Recueil des bretonnismes de Jean-Marie Déguignet
Un article de GrandTerrier.
Inventaire et analyse des bretonnismes utilisés par Jean-Marie Déguignet dans ses écrits et publications, à savoir l'édition 2001 de « l'Intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton » et les autres tirés à part [1] .
L'étude s'appuie sur les ouvrages bien connus d'Hervé Lossec, mais également sur les articles parus en 1909-1910 dans les Annales de Bretagne sur « le parler populaire de Quimper », sans oublier les travaux linguistiques de Mélanie Jouitteau Le repérage des termes d'antan et expressions fleuries de Jean-Marie Déguignet est loin d'être achevé. Toute aide est la bienvenue, signalez nous les mots trouvés (avec n° de page), les corrections et explications complémentaires ... |
Autres lectures : « LOSSEC Hervé - Les Bretonnismes » ¤ « Bretonnisme du payot » ¤ « KERVAREC Henri - Le parler français de Quimper » ¤ « Etude de Mélanie Jouitteau sur les Bretonnismes » |
1 Définition des bretonnismes
Wikipedia définit comme suit le néologisme introduit par l'ouvrage d'Hervé Lossec : « Un bretonnisme désigne une tournure propre à la langue bretonne passé dans la langue française. Il peut s'agir alors d'une forme grammaticale traduite mot à mot et qui peut choquer certains francophones ou d'un mot breton passé dans le français local ». Sur Wikipedia encore, la qualité des écrits de Jean-Marie Déguignet est évoquée ainsi : « Son français est parfois hasardeux (plein de bretonnismes), mais il écrivait avec passion ». La question est donc posée : quels sont les bretonnismes que le paysan bas-breton a emprunté à sa langue et culture maternelles ? Tout d'abord excluons les citations et proverbes bretons dont généralement l'auteur donne la traduction en français, car ne constituant pas des bretonnismes, tout comme les autres citations en langues étrangères (latin, italien, occitan ...) peuvent attester de ses connaissances linguistiques. Par contre on trouvera ici une tentative de classification de ses bretonnismes, à savoir :
Dans les textes de Déguignet, les mots de la seconde catégorie, à savoir les termes bretons insérés dans une phrase, sont plus fréquents et répétés que les expressions de la première catégorie. En tant qu'autodidacte dans l'apprentissage des langues, le narrateur évite les tournures françaises calquées sur des expressions bretonnes. On en trouve néanmoins quelques-unes très typiques, et notamment dans certains dialogues. |
2 Tournures de phrases, ou mots francisés
Les 800 pages de l'Intégrale des Mémoires de Jean-Marie Déguignet sont écrites en grande partie dans un français très correct, voire académique. De temps à autres, on reconnait une expression fleurie inspirée du breton, car ne l'oublions pas, la langue maternelle et de conversation quotidienne de l'auteur n'était pas le français.
Il s'agit de tours de magie. Le breton « fuzik », du français « physique », a le sens de magie. « Troioù fuzik » : tours de magie.
En breton le verbe « être » (bezañ) peut aussi prendre le sens de « avoir » L'expression « j'ai été » peut être considéré comme la traduction de me zo bet alors le verbe aller dans « je suis allé » s'imposerait en français standard. Mais cet emploi « avoir été » est aussi largement attesté en français familier.
Le terme respectueux « le monsieur » inspiré du « an Aotrou » désigne un maitre, une personne au rang social élevé, et « la dame » est son équivalent féminin « an Intron ».
Traduction littérale de « fritañ ar garantez ». Le verbe fritañ signifie frire, claquer, gaspiller., dépenser exagérément.
Camot, kamo : café mêlé d'eau-de-vie, faux bretonnisme issu du gallo « mikamo », ou « micamo, usité en Trégor et Penthièvre. Dictionnaire askoridik, café avec de l'eau-de-vie : « (arg): Pierig paregzañp, Mikamo (?) ». Mon canepin de Galo, de Galoromaen, un mic ou un micamo : « café arrosé d’eau-de-vie ». Dans un billet du blog ecoutesiilpleut, l'expression « Passez donc prendre un mic ! » utilisée en Mayenne fait aussi référence à un "mic" désignant un café, accompagné ou non de goutte. [Terme BR] [Lexique BR]
Gallégant : parlant français. Du breton « galleg » (langue française), néologisme de J.-M. Déguignet signifiant « francisant ».
Le verbe « rein » en breton a un sens plus large que « donner », et peut signifier « dispenser, prêter, s'adonner ». On le retrouve dans de nombreuses expressions triviales comme « rein an arnodenn » (se présenter à un examen), « reiñ da arvestal » (se donner en spectacle), ...
En Bretagne on « envoie » tout .... du fait d'une traduction simplifiée des verbes « kas » (exprimant un mouvement vers l'extérieur et son contraire « degas » (mouvement vers soi). Ces deux verbes ont en fait un sens très large et couvrent tout le champ sémantique constitué en français par conduire, mener, amener, emmener, porter, apporter, emporter, envoyer, expédier.
