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Ergué-Gabéric, 19.10.80, Inauguration de l'orgue.
Chers Monsieur Goudard, sous préfet,
- Monsieur Gérard, député de Quimper,
- Madame Hamon, conservateur des Monuments Historiques, Rennes,
- Monsieur P. Faucher, maire.
Chers amis,
Le voici enfin, notre cher et vieux Dallam, resplendissant sous ses ors et ses riches coloris qui va nous faire entendre sa voix après un silence de plus d'un demi siècle ; le voici guéri de ses meurtrissures dues à l'âge et aux gamineries d'enfants d'autrefois, le voici tel qu'il était il y a 300 ans, tel que l'ont admiré et écouté nos pères, témoignage de leur Foi (pour Dieu rien n'était trop beau), témoignage aussi de leur culture, une culture qui devrait nous inciter à un examen de conscience, nous les contemporains d'une époque de science et de progrès, fière de sa technique, son béton, sa machinerie. Nous assistons aujourd'hui à la renaissance de notre orgue, à sa résurrection : il était mort, et le revoici plus vivant que jamais, comme son proche compagnon, le Rétable de Kerdévot qui lui aussi, après bien des malheurs, a retrouvé sa splendeur d'il y a 500 ans.
Nous voici revenus en arrière dans le temps, en 1680, au siècle de Louis XIV, l'âge d'or de la sculpture, la peinture, la littérature, la musique ... Et dans une petite paroisse de la « fin de la terre » un prêtre, Jean Baudour, est recteur depuis 2 ans (et y restera trente huit ans). C'est sans doute grâce à lui que Thomas Dallam réalisa cet orgue. Après leur père Robert (à qui l'on doit les orgues de St Corentin-Quimper, St Pol de Léon, St Jean-du-Doigt, Lanvellec), Thomas Dallam et son frère Toussaint doivent quitter leurs pays, Cromwell, le favori du roi Henri VIII, ayant interdit la musique dans les temples. Grâce à ces deux chômeurs anglais le Finistère va s'enrichir d'une quinzaine d'orgues. Mais ce qui fait la valeur historique de celui-ci c'est qu'il est un des rares, sinon le seul Dallam qui soit intégralement conservé. Mr Baudour a aussi à son actif la restauration du clocher de Kerdévot abattu en 1701. C'est lui qui dut faire l'acquisition du merveilleux jeu de chandeliers et la croix en argent ciselé exposé sur l'autel, de 1700, et du grand livre de chants grégoriens qui date de 1705. Je vous signale enfin que le vitrail de l'église est très précieux, fabriqué en 1516.
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Est-ce qu'il était possible, est-ce qu'il était permis, dites, qu'on pût laisser disparaître le plus beau fleuron de toutes ces richesses ? Je me suis posé cette question en arrivant ici, ne comprenant pas que l'orgue fût le seul objet non classé de cette église. Dès 1970 des démarches sont faites dans ce but, un devis est fait, mais trop lourd pour les finances locales ... Ce n'est qu'un certain dimanche d'août 78 que notre ami Loïs Rospars [1] , professeur de lycée à Quimper, vint m'annoncer qu'il était bel et bien classé par les Beaux-Arts depuis 2 ans 1/2.
Aussitôt germa l'idée de le restaurer dans l'année de son tricentenaire, en 1980, et cette idée fut à l'origine de tout un réseau d'amitiés et d'un concours de bonnes volontés, grâce auxquelles le projet prit très vite une dimension nationale, et qui firent accélérer les démarches, et Dieu sait s'il en a fallu des démarches, des lettres, des coups de téléphone à tous les azimuts pour que les bureaux intéressés coordonnent leurs efforts. Ce fut en premier lieu Mr Gérard, député de Quimper, qui, conquis par l'orgue malgré son triste état, lança l'affaire et me dirigea vers un enfant d'Ergué-Gabéric, Mr Jean Le Reste, chef de cabinet de Mr Bécam, alors secrétaire d’État aux Collectivités locales. Mr Le Reste fut la cheville ouvrière, l'homme miracle de la Restauration, toujours présent, disponible à tous mes appels, résolvant des problèmes de prime abord insolubles et insurmontables. Et il y en a eu ! Sans lui, par exemple, nous n'aurions pas eu devant nos yeux cet orgue flamboyant, mais seulement un orgue en chêne nu, délavé, miséreux. Le 22 septembre Paris m'annonçait qu'on avait omis de mettre dans le devis global les frais de peinture. Un appel auprès de Mr Le Reste et le 24 les peintres étaient sur place. Merci à vous deux, Mr Gérard et Le Reste, cette œuvre est un peu (beaucoup) la votre !
