Avec le film "Les Naufrageurs", que Charles Brabant a tiré du roman de Gwenaël Bolloré
Renée Cosima a reçu le plus beau gage d'amour
Quimper (de nos envoyés spéciaux)
Ce soir-là, on était venu du bout du monde pour aller au cinéma. Dans la salle de l'Odet-Palace, à Quimper, les noirs costumes traditionnels du pays breton dressaient leur haute coiffe pure parmi les robes dernières nées de la couture parisienne. Cela créait une étrange atmosphère d'irréalité. C'était une Première pas comme les autres, pour un film encore chargé de mystère et de légendes, tourné dans le farouche décor de la pointe de Penmarc'h. Dirigés par le metteur en scène Charles Brabant, les habitants de Kerity et de Saint-Guénolé y avaient ressuscité de rudes personnages d'autrefois, au temps où la misère était si grande sur les côtes bretonnes qu'on y suscitait des naufrages pour piller les bateaux jetés à la côte.
Comme dans les films néo-réalistes italiens, on avait choisi des gens du pays, des gens au visage buriné par le vent.
On sait bien qu'il n'y a plus, depuis la nuit des temps noirs, de naufrageurs en Bretagne.
On sait bien que, sur les côtes les plus meurtrières du monde, il n'existe plus que des marins qui se jettent dans l'enfer des tempêtes pour sauver d'autres marins. Que des êtres solidaires ...
§ Ardente comme les justes combats ...
Ardente comme les justes combats ...
Mais l'âpreté de leur vie, le courage tranquille, la difficulté de vivre en arrachant à la mer le pain quotidien, l'habitude des cataclysmes, la cruauté du deuil permanent gardent à leur visage la digne rudesse qui convenant à l'interprétation d'une œuvre passionnée, dure comme la misère et ardente comme les justes combats.
La réalisation du film n'avait pas été facile. Un vieux rafiot acheté avec l'intention d'en faire une vedette, avait été drossé à la côte par une tempête, et démantelé avant d'avoir commencé sa carrière. Des cars de touristes déversaient chaque jour une foule de curieux plus gênants qu'utiles aux prises de vues. Le ciel de Bretagne dispensait souvent des grisailles trop grises pour être photogéniques. Mais l'essentiel, proclame la sagesse populaire, est d'avoir la santé. Et le film se portait bien, vigoureusement soutenu par des interprètes robustes et de grande classe.
La foule déçue qui n'avait pu pénétrer dans la salle comble lisait leurs noms sur les affiches : Charles Vanel, Dany Carrel, Henri Vidal, Renée Cosima. Plus bas, en tout petits caractères modestes, elle découvrait que le scénariste du film était Gwenaël Bolloré ...
Ce n'était pas une surprise, mais un étonnement, né dès les premières prises de vues, et qui subsistait, tenace comme un problème sans solution.
On ne pouvait pas savoir que ce nom sur une affiche était, lancée à la face du monde, l'affirmation d'un merveilleux amour.
Gwenaël Bolloré ... Gwenaël en breton, cela veut dire Ange blanc, et s'écrit aussi Gwenn-Aël. L'homme qui porte ce poétique prénom appartient à l'une des plus riches, des plus grandes familles de l'aristocratie bretonne. Sa fortune est solidement assise sur les rives enchantées de l'Odet, dans les papeteries florissantes qui portent son nom. Il dirige à Paris une maison d'éditions. Son appartement de l'avenue George-V, comme la propriété d'Ergué-Gabéric où il est né, ont connu les plus illustres hôtes. A Bénodet, un bateau toujours armé attend son caprice pour une croisière de rêve. Un capitaine et des matelots sont à ses ordres sans cesse ...
Solitaire, il dessina son nom sur le sable, en un poème où sa passion éclatait
Il n'a besoin ni d'argent ni de renommée. Le cinéma ne l'a jamais, que l'on sache, particulièrement attiré. Quand il rêve tout haut, ce sont de très beaux poèmes qui surgissent de sa pensées. Pourquoi donc a-t-il pris la peine - lui si comblé - et le temps - lui si occupé - d'écrire un roman et d'en faire un film dialogué par Roland Laudenbach ?
Parce qu'il aime.
Il aime d'une grande passion farouche de corsaire, une sirène-femme dont les yeux ont la mystérieuse profondeur de son océan, et le sourire une pureté d'enfance. Il l'aime tant et si fort qu'il lui a écrit un film, pour lui offrir un rôle.
Un rôle sur mesures. Sur ses mesures, à lui, si jaloux et exclusif qu'il ne peut supporter de la voir, même au cinéma, se fondre dans les bras d'un autre. Le personnage de Moïra, c'est celui d'une maudite sur qui pèse la haine d'iliens ravagés par la famine, et qui l'en rendent responsable. La mort rôde autour d'elle. Yann, le fiancé de la pure Louise, voudrait la sauver. il l'incite à fuir. Il veut la conduire vers la grande terre, mais farouchement attachée à son île, Moïra refuse. Pour sauver de la misère ses compagnons d'infortune, elle provoque un naufrage. Et le vieil instinct du pillage se réveille chez les îliens qui deviennent, au cours de scènes atroces, des naufrageurs. Moïra leur arrache une victime.
