Les dossiers brûlent dans le four du boulanger
Jean Le Corre, 84 ans aujourd'hui, avait 24 ans quand il participa à ce coup d'éclat. Depuis juin 1941, il était engagé dans la Résistance, au sein du groupe 31 du réseau Georges-France. Comme Fanch Balès, le boulanger d'Ergué-Gabéric, qui était, dit-il, « comme mon frère ». Il l'accompagnait dans la voiture qui servit à transporter les fameux 44.000 dossiers qu'ils brûlèrent, avec deux autres camarades, dans le four du boulanger.
« Fanch nous appela un jour. Nous nous sommes retrouvés avec Pierre Le Moigne et Hervé Bénéat dans un petit réduit, au-dessus du fournil. Il s'agissait de la destruction des dossiers du STO, préparé par le groupe quimpérois, dont il ne connaissait qu'Antoine Le Bris. J'ai hésité. Ma soeur travaillait comme sténo-dactylo au STO. Je pensais que, si je me faisais arrêter, on ferait le rapprochement. Si elle fut effectivement retenue par les Allemands, elle fut rapidement relâchée.
Un cochon pour alibi
Nous pourrions nous créer un alibi pour nous deux, me dit Fanch. Ce fut vite décidé. Nous nous sommes rendus à Pennarun, voir Fanch Coïc, pour qu'il nous vende un cochon. Il accepta. Le vendredi 14 janvier, à 15 h 30, nous étions à pied d'oeuvre. Corentin tua le cochon et nous nous mîmes au travail. Après l'avoir lavé, ébouillanté et lui avoir gratté les crins, nous l'avons ouvert à la hachette avant d'inviter Fanch à trinquer avec nous.
Il était 17 h 30. Fanch avait amené la Celta 4 taxi empruntée à son oncle Hervé sans sa permission. A 18 h 15, nous étions au rendez-vous devant l'école de l'Espérance, où s'était installé le STO. Fanch est resté dans la voiture, garée, moteur en route, du côté de l'Odet, prête à repartir vers la gare. Il devait bouillir de rester là.
Pierre Le Moigne était là. Près de lui, un homme qu'on ne connaissait pas. Il nous le présenta comme un camarade de travail chez Peugeot. C'était Pierre Germaine. Quand Pierre Bénéat est arrivé, nous sommes entrés en même temps que les Quimpérois, dont au moins un était resté à l'intérieur. Eux s'occupèrent du petit bureau, nous du grand.
Deux tenaient les sacs, deux y mettaient les dossiers. C'étaient des chemises légères contenant des feuillets individuels relatifs aux jeunes astreints au travail obligatoire. Ce n'était pas très volumineux mais lourd. Un sac contenait environ 20 kg. Le tout, j'ai fait le calcul depuis, pesait environ 230 kg ».
|
|
|
« J'ai porté le dernier sac dans la voiture. A proximité du portail de sortie, j'ai entendu des pas précipités sur les galets de la cour. J'ai eu le réflexe de lâcher mon sac et de m'enfuir mais je me repris. Le soldat allemand me dépassa pour m'ouvrir le portail et me dit « Che fous en prie. » Pas besoin de me prier. Aussitôt déposé le sac, je m'assis près de Fanch, qui démarra.
Un travail titanesque
Pierre Germaine rentra chez lui. Pierre Le Moigne et Hervé Bénéat rentrèrent en vélo. Nous avons pris la route normale, la plus courte : la gare, le passage à niveau de l'Eau Blanche, la route d'Elliant, le long du Jet. Nous n'avons eu aucun problème. Arrivé à Pennarun, où se trouvait notre cochon, encore tiède, j'ai proposé à Corentin de boire un coup de vin et je lui fis remarquer qu'il était 18 h 45. Pour l'alibi. Un peu plus tard, on apprit que la Gestapo situait le coup à 18 h 40, ce qui nous donnait dix minutes de plus pour l'alibi.
Pendant ce temps, Fanch était allé garer la voiture sous sa salle de danse. Dix minutes plus tard, il nous rejoignait. Nous avons détaillé le cochon en deux parts et l'avons abandonné jusqu'au lendemain. Rendez-vous était pris à 21 h 30 pour nous attaquer, Fanch, Hervé, Pierre et moi-même, à un travail titanesque. Le bourg semblait dormir.
Chez Fanch, il n'y avait plus de lumière. Les dossiers ne brûlaient pas. Il fallut froisser les feuilles et ouvrir la porte pour les remuer à l'intérieur à l'aide d'un grand racleur dont je m'étais déjà servi. Car je venais fréquemment aider Fanch à faire son pain.
Dehors, il pleuvait. Il ventait. Il faisait très froid. Dans le fournil, nous étions en slip, tant il faisait chaud. Cela dura jusqu'à 4 h 30 du matin environ. Après avoir nettoyé le four, il fallut attendre qu'il refroidisse. Fanch était inquiet. Les dalles avaient changé de couleur. Il fallait pourtant mettre au four la fournée prévue pour le matin. Elle fut calcinée.
On en fit une autre. Que l'on sauva de justesse. Le lundi 17, je fus arrêté à la Direction des services agricoles, où je travaillais. Suivirent de longs mois de déportation. J'ai su, depuis, qui nous avait dénoncés. J'ai décidé, faute de preuves, de ne rien dévoiler. »
|
|