourmelen, les chasseurs descendirent la pente, laissant cet homme, tranquillement appuyé sur sa houe, dans une position de repos.
Donc, Gourmelen était à son travail à 15 heures. Une heure plus tard, comme on le sait, il était mort. Qu'avait fait Lizen pendant cette heure-là ?
On sut rapidement qu'après le déjeuner de midi, son patron, M. Bourbigot, étant parti à la chasse, il avait prêté la main à un journalier pour charger un tombereau de cailloux.
Au retour à la ferme, vers 14 h 30, il avait disparu pour ne rentrer qu'en retard, vers 16 heures, alors qu'à la ferme on avait déjà collationné. On s'étonna de ce retard. Il y répondit en faisant valoir qu'il était resté dans un des bâtiments de la ferme pour recoudre des pièces à son pantalon et pour écrire une lettre. Les enquêteurs trouvèrent, en effet, une lettre écrite par lui et restée onachevée.
« C'est Jean-Louis ...»
Mais la vérité était tout autre. Il ne fallait qu'une dizaine de minutes à Lizen pour se rendre rapidement sur le mamelon où se trouvait Gourmelen.
C'est là qu'il se rendit tout droit et, circonstances heureuse pour l'enquête, pendant le trajet, les chasseurs dont nous avons parlé plus haut le virent passer à quelque distance.
- Tiens, dit l'un d'eux, voilà un tel !
- Non, rectifia un jeune homme, vous faîtes erreur : c'est Jean-Louis !
C'était bien Jean-Louis Lizen, en effet, qui devait tuer Gourmelen quelques minutes plus tard.
L'arrestation du coupable
La gendarmerie de Quimper ayant ainsi, après deux jours consécutifs d'enquête, réussi à grouper un faisceau de présomptions des plus graves, MM. Richard, commissaire, Le Gall et Le Poulennec, inspecteurs principaux de la police mobile, appréhendèrent Lizen, le conduisirent d'abord à Ergué-Gabéric pour le confronter avec diverses personnes, et enfin, à Quimper, ans la soirée de mardi.
L'inculpé niant toute participation au meurtre, fut remis en liberté hier matin et regagna la ferme de M. Bourbigot.
Dès son arrivée, il commit une imprudence, sur laquelle nous n'insisterons pas pour ne pas dévoiler inopportunément les escellentes méthodes des inspecteurs.
Lizen pris au piège, dut passer des aveux immédiats et il dénonça du même coup un complice, dont one ne sait trop quel fut son rôle exact en cette affaire. Il s'agit d'un jeune pupille de l'assistance publique, originaire de Ploudalmézeau : André Tanguy, 14 ans, également domestique à la ferme de M. Bourbigot, et qui a été, avec Lizen, mis en état d'arrestation.
Les déclarations de l'assassin
Voici le récit que Jean-Louis Lizen, originaire de Fouesnant, et depuis le mois de mars au service de M. Bourbigot, a fait aux inspecteurs de la police mobile :
- Je savais que Gourmelen avait toujours de l'argent sur lui, à entendre dire les gens. D'ailleurs, il y a deux mois, me trouvant avec lui sur la route neuve qu'on est en train de faire près de Niverrot, il me montra 500 francs, qu'il avait sur lui et qu'il me dit avoir gagnés en cassant des cailloux sur la dite route.
« Il y a quelques temps, je fis part au jeune Tanguy, "moitié riant, moitié sérieux", que le vieux Gourmelen serait "bon à faire" pour être dévalisé.
« Samedi dernier, dans l'après-midi, me trouvant à ramasser des pommes de terre dans un champ situé derrière la ferme de mon patron, en compagnie de Tanguy, celui-ci me dit : "Va-t-on faire le coup à Fanch demain ?"
« Je n'ai pas répondu.
« Toutefois, le lendemain, dimanche 12 octobre, aussitôt après avoir déchargé le tombereau de Jean-Marie Rioual, à la carrière de la Placide, vers 15 h20 ou 15 h 30, j'ai dit à Tanguy : "Tiens, on va aller voir travailler Fanch aux patates."
« Mon intention, à ce moment, était de "faire le coup" à Fanch.
