1657-1693 - Le mobilier et le vêtement dans la classe rurale au 17e siècle
Un article de GrandTerrier.
| Article d'Antoine Favé dans le « Bulletin de la Société Archéologique du Finistère » de 1893. Relevé par Jean Toulhoat pour LE LIEN du Centre Généalogique du Finistère n° 99 en septembre 2006.
Autres lectures : « Mémoire BSAF de 1893 page 329-338 » ¤ « BSAF20 329 338.pdf » ¤ « Hervé Lizien, père (1731-1787) et fils (1762-1794), agriculteurs et greffiers » ¤ « 1675-1693 - Les documents mentionnant des bonnets-rouges gabéricois » ¤ |
[modifier] Ventes de biens
Hervé Lizien, fils de Guillaume et de Jeanne Lamezec, naquit le 10 mai 1646, au Mélennec, paroisse d'Ergué-gabéric. Quand il fut fiancé, à l’âge de 11 ans, il habitait avec sa mère à Kervaval, trêve de Langolen, chez Yves Barré, son second époux. Le contrat de mariage fut rédigé le 1er février 1657. La future était Marie Lozac'h, fille de Guillaume Lozac'h et de Clémence Le henaff, demeurant au village de Trégagué, en Briec. Elle recevait, en entrant en ménage, 3 000 livres tournois, pour « tenir lieu d'héritage » et 100 livres de meubles : teneure ordinaire des conditions des contrats de mariage que nous possédons sur cette époque et sur cette classe rurale, en voie d'arriver, par une évolution lente et sûre, à la grande aisance et une certaine influence sociale. Quoiqu'il en soit, Hervé Lizien ne se maria que le 31 juillet 1662. Sa belle-mère, Clémence Le Henaff, avait épousé en premières noces Michel Le Berre veuf de Catherine Le Pétillon, et son frère Yves, du Guellen, était resté tuteur et garde de ses enfants mineurs. A la mort de Michel Le Berre. Elle unit son sort à celui de Guillaume Lozac'h et ils donneront le jour à Marie, femme d'Hervé Lizien. A la mort de Clémence Le Henaff deux curateurs se trouvèrent en présence : Pétillon, tuteur des enfants du premier lit, et Lizien, comme garde des intérêts du fils de Marie Lozac’h. A leur requête est rendue une sentence de la Cour et Présidial de Quimper, du 30 avril 1678, autorisant et ordonnant la vente des meubles provenant de la succession de Lozac’h et de sa seconde femme aux profits des ayant droits. Date est prise pour le 5 Mai pour vaquer à la vente, par l'office de Me Alain Dumoulin, commis-greffier du siège, demeurant en la rue Obscure, paroisse de saint-René. A neuf heures du matin, il est à Trégagué, accompagné de Glezran Couran, crieur public à l'occasion, en même temps que sonneur de cloche au bourg d'Ergué-Gabéric et en plus de Vincent le Roux, du bourg de Briec, faisant fonction de priseur. Interpellation est faite aux intéressés s'ils consentent à la vente aux termes de leur demande et de la sentence du Présidial, en présence de Jan Moisan, de la paroisse de Landervast (Landrévarzec), et de Messire Hervé Gillard, prêtre, demeurant auq paroisse de Grégoberic (Ergué-Gabéric). Les deux fautes vénielles que nous relevons en deux lignes sur la minute de l'honorable greffier semblaient indiquer ou une distraction de sa plume, ou son peu de pratique du pays et de sa prononciation parfois défectueuse. La vente prit trois vacations. Le 5 mai, «obstant la nuict estant survenu», elle est remise à neuf heures du matin, le lendemain, tandis qu'avec Pétillon et Lizien, le greffier reste à Trégagué prendre son logis, chez Guillaume Le Berre, fils aîné et majeur de la défunte. |
