Chroniques nautiques gabéricoises de Yan Goaper, Le Progrès du Finistère 1908 - GrandTerrier

Chroniques nautiques gabéricoises de Yan Goaper, Le Progrès du Finistère 1908

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Catégorie : Journaux
Site : GrandTerrier

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§ E.D.F.

Autres lectures : « Recueil des bretonnismes de Jean-Marie Déguignet » ¤ « PICQUENARD Charles Armand - Le parler populaire de Quimper » ¤ « Les premiers conseillers municipaux républicains, Le Progrès et Le Finistère 1912 » ¤ « Un train, un cheval affolé et des passants renversés, Le Progrès du Finistère 1907 » ¤ 

[modifier] 1 Présentation

Cette chronique humoristique dans le Progrès de Finistère [1] datée du 7 mars 1908 est signée « Yan Goaper » [2]. Il s'agit sans doute d'un pseudonyme, car le terme « Goaper » désigne en région quimpéroise quelqu'un de moqueur. Jean-Marie Déguignet en fait même une transposition avec une orthographe à la française : « Les bretons, étant menteurs, blagueurs, trompeurs, gouapeurs ...  » [3]. Derrière Yan Goaper se cache un correspondant local du journal pour la commune d'Ergué-Gabéric.

Le journaliste se penche sur un accident somme toute banal : deux chasseurs gabéricois se promenant le long d'un ruisseau affluent du Jet tombent à l'eau dans un trou profond de deux mètres et sont secourus par un brave cultivateur qui passait par là.

Mais le style est là : des personnages bien campés, des dialogues fournis, un lieu précis sur la commune (« Toul-ar-Gurun entre les moulins de Pen-ar-Marc'hat et du Faou), des interjections françaises et bretonnes bien placées (« mil seiz batimanted ..... logod »), et même via l'expression « les deux nemrods » [4] une allusion biblique à l'archétype du chasseur et au bâtisseur de la tour de Babel.

Yan Goaper est véritablement moqueur : « Le courageux sauveteur voudra bien recevoir ici toutes nos félicitations, car sans lui, la commune d'Ergué-Gabéric, aurait sans doute perdu deux de ses plus intrépides sportmen. ».

Une autre mention biblique « Mais que de pêches miraculeuses ne fait-on pas au Grand-Ergué ! » fait référence à un entrefilet dans le journal 3 jours plus tôt : le bedeau avait pêché dans le Jet un « énorme saumon blanc » !

Conclusion : « Quel pays extraordinaire tout de même ! ».

 
« Projet d'une statue à élever à Odilon Nimrod », Honoré Daumier, 1851
« Projet d'une statue à élever à Odilon Nimrod », Honoré Daumier, 1851 [5]


[modifier] 2 Transcription

Ergué-Gabéric. - Bain forcé. - « Ils étaient de grands chasseurs et se font repêcher dans une rivière ».

Il y a quelques jours, deux braves cultivateurs, tous deux dépassant la soixantaine, côtoyaient un affluent du Jet, devisant avec animation, selon leur coutume - étant grands chasseurs devant l'éternel -, et de leurs succès cynégétiques [6].

Ils allaient donc ainsi du moulin de Pen-ar-Marc'hat à celui du Faou, et Per-Mari, en particulier, racontait pompeusement à son compagnon qu'il avait pris, pendant l'année, 36 lièvres et 90 perdrix, ce qui, on en conviendra, n'est pas ordinaire !

Ce récit pathétique avait amené les deux compères près d'un endroit de la rivière appelé « Toul-ar-Gurun » (Trou du Tonnerre), et, ne cessant de vanter ses hautes qualités de chasseur. Per-Mari continuait de pérorer :

« Oui, disait-il, là-bas, dans les lointaines forêts du Huelgoat, j'ai encore tiré un beau chevreuil.

« Tenez, il était dans un endroit comme celui-ci », et, brr et boum ... le narrateur, faisant de grands gestes et voulant, sans doute, imiter le chevreuil dans sa chute, fit un tel bond, que son pied, glissant, il piqua une tête dans le redoutable « Toul-ar-Gurun », profond de deux mètres environ.

Son fidèle compagnon, jaloux peut-être de cette surprenante agilité et désireux aussi de le retirer de cette humide et fâcheuse position, s'empressa de lui venir en aide ;

 

mais ô malchance, il dégringola aussi, au cri désespéré de mil seiz batimanted ..... logod !

Sombre fatalité !