« Tanguy étant allé rapporter une houe à la ferme, remonta aussitôt vers l'endroit où travaillait Gourmelen, alors qu'ayant déjà gagné le plateau et rejoint Gourmelen, qui était au travail, je m'étais mis à causer avec lui.
Le crime
« Pendant ce temps, je voyais Tanguy, derrière le talus qui borde le chemin creux voisin, me faisant de la main le geste de frapper Gourmelen.
« J'avais alors pris en main la houe du journalier pour lui arracher quelques pieds de pommes de terre, avec l'idée de suivre le conseil donné par Tanguy.
« J'hésitai quelque peu, puis pensant à l'argent que Gourmelen avait sur lui, le voyant, d'autre part, baissé, à genoux, sur son travail, c'est-à-dire en bonne posture pour être frappé, je lui assénai un coup de houe sur la tête, dans la région u front.
« Gourmelen s'écroula sur le sol.
« La fureur de frapper s'empara de moi et je frappai sur la tête à plusieurs reprises. Je ne sais combien de coups je lui ai porté.
Le vol
« Quand je vis qu'il était très touché et qu'il n'en reviendrait pas, je me suis jeté sur lui et lui ai pris, ans les poches de son gilet, les billets de 100 francs, 50 frands, 10 francs et 5 francs qui s'y trouvaient.
« Cet argent était en vrac dans les poches et non enfermé dans un portefeuille.
« Je me suis alors enfui du côté où se trouvait Tanguy, mais celui-ci était déjà parti. Ayant sauté dans le chemin creux, je me suis à courir vers la ferme et montai dans ma chambre. Là, j'ai compté l'argent et j'ai vu que j'avais pris exactement 1.660 francs.
« J'ai mis ensuite cet argent dans un portefeuille et ai dissimulé le tout sur les poutres de la grange qui me sert de chambre.
« Ce matin, en revenant de Quimper, j'ai changé l'argent de place et l'ai caché dans une meule e paille édifiée derrière la ferme. Si je l'ai changé de place; c'est que je voyais que j'étais pris et je désirais que l'argent disparût avec la paille dans le fumier des bestiaux.
« Je n'ai trouvé que cette somme sur Gourmelen et n'ai rien dépensé depuis. Si j'ai tué et volé, c'est uniquement dans le but de me procurer les moyens matériels de rejoindre ma maîtresse, Paulette Gallaut, bonne dans une ferme à Fallencourt (Seine-Inférieure).
« Tanguy ne m'a pas aidé à perpétrer mon crime. Il n'a fait que m'exciter par paroles et par gestes à le commettre. Après le meurtre, j'ai dit à Tanguy que j'avais volé 1.660 francs à Gourmelen et lui ai proposé 600 francs pour qu'il garde le silence. Il a refusé, en disant qu'il "serait pincé" s'il les prenait.
« La lettre trouvée dans ma chambre a été écrite une demi-heure après le crime. Je regrette avois commis cet acte, mais je reconnais l'avoir prémédité. »
Comme on le voit, Lizen est de bonne prise et MM. les enquêteurs de la gendarmerie et de la police mobile ont travaillé de main de maître. Ils mérient de vifs éloges.
Voilà une grosse affaire d'assises en perspective.
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Ouest Eclair du 17.10.1930
Le crime d'Elliant [5]
L'assassin, un jeune homme de 19 ans, est arrêté
Pendant qu'il accomplissait le crime, un gamin de 14 ans faisait le guet
La somme volée, 1.660 francs, est retrouvée dans un tas de paille.
Quimper, le 15 octobre. - (De notre rédaction). - L'enquête même, autour de l'affaire d'Elliant [5] , a abouti ce soir à l'arrestation de deux jeunes gens dont l'un le principal coupable, Jean Lizen, n'a que 19 ans et l'autre, André Tanguy, 14 ans. Les deux arrestations confirment ce que nous avions toujours dit, à savoir qu'il fallait rechercher le ou les coupables parmi les familiers du journalier.
À vrai dire, l'affaire telle qu'elle se présentait à la perspicacité des enquêteurs, gendarmes et inspecteurs de la brigade mobile, constituait malgré les présomptions recueillies comme une énigme difficile à résoudre. Et cependant les investigations comme nous l'avons déjà dit devaient être limitées à un cercle restreint autour de la petite contrée entourant le moulin de Quénéhaye.
