Dépêche de Brest du 16.10.1930
Le crime d'Elliant
L'assassin, un ouvrier agricole de 19 ans, a été arrêté, hier, par la brigade mobile.
Sachant que Gourmelen portait toujours ses économes sur lui, il l'a tué à coups de houe pour le voler.
Quimper, 15. - Depuis dimanche, de nombreux groupes de curieux venus des alentours, bravant le mauvais temps et les chemins boueux où l'on enfance jusqu'aux chevilles, sont venus aux abords du moulin de Kernac'hait s'entretenir avec les habitant du lieu de l'horrible crime qui a douloureusement surpris toute la région.
François Gourmelen, la victime, était une physionomie plutôt sympathique. très sobre, il acceptait rarement à boire - il buvait de l'eau - ce qui, à certains points de vue, le faisait passer pour un original dans un pays où l'on ne recule pas devant la bolée. Soit par goût, soit par calcul, Gourmelen évitait les dépenses superflues, étant d'un naturel très économe, ce qui d'ailleurs lui avait permis de mettre de côté de sérieuses économies.
Avant de s'embaucher au service de M. Quéméré, sur les terres du moulin, il s'employait avec deux autres manœuvres à casser du caillou sur la route de Kerdévot à Niverrot et cela depuis trois ou quatre mois. Il ne fit alors, pas plus qu'antérieurement, parler de lui. On ne lui connaissait pas d'ennemis. Les deux dimanches qui ont précédé le crime, il avait mis à profit son repos hebdomadaire pour aller voir sa fille à Rosporden. C'était là l'un des rares déplacements qu'il s'accorait. Au demeurant un brave homme sur la triste fin duquel on se montre unanime dans le pays à s'apitoyer.
§ Comment fut découvert le cadavre …
Comment fut découvert le cadavre
Peut-être n'est-il indispensable de revenir sur les circonstances qui ont amené la découverte du cadavre, ne serait-ce que pour y ajouter quelques détails qui au premier moment n'avaient pas été retenus.
Lorsque l'alarme eut été donnée à Quimper par M. Kernéis, maire d'Elliant, M. le capitaine Mahé, de la gendarmerie de Quimper, accompagné de ses hommes, MM. Kergonna, Doniec, Degrez, que devaient rejoindre un peu plus tard sur les lieux le maréchal des logis Faivre et le gendarme Morvan, puis l'adjudant Cabellan, commencèrent immédiatement les recherches. C'était dimanche soir. La nuit était complète et il fallait s'aider des lanternes-tempête pour avancer en des sentiers impraticables. Arrivés dans un champ qui se trouve à 150 mètres, en ligne droite du moulin, sur le versant sud de la colline de Ménez-Niverrot, dont l'altitude dépasse 120 mètres, un cercle de curieux entourait le cadavre. Celui-ci était étendu tout droit, les bras au corps, les pieds joints. Il n'y avait aucune trace de sang sur le corps, ce qui indique de l'hémorragie s'était produite alors que le malheureux gisait à terre. Un filet de sang s'échappait des narines et de la bouche ouverte, coulait de chaque côté de la tête vers la base fu cuir chevelu et la casquette jockey que portait la victime était, au reste, remplie de sang. Le faux-col rabattu, en celluloïd, que Gourmelen portait, même au travail, n'était aucunement ensanglanté.
Dans les poches de Gourmelen, on trouva des couteaux de poche, un mouchoir, un morceau de savon et un porte-monnaie d'enfant, très usagé, contenant une image religieuse, des dessins à décalquer et une carte de visite au nom de M. Nicolas, agent d'assurances à Quimper. Aucune trace d'argent.
L'enquête
Dès le lendemain matin, la gendarmerie battit la campagne et bientôt les soupçons se resserrèrent autour d'un jeune domestique de ferme âgé de 19 ans, Jean-Louis Lizen, au service de M. Bourbigot, à Niverrot. Il avait raconté à ses camarades qu'il devait quitter ke pays le 19 courant pour aller rejpoindre une jeune fille qu'il avait connue alors qu'il exerçait la profession de verrier dans la Seine-Inférieure, ayant à se plaindre d'elle et résolu, dit-on, à lui faire un mauvais parti.
Mais il n'avait pas le sou pour se mettre en route et, d'autre part, il savait, comme la plupart des habitants de l'endroit, que Gourmelen, porteur d'une forte somme, devait terminer son travail rapidement et peut-être aller travailler plus loin. Le dimanche 12 courant offrait donc une ultime occasion à ce jeune vaurien de se procurer des fonds. Notons dès maintenant que Lizen a un passé assez orageux, ayant été condamné notamment à neuf jours de prison pour port d'arme prohibée, rixe et vol.
Un retard compromettant
Ayant été mis au courant de ces détails, fort importants, M. le capitaine Mahé, entre autres pistes sérieuses, s'attacha à celle-ci et s'employa activement à reconstituer l'emploi du temps de Lizen le jour du crime.
Le dimanche 12, un grand nombre de chasseurs de la région étaient sur pied, se livrant à leur plaisir favori. Or, le hasard voulut que quatre d'entre eux, MM. Leroux père et fils, de Kerdévot, et les deux fil Rannou, de Kerampellec, vinssent à passer, au cours de leur battue à travers les terres du moulin, précisément sur le champ où Gourmelen travaillait. Il était près de 15 heures. Ils adressèrent au journalier, lui demandant s'il y avait du gibier dans la contrée. Sur une réponse négative de Gourmelen, les chasseurs descendirent la pente, laissant cet homme, tranquillement appuyé sur sa houe, dans une position de repos.
Donc, Gourmelen était à son travail à 15 heures. Une heure plus tard, comme on le sait, il était mort. Qu'avait fait Lizen pendant cette heure-là ?
On sut rapidement qu'après le déjeuner de midi, son patron, M. Bourbigot, étant parti à la chasse, il avait prêté la main à un journalier pour charger un tombereau de cailloux.
Au retour à la ferme, vers 14 h 30, il avait disparu pour ne rentrer qu'en retard, vers 16 heures, alors qu'à la ferme on avait déjà collationné. On s'étonna de ce retard. Il y répondit en faisant valoir qu'il était resté dans un des bâtiments de la ferme pour recoudre des pièces à son pantalon et pour écrire une lettre. Les enquêteurs trouvèrent, en effet, une lettre écrite par lui et restée onachevée.
« C'est Jean-Louis ...»
Mais la vérité était tout autre. Il ne fallait qu'une dizaine de minutes à Lizen pour se rendre rapidement sur le mamelon où se trouvait Gourmelen.
C'est là qu'il se rendit tout droit et, circonstances heureuse pour l'enquête, pendant le trajet, les chasseurs dont nous avons parlé plus haut le virent passer à quelque distance.
- Tiens, dit l'un d'eux, voilà un tel !
- Non, rectifia un jeune homme, vous faîtes erreur : c'est Jean-Louis !
C'était bien Jean-Louis Lizen, en effet, qui devait tuer Gourmelen quelques minutes plus tard.
L'arrestation du coupable
La gendarmerie de Quimper ayant ainsi, après deux jours consécutifs d'enquête, réussi à grouper un faisceau de présomptions des plus graves, MM. Richard, commissaire, Le Gall et Le Poulennec, inspecteurs principaux de la police mobile, appréhendèrent Lizen, le conduisirent d'abord à Ergué-Gabéric pour le confronter avec diverses personnes, et enfin, à Quimper, ans la soirée de mardi.
L'inculpé niant toute participation au meurtre, fut remis en liberté hier matin et regagna la ferme de M. Bourbigot.
Dès son arrivée, il commit une imprudence, sur laquelle nous n'insisterons pas pour ne pas dévoiler inopportunément les escellentes méthodes des inspecteurs.
