Acquittement suite aux coups mortels à Kerfréis, journaux locaux 1888 - GrandTerrier

Acquittement suite aux coups mortels à Kerfréis, journaux locaux 1888

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Catégorie : Journaux
Site : GrandTerrier

Statut de l'article :
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§ E.D.F.
Une affaire de coups mortels portés sur un homme par une femme devant la cour d'assises du Finistère : acquittement de l'inculpée Marie-Jeanne Lozac'h, femme Feunteun, mais paiement de dommages et intérêts à la veuve Moysan.

Voir les détails de l'enquête dans le dossier complet d'assises découvert et communiqué par Pierrick Chuto [1].

Autres lectures : « 1887-1888 - Enquête, instruction et procès en assises pour un drame familial à Kerfréis » ¤ « Un sorcier - Moeurs bretonnes - Ce que vaut une fille, Gazette des Tribunaux 1838 » ¤ « Vols d'habits chez René Riou à Tréodet, journaux locaux 1890-93 » ¤ 

[modifier] 1 Présentation

Le procès en cour d'assises au palais de justice de Quimper ouvert le 31 janvier 1888 a donné lieu à des comptes rendus dans trois journaux locaux : « Le Courrier du Finistère » [2], « L'Union Agricole » [3], « Le Finistère » [4].

Le premier d'entre eux le fait via un entrefilet en langue bretonne en première page : « Ar c'hreg Feunteun, d'euz Erge-Vraz, zo bet kondaonet da baoa mil skoed dizomach da intanvez ar Moysan he breur-Kaër marvet dre an taoliou hen d'oa paket digant ar c'hreg Feunteun. » (La femme Feunteun, d'Ergué-Gabéric, a été condamnée à payer mille écus pour dédommager la veuve de Moysan, son beau-frère mort sous les coups donnés par la femme Feunteun.)

Cet article, qui ne dit pas que l'inculpée a été acquittée en correctionnelle, signale une condamnation au civil pour une somme de « mil skoed » [5]. Cela équivaut à 5.000 francs, car l'unité monétaire populaire de l'écu valait 100 sous (« gwenneg » [6] en breton), soit 5 francs.

Les autres articles précisent un peu ce qui s'est passé : la femme Feunteun a tabassé à coups de râteau son beau-frère qui serait décédé des suites de ses blessures dans la nuit subséquente.

 

On pourrait donc s'attendre à une sévère condamnation, les journalistes ne se privant pas d’encenser la victime : « Moysan était un honnête cultivateur, père de six enfants en bas âge. ».

Pour « L'Union Agricole », le jury s'est prononcé hâtivement : « le jury rentre en délibération et en sort cinq minutes après rapportant un verdict d'acquittement. ». Et ceci après « une brillante plaidoirie de Maître de Chamaillard, défenseur de la femme Feunteun ». Ce dernier, Henri Marie Charles Ponthier de Chamaillard, est un sénateur monarchiste du Finistère et installé comme avocat à Quimper.

Les articles de presse reflètent une certaine surprise quant au verdict, et ne rendent pas la complexité du huis-clos malheureux qui s'est déroulé le 14 novembre 1887 dans le petit village de Kerfrez (orthographié « Kerfréis » à l'époque, et tenant son nom d'un emprunt au vieux français « fres » qui signifierait vif, ardent !).

Par contre le dossier de justice, conservé aux Archives départementales du Finistère, avec ses 29 pièces d'interrogatoires, auditions, dépositions, acte d'accusation, réquisitoires, délibérés, avis du jury, plaidoiries, décrivent bien mieux la complexité et la spécificité des disputes villageoises et de leurs néfastes conséquences, et sans doute aussi les raisons d'acquittement.


[modifier] 2 Transcriptions

Courrier du Finistère du 28.04.1888 :

Lezvarn Kemper. D'an 9 eo bet barnet an daouzekved ha diveza afer : [...}

- Ar c'hreg Feunteun, d'euz Erge-Vraz, zo bet kondaonet da baoa mil skoed dizomach da intanvez ar Moysan he breur-Kaër marvet dre an taoliou hen d'oa paket digant ar c'hreg Feunteun.


Traduction : Palais de justice. Le 9 ont été jugées une douzaine d'affaires nouvelles : ... - La femme Feunteun, d'Ergué-Gabéric, a été condamnée à payer mille écus pour dédommager la veuve de Moysan, son beau-frère mort sous les coups donnés par la femme Feunteun.


Le Finistère du 04.04.1888 :

5e affaire. - La nommée Lozac'h, Marie-Jeanne, femme Feunteun, propriétaire-cultivatrice, demeurant à Kerfrèis, en Ergué-Gabéric, est accusée d'avoir :

Le 13 novembre 1887, en Ergué-Gabéric, volontairement porté des coups et fait des blessures au sieur René Moysan, lesquels coups portés et blessures faites sans intention de donner la mort l'ont pourtant occasionnée.

