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LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ.
A LA CONVENTION NATIONALE.
PÉTITION
De Citoyens Propriétaires & autres Habitans de la Commune de Quimper, Département du Finistère sur la loi des 23 & 27 Août 1792, qui abolit la
Tenure convenancière, ou à Domaine congéable dans les Départemens du Morbihan, du Finistère et des Côtes du Nord.
CITOYENS REPRÉSENTANS,
Un des grands avantages de la Liberté, & peut-être le plus essentiel est fans contredit que chaque individu a le droit d'éclairer le Gouvernement & de l'avertir de ses erreurs, d'autant plus inévitables dans un vaste état, qu'il y a plus de gens intéressés à le tromper.
Sur ce principe, une foule de malheureux propriétaires se proposoient de réclamer contre une Loi surprise à l'Assemblée législative, qui ruine au moins vingt mille pères de famille, sans aucun avantage pour la République, & qui
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au contraire lui fait perdre plus de cent millions ; c'est la Loi des 23 & 27 Août 1792, qui abolit la Tenure convenancière ou à Domaine congéable dans les Départemens du Morbihan, du Finistère & des Côtes du Nord, Loi qui est une contravention formelle aux articles 4, 16 & 19 de la déclaration des droits de l'homme & du citoyen.
Les grands intérêts qui ont occupé les premiers tems de la Convention nationale, ont retardé ces réclamations ; la terreur ensuite qui causoit une espèce de stupeur, les a empêchées, & l'on attendoit un tems où la Liberté ne seroit pas un vain nom une chimère.
A présent que nos armées triomphent par-tout ,que votre sagesse & votre énergie nous ont délivrés des tyrans, & qu'on peut avec sécurité réclamer la justice, nous croirons avoir bien mérité de la République, si nous sommes les premiers à vous mettre en état de réparer une injuriée aussi criante, en rapportant cette Loi désastreuse des 23 & 27 Août 1792.
Pour y parvenir, nous allons expliquer exactement ce que c'est que le Domaine congéable, & qu'elle a été son origine ; cette explication est nécessaire parce que n'étant en usage que dans une partie de la ci-devant Bretagne, très-peu de Députés le connoissent.
Nous ferons voir ensuite que cette Tenure n'est qu'une espèce particulière de ferme dont l'origine eut fondée fur les conventions les plus libres & les plus légitimes ; qu'on en a imposé à l'Assemblée Législative, quand on lui a dit qu'elle participoit de la nature des fiefs ; qu'elle est très avantageuse
aux Domaniers, & beaucoup plus favorable à l'agriculture que les simples fermes ; que sa suppression fait perdre plus
de cent millons à la République, & nuira nécessairement au commerce & à la circulation des grains ; que les habitans de nos campagnes la regretteront enfin que cette loi est une violation de propriété, que l'autorité peut bien se permettre, mais dont aucune puissance n'a le droit.
Mais auparavant nous croyons devoir proposer à la sagesse de la Convention Nationale d'examiner si à l'époque des 13 & 17 Août 1792 l'Assemblée Législative avoit bien le droit de porter une pareille loi.
Elle avoit appelé une Convention, elle avoit déclaré qu'elle cessoit toutes fonctions Législatives, & ne s'occuperoit plus que de décrets de circonstances & de police générale que de ce qui pourroit intéresser le salut de la Patrie ; cependant dans un moment où le plus grand nombre des Députés n'assistoit plus aux séances, & où la très-majeure partie de ceux qui restoient, n'avoit aucune connoissance de la nature du domaine congéable, on lui fait rendre d'urgence, sans nulle discussion, un décret de cette importance ! D'urgence ! Dans une matière qui n'intéressoit qu'un très-petit point de
la République, & sans aucun examen, sans aucune discussion, on ruine ainsi plus de 20 mille pères de familles ! Elle auroit donc pu décréter aussi légèrement la loi agraire !
Cette circonstance suffira seule sans doute pour déterminer la Convention Nationale à examiner ce décret dont elle reconnoîtra certainement & réparera l'injustice.
Le domaine congéable est un contract sinallagmatique, par lequel le propriétaire d'un terrain, soit en friche, soit déjà cultivé, l'afferme pour 9 ans pour un prix annuel convenu, soit en argent soit en grains & denrées, & aux conditions suivantes.
Si c'est un terrain en friche le preneur se charge de le défricher & mettre en valeur, de faire tels logemens & édifices que bon lui semble ou qu'il est stipulé par le contrat, avec faculté d'y faire des clôtures, qui dans la ci-devant Bretagne se nomment foffés & font des élévations de terre à la hauteur de 5 à 6 pieds, sur 3, 4 à 5 pieds de largeur, ordinairement bien garnis de bois courans qui se coupent tous les 9 ans [ 1 ] & sur lesquels on plante ou
on laisse croître quelques arbres de futaie de distance en distance ; le preneur a la disposition des émondes de ces arbres, & de ceux qui sont en dedans des clôtures, sans pouvoir néanmoins les couper par pied il a aussi la faculté de faire des jardins, des vergers, & d'y planter toutes espèces
de fruitiers & toutes ces améliorations lui appartiennent jusqu'à ce qu'il n'en ait été remboursé.
Le propriétaire qui, comme l'on voit, n'a fait qu'affermer le fonds, & qui se réserve les bois de futaies, que par cette raison l'on appelle bois fonciers, s'oblige à ne pouvoir congédier le preneur, même après l'expiration des 9 ans, sans lui rembourser, soit à l'amiable, soit à dire d'experts, toutes les améliorations qu'il y aura faites.
Si c'est un terrain déjà cultivé, le propriétaire qui retient toujours la propriété des bois afferme le fonds comme ci-
( 1) Ces fossés font inconnus ailleurs que dans la ci-devant Bretagne, où ils font nécessaires pour garantir les moissons des vents de mer, qui y font très-fréquents & très-nuisibles ; l'immense quantité des bois courants que ces fossés produisent, sert au chauffage tant des campagnes que des villes, & fait une grande épargne des bois de haute-futaye, si nécessaires à la construction dans des Départemens qui ont tant de ports-de-mer.
dessus pour neuf ans, pour un prix annuel convenu, soit en argent, soit en grains & denrées, & lui vend en outre les logemens & autres édifices, les fossés, les bois courans & les émondes des arbres qui se trouvent ou qui croissent sur les fossés & en dedans d'iceux ; les fruitiers qui sont dans
les jardins & vergers, &. ceux qu'il y voudra planter, & se réserve néanmoins la faculté de le congédier a l'expiration du bail qui est toujours de 9 ans, en lui remboursant soit à l'amiable, soit à dire d'experts, la valeur actuelle de tout ce qui lui appartient. Les choses sujettes au remboursement soiit les maisons, écuries, étables, crèches, granges, aires, murs de clôtures, pailles, fumiers, engrais, fossés, bois courants, émondes, fruitiers, genêts & landes, & s'appellent édifices & superfices, ou droits réparatoires ; le preneur est appelé colon ou domanier ou convenancier, & l'on nomme Tenue ou Convenant, un héritage ainsi possédé à Domaine congéable.