Les deux nemrods [4] pensaient-ils encore à la chasse, en ce moment ?

C'est fort douteux ...

Toujours est-il qu'ils ... buvaient de leur mieux et sans soif encore et se seraient infailliblement noyés sans la combien opportune intervention d'un brave cultivateur, M. Le Roux, de Quénerchdeniel, qui les avait suivis des yeux et vu disparaître inopinément.

Étant vite accouru, il fut assez heureux de les repêcher et de les hisser sur la berge, passablement détrempés !

Le courageux sauveteur voudra bien recevoir ici toutes nos félicitations, car sans lui, la commune d'Ergué-Gabéric, aurait sans doute perdu deux de ses plus intrépides sportmen.

Mais que de pêches miraculeuses ne fait-on pas au Grand-Ergué !

La semaine dernière, le bedeau capturait des charretées de saumons blancs ; aujourd'hui, ce sont des plongeurs, et demain peut-être une baleine ou un cachalot !

Quel pays extraordinaire tout de même !

Yan GOAPER.

[modifier] 3 Coupures de presse

[modifier] 4 Article du saumon blanc

Article du 29.02.1908 :

Ergué-Gabéric. - Une pêche miraculeuse.

M. Le Moigne, bedeau, n'est pas seulement un bon fossoyeur et un chantre distingué, il sait aussi manier la ligne avec une dextérité remarquable.

L'autre jour, il fit une entrée triomphale au bourg, revenant des bords du Jet, le panier bien garni de truite et même, chose rare, d'un ... énorme saumon blanc.

 

[modifier] 5 Annotations

  1. L'hebdomadaire « Le Progrès du Finistère », journal catholique de combat, est fondé en 1907 à Quimper par l'abbé François Cornou qui en assurera la direction jusqu'à sa mort en 1930. Ce dernier, qui signe tantôt de son nom F. Cornou, tantôt de son pseudonyme F. Goyen, ardent et habile polémiste, doté d'une vaste culture littéraire et scientifique, se verra aussi confier par l'évêque la « Semaine Religieuse de Quimper ». [Ref.↑]
  2. On trouve dans les éditions de 1908-1912 du Progrès du Finistère quelques entrefilets, tous empreints de moquerie, signés Yan Goaper, Yan G., Y. Goaper, ou Ar Goaper. [Ref.↑]
  3. Recueil des bretonnismes de Jean-Marie Déguignet pour Goaper : Goaper, sm : terme d'argot peut signifier en langue française « vaurien, coupe-jarets », et provenir du mot espagnol « guapear » (faire le brave). C'était le nom donné à Paris aux vagabonds sans domicile, sans travail, et qui cherchaient des occasions de vol. Mais il est plus vraisemblable qu'il vienne ici d'un mot breton « goaper » qui veut dire « moqueur ». Charles Armand Picquenard dans son article « Le parler populaire de Quimper » publié dans Annales de Bretagne cite en 1911 ainsi ce terme : « Goape, goapeur : moqueur ». En breton gwapaer / goapaer », « hennezh zo goapaer ». [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑]
  4. Nimrud, Nimrod ou Nemrod est un personnage biblique du livre de la Genèse : « Il fut un vaillant chasseur devant l’Éternel ; c’est pourquoi l’on dit : comme Nimrod, vaillant chasseur devant l’Éternel. Il régna d’abord sur Babel Érec, Accad et Calné, au pays de Schinear » (Genèse 10). C'est le premier héros sur la terre, et le premier roi après le Déluge. Décrit comme un « chasseur héroïque devant Dieu », appellation vraisemblablement péjorative, il aurait, d'après les traditions juives et chrétiennes, bâti la tour de Babel. [Ref.↑ 4,0 4,1]
  5. Camille-Hyacinthe-Odilon Barrot (1791-1873) était un avocat et un homme politique. Le caricaturiste Honoré Daumier le montre ici comme un « Nimrod, chasseur devant l'éternel », ceci après son éviction du monde politique après le coup d'état en 1851 de Louis-Napoléon Bonaparte. [Ref.↑]
  6. Cynégétique, adj. : qui concerne la chasse avec chiens et, par extension, la chasse en général. Source : Trésor Langue Française. [Ref.↑]


Thème de l'article : Coupures de presse relatant l'histoire et la mémoire d'Ergué-Gabéric

Date de création : Juillet 2012    Dernière modification : 6.07.2014    Avancement : Image:Bullgreen.gif [Fignolé]