Lizen pris au piège, dut passer des aveux immédiats et il dénonça du même coup un complice, dont one ne sait trop quel fut son rôle exact en cette affaire. Il s'agit d'un jeune pupille de l'assistance publique, originaire de Ploudalmézeau : André Tanguy, 14 ans, également domestique à la ferme de M. Bourbigot, et qui a été, avec Lizen, mis en état d'arrestation.
Les déclarations de l'assassin
Voici le récit que Jean-Louis Lizen, originaire de Fouesnant, et depuis le mois de mars au service de M. Bourbigot, a fait aux inspecteurs de la police mobile :
- Je savais que Gourmelen avait toujours de l'argent sur lui, à entendre dire les gens. D'ailleurs, il y a deux mois, me trouvant avec lui sur la route neuve qu'on est en train de faire près de Niverrot, il me montra 500 francs, qu'il avait sur lui et qu'il me dit avoir gagnés en cassant des cailloux sur la dite route.
« Il y a quelques temps, je fis part au jeune Tanguy, "moitié riant, moitié sérieux", que le vieux Gourmelen serait "bon à faire" pour être dévalisé.
« Samedi dernier, dans l'après-midi, me trouvant à ramasser des pommes de terre dans un champ situé derrière la ferme de mon patron, en compagnie de Tanguy, celui-ci me dit : "Va-t-on faire le coup à Fanch demain ?"
« Je n'ai pas répondu.
« Toutefois, le lendemain, dimanche 12 octobre, aussitôt après avoir déchargé le tombereau de Jean-Marie Rioual, à la carrière de la Placide, vers 15 h20 ou 15 h 30, j'ai dit à Tanguy : "Tiens, on va aller voir travailler Fanch aux patates."
« Mon intention, à ce moment, était de "faire le coup" à Fanch.
« Tanguy étant allé rapporter une houe à la ferme, remonta aussitôt vers l'endroit où travaillait Gourmelen, alors qu'ayant déjà gagné le plateau et rejoint Gourmelen, qui était au travail, je m'étais mis à causer avec lui.
Le crime
« Pendant ce temps, je voyais Tanguy, derrière le talus qui borde le chemin creux voisin, me faisant de la main le geste de frapper Gourmelen.
« J'avais alors pris en main la houe du journalier pour lui arracher quelques pieds de pommes de terre, avec l'idée de suivre le conseil donné par Tanguy.
« J'hésitai quelque peu, puis pensant à l'argent que Gourmelen avait sur lui, le voyant, d'autre part, baissé, à genoux, sur son travail, c'est-à-dire en bonne posture pour être frappé, je lui assénai un coup de houe sur la tête, dans la région u front.
« Gourmelen s'écroula sur le sol.
« La fureur de frapper s'empara de moi et je frappai sur la tête à plusieurs reprises. Je ne sais combien de coups je lui ai porté.
Le vol
« Quand je vis qu'il était très touché et qu'il n'en reviendrait pas, je me suis jeté sur lui et lui ai pris, ans les poches de son gilet, les billets de 100 francs, 50 frands, 10 francs et 5 francs qui s'y trouvaient.
« Cet argent était en vrac dans les poches et non enfermé dans un portefeuille.
« Je me suis alors enfui du côté où se trouvait Tanguy, mais celui-ci était déjà parti. Ayant sauté dans le chemin creux, je me suis à courir vers la ferme et montai dans ma chambre. Là, j'ai compté l'argent et j'ai vu que j'avais pris exactement 1.660 francs.
« J'ai mis ensuite cet argent dans un portefeuille et ai dissimulé le tout sur les poutres de la grange qui me sert de chambre.
« Ce matin, en revenant de Quimper, j'ai changé l'argent de place et l'ai caché dans une meule e paille édifiée derrière la ferme. Si je l'ai changé de place; c'est que je voyais que j'étais pris et je désirais que l'argent disparût avec la paille dans le fumier des bestiaux.
« Je n'ai trouvé que cette somme sur Gourmelen et n'ai rien dépensé depuis. Si j'ai tué et volé, c'est uniquement dans le but de me procurer les moyens matériels de rejoindre ma maîtresse, Paulette Gallaut, bonne dans une ferme à Fallencourt (Seine-Inférieure).
« Tanguy ne m'a pas aidé à perpétrer mon crime. Il n'a fait que m'exciter par paroles et par gestes à le commettre. Après le meurtre, j'ai dit à Tanguy que j'avais volé 1.660 francs à Gourmelen et lui ai proposé 600 francs pour qu'il garde le silence. Il a refusé, en disant qu'il "serait pincé" s'il les prenait.
« La lettre trouvée dans ma chambre a été écrite une demi-heure après le crime. Je regrette avois commis cet acte, mais je reconnais l'avoir prémédité. »
Comme on le voit, Lizen est de bonne prise et MM. les enquêteurs de la gendarmerie et de la police mobile ont travaillé de main de maître. Ils mérient de vifs éloges.
Voilà une grosse affaire d'assises en perspective.
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Ouest Eclair du 17.10.1930
Le crime d'Elliant
L'assassin, un jeune homme de 19 ans, est arrêté
Pendant qu'il accomplissait le crime, un gamin de 14 ans faisait le guet
La somme volée, 1.660 francs, est retrouvée dans un tas de paille.
Quimper, le 15 octobre. - (De notre rédaction). - L'enquête même, autour de l'affaire d'Elliant, a abouti ce soir à l'arrestation de deux jeunes gens dont l'un le principal coupable, Jean Lizen, n'a que 19 ans et l'autre, André Tanguy, 14 ans. Les deux arrestations confirment ce que nous avions toujours dit, à savoir qu'il fallait rechercher le ou les coupables parmi les familiers du journalier.
À vrai dire, l'affaire telle qu'elle se présentait à la perspicacité des enquêteurs, gendarmes et inspecteurs de la brigade mobile, constituait malgré les présomptions recueillies comme une énigme difficile à résoudre. Et cependant les investigations comme nous l'avons déjà dit devaient être limitées à un cercle restreint autour de la petite contrée entourant le moulin de Quénéhaye.
Plusieurs piste sérieuses ont été suivies depuis le premier jour, tant par la brigade mobile que par la gendarmerie. L'une au moins que l'on croyait décisive n'avait pas donné hier les résultats qu'on en escomptait. Mais ce premier échec n'avait pas découragé les policiers et c'est ainsi qu'aujourd'hui ils ont repris leur travail avec plus de persévérance que jamais.
Parmi les nombreux témoignages recueillis, il en est qui avait plus ou moins d'importance. Les enquêteurs comme bien on pense ont interrogé tous les habitants de la région susceptibles de leur donner une indication quelconque. Parmi les plus intéressantes, il y avait par exemple celle de M. René Le Roux de Kerdévot, de son fils René et des deux frères Rannou. M. Le Roux et les trois autres chassaient dans l'après-midi du 12 octobre, à 14 heures 55 exactement. Ils se souviennent de l'heure parce que l'un d'eux regarda sa montre à de moment. Ils passèrent dans le champ même où Gourmelen, le journalier, travaillait à arracher des pommes de terre. M. Le Roux demanda à Gourmelen s'il y avait du gibier dans les environs. Celui-ci répondit négativement et les chasseurs prirent à travers champs la direction du village voisin de Niverrot.
Après qu'ils eurent parcouru 200 ou 300 mètres, les deux frères Rannou aperçurent un homme qui se dirigeait vers le champ où se trouvait Gourmelen. Ils semblèrent le reconnaître d'abord pour être un journalier agricole de Niverrot. puis l'un d'eux émit l'idée que ce devait être un domestique d'un village proche. Ils en étaient distants de 300 mètres environ. La taille de l'homme comme son signalement semblaient, en effet, indiquer qu'on avait plutôt affaire à ce dernier, un jeune homme de 19 ans, nommé Lizen.