Plusieurs piste ssérieuses ont été suivies depuis le premier jour, tant par la brigade mobile que par la gendarmerie. L'une au moins que l'on croyait décisive n'avait pas donné hier les résultats qu'on en escomptait. Mais ce premier échec n'avait pas découragé les policiers et c'est ainsi qu'aujourd'hui ils ont repris leur travail avec plus de persévérance que jamais.
§ Parmi les nombreux témoignages recueillis ...
Parmi les nombreux témoignages recueillis, il en est qui avait plus ou moins d'importance. Les enquêteurs comme bien on pense ont interrogé tous les habitants de la région susceptibles de leur donner une indication quelconque. Parmi les plus intéressantes, il y avait par exemple celle de M. René Le Roux de Kerdévot, de son fils René et des deux frères Rannou. M. Le Roux et les trois autres chassaient dans l'après-midi du 12 octobre, à 14 heures 55 exactement. Ils se souviennent de l'heure parce que l'un d'eux regarda sa montre à de moment. Ils passèrent dans le champ même où Gourmelen, le journalier, travaillait à arracher des pommes de terre. M. Le Roux demanda à Gourmelen s'il y avait du gibier dans les environs. Celui-ci répondit négativement et les chasseurs prirent à travers champs la direction du vallage voisin de Niverrot.
Après qu'ils eurent parcouru 200 ou 300 mètres, les deux frères Rannou aperçurent un homme qui se dirigeait vers le champ où se trouvait Gourmelen.
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Dépêche de Brest du 17.01.1931
Assises du Finistère. Audience du samedi 17 janvier. L'assassinat de François Gourmelen à Ergué-Gabéric.
Louis Lizen est condamné à 15 ans de travaux forcés. André Tanguy est acquitté.
Quimper, 18. - Les débats sont présidés par M. Bertin, conseiller à la Cour d'Appel de Rennes, assisté de MM. Dufour et Durand, juges. M. Lhéritier occupe le siège du ministère public ; M. Michard celui de greffier.
Les faits
L'accusé Louis-Marie Lizen, 19 ans, domestique de ferme chez M. Bourbigot, cultivateur au village de Niverrot, en Ergué-Gabéric, avait travaillé précédemment comme ouvrier verrier à Blangy-sur-Bresle (Seine-Inférieure), où il avait laissé une jeune fille qui était, dit-il, devenue sa maîtresse. Au mois d'août 1930, celle-ci lui écrivit qu'elle était fiancée et que, dès lors, il eut à cesser sa correspondance.
Lizen exhala sa colère devant son patron et devant le jeune André-Marie Tanguy, âgé de 14 ans, comme lui domestique chez M. Bourbigot, et sur lequel il avait pris un certain ascendant, disant à plusieurs reprises que, s'il avait de l'argent, il achèterait un révolver et irait la tuer.
Un jour étant avec Tanguy, il s'arrêta avec un casseur de pierres, François Gourmelen, âgé de 56 ans, qui venait de vendre des cailloux et qui montra à Lizen et à Tanguy la somme de 5 à 600 francs qu'il portait sur lui.
§ Le même jour, Lizen, projetant de voler cet argent ...
Le même jour, Lizen, projetant de voler cet argent, dit à Tanguy : « Gourmelen et bon à faire ... », ce à quoi Tanguy répondit : « Si tu veux ». Dans la suite, Lizen tenta de dévaliser Gourmelen
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Ouest Eclair du 17.01.1931
« Quimper. Aux Assises du Finistère. Le crime de deux vauriens : pendant que l'un faisait le guet, l'autre assommait un vieillard à coups de houe.
Quimper, 17 janvier (de notre rédaction). La dernière audience de la première session des Assises appelle l'affaire suivante :
Louis Lizen, 19 ans, domestique de ferme à Niverrot, en Ergué-Gabéric, est accusé : 1° d'avoir, le 12 octobre 1930, tué un casseur de pierres, François Gourmelen, 56 ans ; 2° d'avoir volé une certaine somme d'argent au préjudice de sa victime et ce, avec préméditation.
André Tanguy, 14 ans, domestique de ferme au même lieu, est accusé de complicité.