Je remercie tous ceux qui y ont contribué : Mr le Préfet qui, à chaque fois, a appuyé mes demandes et a chargé Mr Goudard, sous-préfet, de le représenter à cette cérémonie.
- Mr Bécam, sénateur-maire de Quimper, qui s'est tellement intéressé à cette opération et aurait tant voulu être parmi nous. Il a dû accompagner les Conseillers généraux en Martinique.
- Le Conseil général du Finistère qui a financé, avec l’État, une bonne partie des frais. Je remercie les Conseillers qui nous ont aidé : M. Orvoën, président, Stéphan, trésorier, Le Du, Youinou, notre Conseiller général.
- Les responsables de la Direction du Patrimoine du Ministère de la Culture : Mr Auzas, inspecteur général, et après lui Mr Macé de Lépinay qui ont mené de front les restaurations du Rétable et de l'orgue.
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- Mr Mouton, architecte en chef depuis janvier qui eut à coordonner les travaux sur l'orgue et la tribune.
- Messieurs Brun et Royer, de la Direction de Rennes. Tanguy Daniel, conservateur des Monuments historiques à Brest, Mr Saulais de Quimper.
Je remercie quelqu'un que nous ne verrons presque pas à cette cérémonie, alors qu'il en est le principal artisan : Mr Jean-Albert Villard, organiste à la Cathédrale de Poitiers, spécialement nommé par Mr Le Cat [2] , Ministre de la Culture, comme rapporteur de notre orgue après de la Commission supérieure des orgues historiques. Pendant 2 ans il s'est dépensé sans compter, ses lettres si nombreuses, si détaillées en sont un témoignage : ce fut notre meilleur avocat ! C'est un amoureux de notre orgue, et ceci pour diverses raisons : il a vu tout de suite sa valeur, c'est le premier orgue qui lui a été confié et enfin Mr Villard, quoique Poitevin, est presque un quimpérois, son grand-père étant le fameux photographe Villard, si connu dans la région, dont les cartes postales et les posters sont aujourd'hui si recherchés. Il sera ce soir l'organiste, mais il cèdera sa place à sa femme Simone, organiste virtuose à l'église Ste Radegonde de Poitiers. Et pour donner à notre cérémonie une couleur locale il a fait appel à Michel Cocheril, organiste à Morlaix, que nous connaissons bien et apprécions fort et à Bernard Pichard, prix du conservatoire de Basson, mais excellent à la bombarde.
Et je remercie les artisans qui ont réalisé cette merveille : Mr Renaud, facteur d'orgues à Nantes, qui, avec son équipe, et sur les conseils de Mr Villard, s'est efforcé de reconstituer l'ancien Dallam, dans son intégrité. Je n'oublie pas Mr Cl Thibaud harmoniste et son compagnon Jean-Pierre Halatre qui pendant 15 jours de 8h du matin à 20h30 21h ont réalisé le travail fastidieux, mais si beau, de la mise en harmonie des 550 tuyaux : c'est à eux que nous devons la musicalité particulière de l'orgue que nos pères ont gouté en 1680.