Ces témoignages des quatre chasseurs étaient, comme nous le disons plus haut, particulièrement précieux. On se souvient, en effet, que M. Le Grand retrouva le cadavre de Gourmelen vers 16 heures et encore chaud. Le coup avait donc été porté entre 14 h 55 et 16 heures et, vraisemblablement, peu après le passage de M. Le Roux et de ses trois compagnons. Le coupable était-il l'homme qui avait été vu, à ce moment, marchant à travers champs dans la direction du lieu où se trouvait le journalier ? Il y avait tout lieu de le croire et c'est vers cette piste surtout que gendarmes et policiers aiguillèrent leurs recherches.
§ Deux pistes abandonnées pour un instant ...
Deux pistes abandonnées pour un instant
À vrai dire, les deux hommes que, successivement, les chasseurs avaient cru reconnaître dans le promeneur solitaire et qu'ils se désignèrent par leur nom propre pouvaient justifier, jusqu'à un certain point, une certaine méfiance. L'un, un nommé Le C..., put justifier d'un alibi en déclarant qu'il avait effectué des achats à Elliant, vers 15 heures 30, ce qui a été reconnu exact. L'autre, le jeune Lizen, domestique chez M. Bourbigot, à Niverrot, déclara s'être rendu, dans l'après-midi, à la carrière de Niverrot pour y prendre un chargement de pierres. Il était accompagné notamment du petit domestique André Tanguy. Mais, au retour, vers 15 heures, il quitta, dit-il, ce dernier non loin du champ fatal. Il prétend que, de là, il se rendit à la ferme et qu'il s'enferma dans un grenier pour y écrire une lettre ; puis, que vers 16 heures 30, laissant sa lettre inachevée, il alla collationner chez ses patrons à Niverrot. Ces déclarations parurent d'autant plus suspectes que l'heure coïncidait bien avec celle du crime, que divers témoins, visiblement inspirés, semblaient abonder trop nettement dans son sens et qu'au surplus son passé comme ses préoccupations d'avenir immédiats pouvaient laisser supposer une besoin d'argent assez pressant.
Bref, les enquêteurs le gardèrent à vue pendant un bon moment à Quimper. Ils l'interrogèrent longuement sur son emploi du temps et le relâchèrent ensuite. Les deux pistes étaient donc abandonnées pour l'instant. N'empêche que le témoignage des quatre chasseurs gardait une valeur indéniable.
L'assassin se fait prendre
L'on ne sera peut-être pas étonné en sachant que si MM. Richard, commissaire, Le Gall et Le Poullennec, inspecteurs de la police mobile, avaient cru devoir relâcher le jeune Lizen, sur lequel pesaient les plus graves présomptions, ce n'était pas là un geste définitif et que les policiers devaient avoir leur idée de derrière la tête.
Ils savaient, en effet, et les gendarmes le savaient également que Lizen, comme on le sait, avait un besoin pressant d'argent. N'avait-il pas déclaré à un certain moment qu'il était prêt ) tout pour se procurer la somme nécessaire pour se payer un voyage à Falancourt (Seine-Inférieure), où il avait laissé sa maîtresse, une nommée Paulette Galaut, et, pour se procurer un revolver destiné à abattre celle-ci.
Les policiers se postèrent donc à la ferme de Niverrot, située près du moulin e Quénéhaye, où était employé Lien ; et un peu avant midi, ils aperçurent celui-ci se dirigeant vers la grange où, près des tas de paille, se trouvait sa chambre.
Le jeune homme fouilla dans un réduit au-dessus des poutres et en extirpa une liasse de billets de banque qu'il alla ensuite déposer dans une meule de paille située derrière la ferme.
C'est là que les habiles enquêteurs lui mirent la main au collet, mais il se garda de faire tout de suite des aveux.
Vers 16 heures, confronté avec M. Le Roux et les trois jeunes gens dont nous parlons plus haut, il ne put cependant plus nier. Il s'écria enfin : « Ah oui ! c'est moi qui ai fait le coup ! »
Il accusa alors le jeune André Tanguy, âge de 14 ans, domestique comme lui chez M. Bourbigot, à Niverrot, d'avoir comploté, en sa compagnie, la mort du vieux Gourmelen.
Le crime avait été prémédité
Le jeune criminel Jean Lizen, 19 ans, domestique à Niverrot, fit des aveux complets :
« Je savais, dit-il, que Gourmelen avait toujours de l'argent sur lui. D'ailleurs, il y a environ deux mois, me trouvant avec lui sur la route neuve, qu'on est en train de construire à Niverrot, il me montra 500 francs qu'il avait sur lui en billets de banque et qu'il me dit avoir gagné en cassant des cailloux.
« C'est ainsi qu'il y a quelque temps je dis au jeune Tanguy, moitié riant, moitié sérieux, que le vieux Gourmelen seront bon à faire.
« Samedi dernier, dans l'après-midi, me trouvant avec Tanguy, à ramasser des pommes de terre dans le champ situé derrière la ferme, il me dit : "Va-t-on faire le coup à Fanch demain ?"
« Fanch, c'est le nom qu'on donnait familièrement au père Gourmelen.
« Je ne répondis pas. Toutefois, le lendemain dimanche 12 octobre dernier, aussitôt après avoir déchargé le tombereau de Jean-Marie Rioua, à la carrière de la Placide, vers 15 h 20 ou 15 h 30, je dis à Tanguy : "Tiens, on va aller voir travailler Fanch aux pommes de terre."
« Mon intention, à ce moment, était de faire le coup au vieux. Tanguy alla reporter la fourche à la ferme et remonta aussitôt vers l'endroit où travaillait Gourmelezn, pendant que je montais sur le plateau. Je regagnai ensuite le vieux qui arrachait les pommes de terre et je me mis à causer avec lui.
La tragédie
« Tout an causant, je voyais Tanguy derrière le talus bordant le chemin creux voisin qui va à Niverrot, et à un certain moment je le vis me regarder et me faire avec les mains, à plusieurs reprises, le geste de frapper.
« Je venais de prendre la tranche de Gourmelen pour lui arracher quelques pieds de pommes de terre et j'eus alors l'idée de suivre le conseil donné par mon jeune camarde. J'hésitai quelque peu, puis pensant à l'argent que Gourmelen avait sur lui, le voyant d'autre part baissé, à genoux, pour mieux ramasser ses pommes de terre, c'est-à-dire en bonne posture pour être frappé, je lui assénai un coup de la tranche sur la tête, dans la région frontale. »
Comme on le voit, c'est bien avec sa propre houe que fut frappée la malheureuse victime.
« À ce coup, Gourmelen s'écroula sur le sol, la fureur de frapper s'empara de moi et je cognai sur la tête à plusieurs reprises. J'ignore combien de coups j'ai donné ainsi. Quand je vis qu'il était bien touché et qu'il n'en reviendrait pas, je me suis penché sur lui et lui ai pris dans trois des poches de son gilet, l'argent qui s'y trouvait en billets de 100, 50, 10 et francs. Tout l'argent était en vrac et non fermé dans un portefeuille. Les billets de 100 francs que je découvris en premier lieu se trouvaient ensemble ans une des poches du petit gilet et contenus dans un petit mouchoir. Les petits billets se trouvaient dans les autres poches.
- Je me suis relevé aussitôt, et me suis dirigé en toute hâte du côté u chemin creux où se trouvait Tanguy, mais il était déjà reparti.
« Je courus ensuite vers la ferme où je montai dans ma chambre, et ayant compté l'argent je vis que j'avais pris d1.660 francs.
« Je mis cet argent dans un portefeuille et le dissimulais sur une poutre de la grange qui me sert de chambre, et ce matin même, en revenant de Quimper, j'ai changé de place les billets et les ai cachés dans une meule de paille située derrière la ferme. Si j'ai agi ainsi, continua-t-il, c'est que je voyais que j'étais pris par vous et que je désirais que l'argent disparût avec la paille dans le fumier des bestiaux.