Les Naufrageurs, œuvre de violence où les cœurs battent au rythme du sauvage océan, c'est un film né un soir, au hasard d'un bout d'épaule entrevu ...
C'était à Deauville, au cours d'un gala.
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Approfondis par 15 ans de méditation
Elle ne cessait pourtant jamais de vouloir. Vouloir, farouchement, vivre. Vouloir, obstinément, guérir. À mesure qu'elle grandissait, un mal pire que l'offensive permanente de la douleur et de la mort la torturait moralement, l'obligeait à se détourner des miroirs et à s'évader de la compagnie des enfants de son âge. Renée louchait. Un affreux strabisme né de sa diphtérie la défigurait. Elle ne savait même pas si elle aurait pu être jolie. Cachée derrière ses lunettes, elle refusait de se voir. Mais elle s'acharnait à rêver. Malgré son regard infirme, malgré le mal qui la harcelait, elle rêvait qu'elle deviendrait comédienne.
Derrière les verres teintés qui refusaient à la vie son regard malade, elle demeurait fière, intacte et pure, préservée des jeux de l'adolescence et des roueries des fausses amours. Patiente, obstinée, elle préparait son avenir, l'avenir de Renée Cosima. Il fallait guérir d'abord, et faire opérer ses yeux.
§ Ce fut un miracle de sa volonté ...
Ce fut un miracle de sa volonté. La difficile et douloureuse intervention chirurgicale réussit. Devant les miroirs réhabilités, Renée découvrit son visage. Elle se regarda avec des yeux qui ne se connaissaient pas, des yeux approfondis par quinze ans de méditation solitaire et de souffrance, des yeux insondables et verts comme des lacs où bougent des reflets d'arbres. Et elle partit, avec son regard bien droit, à la conquête du théâtre.
Ce ne fut presque pas difficile. Elle possédait quelque chose qui manque souvent aux apprenties comédiennes : une âme.
Écrasée et perdue ...
C'était un déluge d'esprit. Von Stroheim et Louis Jouvet rivalisaient de verve. Isa Miranda, d'une beauté éblouissante, leur donnait la réplique avec une grâce légère. Renée se sentait écrasée et perdue. Son voisin de droite n'était guère plus loquace qu'elle. Peu lui importait une conversation qui n'eût pu être que banale, puisque, toute proche de lui, il y avait la douceur satinée des épaules de son rêve.
Il portait les larges favoris qu'il affectionne. Il les laisse pousser encore quelquefois, pendant leurs vacances, parce qu'elle désire le revoir tel qu'il lui apparut ce soir-là.
Elle ne comprenait toujours pas pourquoi, malgré la présence de tant de femmes célèbres, spirituelles, fascinantes, elle était assise à la gauche du fils de son hôtesse.
Elle ne pouvait pas savoir qu'elle était, pour lui, la seule femme qui existât au monde.
Elle ne le sut pas encore ce soir-là. Après avoir écouté le sketch éblouissant improvisé par Jouvet, Stroheim et Miranda, elle rentra chez elle sans avoir compris pourquoi Mme Bolloré l'avait invitée.
Comme un corsaire enlève une captive
Il avait rasé ses favoris. Elle lui dit qu'elle le préférait ainsi.
Lui, il ne la préférait jamais. Il l'adorait toujours. Il ne lui dit point encore, mais il osa lui envoyer des fleurs. Elle lui téléphona pour l'en remercier. Ils se revirent. Et, peu à peu, il entra dans son cœur, jusqu'à l'étouffer d'amour.
Ils se marièrent. Ils eurent une petite fille qui s'appelle Anne et qu'on appelle Pomme. Ils furent, ils sont très heureux. Mais au cœur de Renée sommeillait toujours l'amour du théâtre. Et comme il voulait son bonheur il l'autorisa à jouer La Maison de Bernada de Federico Garcia Lorca.
Mais ce n'était pas si simple, pour elle, de concilier son métier et son amour. Chaque soir, Gwenaël attendait son retour du théâtre. Elle aurait voulu souper avec lui, bavarder longuement, transposer dans la chaleur de sa passion les feux artificiels dont elle brûlait encore.
Elle sacrifia le théâtre.
Il l'emmena, comme on enlève une captive, faire une longue croisière à bord de La Linotte. Il lui acheta des caméras. Ensemble, ils tournèrent de courts métrages en Laponie.
Mais elle aimait mieux être devant les caméras que derrière.
Alors il lui écrivit une belle histoire de la côte bretonne et lui offrit, comme un bijou, un rôle fascinant et sans amour.
Lucienne MORNAY
Reportage photo : J.-G. SERUZIER
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