Derrière les nombreuses prépositions « avec »
Goaper, sm : terme d'argot peut signifier en langue française « vaurien, coupe-jarets », et provenir du mot espagnol « guapear » (faire le brave). C'était le nom donné à Paris aux vagabonds sans domicile, sans travail, et qui cherchaient des occasions de vol. Mais il est plus vraisemblable qu'il vienne ici d'un mot breton « goaper » qui veut dire « moqueur ». Charles Armand Picquenard dans son article « Le parler populaire de Quimper » publié dans Annales de Bretagne cite en 1911 ainsi ce terme : « Goape, goapeur : moqueur ». En breton gwapaer / goapaer », « hennezh zo goapaer ». [Terme BR] [Lexique BR] |
2.11 « ramasser »
Le verbe ramasser est employé à toutes les sauces en lieu et place de « ranger, rentrer, cueillir ». A l'école on entend toujours : « Maintenant, ramassez vos cahiers ». Pas totalement incorrect mais surprenant.
Extrémiser : Donner l'extrême-onction. Source : Émile Littré, Dictionnaire de la langue française (1872-77), avec cette précision : Mot de la Bretagne. Cité également comme une expression de Quimper et ses environs (http://www.bagadoo.tm.fr/kemper/parler.html). Aux halles : « Ils sont morts vos crabes, Henriette ! Morts ? Celle-ci est pas bien ! Regardez donc, ils sont tout à faire du bourboul ! Tout de même ! Pas morts, je vous dis, extrêmisés ! ».
Le Larousse donne la définition « Fricot, sm. : de fricasser, familier, viande et légumes mélangés et grossièrement cuisiné ». En breton, « friko » signifie sans valeur péjorative « repas de noce ou de fête ». C'est ce dernier sens qui est utilisé ici.
La langue bretonne connaît un très grand nombre de mots pour désigner le petit peuple : « kornikaned », « koril », « korrig », « kriore », « kannerez noz », « teuz », « hoper noz », « boudic » et « bouffon noz », mais aussi « duz », « komaudon », « korandon », « kormandon », « kerion », « ozegan », ou encore les termes à la prononciation francisée « boudiguets », « farfadets », « poulpiquets », « courils », « formiquets », « chorriquets » ou « couriquets ». Au fil du temps, toutes ces petites créatures jadis distinctes sont venues à être désignées sous l'unique nom de « korrigan » (du breton korr, nain, suivi du diminutif ig et du suffixe an, et au pluriel « Korriganed »), signifiant « petit nain »).
Dans les phrases ci-dessus, notons également l'expression « grande journée », pour « devezhioù bras » qui désignaient les jours de grands travaux dans les fermes.
En breton on dit bien : « ouzh troad a-dreñv ar vuoc’h. ». Les confusions entre « arrière » et « derrière » sont fréquentes car le breton n'utilise que le seul mot « a-dreñv ».
En français standard on écrirait « j'attire la malédiction sur toi », mais en breton on dit « i>me 'denn mallozh Doue warnout</i> ». Le verbe « tennañ » (tirer) s'utilise dans un sens bien plus large qu'en français, notamment pour dire enlever, ôter, prendre, arracher ... . On tire des photos comme les patates, et ses chaussures !
Non, il ne s'agit pas d'un chapeau ! Le terme vient du mot breton « tokenn » désignant la croûte de lait sur la tête des enfants.
L'emploi de multiples négations est un des traits distinctifs du français de Basse Bretagne. En breton, plusieurs éléments négatifs peuvent cohabiter et décliner les termes « nemed », « ket », « ken », « netra », « ebet », « nemeur ». Soit par exemple la première citation : « Ne oa hent ebet neblec'h ». Mélanie Jouiteau, dans ses études sur les bretonnismes, cite un exemple gabéricois extrait d'une interview de Marjan Mao de Stang-Odet : « Oui des fois il y avait un an j'allais pas aucun jour à l'école ». |
3 Termes communs bretons, sans francisation
3.1 Chupen « veste courte »
Chupenn, chupen, sf, pluriel chupennoù) : veste courte pour homme, veston, pourpoint (Wiktionary). Emprunté du breton, le terme est devenu du genre masculin en parler quimpérois (C.A. Picquenard). Au sens figuré le terme peut avoir la même connotation que l'expression française de « tailler une veste ». [[:Template:BR-Chupenn|[Terme BR]]] [Lexique BR]
De « paotr » pour le garçon, et « saout » pour les vaches, soit donc le garçon vacher. À noter que lorsque le métier de surveillance des troupeaux de vaches fut assuré par des clôtures électriques, celles-ci étaient appelées « paotr-saout electrik ».
« Va Doue », ou « ma Doue » pour les non Léonards, c'est sans doute le bretonnisme dont Déguignet use le plus. Notez l'absence d'accentuation sur le E breton qui se prononce é ou è suivant le cas. Correspond à « mon Dieu ! » et marque, tout à la fois, la surprise, l'étonnement, la pitié, le regret. Très souvent suivi de benniget (béni).
Du breton « pilhoù » (chiffons), « Pilhaouer » : chiffonnier.