Les motifs du crime
Le jeune assassin soutien n'avoir pas trouvé d'autre argent sur Gourmelen :
« Si j'ai tué et volé, c'est uniquement ans le but d'avoir les moyens matériels de rejoindre ma maîtresse, Paulette Galaut, bonne dans une ferme appartenant à M. Rousselet, à Falancourt (Seine-Inférieure).
« Tanguy ne m'a pas aidé à perpétrer mon crime, il n'a fait que m'exciter par paroles et par gestes. Quand j'ai revu Tanguy, par la suite, je lui ai dit que je venais de voler 1.660 francs au père Gourmelen. J'ai voulu lui donner 600 francs, pour qu'il garde le silence, mais il a refusé en disant qu'il serait pincé s'il les prenait. »
On a vu avec quel cynisme Lizen raconte les différents détails de son affreux crime.
Il est petit, mais râblé. Natif de Fouesnant, il était employé depuis le mois de mars dernier chez M. Bourbigot, auparavant il avait travaillé dans la Seine-Inférieure. Il a déjà eu maille à partir avec la justice, ayant subi une condamnation pour vol.
ans la contrée d'Elliant et d'Ergué-Gabéric, il jouit de la plus mauvaise réputation et dès la découverte du crime, la rumeur publique le désignait déjà comme coupable. La population a poussé un soupir de soulagement lorsqu'elle a connu son arrestation et ses aveux.
Quant au jeune Tanguy, il semble n'avoir été qu'un instrument entre les mains de Lizen, il n'en est pas moins vrai qu'il apparaît aussi avec la plus mauvaise réputation car il a comploté la mort du malheureux Gourmelen.
Il a passé des aveux, se défendant toutefois d'avoir assisté derrière le talus à toute l'horrible scène. C'est en sanglotant qu'il a raconté ce soir au commissaire Richard les péripéties du drame. Le jeune Tanguy est originaire de Ploudalmézeau. Orphelin de père et sa mère étant à l'hôpital, il avait été confié aux soins de l'assistance publique qui l'avait placé, il y a deux ans, chez M. Bourbigot.
Tous deux ont été écroués à Quimper.
Jean Corcuff.
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Dépêche de Brest du 17.01.1931
Assises du Finistère. Audience du samedi 17 janvier. L'assassinat de François Gourmelen à Ergué-Gabéric.
Louis Lizen est condamné à 15 ans de travaux forcés. André Tanguy est acquitté.
Quimper, 18. - Les débats sont présidés par M. Bertin, conseiller à la Cour d'Appel de Rennes, assisté de MM. Dufour et Durand, juges. M. Lhéritier occupe le siège du ministère public ; M. Michard celui de greffier.
Les faits
L'accusé Louis-Marie Lizen, 19 ans, domestique de ferme chez M. Bourbigot, cultivateur au village de Niverrot, en Ergué-Gabéric, avait travaillé précédemment comme ouvrier verrier à Blangy-sur-Bresle (Seine-Inférieure), où il avait laissé une jeune fille qui était, dit-il, devenue sa maîtresse. Au mois d'août 1930, celle-ci lui écrivit qu'elle était fiancée et que, dès lors, il eut à cesser sa correspondance.
Lizen exhala sa colère devant son patron et devant le jeune André-Marie Tanguy, âgé de 14 ans, comme lui domestique chez M. Bourbigot, et sur lequel il avait pris un certain ascendant, disant à plusieurs reprises que, s'il avait de l'argent, il achèterait un révolver et irait la tuer.
Un jour étant avec Tanguy, il s'arrêta avec un casseur de pierres, François Gourmelen, âgé de 56 ans, qui venait de vendre des cailloux et qui montra à Lizen et à Tanguy la somme de 5 à 600 francs qu'il portait sur lui.
§ Le même jour, Lizen, projetant de voler cet argent ...
Le même jour, Lizen, projetant de voler cet argent, dit à Tanguy : « Gourmelen et bon à faire ... », ce à quoi Tanguy répondit : « Si tu veux ». Dans la suite, Lizen tenta de dévaliser Gourmelen, qui passait pour porter toujours sur lui ses économies ; mais celui-ci ne quittant pas son veston pour travailler, il ne put y arriver. Il décida alors de le tuer. Le samedi 11 octobre dernier, Lizen dit à Tanguy qu'il ferait « le coup » le lendemain pendant que Gourmelen travaillerait à l'arrachage des pommes de terre. Tanguy acquiesca.
Le dimanche 12 octobre, dans la matinée, Lizen vérifia si Gourmelen travaillait bien dans le champ. L'après-midi, après avoir aidé avec Tanguy à charger un tombereau de pierres, il l'envoya reporter sa fourche chez son patron et lui recommanda de revenir vite le rejoindre, en se tenant, pour faire le guet, ans le chemin qui longe le champ.
Lizen s'approcha de Gourmelen qui travaillait et lia conversation avec lui. Il prit la houe qui était posée à terre et arracha lui-même quelques pieds de pommes de terre pour mettre Gourmelen en confiance.
Au bout de quelques minutes, apercevant Tanguy qui, monté sur le talus, lui indiquait par signe que personne ne venait, Lizen porta à Gourmelen, alors que celui-ci était baissé, un violent coup de houe qui l'atteignit au front. Gourmelen tomba sans pousser un cri. Comme il remuait encore, Lizen lui porta sauvagement d'autres coups de houe. Ayant constaté que Gourmelen était enfin mort, Lizen fouilla ses poches et s'empara de son argent.
Il rentra ensuite chez son patron et, dans le hangar qui lui servait de demeure, il compta la somme volée : 1.660 francs, a-t-il déclaré, et commença une lettre pour sa maîtresse. Quant à Tanguy, après avoir sur le talus fait signe à Lizen que personne ne venait, il s'était aussitôt enfuit pour ne pas assister au crime et était revenu chez son patron, où il s'était mis à jouer avec les enfants et avait pris une collation.
Lizen et Tanguy ont reconnu les faits.
L'autopsie a établi que Gourmelen, frappé de plusieurs coups avec violence, avait succombé à une fracture du crâne.
Lizen a été condamné pour vol le 2 juillet 1929 à 15 jours de prison avec sursis. Il se représente comme peu travailleur, dépensier et vantard.
Tanguy n'a pas d'antécédents judiciaires. Orphelin de père et sa mère malade, étant hospitalisée depuis cinq ans, il est pupille de l'assistance publique. De bons renseignements sont fournis sur son caractère et ses habitudes au travail.
Les débats
Une nombreuse assistance, qui occupe déjà l'enceinte réservée au public, aurait, comme hier, déferlé aux abords des portes latérales si la gendarmerie ne faisait bonne garde.
Au banc des accusés, Lizen, la figure dégagée, a bonne mine et sourit. Il est élégamment vêtu : chemise et col couleur chair d'une fraîcheur impeccable ; cravate à la mode dans le même ton ; pull-over gris ; trench-coat mastic. Sous le beau jeune homme endimanché, on devine la gouape du faubourg. On sent le « dessalé » qui est sorti de son village.
Tout petit, à ses côtés, un enfant de 14 ans, Tanguy, ratatiné sur lui-même. Le gamin donne l'impression d'un petit écolier qui craint d'être interrogé parce qu'il ne sait pas sa leçon.
Le président demande à Lizen de faire le récit des faits, mais l'accusé dit qu'il ne s'en souvient plus. On lui rappelle son crime par le détail et la préméditation ressort à chaque pas. Il reconnait volontiers avoir entrainé le petit Tanguy dans cette équipée.
Le président : Et vous Tanguy, pourquoi avez-vous docilement suivi Lizen ?
Tanguy : Je le craignais. Il me menaçait. Il m'avait dit qu'il voulait acheter une revolver. J'avais peur.
Le président : Vous lui serviez de secrétaire. Vous aviez plus d'instruction que lui et c'est vous qui écriviez ses lettres, sous sa dictée ?