Les faits
L'accusé, Louis-Marie Lizen, 19 ans, domestique de ferme chez M. Bourbigot, cultivateur au village de Niverrot, en Ergué-Gabéric, avait travaillé précédemment comme ouvrier verrier à Blangy-sur-Bresle [6] (Seine-Inférieure), où il avait laissé une jeune fille qui était, dit-il, devenue sa maîtresse. Au mois d'août 1930, celle-ci lui écrivit qu'elle était fiancée et que, dès lors, il eut à cesser sa correspondance.
Lizen exala sa colère devant son patron et devant le jeune André Tanguy, âgé de 14 ans, comme lui domestique chez M. Bourbigot, et sur lequel il avait pris un certain ascendant, disant à plusieurs reprises que s'il avait de l'argent, il achèterait un revolver et irait la tuer.
Un jour étant avec Tanguy, il s'arrêta à parler avec un casseur de pierres, François Gourmelen, âgé de 56 ans, qui venait de vendre des cailloux et qui montra à Lizen et à Tanguy la somme de 5 à 600 francs qu'il portait sur lui.
§ Le même jour, Lizen projetant de voler cet argent ...
Le même jour, Lizen projetant de voler cet argent dit à Tanguy : "Gourmelen est bon à faire", ce à quoi Tanguy répondit : "Si tu veux". Dans la suite, Lizen tenta de dévaliser Gourmelen qui passait pour porter toujours sur lui ses économies, mais celui-ci ne quittant pas son veston pour travailler, il ne put y travailler. Il décida alors de le tuer. Le samedi 11 octobre dernier, Lizen dit à Tanguy qu'il ferait "le coup", le lendemain, pendant que Gourmelen travaillerait à l'arrachage des pommes des terre, Tanguy acquiesça.
Le dimanche 12 octobre, dans la matinée, Lizen vérifia si Gourmelen travaillait bien dans le champ. L'après-midi, après avoir aidé, avec Tanguy, à charger un tombereau de pierres, il l'envoya reporter sa fourche chez son patron et lui recommanda de revenir vite le rejoindre, en se tenant, pour faire le guet, dans le chemin qui longe le champ.
Lizen s'approcha de Gourmelen qui travaillait et lia conversation avec lui. Il prit la houe qui était posée à terre et arracha lui-même quelques pieds de pommes de terre pour mettre Gourmelen en confiance.
Au bout de quelques minutes, apercevant Tanguy qui, monté sur le talus, lui indiquait par signe que personne ne venait, Lizen porta à Gourmelen, alors que celui-ci était baissé, un violent coup de houe qui l'atteignait au front. Gourmelen tomba sans pousser un cri. Comme il remuait encore, Lizen lui porta sauvagement d'autres coups de houe. Ayant constaté que Gourmelen était enfin mort, Lizen fouilla ses poches et s'empara de son argent.
Il rentra ensuite chez son patron, et dans le hangar qui lui servait de demeure, il compta la somme volée, 1.660 francs, a-t-il déclaré, et commença une lettre pour sa maîtresse. Quant à Tanguy, après avoir sur le talus fait signe à Lizen que personne ne venait, il s'était aussitôt enfin pour ne pas assister au crime et était revenu chez son patron où il s'était mis à jouer avec les enfants et avait pris une collation.
Un peu après, tandis que Bourbigot averti de la mort de Gourmelen se rendait près du cadavre, Lizen mit Tanguy au courant de ce qu'il avait fait et lui offrit 600 francs, en lui recommandant de garder le silence. Tanguy refusa l'argent, disant qu'il n'en avait pas besoin. Lizen et Tanguy ont reconnu les faits.
L'autopsie a établi que Gourmelen, frappé de plusieurs coups avec violence, avait succombé à une fracture du crâne.
Lizen a été condamné pour vol, le 2 juillet 1929, à quinze jours de prison avec sursis. Il est représenté comme peu travailleur, dépensier et vantard.
Tanguy n'a pas d'antécédents judiciaires. Orphelin de père et sa mère étant hospitalisée depuis cinq ans, il est pupille de l'Assistance publique. De bons renseignements sont fournis sur son caractère et ses habitudes au travail.
L'audience
Une nombreuse affluence se pressait encore hier samedi, à 13 heures, au Palais de Justice, pour suivre les débats de cette affaire qui causa dans la région quimpéroise une grosse émotion.
