Déguignet invective le jésuite Ernest Renan en l'opposant au protestant David Strauss - GrandTerrier

Déguignet invective le jésuite Ernest Renan en l'opposant au protestant David Strauss

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Comment expliquer les multiples attaques du paysan bas-breton contre la Vie de Jésus de son compatriote breton Ernest Renan, alors que l’œuvre similaire du théologien allemand David Strauss lui semble intellectuellement juste et utile ?

  • « Dès la première page de cette fameuse Vie de Jésus, je vis que mon compatriote [Ernest Renan] était resté jésuite, mais un jésuite plus malin, plus roué que tous ses collègues de Saint-Sulpice. », L'intégrale, p 277
  • « Une autre vie de Jésus contée par l'Allemand Strauss, vie beaucoup plus véridique ou du moins plus conforme aux récits évangéliques, dans lesquels ainsi que le démontre ce Strauss, et ainsi que tout homme de bon sens pourrait le faire, il est impossible de trouver autre chose qu'un imposteur, un parjure, un impie, un traître et un bandit », Ibid

Autres lectures : « DÉGUIGNET Jean-Marie - Jésus, fils aîné de Marie-Joachim » ¤ « Cahier de notes sur la "Vie de Jésus" d'Ernest Renan » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ 

Ernest Renan (1823-1892)

1 Présentation

Quand « La vie de Jésus » d'Ernest Renan est publiée en 1863, cela provoque un véritable scandale. Il ose soutenir que la biographie de Jésus doit être comprise comme celle de n'importe quel autre homme, et que la Bible doit être soumise à un examen critique comme n'importe quel autre document historique. Le pape Pie IX, très affecté, le traite de « blasphémateur européen », et en 1864, le ministre de l'Instruction publique Victor Duruy supprima son cours. Mais la posture de Renan n'est pas suffisante pour l'anti-clérical Jean-Marie Déguignet qui entreprend de le critiquer violemment.

Déguignet le qualifiait de « petit jésuite breton » ou de « jésuite défroqué ». Renan a certes baigné dans les milieux jésuistiques, formé notamment au séminaire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet et ensuite celui de St-Sulpice d'Issy-les-Moulineaux (et non l'église parisienne à l'architecture dite jésuite). Mais dans son essai "L'Avenir de la science, Pensées de 1848", il écrira lui-même : « Les Jésuites ont fait de l'éducation une machine à rétrécir les têtes et à aplatir les esprits, selon l'expression de M. Michelet ».

Mais Déguignet ne le voit pas ainsi, et il veut démontrer que Renan est Jésuite, prêt à tenir habilement deux thèses contradictoires : « Quand il eut fini de rouler ses lecteurs avec son Jésus nouveau modèle, il leur a dit comment que ce fameux Jésus de Nazareth n'a jamais existé et pour combler la mesure de la moquerie il termine en disant : « À moins qu'on en trouve la preuve dans l'Épître de Paul aux Hébreux et dans l'Apocalypse. » Ça, c'est leur dire, voilà mes pauvres ignorants comment les jésuites froqués ou défroqués savent rouler les imbéciles avec rien du tout. »

Et donc la thèse de Déguignet est que Renan ne va pas assez loin dans son analyse de la mythologie chrétienne et qu'il exclut les évangiles apocryphes : « ... comme le Protévangile de Jacques, l’Évangile de Thomas l’Israélite. Cet évangile diffère tant des synoptiques, ... Si Jésus parlait comme le veut Mathieu, il n’a pu parler comme le veut Jean. » Et que sa « Vie de Jesus » n'est qu'un énième évangile qui le présente comme un héros : « Après l'avoir porté aux "plus hauts des sommets", Renan va jusqu'à dire que c'était un bel homme et un joli garçon ».

 

Par contre Déguignet n'a rien à dire contre « La Vie de Jésus » du protestant alllemand Davis Strauss (1808-1874) : « une vie beaucoup plus véridique ou du moins plus conforme aux récits évangéliques » qui présente comment le personnage du nouveau testament est bâti exclusivement sur des mythes.

Ernest Renan avait également lu cette somme : « La critique de détail des textes évangéliques, en particulier, a été faite par M. Strauss d'une manière qui laisse peu à désirer. Bien que M. Strauss se soit trompé dans sa théorie sur la rédaction des évangiles, et que son livre ait, selon moi, le tort de se tenir beaucoup trop sur le terrain théologique et trop peu sur le terrain historique. »

Le livre de Strauss a scandalisé son époque en montrant un Jésus historique et non divin et par sa vision des évangiles comme récit inconscient des premières communautés chrétiennes. Après la publication de cet ouvrage, David Strauss fut révoqué et vécut désormais comme professeur de lycée et homme de lettres dans sa ville natale de Ludwigsbourg.