- Oui.
Lizen est originaire de Fouesnant, mais il a eu une existence assez nomade et on le trouve employé dans des verreries de la région parisienne et en Normandie. Il a déjà été condamné à 9 jours de prison pour port d'arme prohibée, rixe et vol.
André Tanguy est un jeune pupille de l'assistance publique, originaire e Ploudalmézeau. Il n'a pas fait parler de lui, à part quelques gamineries de jeune âge.
Les témoins
M. le docteur Renault, médecin-légistes à Quimper, expose que, le 12 octobre, il fut appelé à procéder à l'examen médico-légal du cadavre de François Gourmelen. Le lendemain, à l'hospice, il pratiqua l'autopsie et releva de nombreuses blessures dont six à la tête, avec éclatement du rocher, huit fragments en étoile. La branche montante droite du maxillaire inférieur était fracturée. Lésion des vaisseaux du cou par les fragments du maxillaire inférieur. Gros épanchement sanguin au cou. Plaie ronde de la région frontale droite. Ecchymoses sur le côté de la tête.
Les blessures n'intéressaient que la face et le crâne. La mort avait dû être très rapide.
Le praticien estime qu'un premier coup a été porté au front. Etourdi, Gourmelen sera tombé à terre. La tête reposant sur le sol et y prenant appui, reçu alors le coup mortel sur le côté.
Le présient. - Vous entendez, Lizen ?
Lizen, d'un mouvement de tête affirmatif, montre qu'il est d'accord.
M. le docteur Lagriffe, directeur de l'asile départemental, a examiné le jeune Tanguy au point de vue mental. C'est le fils d'un alcoolique. Il est, néanmoins, d'un esprit vif, éveillé, avec la mentalité d'un enfant de son âge avec un discernement normal. Tanguy est normalement constitué au point de vue physique et moral. Cerveau malléable, sensible aux bons comme aux mauvais conseils.
Me Alizon, éfenseur de Tanguy. - Selon vous, docteur, cet enfant aurait aussi bien suivi un bon conseil. Il peut donc être la victime de Lizen ?
Le témoin. - C'est mon sentiment.
Les enquêteurs
M. Jean Cabellan, adjudant de gendarmerie à Quimper, fait un lumineux exposé de l'enquête qu'il fut appelé à mener sur cette affaire.
M. Richard, commissaire de police mobile à Rennes, fait le récit de son intervention, avec l'assistance de ses adjoints, MM. Le Gall et Le Poulennec. Il donne un détail à retenir. À la ferme, après le crime, quelqu'un dit qu'un râteau de la maison était resté à une centaine de mètres u cadavre et qu'on pourrait croire, dans le pays, que cet instrument avait été l'arme du crime.
- Il faut le ramasser, déclara Lizen, car un chasseur pourrait y laisser tomber le sang d'un perdreau ou d'un lièvre, et ce ne serait pas pour arranger les choses.
Tant de cynisme ne devait pas servir ses calculs.
M. Jean-Marie Quéméré, 30 ans, meunier à Quennec'haï, en Elliant, déclare que la victime était un très brave homme.
M. Louis Bourbigot
Voici venir à la barre un des principaux témoins, M. Louis Bourbigot, 31 ans, cultivateur à Niverrot, en Ergué-Gabéric, le patron des deux jeunes accusés. Il avait passé ce dimanche à la chasse. En rentrant chez lui, il apprit la mort de Gourmelen par Laurent Le Grand, cultivateur à Menez-Niverrot, celui-là même qui, nous venons de le dire, constata le crime le premier. Le soir venu, comme si de rien était, Lizen et Tanguy accompagnèrent le témoin et sa femme dans le champ où était étendu le cadavre. Lizen demanda même, en approchant, où le cadavre pouvait bien être. C'est assez dire qu'il ne témoigna aucune émotion.
Le président. - Lizen vous donnait-il satisfaction ?
- Il était depuis plus de six mois à mon service, assez courageux en ma présence, mais lent au travail quand je n'étais pas là.
Le président. - Cependant, on ne le goûtait pas dans le pays ?
- Il faut dire qu'il était fanfaron, cantard. Il prétendait que ses parents, à Fouesnant, étaient riches, qu'ils y possédaient pour habitation une maison magnifique à trois étages, et que son père, au surplus, possédait plusieurs bateaux ...
Le président. - Et puis ?
Le témoin. - Il me disait parfois qu'il voulait aller tuer sa maîtresse. Il était violent, impulsif.
Le président. Et Tanguy ?
- Je n'ai que de bons renseignements à donner sur lui. S'il est mis en liberté, je ne demande qu'une chose : c'est de le reprendre tout de suite à mon service. Je serais heureux qu'on me le rende.
Importants témoignages
Voici d'importants témoignages qui ont beaucoup aidé à l'arrestation du coupable. Ce sont des chasseurs qui se trouvaient dans les champs d'Ergué-Gabéric à l'heure du crime et à proximité : M. René Le Roux père, 45 ans, cultivateur à Kerdévot, et les jeunes Jean Le Roux et Jean Rannou, âgés de 15 ans.
Ils venaient de passer, au cours e leur battue, sur les terres du moulin, précisément sur le champ où Gourmelen travaillait. Il était près de 15 heures. Ils adressèrent en passant quelques mots au journalier, lui demandant s'il y avait du gibier dans la contrée. Sur une réponse négative de Gourmelen, le groupe descendit la pente, laissant cet homme tranquille appuyé sur sa houe, dans une position de repos. Il ne fallait qu'une dizaine de minutes à Lizen pour se rendre rapidement de la ferme sur le mamelon où se trouvait Gourmelen. C'est là qu'il se rendit tout droit, et circonstance heureuse pour l'enquête, pendant le trajet, les chasseurs le virent passer à distance.
- « Tiens, dit l'un des enfants, voilà Tambour! », voulant désigner par là un autre jeune homme du pays.
- « Non, rectifia le second, ce n'est pas Tambour, c'est Jean-Louis ! »
En effet, c'était bien Jean-Louis Lizen qui montait vers sa victime.
Tambour, c'était Pierre Le Cam, 30 ans, domestique à Kergariou, en Elliant, qui s'avance précisément comme témoin. Il raconte que le jour du pardon de Kerdévot il était tombé dans un fossé, au retour, complètement ivre. Lizen vint à passer, le dépouilla du peu d'argent qu'il possédait et lui administra une volée de coups de trique, dont il se ressentit pendant quinze jours.
Le témoin. - Et encore, il voulait que je paie un litre !
Le président. - Pourquoi l'avez-vous frappé, Lizen ?
Lizen. - Nous étions en querelle au sujet 'une jeune fille.
Le président au témoin. - Vous avez été soupçonné d'avoir commis le crime ...
Le Cam. - Oui, et je demande même 200 francs de dommages-intérêts ! (Hilarité).
M. Huitric
Le dernier témoin entendu est M. Huitric, 30 ans, cultivateur à Niverrot, chez lequel Gourmelen prenait pension.
- « Comme il portait toujours son argent sur lui, je lui dis un jour qu'il pourrait être attaqué. Non, m'a-t-il répondu, je ne cherche chicane à personne et on me laissera tranquille. »
Interrogé sur l'avarice bien connue de son pensionnaire, le témoin donne ce détail que Gourmelen avait parlé de supprimer la soupe qu'il absorbait le matin et qui lui coûtait cinq sous. C'était trop de frais.
Le réquisitoire et les plaidoiries
M. Lhéritier, en un puissant réquisitoire, montre l'étendue de la culpabilité e Lizen et son meurtre crapuleux. Il demande pour lui un verdict dont la pitié sera exclue. C'est un bandit à froid dont il faut débarrasser la société.
Quant à Tanguy, il n'a été qu'un jouet entre les mains e celui qui avait pris sur lui un déplorable ascendant.