Il y a quelques héritages ainsi tenus, où il n'y a pas d'habitations; on les nommes Tenues sans étages, ou par de-hors ,& Tenues étagères ou logées, celles qui ont des habitations, ce ont les plus ordinaires les tenues sans étages sont en petit nombre.
On sent bien que le prix de la ferme n'est point en proportion de l'étendue du fonds & qu'il est toujours très-modique, tant à cause des avances du preneur, que des commissions que le propriétaire espère à chaque renouvellement de bail dont nous parlerons bien-tôt ; il n'est pas rare de voir des tenues qui ne payent pas 30 livres de ferme, qui ont 40, 5o arpens & au delà.
Si le domanier ne veut pas se laisser congédier lorsque son
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bail est près d'expirer il s'arrange avec te propriétaire qui, moyennant une somme convenue qu'on nomme commission, lui donne une nouvelle assurance pour 9 ans, ce qu'on nomme baillée ; & l'on voit des tenues ainsi possédées de père en fils depuis des siècles par des renouvellemens de baillées ; il en est aussi qui sans renouvellement, font également possédées de père en fils, de temps immémorial, ce qui arrive quand le prix de la ferme n'offre pas un avantage à faire envier la tenue par un autre colon.
Mais si le domanier ne s'arrange pas avec le propriétaire, celui-ci est le maître de le congédier, soit par lui-même, soit par un tiers à qui il accorde la baillée.
On voit par cette explication que cette tenure est une espèce particulière de ferme & en a tous les caractères, nulle tradition du fonds réserve des bois de futaye, terme de 9 ans, tacite reconduction faculté au propriétaire d'augmenter le prix de la ferme ou de la commission à chaque renouvellement de bail ; la feule différence est que dans les simples fermes, le fermier n'acquiert rien, au lieu qu'en domaines congéables, le colon acquiert les droits réparatoires, à réméré ou rachat perpétuel mais aussi le fermier n'a-t-il rien à prétendre pour toutes les améliorations qu'il a pu faire pendant le cours de son bail, au lieu que le domanier est remboursé de toutes les siennes, si on veut le congédier.
La plus grande partie des moulins dans la ci-devant Bretagne est affermée à des conditions pareilles, ce qu'on nomme à grand renable ; le meunier paye en entrant tous les ustensiles du moulin généralement & eft chargé de toutes les réparations, & à l'expiration de son bail le propriétaire ou
le fermier qui lui succède, les lui rembourse à dire d'ex-
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perts ; on n'a jamais réclamé contre ces sortes de fermes qui ont toujours été trouvées très-légitimes.
« Le droit de propriété est celui qui appartient à tout Citoyen de jouir & disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, des fruits de son travail & de
son industrie » Article 16 de la déclaration des droits de l'Homme & du Citoyen.
Il faudroit rayer cet article de la déclamation des droits de l'homme, si la tenure convenancière telle que nous venons de l'expliquer, n'est pas légitime & si elle renferme quelque vice ; en effet le propriétaire, y dispose à son gré de son bien & le preneur y dispose à son gré du fruit de son travail & de fon industrie, & l'on verra bientôt que c'est à l'avantage de l'un & de l'autre, mais plus à l'avantage du preneur.
Cette tenure est de ces pratiques immémoriales dont l'origine se perd dans les siècles les plus reculés de la Nation Bretonne.
L'opinion la plus commune & la plus vraisemblable est que les premiers Bretons qui abandonnèrent leur isle pour venir s'établir en Basse-Bretagne dans le quatrième siècle y obtinrent ou s'emparèrent à titre de premiers occupants, de terrains qui n'étoient que forêts & travaillèrent à leur défrichement ; que dans le siècle suivant, d'autres Bretons émigrans les étant venus joindre, en furent accueillis en parens & amis, mais comme il n'y avoit plus de terrains vacans, les premiers leur en donnèrent aux conditions susdites.
« Ces réfugiés étoient libres & puissants & ne furent point rangés dans la classe des cultivateurs indigènes qui étoient serfs ; ils le lièrent simplement par des conventions franches suivant lesquelles ils entreprirent la culture des
terres en friche sans en acquérir la propriété,, mais à la condition expresse de jouir jusqu'au remboursement, de leurs améliorations ; delà cette attention conservée jusqu'à nos jours dans le protocole des Notaires inférieurs, observée dans le mémoire présenté aux commissaires à la réformdtion de la coutume de Bretagne en 1580, par les sièges de Carhaix, d'intituler les Convenanciers dans les titres respectifs aux seigneurs, de colons à titre de Convenant franch. Dans ces siècles barbares la servitude du plus grand nombre des laboureurs exigeoit une expression distinctiive pour les tenanciers libres. » Baudouin en ses institutions convenancières, tome 1. page 8.
Ce passage de Baudouin éloigne certainement toute idée de servitude. Cette tenure s'établit ainsi, & fut trouvée si avantageuse pour les deux contractans qu'elle s'étendit dans la suite aux terrains déjà en culture, & de ce qui n'étoit qu'un simple usage se formèrent insensiblement les usemens
locaux, comme se font formées toutes les coutumes qui régissoient les différentes Provinces de France. Ces usemens n'ont cependant été rédigés par écrit que postérieurement à la dernière réformation de la coutume de Bretagne, en 1580.
Ces contracts ont toujours été susceptibles, comme les simples fermes, de toutes les conditions & stipulations qui convenoient aux contractans ; delà quelques différences dans les différens usemens ; mais tous s'accordent en ce gue les domaniers n'ont jamais eû aucun droit aux fonds, ni aux bois,
pour lesquels ils n'ont jamais rien déboursé, & que les propriétaires ont toujours eû la faculté de les congédier à l'expiration de leurs baux, soit par eux-mêmes, soit par leurs
fobrogés, en les remboursant comme dit est de la valeur de leurs édifices & superfices.
Une des stipulations les plus ordinaires dans ces contrats étoit l'obligation du preneur de faire un certain nombre de journées de charrois, de chevaux sans attelage & par mains, que l'on a appelé corvées, de sorte que les usemens en ont fait une des charges du domaine congéable ; mais on n'en
doit pas conclure que ces corvées annoncent aucune espèce de servitude ; elles sont appréciées & font partie du prix de la ferme du fonds, comme dans les fermes ordinaires qui, pour la plus part, contiennent des obligations pareilles.
