Suicides suite au traumatisme de la Grande Guerre, journaux locaux 1918-1922 - GrandTerrier

Suicides suite au traumatisme de la Grande Guerre, journaux locaux 1918-1922

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Catégorie : Journaux
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§ E.D.F.
Comme l'a écrit Jean-Yves Broudic dans son livre « Suicide et alcoolisme au XXe siècle en Bretagne » (Apogée, 2008), le nombre important de suicides dans notre région peut s'expliquer par les effets traumatiques de la Grande Guerre : ces actes désespérés à Ergué-Gabéric entre 1918 et 1922 semblent l'attester.

Sources : Souvenirs familiaux et coupures de presse des journaux Le Courrier du Finistère [1], Le Progrès du Finistère [2], Le Finistère [3], Le Citoyen [4] , Le Petit Breton [5] , L'Union Agricole [6], La Dépêche de Brest [7].

Autres lectures : « Interdiction du bal des poilus et intransigeance du recteur Pennec, Le Finistère 1919 » ¤ « 1728 - Inhumation hors des lieux saints suite à une mort tragique dans un four à pain » ¤ 

[modifier] Présentation

À ce jour, on a repéré six suicides localisés à Ergué-Gabéric et évoqués dans la presse de l'époque, ce qui sans aucun doute est loin d'être exhaustif. Le plus étrange est que tous travaillent et/ou habitent dans les villages du secteur ouest de la commune de Poulduic à Odet, en incluant Kerdudal, Kerleur, Squividan et Meil-Poul.

La diversité d'âge et sociologique de ces personnes désespérées est notable :

  • deux fermiers, une fermière, un domestique de ferme, un ouvrier papetier et un vieillard.
  • cinq hommes et une femme, âgé(e)s de 43 ans à 70 ans.

De même les modalités d'exécution et les causes connues de leur états psychologiques sont différentes également :

  • quatre pendaisons, dont trois aux branches d'arbres (noisetier, châtaignier et pommier), une noyade et une défenestration.
  • un pour raison d'alcoolisme, un pour sénilité, un pour délire paranoïaque, une pour neurasthénie dépressive, un pour congédiement de fermage.

Les effets de la guerre sont explicites pour l'un des suicidés, l'ouvrier papetier d'Odet qui habite Scaër : « il avait eu ses facultés ébranlées à la vue d'un train de blessés en se rendant aux armées en 1915 », « interné par l'autorité militaire en 1915, puis réformé n° 2 ».

Pour les autres, les raisons sont moins évidentes, et hormis l'alcool évoqué une fois, il s'agit plus vraisemblablement de la peur de l'avenir et de difficultés à survivre économiquement : « Le malheureux fermier, qui avait déjà cherché en vain à trouver une autre terre d'exploitation, fut très affecté de ce congédiement, et à partir de ce moment devint sombre n'adressant plus la parole à qui que ce soit. ».

Dans la plupart des cas, le non-dit familial est la règle, sans doute par honte et du "qu'en dira-t-on". Cela peut donner lieu, deux ou trois générations plus tard, à des tentatives d'explications sur la façon dont les évènements se sont produits : « Le curé de l'époque a bien voulu faire une messe pour les proches, mais sans le corps qui était resté à l'extérieur de l'église. » ; « n'a pas supporté ce que disait cette rumeur et a mis fin à ses jours » ; « la version de la chute dans le puits à laquelle croyaient fermement certains cousins ». Ou alors c'est l'ignorance complète et l'envie de comprendre 100 ans plus tard.

 

L'histoire la plus triste très certainement, donnant lieu à 5 articles de journaux, est celle de Jeanne Daniel, épouse Douguet, âgée de 48 ans, mère de 17 enfants, qui se pend en février 1921 avec son mouchoir (sic) à une branche de noisetier.

Avec son mari ils étaient fermiers locataires d'une ferme à Kerdudal, et leur bail se termine brutalement quelques mois plus tard le 29 septembre 1922. Corentin Douguet devra vendre matériels et bétail pour s'installer dans une petite maison à Ergué Armel.

Ce congédiement fait écho au propre malheur des propriétaires de Kerdudal 3 ans plus tôt : en avril 1918 Yves Salaün de Kerdudal qui avait construit avant guerre une grande ferme à Kerleur (et donc loué sa petite ferme de Kerdudal) se suicide en laissant une veuve et neuf enfants. Ces derniers mobilisés en 1915-15, il faut attendre 1922 pour que l'héritier de Kerdudal, grand blessé de guerre, ne revienne au pays. Triste époque décidément !


[modifier] Coupures de presse

 

Le Courrier du Finistère. Ergué-Gabéric.

Pendu - Yves Salaün, 49 ans, cultivateur à Kerleur, avait pris la funeste habitude de s'enivrer à peu près tous les jours. Le 10 avril il s'est pendu dans sa maison d'habitation. Il laisse une veuve et neuf enfants.

 

Le Progrès du Finistère. Ergué-Gabéric.