Me Jadé, défenseur de Lizen, fait le tableau de la jeunesse de son client, lequel a grandi au foyer d'alcooliques et qui, dans les verreries où il a été employé ne s'est pas trouvé à l'école de la vertu. Il demande que le verdict de culpabilité qui va intervenir ne soit pas impitoyable.
Me Alizon qui défend Tanguy sait toucher le cœur des jurés au sujet du gamin malheureux qu'il assiste et qui fut complice par crainte.
Le verdict
Après une longue délibération, le jury rentre en séance avec un verdict affirmatif sur toutes les questions posées en ce qui concerne Lizen, mais lui accorde les circonstances atténuantes.
Il met Tanguy hors de cause.
En conséquence, la Cour, après en avoir délibéré, acquitte Tanguy et condamne Lizen à 15 ans de travaux forcés.
Le président remercie le jury de la bonne justice qu'il a rendue en ces jours et déclare la session close.
La session est close.
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Ouest Eclair du 17.01.1931
« Quimper. Aux Assises du Finistère. Le crime de deux vauriens : pendant que l'un faisait le guet, l'autre assommait un vieillard à coups de houe.
Quimper, 17 janvier (de notre rédaction). La dernière audience de la première session des Assises appelle l'affaire suivante :
Louis Lizen, 19 ans, domestique de ferme à Niverrot, en Ergué-Gabéric, est accusé : 1° d'avoir, le 12 octobre 1930, tué un casseur de pierres, François Gourmelen, 56 ans ; 2° d'avoir volé une certaine somme d'argent au préjudice de sa victime et ce, avec préméditation.
André Tanguy, 14 ans, domestique de ferme au même lieu, est accusé de complicité.
Les faits
L'accusé, Louis-Marie Lizen, 19 ans, domestique de ferme chez M. Bourbigot, cultivateur au village de Niverrot, en Ergué-Gabéric, avait travaillé précédemment comme ouvrier verrier à Blangy-sur-Bresle [7] (Seine-Inférieure), où il avait laissé une jeune fille qui était, dit-il, devenue sa maîtresse. Au mois d'août 1930, celle-ci lui écrivit qu'elle était fiancée et que, dès lors, il eut à cesser sa correspondance.
Lizen exhala sa colère devant son patron et devant le jeune André Tanguy, âgé de 14 ans, comme lui domestique chez M. Bourbigot, et sur lequel il avait pris un certain ascendant, disant à plusieurs reprises que s'il avait de l'argent, il achèterait un revolver et irait la tuer.
Un jour étant avec Tanguy, il s'arrêta à parler avec un casseur de pierres, François Gourmelen, âgé de 56 ans, qui venait de vendre des cailloux et qui montra à Lizen et à Tanguy la somme de 5 à 600 francs qu'il portait sur lui.
§ Le même jour, Lizen projetant de voler cet argent ...
Le même jour, Lizen projetant de voler cet argent dit à Tanguy : "Gourmelen est bon à faire", ce à quoi Tanguy répondit : "Si tu veux". Dans la suite, Lizen tenta de dévaliser Gourmelen qui passait pour porter toujours sur lui ses économies, mais celui-ci ne quittant pas son veston pour travailler, il ne put y travailler. Il décida alors de le tuer. Le samedi 11 octobre dernier, Lizen dit à Tanguy qu'il ferait "le coup", le lendemain, pendant que Gourmelen travaillerait à l'arrachage des pommes des terre, Tanguy acquiesça.
Le dimanche 12 octobre, dans la matinée, Lizen vérifia si Gourmelen travaillait bien dans le champ. L'après-midi, après avoir aidé, avec Tanguy, à charger un tombereau de pierres, il l'envoya reporter sa fourche chez son patron et lui recommanda de revenir vite le rejoindre, en se tenant, pour faire le guet, dans le chemin qui longe le champ.
Lizen s'approcha de Gourmelen qui travaillait et lia conversation avec lui. Il prit la houe qui était posée à terre et arracha lui-même quelques pieds de pommes de terre pour mettre Gourmelen en confiance.
Au bout de quelques minutes, apercevant Tanguy qui, monté sur le talus, lui indiquait par signe que personne ne venait, Lizen porta à Gourmelen, alors que celui-ci était baissé, un violent coup de houe qui l'atteignait au front. Gourmelen tomba sans pousser un cri. Comme il remuait encore, Lizen lui porta sauvagement d'autres coups de houe. Ayant constaté que Gourmelen était enfin mort, Lizen fouilla ses poches et s'empara de son argent.
Il rentra ensuite chez son patron, et dans le hangar qui lui servait de demeure, il compta la somme volée, 1.660 francs, a-t-il déclaré, et commença une lettre pour sa maîtresse. Quant à Tanguy, après avoir sur le talus fait signe à Lizen que personne ne venait, il s'était aussitôt enfin pour ne pas assister au crime et était revenu chez son patron où il s'était mis à jouer avec les enfants et avait pris une collation.
Un peu après, tandis que Bourbigot averti de la mort de Gourmelen se rendait près du cadavre, Lizen mit Tanguy au courant de ce qu'il avait fait et lui offrit 600 francs, en lui recommandant de garder le silence. Tanguy refusa l'argent, disant qu'il n'en avait pas besoin. Lizen et Tanguy ont reconnu les faits.
L'autopsie a établi que Gourmelen, frappé de plusieurs coups avec violence, avait succombé à une fracture du crâne.
Lizen a été condamné pour vol, le 2 juillet 1929, à quinze jours de prison avec sursis. Il est représenté comme peu travailleur, dépensier et vantard.
Tanguy n'a pas d'antécédents judiciaires. Orphelin de père et sa mère étant hospitalisée depuis cinq ans, il est pupille de l'Assistance publique. De bons renseignements sont fournis sur son caractère et ses habitudes au travail.
L'audience
Une nombreuse affluence se pressait encore hier samedi, à 13 heures, au Palais de Justice, pour suivre les débats de cette affaire qui causa dans la région quimpéroise une grosse émotion.
Louis Lizen, au premier abord, ne parait pas avoir une mauvaise mine mais son regard sournois décèle un caractère peu commode. Il est correctement vêtu d'un imperméable jaune et, certes, son attitude générale ne donne pas l'impression d'un domestique de ferme ordinaire.
Quant au jeune Tanguy, qui ne parait pas très à son aise, il jette un regard furtif de temps à autre sur l'auditoire en se tortillant les doigts.
Me Jean Jadé et Me Alizon sont assis au banc de la défense.
L'interrogatoire de Lizen
Le jeune meurtrier répond tout d'abord d'une voix faible et, invité à s'exprimer, déclare : "Je ne me rappelle pas".
Le président retrace alors les faits en un monologue coupé de temps en temps par cette question :
- Est-ce bien cela ?
- Oui.
Lizen était employé chez M. Bourbigot, à Niverrot, à raison de 200 fr. par mois en temps normal et 300 fr. durant la moisson.
- Vous saviez que le vieux Gourmelen portait son argent sur lui ?
- Oui.
Alors l'idée vint d'accomplir le crime dont le président retrace les péripéties que nous relatons plus haut. Il souligne les manœuvres de Lizen pour essayer de cacher son acte criminel, car déjà l'opinion publique unanime me désignait comme étant le coupable.
- Reconnaissez-vous avoir commis le crime avec préméditation ?
- Oui.
- Pourquoi avez-vous fait cela ? Pour pouvoir aller rejoindre votre maîtresse ?
- Oui.
Lizen, en effet, avait appris que Mlle Paulette Galant, la jeune fille qu'il avait connue à Falancourt (Seine-Inférieure), allait se marier malgré leurs relations antérieures.
- C'est alors que vous avez dit : "Si j'avais de l'argent j'achèterais un revolver pour aller tuer Paulette".
- J'ai dit cela dans un coup de colère.
- N'empêche que vous l'avez dit et que c'est sans doute à partir de ce moment-là que vous avez conçu l'idée de tuer le vieux Gourmelen.