D'après cette explication du domaine congéables & de son origine, sur laquelle nous ne craignons pas d'être contredits, il est évident qu'on en a imposé à l'Assemblée Législative, quand on lui a dit que cette tenure participoit de la nature des fiefs. On ne peut participer de ce qui n'existe pas, le domaine congéable a pris naissance, comme on vient de le voir, dans le quatrième ou cinquième siècle, & tout le monde fait que la féodalité ne s'est introduite que dans le neuvième.
Tout propriétaire de terrain, soit en friche, soit en culture, & depuis l'établissement des fiefs, soit noble soit roturier, sans qu'il fut besoin d'avoir fief, ni aucun principe de fief, a pu depuis 13 ou 1400 ans l'affermer ainsi à titre de domaine congéable, comme il l'auroit pu faire à titre de simple ferme, & cette faculté n'a pu lui être otée sans une contravention formelle aux droits de l'Homme & du Citoyen.
Si après l'invention funeste de la féodalité, les seigneurs ont fait des concessions de cette espèce, ce n'étoit point comme seigneurs de fiefs, ni par un privilège particulier de leurs
seîgneuries, mais seulement comme tous autres propriétaires ; il est même vraisemblable que la plupart des domaines congéables dépendant des fiefs y ont été joints par des acquittions particulières, & n'en sont que des annexes ; cette vraisemblance paroîtra même une vérité si l'on considère qu'il étoit beaucoup plus avantageux aux seigneurs de donner des terres de leurs Seigneuries à féage, qu'à domaine congéable, parce qu'en afféageant i!s se ménagoient des droits casuels assez fréquents, les rachats & lods & ventes, droits auxquels il eût fallu renoncer en donnant à domaine congéable puifque, cette espèce de tenure n'y étoit point sujette.
La qualité de seigneurs fonciers donnée par tous les usemens aux propriétaires de domaines congéables, a facilité peut-être de tromper l'assemblée législative mais il est évident que le mot seigneur n'est là qu'une traduction du mot dominus, dominus fundi, maître, maître du fonds, propriétaire du fonds ; cette dénomination de seigneur ne donnoit ni ne supposoit même aucun privilège, ni prérogative, & n'étoit fondée que fur l'usage des gens de la campagne d'appeler ainsi indistinctement tous ceux à qui ils payoient quelque redevance, même pour la plus chétive ferme.
Cette erreur en laquelle on a induit l'assemblée législative, en a cependant fait commettre une autre à la Convention nationale, qui porte un grand préjudice aux finances de la république ; c'est le décret du 29 floréal qui supprime sans indemnité les rentes de domaines congéables dépendants des
fiefs ; cette suppression réduit à bien peu de chose les biens nationaux acquis à la république par les émigrations & condamnations dans les départemens de domaines congéables & par l'extinction du clergé. Il est certain que les
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dix-neuf vingtièmes des propriétés rurales font ce titre & plus des trois quarts des revenus des fiefs étoient en domaines congéables, il est aisé de calculer ce qu'y perd la république.
Il est vrai que la plupart des seigneurs de fiefs, abusant de leur pouvoir, avoient assujetti leurs domaines congéables à des droits onéreux de féodalité ; mais c'étoit contre la nature de cette tenure, & le décret du 4 août 17S9 qui avoit supprimé ces abus, avoit remis ces Domaines à leur véritable place, celle de tous les autres propriétaires sans fiefs ni principes de fiefs.
L'abus des choses les plus honnêtes & les plus licites n'est certainement pas un motif de les proscrire ; car de quoi n'abuse-t-on pas ? Même de la liberté, & nous jurons tous de la défendre jusqu'à la mort !
Si la tenure à Domaine congéable est légitime par sa nature, comme on n'en peut plus douter, elle est aussi très avantageuse aux domaniers ; la prédilection des habitans de la campagne pour cette espèce de bien, en est une preuve convaincante, car ils connoissent leur interrêt mieux que personne & ils l'ont toujours préférée aux simples fermes ; l'aisance dont jouissent assez généralement les Domaniers ajoute à cette
preuve. On distingue dans nos campagnes trois fortes d'habitans, les Domaniers, les fermiers & les journaliers ; on pourroit les comparer, savoir ; les Domaniers à ce qu'on appeloit sous l'ancien régime bourgeois aifss dans les villes ; les fermiers aux artisans & les journaliers à ceux qui, dans
les villes n'ayant point de profession, n'avoient que leurs bras pour gagner leur vie. Les Domaniers sont donc la classe la plus aisée des campagnes, & ils préféroient les Domaines congéables même aux biens fonds ; cela ne doit pas surprendre ; l'argent qu'ils plaçoient en droits réparatoires, leur pro-
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duisoit toujours 7 à 8 pour cent d'intérét, même en les affermant, & 10 à 12 pour cent lorsqu'ils les tenoient eux-mêmes par mains, c'est ce qu'il nous a été facile de vérifier par les Rôles de l'impôt foncier.
Au lieu que leur argent placé en biens fonds leur procuroit à peine 2 demie à 3 pour cent. Cette prédilection pour les Domaines congéables fausoit aussi qu'on trouvoit difficilement des fermiers pour de grandes métairies, parce que pour les faite valoir avantageusement, il faut pour 10 à 12 mille francs de chevaux, chevaux & ustensiles, & qu'un cultivateur qui avoit seulement 4 à 5 mille francs, s'empressoit d'acquérir des droits réparatoires ; il se regardont dès lors comme un véritable propriétaire, & en effet, les droits réparatoires, quoi que meubles respectivement au propriétaire foncier comme gage du prix de sa fermé, étoient immeubles respectivement au Domanier, & en avoient tous les caractères ; leurs femmes y prenoient douaire ; lorsqu'ils les vendoient volontairement, l'acquéreur s'en approprioit comme de biens immeubles, & ils. les hypothéquoient valablement. Quelques-uns avoient cependant des biens en fonds, mais ils étoient en très petit nombre.
Le propriétaire y trouvoit aussi un grand avantage, surtout quand sa résidence étoit éloignée de ses biens ; il étoit exempt de réparations ; les droits réparatoires étant le gage du prix de fa ferme, il ne craignoit pas, qu'on lui mit la 'clef fous la porte, ce qui arrive couvent dans les fermes ordinaires ; il étoit assuré que fa terre seroit bien cultivée, au lieu que les terres dans les smples fermes sont souvent négligées & presque toujours dégradées quand le propriétaire n'est pas à portée d'y veiller.