Le 13 novembre 1887, René Moysan, cultivateur à Ergué-Gabéric, eut avec sa belle-mère, Marie-Jeanne Lozac'h, une discussion à la suite de laquelle il reçut à la poitrine un coup de balai. Une heure après, environ, une querelle s'engagea de nouveau. Marie Lozac'h saisit un râteau et frappa Moysan à la poitrine avec le bout du manche ; celui-ci leva la main ; à ce moment Marie Lozac'h lui asséna, sur la tête, avec le dos du râteau, un coup si violent qu'il tomba, elle continua à le frapper, à terre, de plusieurs coups. Moysan en rentrant chez lui, se plaignit à sa famille d'avoir la tête démolie et l'épaule cassée. Il perdit, dès le soir même, l'usage de la parole et mourut dans la matinée du 15 novembre.

L'autopsie a démontré que Moysan avait reçu, à la partie latérale gauche du crâne, un coup porté à l'aide d'un instrument contondant qui avait déterminé un enfoncement partiel des os, divisé une artère et produit une hémorragie qui, comprimant le cerveau, avait amené la mort. Des traces d'autres coups existaient aussi aux épaules et à la poitrine.

Moysan était un honnête cultivateur, père de 6 enfants en bas âge.

Après l'audition des témoins, Me Le Scour, avoué, se porte partie civile au nom de la veuve Moysan et de ses enfants mineurs, réclamant 6,000 fr. de dommages-intérêts.

Me Le Bail développe les conclusions présentées par Me Le Scour.

Le réquisitoire et les plaidoiries étant terminés, le jury délibère et rapporte un verdict négatif ; en conséquence, la femme Feunteun est acquittée.

En ce qui concerne la partie civile, sur la demande de Me de Chamaillard, avocat, la Cour tarde à statuer jusqu'à la fin de la session.

Ministère public : M. Le Bourdellès, substitut du procureur de la République ; défenseur : Me de Chamaillard, avocat.

 

Union Agricole du 03.04.1888 :

Assises du Finistère. Audience du 31 janvier.

5e Affaire. Coups mortels. Marie-Jeanne Lozac'h, femme Feunteun, propriétaire-cultivatrice, demeurant au village de Kerfréis, en la commune d'Ergué-Gabéric, comparaît sous l'inculpation :

D'avoir, le 13 novembre 1887, à Ergué-Gabéric, volontairement porté des coups et fait des blessures au sieur René Moysan, lesquels coups portés et blessures faites sans intention de donner la mort l'ont pourtant occasionnée.

Voici le résumé d'acte d'accusation dont il est donné lecture par le greffier :

Le dimanche 13 novembre dernier au matin, le nommé Moysan, René, cultivateur au village de Kerfréis, en Ergué-Gabéric, alla trouver Marie-Jeanne Lozach, femme Feunteun, sa voisine et belle-sœur, pour lui demander des explications au sujet d'une rixe qui s'était élevé la veille au soir, entre leurs enfants. peu après, vers neuf heures et demie, il rentra à la maison en disant qu'il avait reçu de la femme Feunteun, dans la poitrine, un coup de balai qui l'avait fait tomber à terre. Il avait, en effet, les vêtements tout souillés de boue.

Il revint, vers dix heures et demie, devant la porte de la maison de la femme Feunteun et là une discussion s'engagea entre eux au même sujet.

Emportée par la colère, la femme Feunteun alla saisir un râteau de la maison, en dirigea le bout du manche sur la poitrine de Moysan, l'en frappa et le repoussa.

Moysan, qui avait reculé de quelques pas, leva la main et c'est à ce moment que la femme Feunteun le frappa à la tête avec le dos du râteau dont elle était armée. Le coup fut si violemment asséné que Moysan tomba immédiatement à terre, alors qu'il était dans cette position, la femme Feunteun lui porta encore trois ou quatre coups, notamment sur l'épaule gauche. Il se releva et lança contre elle deux pierres sans l'atteindre.

Il rentra chez lui et se coucha aussitôt en se plaignant à son fils Laurent d'avoir la tête démolie et l'épaule cassée.

Il renouvela la même plainte à son beau-père Laurent Feunteun et à sa femme lorsqu'ils rentrèrent à la maison dans l'après-midi, et raconta à cette dernière que c'était bien avec le dos du râteau et non avec le manche que la femme Feunteun l'avait frappé.

À neuf heures ou dix heures du soir, Moysan se leva un instant et en se remettant au lit, fut pris du hoquet sans pouvoir à partir de ce moment articuler une parole. Il expira le 14, à quatre heures du matin.

Le docteur Colle, qui a procédé à l'examen et à l'autopsie du cadavre, a constaté que Moysan avait été atteint à la partie latérale gauche du crane d'un coup porté par un instrument contondant, que ce coup avait déterminé un enfoncement partiel des os ayant divisé une artère, l’hémorragie avait comprimé le cerveau et déterminé la mort. Il a relevé, montré des traces de coups multiples portés avec un instrument contondant sur l'épaule gauche, la droite et le devant de la poitrine.