2 Citations

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Page 277 de l'Intégrale

Mais le bonhomme, qui était ancien sous-off, avait aussi une bibliothèque dans laquelle il avait tous les ouvrages nouveaux notamment Les Misérables de Victor Hugo [1] et La Vie de Jésus de Renan [2] dont on parlait tant alors. Ouvrages qui durent leur fortune à la grande disette qui régnait alors en littérature et aussi à ceux-là même qui voulaient interdire la lecture de ces ouvrages, c'est-à-dire aux évêques et au Pape lui-même, qui avait mis à l'index La Vie de Jésus. Et Badinguet [3] aussi, voulant plaire au Pape son compère retira à Renan sa chaire de professeur. Tout cela était plus que suffisant pour attirer sur ce livre l'attention universelle. Aussi Renan et ses éditeurs se réjouissaient, leurs adversaires leur faisant une fortune colossale. Les Misérables, je les avais déjà lu en partie à Poitiers.

§ Mais La Vie de Jésus venait de paraître seulement ...

§ ... une autre vie de Jésus contée par l'Allemand Strauss ...

Page 204 de l'Intégrale

Renan a dit que c'est à la vue de ces montagnes désolées et la lourdeur de l'atmosphère qui troublent l'intelligence des pèlerins et leur font voir les choses à Jérusalem, non telles qu'elles sont, mais telles qu'ils doivent les voir avec les yeux de la foi aveugle.

Page 619 de l'Intégrale

Le mystificateur Renan a fait mieux encore. Quand il eut fini de rouler ses lecteurs avec son Jésus nouveau modèle, il leur a dit comment que ce fameux Jésus de Nazareth n'a jamais existé et pour combler la mesure de la moquerie il termine en disant : « À moins qu'on en trouve la preuve dans l'Épître de Paul aux Hébreux et dans l'Apocalypse. » Ça, c'est leur dire, voilà mes pauvres ignorants comment les jésuistes froqués ou défroqués savent rouler les imbéciles avec rien du tout. Avec ce fameux Jésus de Nazareth, quoiqu'il naquit à Béthléem, on a roulé le pauvre populo ignorant depuis dix-huit siècles de toutes les façons et sur toutes les coutures. Puis voilà qu'un libre-penseur, un érudit, a trouvé le moyen de rouler aussi les libres-penseurs et les érudits avec lui. Quelle source de rouleries !

Page 3 des Notes sur la Vie de Jésus

Renan dit qu’on peut prouver l’existence de Jésus en dehors des évangiles, « par des textes d’une authenticité et d’une date incontestables, tels que les épîtres évidemment authentique des Paul, l’Épître aux Hébreux, l’Apocalypse et d’autres textes admis de tous. En dehors de cela le doute est permis. »

Page 5 des Notes sur la Vie de Jésus

« Enfin les évangiles apocryphes que l’on peut rapporter au 2e siècle, comme le Protévangile de Jacques, l’Évangile de Thomas l’Israélite, brodent sur le canevas des synoptiques et ne parlent pas de l’Évangile de Jean ». Quand donc et par qui cet évangile a-t-il été écrit ? Renan dit qu’il a dû être écrit vers l’année 170 par quelque disciple de l’école de Jean, fils de Zébédée et l’apôtre bien-aimé de Jésus. Cet évangile diffère tant des synoptiques, « il met dans la bouche de Jésus des discours dont le ton, le style, les allures, les doctrines n’ont rien de commun avec les logia rapportées par les synoptiques. Cette différence est telle qu’il faut faire son choix d’une manière tranchée. Si Jésus parlait comme le veut Mathieu, il n’a pu parler comme le veut Jean. »

§ ... le caractère superstitieux des anciennes religions ...

 

Page 17 des Notes sur la Vie de Jésus

Renan dit qu’il n’y a, dans tous les écrits du Nouveau Testament, que les Épîtres de Paul aux Galates et aux Hébreux qui aient de l’authenticité. « Sans elles le doute atteindrait et ruinerait de fond en comble même la vie de Jésus ». Et bien, je voudrais bien savoir ce que Renan a pu trouver d’authentique dans ces épîtres. Et d’abord, la vie de Jésus et la vie des apôtres ne sont connues que par une suite ininterrompue de Miracles et, Renan rejetant en bloc tous les miracles, que reste-t-il ? Si quelqu’un voulait se mettre à raconter la vie d’Alexandre et rejetterait toutes ses marches, ses aventures, ses combats et ses conquête, qu’est-ce qu’il pourrait raconter de cet homme puisque sa vie entière n’a été que cela. Renan, qui était un petit breton et connaissait les simples d’esprit, dit cependant : « Pourquoi ne croit-on plus aux anges, aux démons quoique d’innombrables textes historiques en supposent l’existence. » Renan oublie que dans son propre pays 99 sur cent y croient encore !

