Dans un registre plus politique, il nous rappelle page 376 l'existence des trostkistes de Lestonan :
Au mois d'octobre 1945 nous avons eu référendum et élections législatives, après quoi, en janvier suivant, trouvant que c'était la pagaille, De Gaulle s'est mis à l'écart ; en mai, nouveau référendum avec la victoire des "non" au projet de Constitution ; en juin, nouvelles élections d'une Assemblée constituante et en octobre un ultime référendum adopte enfin la Constitution de la Quatrième République. Entre temps, des élections municipales ont eu lieu. Des femmes ont été elues. Et les bagarres n'ont pas cessé entre partisans des oui-oui, des non-non, des oui-non et des non-oui, en réponse aux référendums. Y voir clair n'est pas très facile et ce sont sans doute les partis qui vont guider les électeurs. L'éventail de ceux-ci est très large. Il y a à gauche les socialistes, et plus à gauche les communistes qui sont actifs et virulents, et plus à gauche que l'extrême-gauche on trouve même des trotskistes dont le noyau dur et actif vient nous voir depuis Lestonan et les Papeteries Bolloré. Au centre on trouve le MRP, formé de chrétiens résistants qui se disent aussi de gauche et qui ont des idées novatrices ; il y a aussi les radicaux, anciens caciques de l'avant-guerre, usés par de vieux souvenirs qui voudraient bien se rénover. Comme dit mon père, "ils n'ont pas dû beaucoup changer les radicaux, toujours semblables à des radis, ils sont rouges à l'extérieur, tout à fait blancs à l'intérieur et proches de l'assiette au beurre". À droite, il y a le PRL, libéral et conservateur. Arrivé au dernier moment, se présente le RPF, parti du général de Gaulle, fondé depuis sa démission. Jean Maurin qui le représente, et qui nous fit tant espérer lorsqu'il parlait à Radio-Londres, malgré sa popularité, ne sera pas élu. Sur les six députés du Finistère, cinq seront des MRP, trois seront des socialistes et deux du Parti communiste. Grosso modo, le département garde entre blancs et rouges son équilibre du passé. Le vote des femmes n'a rien changé.
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Page 356 il évoque le passage de la 6e division armée sur la route de Coray (p. 346), un évènement qui a marqué aussi plusieurs jeunes gabéricois : « Souvenirs d'enfance de fin de guerre 1939-45, par Michel Le Goff » ¤
Trois jours plus tard [1] , nous fûmes attirés par le bruit sourd et continu d'une colonne de camions, roulant vers Coray et Gourin et passant par Kroaz-Menez-Brizh. Une partie de l'armée Patton [2] , conduite par le général Patch [2] , qui après plusieurs semaines de combat venait de libérer Brest, partait rejoindre le front en Champagne. De dix heures du matin jusqu'à cinq de l'après-midi de l'après-midi, les véhicules, par centaines, à trente mètres l'un de l'autre, n'ont pas cessé de défiler : des GMC, des jeeps, avec leurs équipages casqués en tenue kaki, mâchant leur chewing-gum. Les GI étaient blancs et blacks mélangés et leur allure décontractée contrastaient bien étrangement avec la raideur germanique de leurs prédécesseurs teutons. Eux, faisant partie d'un interminable serpent, imbriqués dans une machine, roulaient sans pouvoir s'arrêter. Ils répondaient à nos saluts avec des sourires et des gestes, levant parfois un bras ou nous lançant des friandises, bonbons, cigarettes ou chewing-gum. Hello ! Liberty ! Bravo ! Thank you ! C'est tout ce que nous savions crier.
Auprès de la pompe à essence vide du maréchal-ferrant, à l'angle du carrefour, la première voiture du convoi avait déposé, le matin, un GI chargé d'indiquer la route aux suivants. C'était un beau gars de vingt ans, brun et hâlé, de type plutôt hispanique : il ne parlait pas le français. Comme il n'entendait pas davantage le breton, il réussit à nous faire tout de même comprendre, avant la fin de la journée, qu'on l'avait déposé là à cause de ses origines : ses parents étaient nés français mais ils ne parlaient que le basque. Cela nous rapprocha beaucoup : chez nous aussi nous avions des cousins devenus citoyens US, qui bien que de parents français parlaient uniquement breton, avec, bien sûr, le new-yorkais.
§ Nous avions cherché un interprète ...
Nous avions cherché un interprète en la personne de Louis Le Goff, notre américain à nous dont je vous ai déjà parlé, rentré chez lui des USA en 1933. La communication ne put s'établir à notre grande déception et à la vexation de Louis. « Je ne comprends rien, nous dit-il. Ce n'est plus mon américain. Ils ont sûrement changé la langue ! » Nous nous gaussâmes un peu de Louis qui se trouvait bien malheureux. Nous avions tort ; car nous apprîmes plus tard que l'américain est une langue qui évolue beaucoup et vite.
Finalement, pour fraterniser, il ne nous restait que le cidre et le lambig. Il faisait chaud, il faisait soif. À quatre heures de l'après-midi, notre héros libérateur, auprès de la pompe à essence, les bras en croix, ivre-mort, ronflait sur le dos. À cinq heures, le dernier GMC du convoi a stoppé. Deux noirs immenses en ont jailli. Ils ont saisi notre devenu copain, plus mort que basque, l'un par les jambes, l'autre par les bras, l'ont balancé d'un seul mouvement dans la benne du véhicule où s'entassaient d'autres comme lui, épuisés depuis le matin par leur tâche de sentinelles des carrefours et par la fraternité bretonne.
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