Louis Lizen, au premier abord, ne parait pas avoir une mauvaise mine mais son regard sournois décèle un caractère peu commode. Il est correctement vêtu d'un imperméable jaune et, certes, son attitude générale ne donne pas l'impression d'un domestique de ferme ordinaire.
Quant au jeune Tanguy, qui ne parait pas très à son aise, il jette un regard furtif de temps à autre sur l'auditoire en se tortillant les doigts.
Me Jean Jadé et Me Alizon sont assis au banc de la défense.
L'interrogatoire de Lizen
Le jeune meurtrier répond tout d'abord d'une voix faible et, invité à s'exprimer, déclare : "Je ne me rappelle pas".
Le président retrace alors les faits en un monologue coupé de temps en temps par cette question :
- Est-ce bien cela ?
- Oui.
Lizen était employé chez M. Bourbigot, à Niverrot, à raison de 200 fr. par mois en temps normal et 300 fr. durant la moisson.
- Vous saviez que le vieux Gourmelen portait son argent sur lui ?
- Oui.
Alors l'idée vint d'accomplir le crime dont le président retrace les péripéties que nous relatons plus haut. Il souligne les manœuvres de Lizen pour essayer de cacher son acte criminel, car déjà l'opinion publique unanime me désignait comme étant le coupable.
- Reconnaissez-vous avoir commis le crime avec préméditation ?
- Oui.
- Pourquoi avez-vous fait cela ? Pour pouvoir aller rejoindre votre maîtresse ?
- Oui.
Lizen, en effet, avait appris que Mlle Paulette Galant, la jeune fille qu'il avait connue à Falancourt (Seine-Inférieure), allait se marier malgré leurs relations antérieures.
- C'est alors que vous avez dit : "Si j'avais de l'argent j'achèterais un revolver pour aller tuer Paulette".
- J'ai dit cela dans un coup de colère.
- N'empêche que vous l'avez dit et que c'est sans doute à partir de ce moment-là que vous avez conçu l'idée de tuer le vieux Gourmelen.
- Non, j'avais seulement alors l'intention de le voler.
Les renseignements pris sur Lizen ne sont pas très bons. On le représente comme étant violent et surtout très vantard.
Natif de Fouesnant, de parents misérables, il débuta comme tant d'autres hélas ! à l'âge de 13 ans, dans les verreries d'abord à Rouen, puis dans plusieurs autres villes de Seine-Inférieure. On sait ce qu'est l'existence des enfants embauchés dans ces établissements. Aussi si les jurés trouvent une circonstance atténuante quelconque en faveur de Lizen, c'est cette particularité qui, à notre avis, pèsera d'un grand poids sur leur détermination.
Le président. - Qu'avez-vous à ajouter ?
- Je regrette, monsieur le Président.
- Est-ce vous qui avez été l'instigateur du crime ?
- Oui c'est moi.
Avant la fin de l'interrogatoire, un juré pose une question judicieuse :
- Le 12 octobre, Lizen était-il sous l'influence de la boisson ?
- Oui, j'avais bu un litre de vin rouge et de l'eau-de-vie de cidre.
Le jeune Tanguy
Le complice de Lizen est ensuite interrogé.
De bons renseignements sont fournis sur son compte et son patron, surtout avant l'arrivée de Lizen, était très content de lui.
« C'est Lizen, dit-il qui me confia quelque temps avant le crime, que le père Gourmelen serait "bon à faire". Le Matin du 12 octobre il me dit : "Ce sera pour cet après-midi ».
Le président. - En somme, c'est lui qui vous a monté toute l'affaire ?
- Oui.
- Pourquoi êtes-vous parti quand Lizen allait frapper le vieux ?
- Parce que je ne voulais pas assister au crime. Lizen m'a alors offert 600 francs pour ma part en me menaçant : "Si tu dis un mot, je te tuerai toi aussi". Mais j'ai refusé.
Est-ce sous l'effet de cette crainte que le jeune Tangue dissimula la vérité au cours de l'enquête ? Il est permis de le croire, car il semble avoir été toujours terrorisé par l'autre.
« Il me menaçait de coups, dit-il ; si je ne l'aidais pas à commettre le crime ».
Tanguy, cependant, n'a pas toujours eu une conduite exemplaire ; c'est ainsi qu'il fut renvoyé de l'orphelinat Massé, pour indiscipline et méchanceté.