Moysan était un honnête cultivateur, père de six enfants en bas âge.

La femme Feunteun n'a pas d'antécédents judiciaires.

L'accusée est assistée de Me de Chamaillard, avocat, son conseil.

M. Le Bourdellès, substitut, a occupé le siège du Ministère public.

- À la suite de l'audition des témoins, Me Lescour, avoué, au nom de la veuve Moysan et de ses enfants mineurs qui se portent parties civiles, lit des conclusions tendant à l'allocation d'une somme de 6000 francs.

Mr le Bail défend les intérêts de la partie civile.

Après le réquisitoire de M. Le Bourdellès et une brillante plaidoirie de Me de Chamaillard, défenseur de la femme Feunteun, le jury rentre en délibération et en sort cinq minutes après rapportant un verdict d'acquittement.

Le Cour renvoie à la fin de la session pour statuer sur la demande de la partie civile.


[modifier] 3 Coupures


[modifier] 4 Annotations

  1. Information et document communiqués par Pierrick Chuto, passionné d'histoire régionale, auteur de nombreux articles (Le Lien du CGF, La Gazette d'Histoire-Genealogie.com ... ) et de livres sur les pays de Quimper et du Pays bigouden : § [ses publications] . La dernière parution est « Bien-aimée Marie-Anne avec de belles lettres d'amour de son arrière-grand-père à sa promise. [Ref.↑]
  2. Le « Courrier du Finistère » est créé en janvier 1880 à Brest par un imprimeur Brestois, Jean-François Halégouët qui était celui de la Société anonyme de « l'Océan » qui éditait à Brest depuis 1848 le journal du même nom, et par Hippolyte Chavanon, rédacteur en chef commun des deux publications. Le but des deux organes est de concourir au rétablissement de la monarchie. Le Courrier du Finistère est, de 1880 à 1944, un journal hebdomadaire d'informations générales de la droite légitimiste alliée à l'Église catholique romaine jusqu'au ralliement de celle-ci à la République. Il est resté ensuite le principal organe de presse catholique du département, en ayant atteint un tirage remarquable de 30 000 exemplaires en 1926. Rédigé principalement en français, il fait une place remarquable à la langue bretonne, qui est, alors, pour certains ruraux, la seule langue lisible, grâce à l'enseignement du catéchisme. Ayant continué de paraître pendant l'Occupation allemande (1940-1944), Le Courrier du Finistère fait l'objet d'une interdiction de parution. Pour lui faire suite, le diocèse de Quimper a suscité la création d'un hebdomadaire au contenu unique, mais sous deux titres, le Courrier du Léon et le Progrès de Cornouaille. [Ref.↑]
  3. L'Union agricole et maritime, qui a d'abord été appelée L'Union agricole du Finistère est un journal local d'informations générales qui a paru à Quimperlé (Finistère) de 1884 à 1942. Il a connu des orientations éditoriales différentes, selon ses propriétaires successifs. La périodicité a aussi été variable : bi-hebdoadaire, tri-hebdomadaire et hebdomadaire. Avec pour sous-titre Organe Républicain Démocratique de la région du Nord-Ouest, le journal paraît le 1er août 1884 à l'initiative du conseiller général de Quimperlé, James Monjaret de Kerjégu, un riche propriétaire terrien et ancien diplomate résidant à Scaër. [Ref.↑]
  4. Le Finistère : journal politique républicain fondé en 1872 par Louis Hémon, bi-hebdomadaire, puis hebdomadaire avec quelques articles en breton. Louis Hémon est un homme politique français né le 21 février 1844 à Quimper (Finistère) et décédé le 4 mars 1914 à Paris. Fils d'un professeur du collège de Quimper, il devient avocat et se lance dans la politique. Battu aux élections de 1871, il est élu député républicain du Finistère, dans l'arrondissement de Quimper, en 1876. Il est constamment réélu, sauf en 1885, où le scrutin de liste lui est fatal, la liste républicaine n'ayant eu aucun élu dans le Finistère. En 1912, il est élu sénateur et meurt en fonctions en 1914. [Ref.↑]
  5. Skoed, s.m. : écusson, bouclier et monnaie ancienne valant 5 francs, c'est-à-dire 100 sous ("gwenneg"). Gwenneg » 1 sou : 5 centimes (0,76 cents). Real » 5 sous : 25 centimes (3,81 cents). Lur » 1 franc (15,26 cents). Skoed » 1 écu : 5 francs (76,33 cents). Skoed et Gwenneg sont des appellations attestées au XVIème siècle (attestation écrite), quant à Lur et Real, elles datent de la fin du XIXème. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑]
  6. Gwenneg, s.m. : sol, sou, valant 5 centimes, un quart de real ou un centième de skoed. Par extension pièce de monnaie, argent. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑]


Thème de l'article : Coupures de presse relatant l'histoire et la mémoire d'Ergué-Gabéric

Date de création : Novembre 2013    Dernière modification : 26.01.2021    Avancement : Image:Bullgreen.gif [Fignolé]