Cette Tenure est donc avantageuse & aux Domaniers & aux propriétaires, mais elle est aussi bien plus favorable à l'agriculture que les simples fermes ; il ne faut pour s'en convaincre, que parcourir les campagnes de Domaines congéables, on y distingue aisément celles qui sont à ce titre des simples fermes ; les premières sont incomparablement mieux cultivées & mieux entretenues, tant pour les logemens, que pour les fossés qui sont bien mieux garnis de bois courants, les vergers mieux plantés &c. Ce qui n'est pas étonnant, tout cela s'estime en congément, & il est de l'intérêt du Domanier d'améliorer continuellement. C'est bien le cas de dire : tant vaut l'homme, tant vaut la terre. La possibilité d'être congédié est un aiguillon qui le
force à améliorer ; d'ailleurs il fait aussi qu'il aura toujours la préférence pour une nouvelle baillée, s'il est honnête & laborieux qu'ainsi il travaille pour lui même ; car il n'est pas de propriétaire qui ne conserve un fermier qui se comporte bien.
Novs avons dit que la suppression du Domaine congéable fesoit perdre plus de cent millions à la République ; en effet ces sortes de biens se vendoient au denier 30, 35, & souvent 40 ; les voilà hors de vente, car qui voudra acheter des rentes qui ne sont plus que des rentes constituées ? Les Domaniers pourront rembourser à la Nation les rentes de Domaines nationaux, mais c'est une faculté qu'ils ont, ils n'y sont pas tenus ; d'ailleurs les Commissions n'y sont pas comprises dans ces remboursemens, & c'eft une partie considérable des revenus en Domaines congéables. Il n'est là question que des Domaines indépendans des fiefs, car quant à ceux qui en dépendent nous hommes persuadés qu'ils
sont un objet de près de deux millions de rente.
Nous avons dit aussi que cette suppression nuirait nécessairement au commerce & à la circulation des grains. En effet le commerce de grains est presque le seul dans les cantons de Domaines congéables, le bled est à peu près la seule denrée qu'on y ait à donner en échange du numéraire. Il est certain que de tous les temps les sept huitièmes des bleds qui s'en exportoient étoient ceux des rentiers & des décimateurs ; il s'en exporte peu des cantons de la ci-devant Bretagne qui n'ont point de Domaines congéables. Or voici ce qui arrivera lorsque les Domaniers auront remboursé leurs
propriétaires fonciers ; ils n'auront plus de rentes en grains à payer, on fait que les cultivateurs sont généralement paresseux, ils ne sèment guères dans l'état actuel que ce qui est nécessaire pour leur consommation ,& pour payer leurs propriétaires ; mais quand ils n'auront plus de rentes en bleds à payer, ils n'en sèmeront que pour leur subsistance ; ils y feront même forcés, & ils y trouveront un grand avantage.
Il y feront forcés, car ils n'ont pas de greniers pour serrer leur bled & le conserver jusqu'au temps propre à la vente. Qu'on ne dise pas qu'ils en construiront ; que l'on calcule la dépense de plus de cent mille greniers.
Ils y trouveront un grand avantage, parce qu'il leur faudra moins de bras ; ils préféreront de laisser leurs terres en pâturages & de nourrir des bestiaux, cela est moins pénible & moins couteux, & leur sera autant de profit, & que deviendront alors les pauvres journaliers & valets de campagnes que la culture des terres nourrit ? Et dans les mauvaises années, la disette ne sera-t-elle pas à craindre ?
Nous avons dit encore que les habitant de nos campagnes
regretteront les Domaines congéables ; leur usage dans les successions est que l'ainé garde la tenue, & donne à ses frères et sœurs leur part en argent ; ceux ci, de cet argent & par des mariages, sont bien-tôt es état de se procurer d'autres tenues & sont toujours ainsi dans l'aisance, au moins quand
ils sont laborieux & rangés. Mais quand le fonds de leur tenue leur appartiendra, ils tomberont dans la misère par les divisions & subdivisons qui iront à l'infini ; nous en avons un exemple dans une parcelle la plus fertile de ce Département (Crozon) où les congémens se fesoient rarement, & où ils ont toujours ainsi divisés leurs tenues, de sorte qu'aujourd'hui elles le sont tellement, qu'ils sont quelquefois plus de centsur une même tenue, qui n'ont qu'un ou deux silions, ce qui les rend fort misérables ; leur ressource est la pèche. Ces divisions multipliées sont encore une source de procès. Tel
sera cependant le fort de nos cultivateurs qui regretteront alors la tenure convenancière & en demanderont le rétablissement.
Tout concourt donc à démontrer qu'indépendament de la justice il falloit conserver une nature de bien qui leur facilitoit le moyen de faire valoir leur argent à un taux avantageux, & entretenoit la circulation parmi eux.
Mais a-t-on dit, c'étoit le vœu général des campagnes, & la plupart des cahiers présentés aux États Généraux demandoient cette suppression; c'est comme si l'on disoit que cette multitude d'adresses de Municipalités & de Sociétés Populaires, qui ont osé demander la continuation ou le rétablissement du système sanguinaire du traître & cruel Roberspierre, formoit le vceu général de la République.
Non, ce n'étoit pas le vœu général, mais celui de quelques intrigans. Aujourd'hui même, quoi qu'ils semblent profi-
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ter pour le moment présent, tous les domaniers conviennent de l'injustice de ce décret de suppression. Nous aurons bientôt occasion de faire connoître une partie des manœuvres qui on été employées pour l'obtenir.
Mais quand il seroit aussi vrai qu'il est faux, que c'eut été le vœu général, ce décret de suppression nous osons le dire, n'en seroit pas plus juste. L'Assemblée constituante avoit déjà statué sur ce prétendu vœu général, & elle ne l'a voit pas fait d'urgence ! Elle avoit examiné scrupuleusement ces demandes, elle avoit consulté les Départemens de Domaines congéables, & ce n'est qu'après une ample discussion, & avec la plus grande connoissance de cause qu'elle avoit rendu le décret des 30 Mai, 1, 6, & 7 Juin 1791. Elle avoit donc reconnu l'injustice des prétentions des Domaniers dont aucune cependant n'étoit si exorbitante que le décret des 23 & 27 Août 1792. Comment donc l'Assemblée Législative a-t-elle pu, sans examen, sans aucune connoissance de cause, annéantir une Loi rendue avec tant de précautions ?
Mais, a-t-on encore dit, il étoit bien dur pour un pauvre colon de se voir congédier du lieu qui l'a vu naître, d'un bien que ses pères & lui ont amélioré ! Cela peut être vrai, mais est-il en cela de pire condition que tous les fermiers du monde ? Ce colon n'ignoroit pas qu'il n'étoit que propriétaire précaire de ses droits réparatoires, & qu'on avoit la même faculté de le congédier que tout autre fermier ; lorsque lui ou ses pères font entrés dans ce Domaine, ils savoient à quelle condition, volenti non fit injuria ; si on le congédie, ce n'est pas sans une juste & préalable indemnité ; on lui rembourse la valeur de ses édifices & superfices &
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de cet argent il acquiert une autre tenue qui lui procure le même intérêt de ses fonds.