Désespéré - Mercredi dernier 8 courant, le sieur Guillou Jean-Louis, cultivateur à Poulduic, recevait la visite d'un huissier chargé de lui signifier qu'il eût à quitter sa ferme. Le malheureux fermier, qui avait déjà cherché en vain à trouver une autre terre d'exploitation, fut très affecté de ce congédiement, et à partir de ce moment devint sombre n'adressant plus la parole à qui que ce soit. Le soir il mangea encore son souper puis sortit. Le lendemain ses enfants le découvraient pendu à la branche d'un pommier dans un champ voisin de l'aire à battre.

Le désespéré était âgé de 65 ans.

 

Le Progrès du Finistère. Ergué-Gabéric.

Découverte de cadavre - Le 19 courant, vers 6 heures du soir, Mme Blouet, demeurant à Meil-ar-Poul, longeait la rivière l'Odet, lorsqu'elle aperçut, à environ 300 mètres du moulin, une masse blanche au milieu de la rivière l'Odet. S'en étant approchée, elle constata que c'était le cadavre complètement nu, maintenu à cet endroit par un barrage en pierres qui traverse la rivière pour alimenter le bief du moulin.

Mme Blouet prévint aussitôt le personnel du moulin qui vient dégager le cadavre.

La gendarmerie fut informée et il fut sursis à l'inhumation.

Dans la matinée du 21, le cadavre fut reconnu par Ollivier Jean-Louis, de Keranguéo, en Ergué-Gabéric, pour être celui de son père, Jean-Louis Ollivier, âgé de 70 ans, demeurant au lieu-dit Waterleo, en Briec.

Le vieillard, qui était malade depuis longtemps, avait quitté furtivement son habitation, trois ou quatre jours auparavant.


 

Le Citoyen. Ergué-Gabéric.

Mme Daniel, fermière au village de Kerdudal, s'est pendue à l'aide de son mouchoir, à un noisetier.


Le Courrier du Finistère. Ergué-Gabéric.

Une désespérée - Ces jours derniers, inquiet de ne pas voir revenir sa femme Jeanne Daniel, qui avait brusquement quitté son ouvrage. M. Corentin Douguet, cultivateur à Kerdudal, se mit à sa recherche. Après l'avoir vainement cherchée dans les environs immédiats de la maison, il finit par la découvrir dans un champ, à 200 mètres environ du village, pendue à la branche d'un noisetier. M. Douguet n'eut rien de plus pressé que de couper la corde ; mais hélas, il était trop tard ; la mort avait accompli son oeuvre, Mme Douguet, qui était âgée de 48 ans, avait eu dix-sept enfants, dont neuf sont encore en vie.

Depuis quelques temps elle était atteinte de neurasthénie, et c'est au cours d'une crise qu'elle aura été poussée à son acte de désespoir.


§ Autres transcriptions (Le Finistère, Le Petit Breton, Le Progrès du Finistère)


 

Union Agricole. Scaër.

Suicide- Samedi 17 Avril, Louis Hullois, ouvrier papetier à Odet en Ergué-Gabéric, depuis plusieurs mois, revint chez lui, au bourg de Scaër, sous une pluie battante. En arrivant vers 13 h 30, il eut une crise de folie. Comme sa femme lui demandait pourquoi il avait fait cette longue route, sous un temps pareil, il répondit : « C'est pour vous tous que je suis revenu ; je croyais que vous étiez tous condamnés comme moi qui dois être fusillé sous peu sur la place de Scaër ».

Le dimanche 18, il raisonnait de même toute la journée, sans cependant manifester d'intention de suicide. Il fut très agité toute la nuit, et se leva le matin à 6 h 35. Sa femme le voyant mettre son pantalon, lui demanda où il allait, il répondit qu'elle allait satisfaire un besoin. Sur l'invitation de sa femme, il prit le seau hygiénique et monta au grenier. Ne le voyant pas redescendre, sa femme frappée d'un pressentiment, alla le chercher. À ce moment, Mme Toupin, débitante, vint l'appeler, lui disant que son mari gisait, dans la cour, au pignon de la maison. Aidée des voisins, la malheureuse monta le fou dans sa chambre et le déposa sur le lit où il expirait quelques minutes après. Le docteur Chapel a constaté une fracture à la base du crâne. Hullois avait eu ses facultés ébranlées à la vue d'un train de blessés en se rendant aux armées en 1915.


§ Autre transcription (Le Progrès du Finistère)


 

Dépêche de Brest. Ergué-Gabéric.

Suicide par pendaison - Le sieur Alain Gaouach, 48 ans, marié, père de six enfants, domestique de ferme au village de Squividan, chez M. Corentin Provost, a été trouvé pendu à un châtaignier, à 200 mètres environ au nord du village. Gaouach était sobre et travailleur ; mais il semble bien que, depuis un mois environ, il ne jouissait pas de toutes ses facultés mentales.