Le 6, les opérations reprennent jusqu'au soir, où la nuit étant encore survenue et l'heure de six heures étant marqué au cadran au-dessus de la porte de la maison. Ce soir, il va prendre gîte au manoir de Kerholenen, pour s'en retourner le lendemain à Quimper, assignant la reprise de la vente au 9 mai. Au jour fixé, il est à son poste jusqu'au moment où il lit six heures du soir sur le cadran solaire, et se retire à Quimper, en remettant le rendez-vous au vendredi 13 mai. Rien de plus plausible que de supposer, avec les données de l'almanach, que les fêtes de l'Ascension vinrent s'intercaler entre la date du 6 et du 13 mai. 450 et ... livres tournois furent payées au comptant par les enchérisseurs ; restait dû : 838 L, 8 s, 9 d, «sauf erreur de gist et de calcul». Le soir de chaque journée se présentait une formalité â remplir: c'était la signature au bas des écritures et comptes, à donner par les parties intéressées: ni l'une ni l'autre d'elles ne peut répondre à l'invitation faite, mais l'une trouve pour l'éluder une formule charmante de naïveté et d'amour-propre, que consigne gravement le procés-verbal : «... lequel desclarant ne vouloir signer quoyqu’il sçait lire et escrire toute sorte d'escriptures, mais n'avoir jamais signer». Les preneurs sont gens de qualité (tud a stad) qui ne dédaignent pas de faire quelque acquisition avantageuse, comme le sieur Thomas Calvez, du bourg de Briec. M. le recteur de Briec consent à mettre trois sols dans deux «failly fausilles». Mademoiselle de Kergrois achète quarante-deux sols une pièce de toile de lin et deux serviettes. Messire Hervé Le Berre prend à quarante-deux livres une grande paire d'armoires à deux pandeaux de bois de chaisne. Messire François Gourlay, prêtre, donne quarante-deux livres quinze sols d'une demy douzaine de serviettes de toile de lin tout neuf et deux sourdoreilliers (sous-oreillers) de mesme toile. Messire Hervé Gillard achète huit aunes de toile de lin, tandis que la noble dame de Kerabezan se voit adjuger plusieurs lots de linceuls de fil de chanvre et de lin et en plus, pour un sol, de même que la demoiselle de Kergouraz Le Gac un petit bonet de dantelle. Une bonne bourgeoise de la ville de QuimperCorentin jette son dévolu sur un failly curedan et dhoreille (à forme d'étoile de mer?) estans d'argent, pour cinq sols. Elle s'appelait Marie Gourvest. |
[modifier] Meubles de cuisine
La cuisine est la pièce la plus importante de la maison : là, l'hospitalité bretonne se montre aussi affable que digne: là est le foyer, la pierre angulaire de la maison, l'indice de la fixité élu domicile. C'est là que l'on s'assemble pour le repas et la veillée et là aussi qu'il tait plus chaud pour dormir et entendre la bise souffler au dehors. C'est par cette pièce, du reste, que Maître Alain Dumoulin commence ses prudentes investigations et va nous initier à la composition du mobilier meublant de son temps.
Dans les autres parties de la maison se trouvent :
Ce qui ressort de ce rapide coup d'oeil sur l'inventaire que nous examinons, c'est que pour l'époque, ces paysans de Trégagué, en Briec, jouissaient d'un confort relatif. Voyez le mobilier et le train de vie qu'on y mène; comme nous le verrons plus bas, ce sont presque ces gentilshommes dont la vie est aussi simple que celle du domanier. Sur la porte de la cour du domanier mettez un bois de cerf, des pieds de chevreuil ou de loup, accompagnés d'oiseaux de proie les ailes étendues, et l'illusion sera encore plus grande. Que dire de particulier au sujet des armoires, bahuts et lits clos, dont nous venons de faire une nomenclature; quelconque? Le costume a varié, au moins tous les soixante ans, dans quelques détails, le meuble est resté ce qu'il était à l'époque où Me Dumoulin, commis au greffe, inventoriait Trégagué. |
Nous avons des meubles datés, portant le plus souvent les noms des premiers propriétaires ; et, depuis deux cents ans, les mêmes sont restés, ou ceux qui les remplacent les imitent, les copient servilement. Comme si le travail était fait en Annam, toujours les mêmes motifs: vigne, oiseaux, seigneurs du temps du Roi-soleil, en perruques aussi ébouriffées qu'ébouriffantes, chassant avec des fusils dont la crosse est celle d'un pistolet, le tout répété sur deux panneaux; ou bien encore, ce qu'on rencontre souvent, un évêque mitré et crossé à cheval sur un quadrupède qui semble, de près ou de loin, congénère du cerf. La seule modification que l'on ait apportée, c'est d'agrémenter ces meubles originaux de clous de fauteuil; c'est ainsi que les seigneurs de Louis XIV, dont nous parlons, jouissent désormais, dans la copie qu'en tint nos sculpteurs rustiques, d'un clou planté dans l'arcade sourcilière et qui représente un œil. |