Que l'on compare cette position avec celle du malheureux propriétaire que la Loi du 27 Août 1792 dépouille sans indemnité s'il a un fief, & dont l'indemnité, s'il n'a pas de fief, n'est pas du quart, pas même du vingtième peut-être, comme on le verra bientôt. Copropriétaire tenoit cependant
de ses pères, ou avoit acquis à grands frais sur la foi publique, peut-être sur la foi du décret du mois de Juin 1791 ! Et très certainement sa propriété étoit très-légitime.
Mais, ajoute-t-on, & c'est ici l'objection la plus spécieuse, les ci-devant seigneurs de fiefs seroient tout aussi fondés à se plaindre de la suppression de leurs fiefs, de la suppression de tous leurs droits féodaux sans indemnité. La différence est grande ; la féodalité a un vice d'origine qu'aucune prescription n'a pu couvrir ; les droits féodaux n'étoient point fondés sur la liberté des conventions. On sait que les premiers seigneurs de fiefs n'étoient que des usurpateurs de terres qu'ils n'avoient eues qu'a vie, que l'on mommoit bénéfices ou bienfaits ; qu'ils devinrent dans ces terres de petits souverains, de petits despotes, des titans, qui imposoient à ce qu'ils appeloient leurs vassaux telles charges que dictoit leur avarice. Telle est l'origine des droits féodaux, incompatibles avec la liberté & que l'on a justement proscrits.
Mais il n'en est pas de même de la Tenure convenancière, fondée sur la liberté des conventions, dont l'origine, nous ne saurions trop le répéter, est antérieure de plusieurs siècles à l'établissement de la féodalité, & exclusive de toute contrainte, de toute servitude.
Tout ce que nous avons dit suffiroit, sans doute, pour prou-
ver la nécessîté de rapporter ce décret des 23 & 17 Août 1791, & de maintenir celui des 30 Mai, 1, 6 & 7 Juin 1791. Mais quelques observations sur les principaux articles de ce funeste décret en rendront encore plus sensible toute l'injustice.
« L'assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son Comité de Féodalité, considérant que la Tenure connue dans les Départemens du Morbihan du Finistère & des Côtes du Nord, sous les noms de Convenans & Domaines congéables, participe de la nature des fiefs, & de qu'il est instant de faire jouir les Domaines des avantages de l'abolition du Régime féodal, décrète qu'il y a Urgence ».
Nous avons démontré ci-dessus que la Tenure à Domaine congéable n'étoit qu'une espèce particulière de ferme, & ne pouvoit participer de la nature des fiefs, puisque les fiefs n'ont été établis qu'environ 400 ans après son origine.
Mais pourquoi donc l'Urgence dans une matière qui certainement n'intéressoit pas le salut de la Patrie ?
C'est ici le lieu d'en faire connoître les motifs, & une partie des manœuvres employées par les intrigans.
Dès les commencemens de 1789, lorsqu'il fut question de nommer des Députés aux Etats-Généraux, quelques ambitieux, qui cherchoient à se procurer les suffrages des cultivateurs qui fesoient la grande majorité parmi les Electeurs, imaginèrent de leur faire naître l'idée de demander la suppression des Domaines congéables. [ Cette idée étoit bien singulière après 13 ou 1400 ans sans réclamations. ] Parmi ces ambitieux se distingua particulièrement un Magistrat d'une Sénéchaussée du Morbihan ; il avoit six mille livres de rentes en droits réparatoires, & c'étoit un coup de fortune, s'il pouvoit y réunir le fonds. Il parcourut les campagnes pour engager
les cultivateurs à former cette inique demande, offrant de l'appuyer aux Etats Généraux, s'il y étoit Député, & parvint ainsi à se faire nommer. Un grand nombre de Domaniers honnêtes s'indignèrent néanmoins de ces propositions : nous n'avons, disoient-ils, acquis que les édifices & superfices de nos tenues, nous n'avons aucun droit aux fonds, ni aux bois pour lesquels nous n'avons rien déboursé, & il seroit de toute injustice de dépouiller nos propriétaires fonciers. Mais comme la plupart des hommes consultent plus leur intérêt que la justice, la plupart des cahiers contenoient des demandes relatives aux Domaines congéables ; aucun cependant n'alloit aussi loin que le décret du mois d'Août 1792, pas un ne demandoit la propriété du fonds ni des bois qu'on leur a si généreusement accordée. Cependant lors du décret du 4 Août 1789 qui déclara rachetables les rentes censives & féodales, ce député subtil fit glisser à la rédaction & Domaniales. La fraude fut apperçue, & pensa lui occasionner une affaire sérieuse, il en fut cependant quitte en disant qu'il s'étoit trompé, qu'il avoit cru que c'étoit l'intention de l'Assemblée.
Ce ne fut qu'en 1791, qu'on s'occupa des Domaines congéables ; on connoissoit dans les pays d'usemens toutes les intrigues des ambitieux, & notament de ce Député, qui ne craignit pas de dire à l'Assemblée que les Domaniers se révolteroient si on ne leur donnoit la propriété de leurs
Domaines, ce qui assurément étoit de toute fausseté ; qui après avoir coloré de zèle du bien public, celui qui l'animoit en faveur des Domaniers, eût l'impudence de dire à la Tribune qu'il parloit contre son intérêt, puisqu'il avoit six mille livres de rente en Domaines congéables-; malheureu-
sement pour son amour propre, un de ses collègues qui le connoissoit, le releva, démasqua l'imposture & fit connoitre à l'Assemblée que ces 6ooo livres de rente étoient en Domaines passifs, c'est-à-dire en droits réparatoires auxquels il paroissoit vouloir réunir le fonds à peu de frais ; il en fut encore
pour sa courte honte.
Quoi qu'il en soit, les propriétaires prirent l'alarme, & comme ils n'ignoroient pas qu'il étoit d'autant plus aisé de surprendre l'Assemblée constituante que la Tenure convenancière étoit tout à fait étrangère à la plupart des Députés, ils firent parvenir de tous côtés des adreffes & mémoires, dans lesquels en faisant connoître ce que c'étoirt que le Domaine congéable, & ses avantages pour tout le monde, il leur fut aisé de prouver qu'on cherchoit à tromper nos Repréfentans, & que bien loin de supprimer les Domaines congéables, il eut été avantageux que cette Tenure se fut propagée dans toute la France.
L'assemblée nationale trouva la matière assez importante pour ne pas se décider légèrement ; après quelques discussions, les trois Départemens de Domaines congéables furent consultés. Enfin en très grande connoissance de cause, & après avoir entendu ses Comités de féodalité, Constitution,
des Domaines, de Commerce & d'Agriculture, elle rendit le décret des 30 Mai, 1, 6 & 7 Juin 1791, qui en abolissant les usemens, en ce qu'ils peuvent avoir d'onéreux, maintient la Tenure convenancière ou à Domaine congéable. Ce décret est très sage. tous les articles sont fondés sur la
Liberté sacrée & inviolable des Citoyens dans leurs conventions ; c'est pour aisii dire un dévelopement de l'article 16 de des droits de. l'Homme & du Citoyen.