Page 316 de l'Intégrale

Après avoir causé, raisonné et déraisonné sur beaucoup d'hommes plus ou moins célèbres et de leurs œuvres, la dame vint à parler de Renan, dont on venait de publier la septième édition de sa Vie de Jésus. Celle-ci était catholique et, quoique aimant beaucoup la littérature profane, elle restait attachée au culte de Jésus et de Marie, Joachim, et elle en voulait à Renan d'avoir voulu détrôner ce roi des rois, elle parlait même d'écrire un ouvrage pour confondre ce renégat, cet impie. Alors, je dis à la dame qu'elle aiderait ainsi Renan et ses éditeurs à remplir leurs caisses, car cet évangile jésuistique, aussi stupide que les évangiles hébraïques, n'a eu de la vogue que parce que de hauts personnages s'étaient mis à l'attaquer afin de le faire connaître. Ce fut ainsi que le pape Pio None et Napoléon Badinguet firent connaître l'existence de ce cinquième évangile en frappant l'auteur, l'un en le chassant de l'Église et l'autre de l'enseignement. Renan et ses éditeurs se frottèrent les mains et se tapèrent sur le ventre de ce coup-là, ça leur valut des millions. Je ne sais pas ce que la dame pensa de mes observations, mais je crois bien qu'elle n'écrivit rien contre Renan, je n'en ai plus entendu parler.

Pages 9-10 du Jésus, fils aîné de Marie-Joachim

Renan aurait si bien fait de nous dire de suite que ce Jésus n'a jamais existé, à moins que vous ne trouviez des preuves dans Zend-Avesta [7] et dans les poésies d'Homère. Notre petit jésuite breton se posait ces questions au sujet de son héros : « Quelle fut sa famille ? Quelles furent ses idées messianiques ? Se regardait-il comme le Messie ? Quelles furent ses idées apocalyptiques ? Crut-il qu'il apparaîtrait en fils de l'homme dans les nues ? S'imaginait-il faire des miracles ? Quel fut son caractère ? Fut-il un juif pur comme Jacques ou rompit-il avec le judaïsme ? Quel fut l'ordre du développement de sa pensée ? Ceux qui ne veulent en histoire que de l'indubitable doivent se taire sur cela ». Mais mon ami Renan, en se taisant sur tout cela, il ne reste plus rien de ces Évangiles ni de leur héros. En écrivant la vie de ce Jésus vous avez en effet commencé par rejeter tous les miracles, les idées messianiques, magiques, démoniaques et prophétiques, mais comme il n'est question que de cela dans les Évangiles, vous avez été obligé de composer un autre Jésus, un Jésus classique, un grand chef d'école, le plus grand que le monde ait eu.

§ ... Renan va jusqu'à dire que c'était un bel homme ...

3 Annotations

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  1. Les Misérables de Victor Hugo ont été publiés en 1862. [Ref.↑]
  2. L'Histoire des Origines du Christianisme, dont la « Vie de Jésus », a été publiée en 1863. [Ref.↑]
  3. Badinquet est le surnom de Napoléon III. [Ref.↑]
  4. François-René de Châteaubriand (1768-1848) : écrivain natif de St-Malo, auteur entre autres du Génie du Christianisme (1802). [Ref.↑]
  5. Félicité de La Mennais (1782-1854) : théologien natif de St-Malo, auteur d'un Essai sur l'indifférence en matière de religion et de Paroles d'un croyant (1854). Fondateur du christianisme libéral, il est désavoué par le pape et se sépare de l'Église. [Ref.↑]
  6. Dans sa Vie de Jésus, David Strauss (1808-1874), théologien protestant originaire du Wurtemberg, considère l'histoire évangélique comme un véritable mythe. [Ref.↑]
  7. Avesta : ensemble des livres sacrés ou gloses (Zend) des anciens Perses, qui, postérieures aux Gatha (poèmes sanskrits), réformèrent les principes du zoroastrime (religion non-biblique monothéiste où Ahura Mazdâ est seul responsable de l'ordonnancement du chaos initial, le créateur du ciel et de la Terre). [Ref.↑]
  8. Justin (M Junianus Iustinus) : historien latin du IIe siècle, auteur d'une Histoire universelle, abrégée des Histoires philippiques de Trogue. [Ref.↑]
  9. Saint Clément d'Alexandrie (Titus Flavius Clemens) : Père de l'Église (v. 150-v. 215), auteur de Le Proteptique, Le Pédagogue et Les Stromates. [Ref.↑]
  10. Tertullien : avocat, puis prêtre carthaginois (155-220), auteur de l'Apologétique [Ref.↑]


Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet

Date de création : Juillet 2016    Dernière modification : 10.07.2016    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]