« Lamm kein » : prise de lutte bretonne, qui consiste à faire chuter (lamm) l'adversaire sur le dos (kein). Cette prise assure la victoire.
« Kaoc'h pemoc'h » : merde de cochon. « Kaoc'h ki » : merde de chien.
La « gwerz » (pluriel gwerzioù), signifiant « ballade », « complainte », est un chant racontant une histoire, depuis l'anecdote jusqu'à l'épopée historique ou mythologique. Les gwerzioù illustrent des histoires majoritairement tragiques ou tristes.
Emprunté directement au breton, signifiant à l'origine « mauvaises herbes et simples, plantes médicinales ». |
3.9 Gast « putain »
«Gast ! » : putain ! Juron très connu. Suivi quelquefois de « a vat » : alors, pour de bon.
« Penn-bazh » : bâton de marche qui servait d'arme à l'occasion. Littéralement bout de bâton, désigne le gourdin, à la fois utilitaire, défensif et décoratif qui ne quittait jamais les paysans cornouaillais dans leurs déplacements au 19e siècle. Taillé dans le buis, il présentait à l'une des extrémités un gros nœud de bois garni de clous et à l'autre bout, une lanière permettant de le faire tourner.
Littéralement « bout de maison », désignant les bâtisses, composées généralement d'une seule pièce, où s'entassaient avec leur famille les ouvriers agricoles et journaliers de Basse-Bretagne. Source : Revue de Paris 1904, note d'Anatole Le Braz Pennty, penn-ti : littéralement « bout de maison », désignant les bâtisses, composées généralement d'une seule pièce, où s'entassaient avec leur famille les ouvriers agricoles et journaliers de Basse-Bretagne (Revue de Paris 1904, note d'Anatole Le Braz). Par extension, le penn-ty est le journalier à qui un propriétaire loue, ou à qui un fermier sous-loue une petite maison et quelques terres, l'appellation étant synonyme d'une origine très modeste. [Terme BR] [Lexique BR]
Rastell, sm. : râtelier, terme imagé désignant les collations apéritives (« apéros ») ou les buffets, notamment lors des campagnes électorales. [Terme BR] [Lexique BR]
« Stank » : ce mot très courant en toponymie bretonne désigne, dans la région de Quimper, une vallée encaissée. Peut désigner aussi un barrage et sa retenue d'eau, mais généralement le terme désigne les méandres resserrés d'une rivière avec ses pentes boisées de part et d'autre.
Gwin ardant, g.n.m. : eau-de-vie de raisin, alcool apéritif traditionnel de 18 à 25°, du breton « gwin » (vin) et « ardant » (ardent). [Terme BR] [Lexique BR]
« Bazh-vanal » : littéralement « bâton de genêt ». Au sens figuré, nom breton de l'entremetteuse qui portait une branche de genêt, en guise de symbole, dans sa mission les porte-parole du demandeur de mariage à la personne désirée ou sa famille.
« Bec'h » : terme breton signifiant « dur, difficile ». Avoir du bec'h : avoir du labeur. Quand on est bien berchet (du verbe bec'hiañ « charger, accabler »), on est ... constipé ! Le terme est plus généralement synonyme de « dispute, altercation, chicane, difficultés ». |
4 Annotations et commentaires
- Abréviations retenues pour les références de page : IT ( Histoire de ma vie, l'Intégrale), MY (Explications sur les Mythes, Cultes et Religions), RV (Résumé de ma vie), RP (Premières mémoires, Revue de Paris). [Ref.↑]
- Site de Mélanie Jouitteau, chargée de recherche au CNRS : http://arbres.iker.univ-pau.fr/index.php/Accueil, « Evit un Atlas Rannyezhoù ar BREzhoneg: Sintaks », « Vers un Atlas de la microvariation dialectale de la langue bretonne », dont l’article http://arbres.iker.univ-pau.fr/index.php/Bretonnismes. [Ref.↑]
- Avoir, verbe : souvent en remplacement du verbe être : « elle croyait qu'au lieu de mendier j'avais resté jouer » (Déguignet, IT, p 69). En breton le verbe « bezañ » (être) peut aussi prendre le sens de « avoir » en fonction de la préposition qui suit, d'où les confusions en français entre les deux verbes. De plus la forme passive est très usitée en breton où on exprime le résultat de l'action plutôt que son déroulement. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑]
- Avec, prep. : bretonnisme, car traduction abusive du terme « gant » qui, en breton, est le complément passe-partout de toute forme passive. On n'est pas loin de la phrase fétiche « j'espère que ça va bien avec vous ». Exemple : « Le facteur arriva juste en ce moment et qui avait avec lui les résultats de tout le département. » (Déguignet, IT, p 393). [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑]
- Anatole Le Braz (1859 - 1926) est un écrivain et un folkloriste français de langue bretonne, mais n'ayant écrit qu'en français. Il reçut et publia partiellement la première version manuscrite de l'autobiographie de Jean-Marie Déguignet dans la Revue de Paris pendant l'hiver 1904-1905. [Ref.↑]
Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet Date de création : Novembre 2011 Dernière modification : 24.01.2016 Avancement : [Développé] |
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