Son enfance a été malheureuse ; son père, qui avait 12 enfants l'envoyait mendier un peu de pain quand il était petit petit.
Les témoignages
Le docteur Renault, médecin-légiste, paraît d'abord à la barre. Il fit l'autopsie du cadavre de Gourmelen et constata que ce dernier portait plusieurs blessures, mais seulement à la tête. L'une d'elles, particulièrement violente, intéressait la région frontale ; elle avait dû être donnée au moment où le malheureux était courbé, ramassant les pommes de terre. Les autres, dont une fracture à la base du crâne, avaient été portées l'homme étant à terre. En somme, Gourmelen avait été abattu comme un bœuf, puis achevé avec sauvagerie.
Le président. - Est-ce vrai, Lizen ?
- Oui.
Le docteur Lagriffe a examiné, au point de vue mental, le jeune Tanguy. Celui-ci, fils d'un buveur et d'une mère épileptique, est cependant normal, doué d'un esprit vif et éveillé. Le praticien croit qu'il a subi l'influence de Lizen.
L'adjudant de gendarmerie Cabellan, des brigades de Quimper, a pris l'enquête en mains dès le début. Lui et ses gendarmes, qui se dépensèrent sans compter dans cette affaire, furent tout de suite renseignées par l'opinion publique, mais il était difficile d'obtenir les aveux de Lizen ... Celui-ci s'indigna :
- Comment, on ose me soupçonner ?
Et il donna l'emploi de son temps : déchargement d'une charretée de pierres avec Tanguy et M. Rioual ; puis, vers 14 heures, retour à la ferme, où il écrit une lettre à sa maîtresse.
Cependant, la gendarmerie s'apprêtait, devant de graves présomptions, à l'arrêter, quand la police mobile qui, entre temps, était entrée en jeu, obtint enfin les aveux des coupables.
M. Richard, commissaire à la brigade mobile de Rennes, retrace, lui aussi, les péripéties de l'enquête que lui et les inspecteurs principaux Le Gall et Le Poulennec menèrent en la circonstance.
Ce que les policiers avaient eu tout d'abord en vue, c'était de connaître l'endroit où Lizen avait caché la somme de 1.660 francs volée. Ils le suivirent et parvinrent à l'appréhender au moment où il changerait de place à l'argent. Le coupable était confondu.
Sur un propos, rapporté par le témoin, relatif à la préméditation, Me Jean Jadé demande des précisions :
- Lizen, dit-il, a prononcé ces mots "Fanch est bon à faire". Bon à tuer ou bon à voler ?
MM. les Jurés tiendront compte de cette observations.
Défilent ensuite ; MM. Jean-Louis Quéméré, 30 ans, meunier à Kernahaut, en Elliant, patron de Gourmelen, sur lequel il donne de bons renseignements ; Laurent Legrand, 29 ans, cultivateur à Menez-Niverrot, en Ergué-Gabéric, qui trouva, vers 15 h. et demie, le cadavre du vieillard dans le champ.
M. Bourbigot, 31 ans, cultivateur à Niverrot, en Ergué-Gabéric, employait les deux accusés : "Sur le coup, dit-il, je n'eus aucun soupçon, car Lizen et Tanguy, mis en face du cadavre, demeurèrent parfaitement calmes et impassibles". Le témoin fut cependant troublé par des traces de sabots se dirigeant du champ vers la ferme et qu'il reconnut pour être celles de Tanguy.
« Lizen, continua-t-il, était travailleur, mais seulement quand il se trouvait en ma compagnie. Quant à Tanguy, il a certainement été entraîné par l'autre ; c'est un excellent garçon que nous estimions tous. Je le reprendrais volontiers chez moi ».
M. Louis Barre, 45 ans, cultivateur à Kerlavian, en Elliant, dépose pittoresquement en claquant les talons :
- J'ai vu Lizen près de la charrette de pierres, dit-il. C'est tout.
- Vos enfants n'ont-ils pas prêté de l'argent à Lizen ?
- Ah, mais non, pas un sou, car je les tiens, moi.
M. Jean-Marie Rioual, 35 ans, charretier à Trégunc, qui était à Niverrot quelques jours, n'a pas entendu Lizen proférer des menaces contre le vieux.