- Non, j'avais seulement alors l'intention de le voler.
Les renseignements pris sur Lizen ne sont pas très bons. On le représente comme étant violent et surtout très vantard.
Natif de Fouesnant, de parents misérables, il débuta comme tant d'autres hélas ! à l'âge de 13 ans, dans les verreries d'abord à Rouen, puis dans plusieurs autres villes de Seine-Inférieure. On sait ce qu'est l'existence des enfants embauchés dans ces établissements. Aussi si les jurés trouvent une circonstance atténuante quelconque en faveur de Lizen, c'est cette particularité qui, à notre avis, pèsera d'un grand poids sur leur détermination.
Le président. - Qu'avez-vous à ajouter ?
- Je regrette, monsieur le Président.
- Est-ce vous qui avez été l'instigateur du crime ?
- Oui c'est moi.
Avant la fin de l'interrogatoire, un juré pose une question judicieuse :
- Le 12 octobre, Lizen était-il sous l'influence de la boisson ?
- Oui, j'avais bu un litre de vin rouge et de l'eau-de-vie de cidre.
Le jeune Tanguy
Le complice de Lizen est ensuite interrogé.
De bons renseignements sont fournis sur son compte et son patron, surtout avant l'arrivée de Lizen, était très content de lui.
« C'est Lizen, dit-il qui me confia quelque temps avant le crime, que le père Gourmelen serait "bon à faire". Le Matin du 12 octobre il me dit : "Ce sera pour cet après-midi ».
Le président. - En somme, c'est lui qui vous a monté toute l'affaire ?
- Oui.
- Pourquoi êtes-vous parti quand Lizen allait frapper le vieux ?
- Parce que je ne voulais pas assister au crime. Lizen m'a alors offert 600 francs pour ma part en me menaçant : "Si tu dis un mot, je te tuerai toi aussi". Mais j'ai refusé.
Est-ce sous l'effet de cette crainte que le jeune Tangue dissimula la vérité au cours de l'enquête ? Il est permis de le croire, car il semble avoir été toujours terrorisé par l'autre.
« Il me menaçait de coups, dit-il ; si je ne l'aidais pas à commettre le crime ».
Tanguy, cependant, n'a pas toujours eu une conduite exemplaire ; c'est ainsi qu'il fut renvoyé de l'orphelinat Massé, pour indiscipline et méchanceté.
Son enfance a été malheureuse ; son père, qui avait 12 enfants l'envoyait mendier un peu de pain quand il était petit petit.
Les témoignages
Le docteur Renault, médecin-légiste, paraît d'abord à la barre. Il fit l'autopsie du cadavre de Gourmelen et constata que ce dernier portait plusieurs blessures, mais seulement à la tête. L'une d'elles, particulièrement violente, intéressait la région frontale ; elle avait dû être donnée au moment où le malheureux était courbé, ramassant les pommes de terre. Les autres, dont une fracture à la base du crâne, avaient été portées l'homme étant à terre. En somme, Gourmelen avait été abattu comme un bœuf, puis achevé avec sauvagerie.
Le président. - Est-ce vrai, Lizen ?
- Oui.
Le docteur Lagriffe a examiné, au point de vue mental, le jeune Tanguy. Celui-ci, fils d'un buveur et d'une mère épileptique, est cependant normal, doué d'un esprit vif et éveillé. Le praticien croit qu'il a subi l'influence de Lizen.
L'adjudant de gendarmerie Cabellan, des brigades de Quimper, a pris l'enquête en mains dès le début. Lui et ses gendarmes, qui se dépensèrent sans compter dans cette affaire, furent tout de suite renseignées par l'opinion publique, mais il était difficile d'obtenir les aveux de Lizen ... Celui-ci s'indigna :
- Comment, on ose me soupçonner ?
Et il donna l'emploi de son temps : déchargement d'une charretée de pierres avec Tanguy et M. Rioual ; puis, vers 14 heures, retour à la ferme, où il écrit une lettre à sa maîtresse.
Cependant, la gendarmerie s'apprêtait, devant de graves présomptions, à l'arrêter, quand la police mobile qui, entre temps, était entrée en jeu, obtint enfin les aveux des coupables.
M. Richard, commissaire à la brigade mobile de Rennes, retrace, lui aussi, les péripéties de l'enquête que lui et les inspecteurs principaux Le Gall et Le Poulennec menèrent en la circonstance.
Ce que les policiers avaient eu tout d'abord en vue, c'était de connaître l'endroit où Lizen avait caché la somme de 1.660 francs volée. Ils le suivirent et parvinrent à l'appréhender au moment où il changerait de place à l'argent. Le coupable était confondu.
Sur un propos, rapporté par le témoin, relatif à la préméditation, Me Jean Jadé demande des précisions :
- Lizen, dit-il, a prononcé ces mots "Fanch est bon à faire". Bon à tuer ou bon à voler ?
MM. les Jurés tiendront compte de cette observations.
Défilent ensuite ; MM. Jean-Louis Quéméré, 30 ans, meunier à Kernahaut, en Elliant, patron de Gourmelen, sur lequel il donne de bons renseignements ; Laurent Legrand, 29 ans, cultivateur à Menez-Niverrot, en Ergué-Gabéric, qui trouva, vers 15 h. et demie, le cadavre du vieillard dans le champ.
M. Bourbigot, 31 ans, cultivateur à Niverrot, en Ergué-Gabéric, employait les deux accusés : "Sur le coup, dit-il, je n'eus aucun soupçon, car Lizen et Tanguy, mis en face du cadavre, demeurèrent parfaitement calmes et impassibles". Le témoin fut cependant troublé par des traces de sabots se dirigeant du champ vers la ferme et qu'il reconnut pour être celles de Tanguy.
« Lizen, continua-t-il, était travailleur, mais seulement quand il se trouvait en ma compagnie. Quant à Tanguy, il a certainement été entraîné par l'autre ; c'est un excellent garçon que nous estimions tous. Je le reprendrais volontiers chez moi ».
M. Louis Barre, 45 ans, cultivateur à Kerlavian, en Elliant, dépose pittoresquement en claquant les talons :
- J'ai vu Lizen près de la charrette de pierres, dit-il. C'est tout.
- Vos enfants n'ont-ils pas prêté de l'argent à Lizen ?
- Ah, mais non, pas un sou, car je les tiens, moi.
M. Jean-Marie Rioual, 35 ans, charretier à Trégunc, qui était à Niverrot quelques jours, n'a pas entendu Lizen proférer des menaces contre le vieux.
Voici M. René Leroux, 45 ans, cultivateur à Kerdévot, son fils Jean, 15 ans et le jeune Jean Rannou, 15 ans. Tous trois chassaient dans l'après-midi du 12 octobre, à proximité de Niverrot. Tout à coup, vers 14 h. 50, le jeune Rannou vit un homme se diriger vers le champ où travaillait Gourmelen. "Tiens, voilà "Tambour", dit-il. "Non, répondit le fils Rannou, c'est le domestique de Niverrot".
Cette circonstance aida beaucoup à l'arrestation des criminels.
Pierre Le Cam, dit "Tambour", 30 ans, domestique de ferme à Kergariou, en Elliant, vient expliquer que le jour du pardon de Kerdévot, il était totalement ivre et allongé dans le fossé. Profitant de cette circonstance favorable, Lizen lui allongea une volée de coups de trique et lui déroba un billet de 10 francs et deux pièces de 20 sous : toute sa fortune. L'infortune "Tambour", qui ne paraît pas avoir inventé la poudre, fait l'objet de soupçons au lendemain du crime.
- Oui, dit-il ; même que c'était bien embêtant. Aussi je demande, M. le juge, qu'on me verse 200 francs de dommages intérêts.
Cette prétention est accueillie par un rire général et notre homme s'en va tout confus.