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II donnoit cependant de grands avantages aux Domaniers, mais tout le monde fut content.
Il n'y eût que ce même Député qui n'y trouva pas son objet principal ; il ne se tint pas pour battu, il demeura intriguer à Paris tout le temps de L'Assemblée législative. Dans un moment où la Patrie parut en danger, il écrivoit en son pays : il faut accorder tout aux paysans, [ ce sont
ses termes, ] nous n'avons plus de ressource qu'en eux.
Il étoit cependant difficile de faire réformer une Loi aussi mûrement & aussi solemnellement délibérée que celle du mois de Juin 1791 ; s'il s'ouvroit une discussion les propriétaires en auroient eû connoiffance, & comme en 1791, ils auroient par des mémoires éclairé l'Assemblée Législative. Il falloit donc agir clandestinement pour ainsi dire, & tandis que les propriétaires se reposoient tranquillement sur la foi d'une Loi rendue en quelque façon contradictoirement entre tous les intéressés un rapporteur induit en erreur surprend un décret d'urgence, sous prétexte de féodalité.
Qui croira cependant que, si la Tenure convenancière avoit participé en quoi que ce soit de la féodalité, les quatre Comités réunis de féodalité, Constitution, Domaines, de Commerce & d'Agriculture ne s'en seroient pas apperçûs ?
Nous demanderons encore laquelle est la meilleure, & mérite le plus l'assentiment général de deux Loix rendues sur le même objet, dont l'une a été solemnellement discutée, & mûrement délibérée par des Législateurs qui en ont pris une connoissance scrupuleuse, & dont l'autre a été
surprise à des Législateurs qui y sont tout à fait étrangers, & qui n'ont rien approfondi ?
§ Suite ...
ARTICLE l
« La Tenure convenancière ou à Domaine congéable est abolie ; les coutumes locales qui régissent cette Tenure sous le nom d'usemens sont abrogées ; en conséquence les ci-devant Domaniers sont & demeurent propriétaires incommutables du fonds, comme des édifices & superfices de leurs tenues ».
Quelle générosité ! Les Domaniers n'avoient jamais été propriétaires incommutables de leur édifices & superfices, puisqu'on avoit le droit de les rembourser à l'échéance de leurs baux ;n'ayant jamais rien déboursé pour le fonds, ils n'y avoient pas plus de droit que les simples fermiers sur le
fonds de leurs métairies ; c'est donc une véritable confiscation de la part de l'Assemblée législative, pour faire un don aux Domaniers, mais de quel droit ?
Avait-elle plus le pouvoir de déclarer ces Domaniers propriétaires incommutables du fonds de leurs tenues, dont ils n'ont jamais acquis la moindre portion, & de leurs droits réparatoires qu'ils n'ont acquis qu'à réméré ou rachat perpétuel, qu'elle n'en auroit eû de nous déclarer propriétaires
incommutables de leurs droits réparatoires, comme nous l'étions véritablement du fonds ?
L'article 19 de la Déclaration des droits de l'Homme & du Citoyen porte que « nul ne peut être privé de la moindre portion de sa propriété sans son contentement si ce n'est lorsque la nécessité publique légalement constatée l'exige, & sans la condition d'une juste & préalable indemnité ».
Où étoit donc la nécessité publique qui exigeoit qu'on nous prive de nos propriétés, pour en gratifier d'autres individus comme nous ? En revenoit-il quelque profit à la chose publique ? Nous avons fait voir qu'au contraire ce funeste décret lui fait perdre plus de cent millions.
Mais supposons pour un moment qu'il y eut nécessité publique, quel moyen légal a-t-on pris pour la constater ? Est-ce en décrétant l'Urgence, pour dérober aux propriétaires qu'on tramoit leur ruine?
Un Citoyen libre que l'on veut priver de la moindre portion de sa propriété, sous prétexte d'une nécessité publique a incontestablement le droit de prouver que cette nécessité n'existe pas, sans quoi il n'est pas vrai qu'il soit libre ; que sera ce donc si on veut le dépouiller en faveur d'un autre Citoyen comme lui ? Cette loi est donc, nous osons le dire, une violation évidente de l'article 19 de la Déclaration des droits de l'Homme & du Citoyen, & nous en demandons justice.
Ce même article exige aussi la condition d'une juste & préalable indemnité ; nous ferons voir sur les articles suivants, combien il s'en faut que les propriétaires soient suffisament indemnisés.
ARTICLE I I
« Il ne sera fait à l'avenir aucune concession à pareil titre ; celles qui feroient faites ne vaudront que comme simples arrentemens. L'entière propriété des terres ainsi concédées appartiendra aux concessionaires avec la faculté perpétuelle de racheter les rentes.
Comment concilier cet article avec l'article 4 de Déclaration des droits de l'Homme qui porte que « la Loi ne peut ordonner que ce que est juste & utile à la société, & ne peut défendre que ce qui lui est nuisive ? ».
Nous avons démontré ,ci-devant, que la Tenure convenancière, loin d'être nuisible lui étoit au contraire très utile & très avantageuse.
Cet article a annéanti aussi l'artide 16 des droits de l'Homme qui porte que « le droit de propriété est celui qui appartient à tout Citoyen de jouir & difposer à son gré de ses biens, de ses revenus, des fruits de fon travail & de fon industrie ».
ARTICLE I I I
« Dans les concevions précédemment faites, les droits de congément, baillées, commissions & nouveautés, & le droit de lods & ventes [3] qui ne seroient point expressément stipulés dans le titre primitif de concession, sont abolis
fans indemnité »
L'usement de Rohan étoit le seul où la vente volontaire des édifices & superfices donnât lieu aux Lods et ventes [3] & cet élément étoit aboli par le décret du mois de Juin 1791 ; ce droit au reste n'était pas féodal, puisque tout propriétaire
foncier, quoique fans fief ni principe de fief, en jouissoit.
A l'égard des droits de congément, baillées, commissions & nouveautés, ils fesoient partie, & souvent la plus confidérable, du revenu des propriétaires puisque, comme on l'a dit, le prix de la ferme du fonds était toujours modique à cause de ces droits, & aux termes des droits de l'Homme, aucune puissance n'avoit le droit de les en dépouiller.
ARTICLE V.