Et tous ces ors, ces riches coloris, nous les devons à Mr Hémery, du Faouët, que le vol du Rétable restauré par lui m'a permis de connaître, d'estimer, d'admirer. Avec ses compagnons, tous très jeunes, mais combien artistes et amoureux de leur métier, il s'est penché sur un orgue terne, sans vie, pour arriver à en faire cette splendeur qui nous éblouit, une splendeur d'époque, l'orgue étant gothique flamboyant, fabriqué ses couleurs comme le faisaient les peintres du Moyen-Age. Délicatement il a décapé deux couches de peinture qui recouvraient les deux tableaux pour arriver à nous donner la couleur d'origine, comme il a su (lui) redonner vie. Et grâce à ces 3 anges du sommet, anges très mutilés et auxquels je tiens tant ... parce qu'ils ont failli nous coûter la vie, à l'abbé Herry, Mr Nicot menuisier à la Croix Rouge et moi !
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Il y a neuf ans il nous fallait déplacer l'armoire à bannières accolées à l'orgue et aussi haute que lui. Nous ne savions pas qu'au-dessus il y avait ces anges et les pommes de pin en chêne massif. Par bonheur nous avons été assez lestes pour ne pas nous laisser écraser par ... des anges !
Mais chez nous, à Ergué-Gabéric, l'élan a été aussi merveilleux. Peu de communes peuvent se vanter d'avoir fait tant de restauration en si peu d'années : avant mon arrivée ce fut la restauration de l'église, puis de la chapelle St André réalisée par les habitants du quartier. Il y a dix ans les autres monuments criaient grâce. Le maire, Mr Puech, et sa municipalité firent en 1974 de la chapelle St Guénolé en ruines une cathédrale de campagne, grâce aux artisans locaux et à un agriculteur du quartier qui consacra ses soirées d'hiver à sculpter un autel de pierre. La même année fut restauré le clocher de Kerdévot qui put de nouveau faire entendre son carillon. En 1975 la chapelle de Kerdévot, qui faisait pitié, retrouva sa splendeur d'antan.
L'actuelle municipalité, sous l'impulsion de M. Pierre Faucher, maire, s'occupa du retour et de la protection de Rétable et depuis deux ans se consacra à la renaissance de l'orgue, multipliant les démarches par Armand Le Borgn sans jamais se lasser. Si nous sommes ici ce soir c'est beaucoup grâce à eux. Mr Faucher créa l'association des Amis de l'orgue qui depuis 2 ans avait ce jour comme objectif, a organisé six concerts et va, à partir de l'orgue, travailler à promouvoir un renouveau musical, sous la direction de Mme Le roux, notre organiste, et sa fille Marie-Pierre. C'est aussi grâce à Mr Faucher que prit naissance la Commission de recherches historiques, si dynamique (jamais je n'oublierai ces réunions si vantes) qui, poussée par Bernard Le Roux et Jean Cognard a déjà réalisé un très beau travail que vous avez pu voir à l'exposition, et fait paraître aujourd'hui une plaquette sur Kerdévot et son Rétable. Enfin je tiens à remercier tous les corps de métier du personnel communal, dirigé par Mr Pinson et Henri Pérennou, toujours prêts à venir en aide, si intéressé à la conservation et à l'embellissement de nos monuments, de l'église et de leur environnement, comme vous avez pu le constater vous-même en arrivant ici. Tout ce travail, ces restaurations trouvent aujourd'hui leur couronnement, en cette année du Patrimoine.
Cette restauration a créé de solides et vraies amitiés avec les artisans, les responsables des Beaux-Arts, l'équipe FR3 venus deux fois nous rendre visite, les journalistes. Elle m'a permis de contacter des personnes de tous horizons, de toutes conditions, toutes enthousiasmées quand il s'agit de faire revivre un chef d’œuvre, de faire connaissance avec les méandres de l'Administration, véritable labyrinthe pour le non initié que je suis, mais où travaillent des hommes qui ne demandent qu'à vous aider.
Puisse cet orgue créer chez nos jeunes un élan vers la vraie musique. Non nous n'avions pas le droit de laisser mourir un tel chef d’œuvre ! Notre devoir était de le faire re-vivre.
Vous l'avez compris ! Nous sommes tous ravis ... et grâces soient rendues à toux ceux qui y ont contribué par leurs mains, leur esprit, leur offrande.
A vous tous MERCI !
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