C'est chez M. Huitric, 30 ans, cultivateur à Niverrot, que Gourmelen prenait pension. « Il était très avare, dit-il. Un jour, - c'était après le crime de Gouézec [8] - je lui fis remarquer qu'il était imprudent de sa part de garder toujours son argent sur lui.
« Bah, me répondit-il, je n'ai jamais fait de mal à personne. Qui voudrait s'attaquer à un malheureux comme moi ? »
Le réquisitoire et les plaidoiries
M. Lhéritier, procureur de la République, s'attache tout d'abord à démontrer que Lizen fut l'organisateur avant d'être l'exécuteur du crime. Il le montre doué d'une volonté consciente et opiniâtre, préparant son coup avec patience, aidé du jeune Tanguy.
Le procureur retrace la vie de Lizen, son caractère violent, son esprit vantard, puis il passe au jeune Tanguy lequel, selon lui, n'a été qu'un instrument docile entre les mains de l'autre.
L'orateur termine en demandant aux jurés de rendre l'enfant à un milieu sain où il oubliera qu'il aura été le complice d'un assassin. Quant à Lizen, il a commis un assassinat avec préméditation. Cette circonstance entraine la peine de mort. A vous de dire, conclut le magistrat, s'adressant aux jurés, s'il a vraiment mérité des circonstances atténuantes.
Me Alizon, dans un brillant exposé, va s'efforcer de disculper totalement le jeune Tanguy. Il montre le lamentable destin qui fut celui de ce jeune homme de 14 ans et sa misérable enfance sans tendresse. L'avocat arrivant aux faits demande à quel mobile a pu obéir Tanguy. Est-ce à son affection pour Lizen ? Est-ce l'amour de l'argent ? Non. Est-ce à la crainte ? très probablement. En tout cas il n'a pas participé au crime.
En terminant, Mr Alizon supplie les jurés de rendre cet enfant à son patron, qui est prêt à le reprendre dès ce soir.
La tâche de Me Jean Jadé, avocat désigné d'office pour défendre Lizen, est certes très lourde. Mais l'éloquent avocat saura user de tous les arguments restant à sa disposition.
Il se demande si la société n'a pas une lourde part de responsabilité dans ce drame commis par un jeune homme abandonné dès son enfance, puis confié, dès l'âge de 13 ans, à ces verreries où trop d'enfants se livrent dans une promiscuité morale à un travail épuisant. Son hérédité a pesé certainement sur son geste meurtrier.
Le défenseur termine en rappelant aux jurés la mission redoutable qui leur est confiée et en faisant appel à leur pitié.
Le verdict
Après une longue délibération, le jury rentre dans la salle d'audience. Son verdict en ce qui concerne Lizen est affirmatif sur toutes les questions. Les circonstances atténuantes lui sont cependant accordées.
Concernant le jeune Tanguy, le verdict est négatif.
La Cour condamne Lizen à 15 ans de travaux forcés ; Tanguy est acquitté.
La session est close.
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Petit Breton du 01.02.1931
Après les assises du Finistère
La Cour d'Assises du Finistère a, au cours de la première session de l'année 1931, qui a été close samedi, jugé deux très graves affaires d'assassinat avec préméditation et vols, qui avaient causé une légitime émotion dans notre département, et tout particulièrement dans le monde agricole, qu'ils intéressaient d'une façon plus spéciale.
[...]
En ce qui concerne l'affaire qui est venue samedi devant la Cour d'Assises, M. Lhéritier, procureur de la République, n'a pas hésité, dans son réquisitoire, à demandé au jury de rendre un verdict impitoyable, c'est-à-dire portant condamnation à mort, pour l'assassin du casseur de pierres François Gourmelen, d'Ergué-Gabéric, le jeune Louis Lizen, âgé de 19 ans, originaire d'Elliant, domestique de ferme, à Niverrot, dans cette commune.
§ La responsabilité de Lizen était, en effet, entière ...
La responsabilité de Lizen était, en effet, entière ; mais Me Jean Jadé, qui avait la lourde tâche de présenter la défense du jeune criminel, s'est efforcé d'apitoyer le jury en lui exposant la triste jeunesse de Louis Lizen, fils d'un père et d'une mère alcooliques, abandonné à lui-même sans conseil et sans affection, puis jeté dès l'âge de 13 ans, dans une de ces verreries de la Seine-Inférieure où trop d'enfants se livrent à un travail épuisant dans une lamentable promiscuité morale.
Me Jean Jadé a soutenu que son hérédité a pesé certainement sur son geste meurtrier et il a adjuré le jury dans une belle envolée oratoire de faire aussi la part des responsabilité de la société dans l'abandon dont Louis Lizen a été l'objet depuis sa naissance. Il a terminé en faisant appel à la pitié du jury et en l'adjurant de laisser pour son client une porte ouverte pour lui permettre de s'amender et de reprendre sa place dans une vie honnête et de devoir.
Me Alizon, l'éminent bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Quimper, avait, avec son grand cœur et son admirable éloquence, présenté la défense du jeune André Tanguy, 14 ans, aussi domestique de ferme, à Niverrot, en Ergué-Gabéric, accusé de complicité dans l'assassinat de François Gourmelen - de Fanch comme on l'appelait - et, dans une émouvante péroraison, il a adjuré le jury de l'acquitter, de le rendre à son ancien patron, M. Bourbigot, 31 ans, cultivateur, à Niverrot, en Ergué-Gabéric, cité comme témoin, qui avait donné sur lui les meilleurs renseignements - et qui avait demandé aux jurés qu'il lui soit rendu.
- C'était là, comme l'a dit M. Bertin, conseiller à la Cour d'appel de Rennes, qui « magistralement » - c'est le cas de le dire - présidé les assises, le plus bel éloge qu'on pouvait faire du « petit André Tanguy ».
Le jury a écouté l'appel de Me Alizon et a acquitté sont tout jeune client.
En ce qui concerne Louis Lizen, le jury a répondu affirmativement à la question d'assassinat, à celle de préméditation et à celle de vol.
C'était donc la peine de mort. Mais le jury a décidé, après plaidoirie e Me Jean Jadé, qu'il y avait lieu de faire bénéficier des circonstances atténuantes - ce qui pouvait entrainer une condamnation aux travaux forcés à perpétuité.
Le jury est allé plus loin et n'a pas voulu non plus s'arrêter à cette peine. Aussi, a-t-il fait prier M. le Conseiller Bertin de vouloir bien se rendre dans sa salle de délibération où il lui a, parait-il, exprimé son désir ...
Et voilà comment Louis Lizen a été condamné à quinze ans e travaux forcés.
Il convient d'ajouter le chef du jury - c'est-à-dire celui dont le nom est sorti le premier de l'uere pour les douze jurés appelés à siéger dans cette affait - a été Jean Cap, commerçant à Plouescat. Il convient d'ajouter aussi que trois Brestois ont siégé comme jurés dans l'affaire du crime de Niverrot, en Ergué-Gabéric : M. René Canévet, instituteur en retraire, Guillaume Goachet, ancien entrepreneur de peinture et Joseph Pellé, publiciste.
Le verdict du jury a été attendu avec impatience par l'affluence énorme qui avait envahi la salle de la Cour d'assises dans toutes ses parties - prétoire compris.
Oh! combien ces deux longues audiences ont été cependant pénibles, navrantes, écœurantes de voir assis sur le banc de la Cour d'assises, prévenus d'assassinats et de vols, trois accusés respectivement de 14 à 19 ans. Il y a, incontestablement, comme l'ont si éloquemment dit MMrs Alizon et Jean Jadé, beaucoup à faire, au point de vue social, pour arrêter la jeunesse dans la voie du crime. C'est une tâche à laquelle il convient de suite de s'attacher. Le temps presse.
Voilà la morale de eux lamentables affaires d'assassinats que la Cour d'assises du Finistère vient de juger.
A.R.
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