« Tous les arbres fruitiers, tels que pommiers, châtaigniers, noyers & autres de même nature, soit qu'ils existent en rabines, avenues ou bosquets, les bois appelés courants ou puinais, les taillis même, les bois de futaie de toute espèce étant sur les fossés ou dans les clôtures des terres mises en valeur, sont déclarés appartenir en toute propriété aux ci-devant Domaniers. »
Les Domaniers ont acquis & payé les arbres fruitiers, & le droit d'en planter à leur profit, dans leurs clôtures, les bois courants & puinais, ainsi que les émondés des bois de futaie sur leurs fossés & en dedans d'iceux ; mais les châtaigniers & noyers n'ont jamais été rangés dans la classe des fruitiers ; ce sont des bois de futaie, & propres à merrain, compris, dans la réserve des propriétaires comme bois fonciers, & pour lesquels, on le répète, les Domaniers n'ont jamais rien déboursé. On appelle arbres fruitiers, ceux dont le fruit n'est pas la graine même, comme pommiers, poiriers, coignassiers, pruniers, cerisiers, pêchers, abricotiers, dont on mange, la chair, & on sème les pepins, les noyaux ; & l'on nomme arbres de futaie, & propres à merrain, ceux dont le fruit est la graine même, comme les chênes, hêtres, châtaigniers, noyers, pins, sapins, ifs, peupliers, &c. dont on ne peut manger que la graine ; c'est ce qu'on a toujours appellé bois fonciers, dont les Domaniers n'avoient que les émondes, lorsqu'il s'en trouvoit sur leurs fossés & en dedans d'iceux, sans pouvoir les couper par pieds : & lorsque ces arbres se trouvoient -hors des clôtures, soit en avenues, soit en bosquets
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ou isolés, ils appartenoient entièrement aux propriétaires, & il n'y a qu'un abus d'autorité le plus condamnable qui ait pu
les en dépouiller, pour en gratifier leurs fermiers.
ARTICLES VI ET VII
Ces articles portent qu'à « la réquisition de l'une des parties, les bois de futaie tels que chênes, ormeaux, hêtres, sapins & autres de même nature, qui se trouveront soit en semis, ou existans en rabines, avenues. ou bosquets, hors des clôtures des terres en valeur, seront estimés par experts, sur le pied de leur valeur, à l'époque de leur estimation, & les Domaniers ne seront pas obligés de paye de suite, ils payeront seulement l'intérêt du prix de l'estimation au denier-vingt, sur lequel encore ils retiendront l'impôt foncier, jusqu'au remboursement qu'ils ne seront que lorsque bon leur semblera ».
Quelle injustice ! Quoi, on nous force à vendre, à un prix arbitraire & à crédit, une propriété qui nous a peut-être coûté le double & que nous avons payée comptant ! Et c'est sous le règne de la Liberté, de l'égalité !
Sur tout ce qui concerne les bois dans ce décret, nous observerons que depuis long-temps on se plaignoit de la disette des bois, tant de construction que de chauffage ; la grande consommation que les circonstances actuelles occasionnent, en opèrent à peu-près la destruction ; mais nous osons
assurer que, par ce décret, l'assemblée législative en tarit la source. Nos cultivateurs veulent jouir ; ils planteront bien des bois courants qu'ils espèrent couper eux-mêmes, mais ils ne planteront pas pour leur postérité ; les plantations coûtent beaucoup, & jamais ils ne se livreront à cette dépense.
§ Suite ...
Ceci est d'expérience ;nous en connaissons plusieurs qui ont depuis longtemps des terres en fonds, & pas un ne plante ; aussi passoit-il en proverbe, que le paysan est ennemi du bois.
Quel funeste avenir pour un pays où il y a tant de ports de mer !
ARTICLE X L
« Il sera libre aux ci-devant Domaniers de racheter leur redevance convenancière ; & soit avant soit après ce rachat, ils pourront racheter aussi les rentes suzeraines ou chef-rentes [4] dues sur leur Tenues. »
Et suivant l'article XV ces remboursemens se feront au denier-vignt pour les rentes en argent, & au denier-vingt-cinq pour les rentes en grains & denrées.
Y a-t-on bien réfléchi quand on a porté une pareille loi ? n'en a-t-on point apperçu l'iniquité ?
Que diroit-on d'une loi qui autoriseroit les locataires des maisons dans les villes à rembourser aux propriétaires de ces maisons le capital de leur loyer au denier-vingt? On crieroit sans doute, à l'oppression, à la tyrannie. Eh bien ! cette loi seroit beaucoup moins inique que celle dont nous nous plaignons. En effet les propriétaires de maisons ainsi remboursés, en plaçant leur argent à contour, en retireroient le même intérêt; & comme ils auroient la faculté destipuler la non-retenue d'aucune imposition, ils gagneroient l'impôt foncier, ils gagneroient en outre les réparations, & ne
craindroient plus les incendies ; au lieu que les malheureux propriétaires fonciers perdent presque tout, en voici la preuve.
Un père de famille, des fruiits de son travail & de son industrie, a acquis neuf grandes Tenues qui ne lui payent
chacune que 30 livres par an en argent, mais comme le terrain en est considérable, chacune d'elles renouvelle sa baillée tous les 9 ans, & lui paye 1,200 livres de commission ; l'échéance de chaque baillée est telle que tous les ans il en perçoit une. Voilà bien un revenu de 1,470 livres, qui au
denier-trente, comme se vendoient courament les biens de cette espèce, & Couvent au delà, fait un capital de 44,100 livres ; il y en a en outre sur les fossés & clôtures de chacune de ces Tenues, pour 3000 livres de bois fonciers qu'il a payés, cela fait un total de 71,100 livres ; les lods & ventes [3] , frais de contrats & approprîment lui ont coûté près de 9000livres ; voilà donc une acquisition de
80,000 livres.
Eh bien! par cette loi ,du mois d'août 1792, on va le rembourser de la totalité avec 5,400 livres.
Vous fremissez, nous le voyons, citoyens Repréfentans, à la vue d'un pareil tableau ! Telle est cependant notre position, telle est celle de tous les propriétaires fonciers, un peu plus, ou un peu moins ; croira-t-on que ce sont des républicains, des hommes libres, des patriotes qui sont ainsî
traités ? Si encore ce dépouillement avoit été au profit de la république! Ils ont fait voir qu'aucun genre de sacrifice ne leur' coûtait ; mais on s'empare de leur bien, pour en gratifier des individus qui ont été absolument nuls dans la révolution,,& à qui seuls néanmoins elle a profité jusqu'à-présent ! Les suppressions des fouages, des dixmes, de la suite de Moulin, des corvées de grands chemins, & à présent des rentes suzeraines ou chef-rentes sans indemnité, sont à leur seul profit. Ces cinq objets seuls, pour une Tenue de 6000 livres, valent au moins 500 livres par an. Nous
ne parlons pas du prix des denrées qu'eux seuls nous fournissent, dont ils ont quadruplé le prix, & même sextuplé pour bien des objets.
