Des vitraux pour la chapelle de Kerdévot
En verre et contre tous
En proposant le jeune peintre Hung Rannou pour la réalisation des vitraux de la chapelle de Kerdévot, l'association des amis de l'édifice n'ont peut-être pas choisi la voie la plus simple, ni la plus rapide pour recevoir l'accord de l'administration centrale. Le dossier est aujourd'hui sur le bureau des inspecteurs généraux des Monuments historiques.
Par la beauté de son architecture et du site où elle s'élève, la chapelle de Kerdévot soutient la comparaison avec les édifices cultuels du Trégor. À l'issue des célébrations du cinquième centenaire de cette chapelle dédiée à la Vierge, en 1989, les Amis de Kerdévot décidaient d'en perpétuer le souvenir en contribuant à son embellissement.
Parmi les choix possibles entre bannières, mobiliers et vitraux, la majorité des Amis optait pour ces derniers. Kerdévot n'a en effet conservé que les vitraux du chevet, du XVe siècle, flanquées de deux mauvaises vitres du XIXe siècle.
Sur proposition de Gusti Hervé, membre de l'association et directeur de "Chrétiens médias", la réalisation d'une maquette pour l'une des verrières est alors confiée au jeune Hung Rannou.
Une critique constructive
Le choix de cet artiste né le 13 mai 1955 au Vietnam est accueilli avec moult réserves par la Direction des affaires culturelles de Bretagne, à l'hôtel de Blossac, et le conservateur régional de l'époque Geneviève Le Louarn. Trois inconvénients majeurs : le projet émane d'Ergué-Gabéric, la commune est maître d'oeuvre, et l'artiste est un peintre contemporain.
Maurice Dilasser, de la commission diocésaine d'art sacré, défend l'artiste : « Il est heureux qu'on ait songé à une création contemporaine dans un monument historique et qu'on ait confié cette oeuvre à un jeune peintre qui ressent bien les exigences d'un art sacré. » Avis conforté par celui de Gusti Hervé : « On ne va pas copier les vitraix du XVe siècle. Il faut faire avancer l'art du vitrail et donner sa chance à un jeune artiste. Evidemment, si on pouvait certifier que Rannou soit le Bouzaken ou le ... de demain, tout le monde signerait tout de suite des deux mains ! »
On peut être considérer comme un peintre d'avenir sélectionné par les fondations .., et n'être qu'un « jeune artiste-peintre local » aux yeux d'un Architecte en chef des Monuments historiques, fut-il instruit de peinture contemporaine. Ce dernier, Daniel Lelièvre, va conseiller Hung Rannou dans l'amélioration de sa maquette d'origine, par une critique constructive.
Moins de bleu
Le fait de ne traiter qu'une seule vitre pouvait notamment nuire à la cohérence d'ensemble. Au lieu de « tout dire dans un seul vitrail », l'artiste doit articuler son propos en plusieurs œuvres. L'association est prête à suivre, forte d'une trésorerie prospère, du soutien municipal et de l'apport consistant d'un mécène - local lui aussi : Bolloré. Ergué-Gabéric devra cependant passer l'examen.
Le panneau d'essai réalisé par le maître-verrier Jean-Pierre Le Bihan présente aux yeux de l'architecte plusieurs inconvénients. Hung Rannou n'avait demandé « aucune recherche sur la valeur et le traitement des couleurs et des terres. » Cette méconnaissance se traduisait par un panneau d'essai où, « les bleus dominaient très fortement, où les blancs sans grisaille perçaient désagréablement la composition, où les verres de couleur n'avaient reçu aucun traitement susceptible d'en atténuer l'impact, où la composition bien qu'intéressante contrastait fortement avec celle des vitraux anciens conservés dans la chapelle. »
Initié à la technique du vitrail Hung propose alors des "cartons" pour l'ensemble de la chapelle en tenant compte de l'atmosphère générale du lieu, de sa lumière et du mobilier.
Au terme de cette maturation du projet, Hung Rannou a remis sa nouvelle copie en septembre 1991, après avoir vu quelques remarquables réalisations contemporaines approuvées par la Direction du patrimoine, notamment celles de Petit à la basilique de Saint-Jean-du-Doigt. Et s'y être explicitement référé : « Tout mon travail, explique Hung Rannou, s'articule autour des symboles de la feuille et de l'arbre. Les vitraux exprimeront quelque chose de souterrain qui aspire à éclore, le désir d'élévation est contenu dans les lancettes. »
Désir d'élévation auquel Paris sera certainement sensible.
Daniel MORVAN
Légende photo : La chapelle de Kerdévot et son chêne multiséculaire. Au premier plan Raymond Lozac'h, président de l'association. L'édifice renferme un fabuleux retable flamand marqué de l'estampille des ateliers d'Anvers, la main coupée. Ce qui n'empêcha pas des voleurs d'y dérober une série de sujets dorés à la feuille en 1973. Le grand pardon a lieu le deuxième dimanche de septembre.
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