[modifier] Vaisselle de cuisine
La cuisine :
On peut s'étonner du peu de vaisselle d'étain à Trégagué ; lorsque Hervé Lizien mourut, en janvier 1699, il laissait cincq assiettes d'estain pour 43 sols 6 deniers. Il semble, d'après certains inventaires, que la vaisselle d'étain dans les ventes mobilières était cotée et prisée d'après le poids vénal. Nous en citerons un exemple: Messire Jean Edy, recteur d'Ergué-Gabéric, meurt en 1748, laissant entre autres choses : 43 assiettes d'estain pesant ensemble 113 livres, vendues 87 livres. |
La principale branche de culture était celle des plantes textiles. jusqu'aux premières années du XVIIIe siècle, où la crise se fit sentir, pour plusieurs raisons, dans cette industrie. Il n'y a donc pas à s'étonner de trouver, en 1678, à Trégagué, en toiles non ouvrées, une valeur de cent aunes de toile de lin. Dans la réserve faite pour le ménage on trouve :
La villageoise de Trégagué avait encore dans ses armoires, mais non coupés, taillés ou travaillés :
Elle a 23 linceuls de 4 aunes en moyenne, dont 3 de lin tout neuf, et sept grandes poches de toile d'estoupe à mettre du bled. Elle possède en outre dans sa lingerie : 10 serviettes de lin, 5 de toile de ménage et 3 de chanvre ; une grande nappe de toile de lin contenant 3 aunes 1/2 ; 3 livres 13 sols, plus 4 autres de lin et de chanvre mêlés. |
[modifier] Vestiaire d'une paysanne
En 1647, quand Jacques Le Bouder, de Kernaon, maria son fils à la fille d'Alain Morel, de Crec’h-Ergué, en la même paroisse d'Ergué-Gabéric, on lit dans le contrat intervenu entre eux, après d'autres conditions et en outre doibt, promet et s'oblige ledict Morel bailler et faire avoir avec sa dite fille pour aller avec son promis (fiancé) demeurer audit lieu de Kernaon, lors de leurs espousailles, les meubles cy-apprès, sçavoir : un coffre pour la valeur de vingt-sept livres tournois, une vache avec son veau jusques à la valeur de vingt et une livres, un bassin d'esrain pour pareille somme de vingt et quatre livres, la garniture d'un lict pour quinze livres avec ses habits nuptiaux suivant sa qualité. Le lecteur peut comparer et juger s'il y a eu en peu d'années un progrès facile à vérifier. Clémence Hénaff a douze chemises (iviz), de toile de lin, une de raparon et quatre autres de chanvre ; - cinq corps de chemise de toile de lin dont un avant un rabat à dantelle pour 35 sols, plus une gemisette de drap ayant le corps rouge et le reste du bas blanc. Une paire de bas de boguette à rancq : 15 sols. Elle a un bel assortiment de manches : 12 paires de bouet de manche à fraissette ; une autre de futaine blanche, deux failly paires de corps de manches de charge de Gan noir ; une paire de manches de boguette blancq ; d'autres de drap viollet : 18 sols ; de quarisse viollet 46 sols ; de revesche bleuff : 42 sols. Selon le jour et la circonstance, la Hénaff pouvait faire choix dans la douzaine de jupes qu'elle possède en ses armoires : jupes et cotillons de "falaise noir", "de drap de charge de Paris", de "can noir", de "charge bleuff". Elle peut mettre son "cotillon de quan mauve (?)", - ou bien le beau "cotillon viollet ayant le corps paravanté d'une "tastre bleuff garny de trois passements noirs", pour 7 livres 12 sols 6 deniers, ou encore son "cotillon d'équarlatte rouge ayant troistages de voulou noir au bas" et qui fut vendu 9 livres 2 sols 6 deniers. |
