Blog 16.06.2018 - GrandTerrier

Blog 16.06.2018

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[modifier] Séquestre et amnistie du Grand-Juge

Billet du 16.06.2018 - « Le préfet, vû le certificat accordé le 2 floréal an 11 par le grand-juge ministre de la justice ... il est accordé aux héritiers de François-Louis de la Marche, mainlevée du séquestre existant sur les biens ci-devant désignés et apposé pour cause de son inscription sur la liste des émigrés »

Ce document inédit de 1792 concerne bien le séquestre ou confiscation des meubles et effets du château style Louis XIII, bâti en 1772-73 près de la métairie de Lezergué par François-Louis de La Marche (1720-1794), dit Lamarche père, tel que restitué ci-contre par l'aquarelliste Anne Cognard. En cette fin d'avril 1792 les de La Marche sont « émigrés et hors du royaume » : Lamarche père vient de partir sur l'île de Jersey et son fils cadet Joseph-Louis-René en Guadeloupe, le dernier des fils étant resté à Quimper et le fils aîné décédé en 1774.

Suite à la désertion des propriétaires de Lezergué, les autorités révolutionnaires procèdent à l'adjudication des tenues agricoles et aux convenants de Lezergué, et au séquestre de leurs biens personnels, Pour les Lamarche père et fils cadet qui habitaient aussi dans un hôtel quimpérois, l'inventaire de séquestre de Lezergué est complété par un séquestre dit « de la Quintin » où sont listés également des habits, du linge et quelques meubles laissés sur place.

L'inventaire de Lezergué est bien plus important, du fait des objets entreposés et du nombre de « chambres », désignées aussi sous le terme d'appartements. Hormis la cuisine, ces six grandes pièces de part et d'autre du grand escalier intérieur sont sous clefs, et le responsable de l'inventaire doit faire venir un serrurier pour les ouvrir.

Deux métayers sont ses interlocuteurs locaux : Guénnolé Kergourlay, valet domestique résidant au manoir et Jean Leguiader ménager demeurant à la métairie. Deux personnages officiels de la commune sont invités à rester présents pendant l'inventaire, le maire Jean Lenoach (ou Lozac'h ?) et l'officier municipal Jean Leday (alias Le Jour), mais ils « s'y sont refusés, de dire et de signer la cause de leur refus ». Sans doute voulaient-ils éviter de se prononcer contre les châtelains en fuite.

Et par ailleurs on peut noter que la fonction de maire pendant les premières années révolutionnaires n'était pas convoitée à Ergué-Gabéric, car les deux premiers, l'un pour 1791, le deuxième ici mentionné pour 1792, sont très discrets pour n'être mentionnés chacun que dans un seul document d'archives. Et le patronyme de celui de 1792 est incertain, car l'orthographe Le Noac'h ne correspondant à aucun actif de l'époque : seul Jean Lozac'h de Kervian (patronyme parfois transcrit en Lenoac'h) est l'un des signataires du cahier de doléances de 1789.

Ce qui frappe dans le relevé patrimonial, c'est la richesse des habitants qu'on ne trouve pas dans les documents habituels de successions de roturiers : des dizaines d'assiettes ou de plats de faïence, des assiettes, des gobelets ou théières de porcelaine, des couverts d'argent armoiriés ... Le niveau de vie est aussi dans les lits à tombeau avec ciel, rideaux et courtepointes (couverture doublée). Comme les cheminées sont légion, dans chaque appartement on trouve le nécessaire pour maintenir un feu : des chenets ou landiers, des soufflets, des pèles à feu, des tourne-broches.

 
Lezergué à la fin du 18e siècle, Anne Cognard 2017.

Au niveau des armes détenus par les occupants et laissées dans leurs chambres, on note plusieurs fusils à un ou deux canons et une épée à poignée d'argent. Ensuite le niveau culturel est élevé car on compte deux grandes bibliothèques dans les deux appartements à gauche de l'escalier, pour plus de 600 volumes au total. Est-ce un héritage des livres de Guy Autret, précédent occupant de Lezergué, avant la construction du château Louis XIII ?

Plus surprenant, des affaires religieuses sont rangées dans la première chambre à gauche : des calices, des patennes, des chasubles, des aubes, un banc d'église, des ornements d'autel, un livre d'église et des nappes d'autel.

Il est vraisemblable que tous ces effets resteront conservés à Lezergué pendant l'exil des maîtres des lieux. En 1803, le 13 floréal de l'an 11, les survivants peuvent se réjouir d'une amnistie du ministère de la justice : « exposent Joseph-Louis-René-Marie Delamarche ainé, et Joseph-Hiacinthe Delamarche cadet, qu'ils ont obtenû un certificat d'amnistie du grand juge ministre de la justice de deux floréal an onze pour François-Louis Lamarche leur père ». Ce dernier est décédé en exil à Jersey en octobre 1794.

Les raisons de l'amnistie, et donc de main-levée des séquestres les concernant, sont certainement des preuves de bonne volonté de leur part vis-à-vis des nouveaux pouvoirs politiques, et aussi le fait que le dernier fils Joseph-Hyacinthe, celui qui signe Lamarche Kerfors (et non Lezergué car ce titre échoit à son aîné), n'est pas parti en exil et est resté sur Quimper. On notera également que, parmi les papiers du défunt Lamarche père, des attestations de don patriotique lui avaient été délivrées pour la période 1789-90.

La décision d'amnistie donne aussi l'explication du défaut d'adjudication du manoir de Lezergué en tant que bien national. Les héritiers, la veuve du fils aîné et les deux autres fils cadets, se voient rétablir leurs droits de jouissance sur les convenants du domaine noble de Lezergué, jusqu'à leurs futures ventes pour endettement ou éclatements successoraux.

Image:Square.gif En savoir plus : « 1792-1803 - Séquestre, amnistie et main levée pour les de La Marche de Lezergué »