Voici M. René Leroux, 45 ans, cultivateur à Kerdévot, son fils Jean, 15 ans et le jeune Jean Rannou, 15 ans. Tous trois chassaient dans l'après-midi du 12 octobre, à proximité de Niverrot. Tout à coup, vers 14 h. 50, le jeune Rannou vit un homme se diriger vers le champ où travaillait Gourmelen. "Tiens, voilà "Tambour", dit-il. "Non, répondit le fils Rannou, c'est le domestique de Niverrot".
Cette circonstance aida beaucoup à l'arrestation des criminels.
Pierre Le Cam, dit "Tambour", 30 ans, domestique de ferme à Kergariou, en Elliant, vient expliquer que le jour du pardon de Kerdévot, il était totalement ivre et allongé dans le fossé. Profitant de cette circonstance favorable, Lizen lui allongea une volée de coups de trique et lui déroba un billet de 10 francs et deux pièces de 20 sous : toute sa fortune. L'infortune "Tambour", qui ne paraît pas avoir inventé la poudre, fait l'objet de soupçons au lendemain du crime.
- Oui, dit-il ; même que c'était bien embêtant. Aussi je demande, M. le juge, qu'on me verse 200 francs de dommages intérêts.
Cette prétention est accueillie par un rire général et notre homme s'en va tout confus.
C'est chez M. Huitric, 30 ans, cultivateur à Niverrot, que Gourmelen prenait pension. « Il était très avare, dit-il. Un jour, - c'était après le crime de Gouézec [7] - je lui fis remarquer qu'il était imprudent de sa part de garder toujours son argent sur lui.
« Bah, me répondit-il, je n'ai jamais fait de mal à personne. Qui voudrait s'attaquer à un malheureux comme moi ? »
Le réquisitoire et les plaidoiries
M. Lhéritier, procureur de la République, s'attache tout d'abord à démontrer que Lizen fut l'organisateur avant d'être l'exécuteur du crime. Il le montre doué d'une volonté consciente et opiniâtre, préparant son coup avec patience, aidé du jeune Tanguy.
Le procureur retrace la vie de Lizen, son caractère violent, son esprit vantard, puis il passe au jeune Tanguy lequel, selon lui, n'a été qu'un instrument docile entre les mains de l'autre.
L'orateur termine en demandant aux jurés de rendre l'enfant à un milieu sain où oubliera qu'il aura été le complice d'un assassin. Quant à Lizen, il a commis un assassinat avec préméditation. Cette circonstance entraine la peine de mort. A vous de dire, conclut le magistrat, s'adressant aux jurés, s'il a vraiment mérité des circonstances atténuantes.
Me Alizon, dans un brillant exposé, va s'efforcer de disculper totalement le jeune Tanguy. Il montre le lamentable destin qui fut celui de ce jeune homme de 14 ans et sa misérable enfance sans tendresse. L'avocat arrivant aux faits demande à quel mobile a pu obéir Tanguy. Est-ce à son affection pour Lizen ? Est-ce l'amour de l'argent ? Non. Est-ce à la crainte ? très probablement. En tout cas il n'a pas participé au crime.
En terminant, Mr Alizon supplie les jurés de rendre cet enfant à son patron, qui est prêt à le reprendre dès ce soir.
La tâche de Me Jean Jadé, avocat désigné d'office pour défendre Lizen, est certes très lourde. Mais l'éloquent avocat saura user de tous les arguments restant à sa disposition.
Il se demande si la société n'a pas une lourde part de responsabilité dans ce drame commis par un jeune homme abandonné dès son enfance, puis confié, dès l'âge de 13 ans, à ces verreries où trop d'enfants se livrent dans une promiscuité morale à un travail épuisant. Son hérédité a pesé certainement sur son geste meurtrier.
Le défenseur termine en rappelant aux jurés la mission redoutable qui leur est confiée et en faisant appel à leur pitié.
Le verdict
Après une longue délibération, le jury rentre dans la salle d'audience. Son verdict en ce qui concerne Lizen est affirmatif sur toutes les questions. Les circonstances atténuantes lui sont cependant accordées.
Concernant le jeune Tanguy, le verdict est négatif.
La Cour condamne Lizen à 15 ans de travaux forcés ; Tanguy est acquitté.
La session est close.
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