Nous voyons Me Dumoulin déplier les tabliers, devanteaux ou devantiers (diaraogen, tavancher), en Vannes danter (notre villageoise en possède une dizaine), cinq en toile de Quintin, dont un est garni de dentelles ; un est de satin à fleue : elle a encore un paramant de davanteau de satin à fleue garny de deux bas de dantelles. Pour aller au marché, elle a un davanteau de fatigue, plus chaud, c'est son davanteau de quamelut noir, de même qu'elle a aussi un manteau de drap de Paris, estimé 46 sols, pour les voyages et jours de deuil. Coiffes (Courichiers, 1572, - guirichets) : on en retrouve vingt : 7 de toile de Quintin, dont une avec bandeau ; 9 de toile de lin, et le reste en toile de ménage. La femme de Trégagué pouvait avec complaisance étaler ses bijoux :
Avec un tel trousseau, Clémence Le Hénaff devait faire bonne figure, lorsque montée sur sa selle (onze sols), et au trot d'un double bidet, elle allait à la noce ou au pardon. |
[modifier] Trousseau d'homme
Le trousseau de Guillaume Lozac'h semble sommaire quand on le compare à celui de sa femme, mais il faut se rappeler qu'il était mort depuis quelques temps, que sa garde-robe avait été dispersée par vente, donation ou tout autre motif, et nous ne retrouvons ici que les pièces d'habillement que sa veuve s'était réservés. Toutefois, on vend 6 chemises de lin et 2 de raparon, une jupe de toile à l'usage dudict défunt : 20 sols, ce qui donnerait à croire, qu'à l'ancienne mode, il portait jupe pour aller aux champs. Il restait de lui :
Pour sa défense personnelle et celle de ses amis, Lozac'h avait un commensement d'arsenal, composé d'une hallebarde, qui, à la vente, fut adjugée à Le Droff, mounier (=meunier), pour 3 sols. Hervé Lizien était mieux armé, car à son décès, au Mélennec, en janvier 1693, on vendait son fusil, 15 livres 2 sols, à Yves Le Pétillon. Au vu des autres inventaires, ce prix était élevé et suppose que l'arme était en excellent état. Car le prix ordinaire est de 4 livres et descend même jusqu'à 18 sols. Il est vrai que Albert Babeau (La vie rurale dans l'ancienne France, p. 37) parlant du fusil rustique, à cette époque, constate que la valeur vénale, en général, en est médiocre, et qu'il serait plus dangereux de s'en servir que d'en affronter les coups. |
On peut comparer le vestiaire de Hervé Lizien (1693) à celui de Guillaume Lozac'h, tout en tenant compte de ce que nous ne voyons figurer à la vente du Mélennec qu'une moitié seulement des vêtements et meubles du défunt, conformément à la requête de la veuve.
La tasse d'argent du maitre du Mélennec est vendue 18 livres ; quelques années plus tard ces coupes ou tasses se vendaient plus cher. Celle de Joseph Mahé, à Kerdévot, en 1726, est estimée 24 livres. Il semble que ce prix était uniforme, car on le retrouve presque toujours dans les pièces que nous avons consultées. Antoine FAVÉ, prêtre. |
[modifier] Annotations
- Gamache, s.f. : guêtre, faite en étoffe ou en cuir, qui enveloppait le pied et la jambe jusqu'au genou. Source : TLFi. [Terme] [Lexique] [Ref.↑ 1,0 1,1]
- Haut-de-chausse, g.n.m. : correspond à notre pantalon, sauf qu'il ne descend guère en-dessous du genou. Son nom breton, braghès, bragou, est l'équivalent du mot gaulois braie. Les voyageurs venus en Bretagne étaient étonnés devant l'ampleur de ces « grandes braies », d'où l'expression bragou braz. À partir du 18e siècle, on l'appelle fréquemment culotte. Source : Jean Le Tallec. [Terme] [Lexique] [Ref.↑]
- Berlinge, s.f. : étoffe particulière courante en Cornouaille au 18e siècle, dont la chaîne est en fil de chanvre et la trame en laine (source : www.1789-1815.com). Dans beaucoup de fermes de la Cornouaille, on a l’habitude de faire quelques aunes de berlinge au bout des toiles de chanvre que les cultivateurs tissent eux-mêmes pour leur usage (Breiz-Izel, ou vie des Bretons de l’Armorique, par M. Alexandre Bouët, tome troisième, Paris 1844, p. 112) [Terme] [Lexique] [Ref.↑]
- Était-ce un bonnet rouge porté lors des mouvements de révolte du papier timbré, 18 ans plus tôt, en 1675 ? [Ref.↑]
Thème de l'article : Etude et transcriptions de documents anciens Date de création : 1893 (BSAF 20) Dernière modification : 3.02.2022 Avancement : [Fignolé] |