Ne croyez pas, citoyens Représentans, qu'il n'y eût que des ci-devant seigneurs, des ci-devant nobles, même des gens riches, qui eussent des Domaines congéables ; vous pourriez le penser d'après l'affectation avec laquelle on n'a qualité les propriétaires que de ci-devant seigneurs, dans
cette loi du mois d'août 1792, en supprimant le mot fonciers. Nous avons donné plus haut le véritable sens de l'expression selgneurs fonciers ; l'assemblée constituante avoit bien apprecié cette dénomination, car dans son décret du mois de juin 1791, elle ne les qualifie que de propriétaires fonciers.
Les dix-neuf vingtièmes des propriétés rurales sont, comme nous l'avons déjà dit, en Domaines congéables, & les trois quarts au moins appartiennent à ce qu'on appeloit ci-devant des roturiers, à de petits propriétaires, à cette classe qui a tout sacrifié pour la révolution, en un mot à de véritables patriotes ; après avoir perdu des états qui aidoient à leur subsistance & celle de leurs familles, il leur restoit un modique revenu presque tout en Domaines congéables, le voilà anéanti, qu'elle peut-être leur ressource ?
ARTICLE XVIIL
« Il ne pourra être prétendu, sous prétexte de partage consommé, ni par les personnes qui ont ci-devant acquis des particuliers, par vente, ou autre titre équivalent à la vente, des droits abolis ou supprimés par le présent décret, aucune indemnité ni restitution de prix. »
Deux frères ont partagé au mois de juillet 1791 une
succession 1000 écus de rente, moitié en métairie, & moitié en Domaines congéables ; l'un a dans sa lotie toutes les métairies, l'autre tous les Domaines, le décret se rend au mois d'août, le premier a de quoi vivre, le second est à la mendicité.
Un propriétaire, averti peut-être du décret qu'on alloit rendre, vend ses Domaines congéables au mois de juillet 1792, ou les échange pour des métairies & voilà un acquéreur ruiné.
Nous laissons à réfléchir fur l'injustice de cet article, qu'on a cependant bien reconnue puisque, par l'article XIX qui est le dernier, on permet aux adjudicataires de Domaines congéables nationaux de renoncer à leur adjudication & de le faire restituer le prix qu'ils en auront payé.
Nous finirons par une observation importante. Si les bois fonciers, & le fonds de nos Domaines ne nous appartenoient pas, comment pourroient-ils appartenir aux Domaniers actuels, qui pour la plupart ne possèdent leurs droits réparatoires, que par des congémens qu'ils ont exercés, en vertu
de baillées que nous leur avons accordées depuis peu d'années, dans lesquels congémens ni le fonds ni les bois n'ont entré en estimation ? Nest-il pas évident que ceux sur qui ils ont exercé ces congémens, y auroient plus de droits qu'eux, & ainsi en remontant jusqu'aux premiers concessionnaires qui
les excluroient tous ?
Mais si le fonds, si les bois nous appartenoient, comme nous l'avons démontré, ce décret est une véritable confiscation, une violation de propritété que le despote le plus absolu n'auroit osé se permettre, contre lesquelles nous ne cesseront de réclamer.
Nous osons nous flatter d'avoir t'empli notre tâche ; nous avons fait voir que la Tenure convenancière n'étoit qu'une espèce particulière de ferme ; que son origine n'étoit infectée d'aucun vice de contrainte ni de servitude ; qu'elle étoit fondée sur la liberté sacrée & inviolable des conventions ; &
qu'on avoir trompé l'assemblée législative quand on lui a dit que cette Tenue participait de la nature des fiefs. Nous avons aussi démontré qu'elle étoit très-avantageuse aux Domaniers & plus favorable à l'agriculture que les simples fermes ; que sa suppression étoit très-préjudiciable aux finances de la république & lui feroit perdre plus de 100 millions ; qu'elle nuiroit nécessairement au commerce & à la circulation des grains ; & que les habitans de nos campagnes la regretteront ; enfin que ce décret des 23 & 27 août 1792 est une violation de propriété & une contravention formelle aux articles IV, XVI & XIX des Droits de l'homme & du citoyen.
Il ne nous reste, citoyens réprésentans, qu'à réclamer votre justice, elle est à l'ordre du jour & nous nous flattons de l'obtenir ; vous ne souffrirez pas que, tandis que toute la france applaudit à vos glorieux travaux, bénit l'heureuse révolution qui l'a rendue à la liberté, & lui prépare les plus heureuses
destinées, vous ne souffrirez pas que nous malheureux petits propriétaires restions seuls dans l'oppression, pour unique fruit de notre zèle & de notre patriotisme.
Vous vous serez rendre compte de la loi du 30 mai, 1, 6 & 7 juin 1791 ; de celle des 23 & 27 août 1792 ; vous les comparerez, vous reconnoitrez la sagesse, l'équité, & les avantages de la première, dont vous ordonnerez l'exécution ; & vous rapporterez celle du mois d'août 1792, dont
l'immoralité & l'injustice sont évidentes. C'est à quoi nous concluons avec confiance.
Signé, Fabre. Vinoc. Le Bouteiller. Le Bastard. Pananceau. Terrien. J.L.N. Capitaine. F. J. Le Dean. Deredec. Valentin. J.J. Le Breton. A. Kernassien. L.M. Bonet. Laridon. Le Siner. Lebescond. Crechquerault. Le Corvaisier. Debon. E. Berard, notable. Huraut. Leguillou. Kerourein Huchet. René Bolloré. Peton. Eloury, aîné. J. Eloury. Hernio, oncle. Duppont. Vacherot. J.A. Bonnemaison, notable. Frollo Colomb. Compagnon. Rannou. J.B. Cajan. Pennec. Girard. Frollo. Eily. Billette Querouel. Cochois. Touzé. Garin. Bonnaire. J.M. Cavellier. Watremez. Armenou. Cavellier, le jeune. Mermet, notable. Billiart. N. Le Gendre, notable. Becam. J. Barbe. Carichon. Girbon. Guichoux, veuve Boucher. Brindejonc, receveur de l'Enregistrement. Veuve Sevene. F. Maquer. Doucin. Delécluse, fils. Lafourcade. J.M. Le Gendre, aîné. Rabot. L.M. Tahon. Daniel. Berard, aîné. Piriou, ex-avoué. Richecoeur. J.C. Fleuriot. Guesdon La Potterie. N. Gaillard. J.J.P. Daniel. Le Guillou. Bourbria. Coriou.Huard. Veilhers. Le Corre. Paris. Renoüar. Golias. Teurtrois, cadet. Audouyn-Keriner. M.J. Janjacquer, femme Féré. Le Gendre, veuve Cossoul. Duseigna. Lesné. Guesdon Kermoisan. Toulgoet. Cloüet. Girard, fils. Duval La Potterie. Ledall-Keréon. Roussin. Y.J.L. Derrien
A Quimper, de l'imprimerie d'Y. J. L. Derrien.
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