Texte complet et CD pour la mémoire : « Le fichier du STO, par Jean LE BRIS et Jany Grégoire » ¤ édité par l'Association Amicale des Anciens de la Tour d'Auvergne (Quimper).
Jean Le Bris a raconté comment le cambriolage des dossiers fut organisé et comment François Balès fut la charnière entre le groupe de Quimper et celui d'Ergué-Gabéric :
Des projets furent étudiés: explosifs ? incendie ? commando armé ?
Laurent Jacq, ancien polytechnicien, et chef direct d'Antoine et de René dans la Résistance, après autorisation de son supérieur (le Général Audibert à Nantes), opte pour le déménagement en douceur de tous les documents du S.T.O., un vendredi soir, le 14 janvier, après la fermeture des bureaux. Loulou, Antoine et Jeannette sont chargés de mettre au point l'opération, qui ne devra durer que dix minutes...
Les détails du cambriolage ont été racontés dans "le Finistère dans la guerre", de G.M. Thomas et A. Le Grand, puis dans les "Clandestins de l'Iroise", de R. Pichavant: Deux groupes vont intervenir: celui de Quimper, avec Laurent Jacq, René Fauvel, Jean Le Bris et Léon Dolley; celui d'Ergué Gabéric: Hervé Bénéat, Jean Le Corre, Pierre Le Moigne et Pierre Germaine. François Balès attendra à la sortie, au volant de la voiture de sa tante, empruntée pour l'occasion. C'est lui qui fait la charnière entre les deux groupes...
Les pendules du S.T.O. ont été avancées de 10 minutes en fin d'après-midi, pour hâter le départ des employés, de tous les employés: Loulou et Antoine soigneront leur alibi en se rendant ostensiblement au Café de Bretagne où un ami, Maurice Fily, les a invité à fêter son anniversaire.
Mais laissons parler Jeannot Le Bris Il était là, ce 14 janvier:...
- Nous sommes à l'heure convenue, René Fauvel et moi, dans le bureau de Jeannette Cras, le "bureau du public". René a dans la main sa carte de travail, et ceux qui passent à côté de nous peuvent l'entendre demander des renseignements, des précisions... Je ne dis rien, mais je suis visiblement intéressé. La pendule indique 18 h 30. Jeannette n'écoute plus la voix de René.. Elle surveille les sorties. Encore un et c'est fini. Elle a pour nous un sourire pâle, et s'en va, nous laissant maîtres des lieux.
- Laurent Jacq entre le premier, puis les autres, avec des sacs à pommes de terre sous le bras. Laurent répartit le travail: René et moi nous nous occupons du petit bureau où nous sommes.
- Nous prenons tout: dossiers, agendas, et même des feuilles blanches. Tout est entassé dans les sacs à patates. Laurent fait faire le vide dans le grand bureau. Tout se fait sans un mot. Je ne connais pas l'équipe qui travaille à côté de nous, mais ils vont vite...
- Chacun sort à son tour et disparaît.
- Ça y est. Nous aussi nous sortons.
- Laurent, dans la petite cour devant les bureaux, parlemente avec un Fritz. Il a sorti de son portefeuille une carte barrée de tricolore, et explique: "Tout doit être mis en sécurité à la Préfecture... Sécurité!". L'Allemand hoche la tête, tient la porte pendant que l'un de nous passe. C'est lourd, le papier!
- Je jette mes deux sacs dans la voiture qui attend de l'autre côté du boulevard. Il y a quelques sacs blancs: probablement des blouses nouées sur des dossiers... Une fente horizontale de lumière passe par les phares masqués de la voiture qui s'en va en direction de la gare. Et nous nous en allons, sans nous presser, sans nous retourner, René et moi, guettant un bruit, un cri, une détonation. Rien. Dans quelques minutes, je vais retrouver au Bretagne ma femme Zabeth, mon frère Antoine, Loulou et les copains.
- C'est fini. J'ai la gorge sèche.
- Vivement une bonne bière!
Et pendant près d'une heure, l'anniversaire de Maurice Fily est célébré comme il convient, comme si rien ne s'était passé. Une panne de courant à 18 h 37 force les garçons du café à sortir l'éclairage de secours, qui semble rendre la fête plus intime.
De temps en temps, Loulou lance un coup d'oeil à Antoine, prenant bien soin de ne trahir ni satisfaction de savoir le coup réussi, ni inquiétude à l'idée de ce qui peut suivre, tandis que René raconte, sur le mode épique, la dernière partie de foot qu'il a jouée dans les rangs du Club Athlétique de Penhars...
De temps en temps, Élisabeth serre bien fort la main de Jeannot...
A Ergué-Gabéric, l'auto de Fanch Balès a déjà été débarrassée de son encombrant chargement, et la cheminée de la boulangerie envoie dans le ciel des panaches d'étincelles: les dossiers du S.T.O. de Quimper s'envolent en fumée.
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Et voici comment Maurice Dirou évoque son compagnon de 6e au Collège de la Tour d'Auvergne de Quimper :
Quand je repense à François Balès, je nous revois, perdus dans la "cour des petits" froide et hostile, où les grands de 5e font les importants au milieu des jeunes internes arrivés la veille à la T.A. La plus grande confusion règne.
Sous la galerie, j'évite tant bien que mal poursuites et quolibets. "Sale bleu, sale bleu" crie le gros lourdaud qui me traque...
François Balès, un jeune garçon au teint clair, les joues piquées de taches de son, se range à mes côtés. Ses yeux bleu-gris, ombragés de très longs cils, fixent notre adversaire avec une feinte férocité. Devant nos quatre poings brandis, le faux dur s'arrête, nous jauge et bat en retraite en haussant les épaules.
Notre camaraderie, commencée ce soir d'octobre, nous permit de vaincre ensemble nos cafards de jeunes potaches à qui manquait le milieu familial. Nos places étaient voisines en classe, en étude, au réfectoire et même au dortoir. Chaque lundi matin nous retrouvait plus forts de notre amitié...
Au long des années, Fanch, le petit gabéricois, était devenu un grand garçon musclé, aux épaules larges, qui attirait le regard des jeunes filles. Voici les deux vers que lui consacrait Bouynot en 1937, dans la "Revue de Seconde A":
- "Balès, dit le costaud, qui jamais ne se hâte,
- loin du pétrin d'Ergué met la main à la pâte..."
Fanch devait abandonner ses études l'année suivante, pour seconder son père malade, puis le remplacer au fournil de la boulangerie d'Ergué. Avec sa soeur Catherine, ils surent faire face aux difficultés de tous ordres, multipliés en 1940 par les restrictions et les tracasseries diverses de l'Occupation.
C'est dans le four de sa boulangerie qu'il brûla les dossiers du S.T.O. de Quimper.
Ayant réussi à échapper aux recherches, il continua son action dans la Résistance. La libération le retrouva membre des "Corps Francs F.F.I." pendant les combats de la Presqu'île de Crozon en 1944.
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Cour du collège de la Tour d'Auvergne
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