[modifier] Annotations

  1. Le « Courrier du Finistère » est créé en janvier 1880 à Brest par un imprimeur Brestois, Jean-François Halégouët qui était celui de la Société anonyme de « l'Océan » qui éditait à Brest depuis 1848 le journal du même nom, et par Hippolyte Chavanon, rédacteur en chef commun des deux publications. Le but des deux organes est de concourir au rétablissement de la monarchie. Le Courrier du Finistère est, de 1880 à 1944, un journal hebdomadaire d'informations générales de la droite légitimiste alliée à l'Église catholique romaine jusqu'au ralliement de celle-ci à la République. Il est resté ensuite le principal organe de presse catholique du département, en ayant atteint un tirage remarquable de 30 000 exemplaires en 1926. Rédigé principalement en français, il fait une place remarquable à la langue bretonne, qui est, alors, pour certains ruraux, la seule langue lisible, grâce à l'enseignement du catéchisme. Ayant continué de paraître pendant l'Occupation allemande (1940-1944), Le Courrier du Finistère fait l'objet d'une interdiction de parution. Pour lui faire suite, le diocèse de Quimper a suscité la création d'un hebdomadaire au contenu unique, mais sous deux titres, le Courrier du Léon et le Progrès de Cornouaille. [Ref.↑]
  2. L'hebdomadaire « Le Progrès du Finistère », journal catholique de combat, est fondé en 1907 à Quimper par l'abbé François Cornou qui en assurera la direction jusqu'à sa mort en 1930. Ce dernier, qui signe tantôt de son nom F. Cornou, tantôt de son pseudonyme F. Goyen, ardent et habile polémiste, doté d'une vaste culture littéraire et scientifique, se verra aussi confier par l'évêque la « Semaine Religieuse de Quimper ». [Ref.↑]
  3. Le Finistère : journal politique républicain fondé en 1872 par Louis Hémon, bi-hebdomadaire, puis hebdomadaire avec quelques articles en breton. Louis Hémon est un homme politique français né le 21 février 1844 à Quimper (Finistère) et décédé le 4 mars 1914 à Paris. Fils d'un professeur du collège de Quimper, il devient avocat et se lance dans la politique. Battu aux élections de 1871, il est élu député républicain du Finistère, dans l'arrondissement de Quimper, en 1876. Il est constamment réélu, sauf en 1885, où le scrutin de liste lui est fatal, la liste républicaine n'ayant eu aucun élu dans le Finistère. En 1912, il est élu sénateur et meurt en fonctions en 1914. [Ref.↑]
  4. Le « Citoyen, organe de la république démocratique des cantons de Pont-l'Abbé, Plogastel-Saint-Germain, Pont-Croix et Douarnenez », puis " journal républicain radical, politique, agricole, maritime, commercial" a été fondé à l'occasion des élections législatives de mai 1906 ; reparaît en 1910 à l'occasion des élections législatives d'avril et en 1951 à l'occasion des élections législatives du 17 juin. – Du 8 août au 11 décembre 1914, a paru sous le titre : "Le Petit citoyen". [Ref.↑]
  5. Le Petit Breton (1920-1940) hebdomadaire de la Fédération des républicains démocrates du Finistère (Ligue nationale de la démocratie) ["puis" organe du Parti démocrate populaire "puis" organe du Parti démocrate populaire dans le Finistère]. Première année : n° 1 (3 oct. 1920) ; dernière année : n° 1070 (16 juin 1940) - Brest (impr. à Morlaix puis Rennes). [Ref.↑]
  6. L'Union agricole et maritime, qui a d'abord été appelée L'Union agricole du Finistère est un journal local d'informations générales qui a paru à Quimperlé (Finistère) de 1884 à 1942. Il a connu des orientations éditoriales différentes, selon ses propriétaires successifs. La périodicité a aussi été variable : bi-hebdoadaire, tri-hebdomadaire et hebdomadaire. Avec pour sous-titre Organe Républicain Démocratique de la région du Nord-Ouest, le journal paraît le 1er août 1884 à l'initiative du conseiller général de Quimperlé, James Monjaret de Kerjégu, un riche propriétaire terrien et ancien diplomate résidant à Scaër. [Ref.↑]
  7. La Dépêche de Brest est lancée le 18 novembre 1886 avec des moyens très limités et succède à l’Union Républicaine du Finistère créée 10 ans plus tôt. Quotidien, il sera même biquotidien durant des périodes d’actualité forte, comme lors de la première guerre mondiale, avec une édition du matin et une édition du soir. Installé rue Jean Macé à Brest (à l’époque rue de la rampe), à l’emplacement des locaux actuels du Télégramme, La Dépêche de Brest poursuivit son évolution jusqu’au 17 août 1944. Ce jour là, en application de la nouvelle réglementation de la Libération, les biens de la Dépêche furent mis sous séquestre. L’ensemble du matériel est alors loué au Télégramme, nouveau titre autorisé par le Comité régional de l’information. [Ref.↑]


Thème de l'article : Coupures de presse relatant l'histoire et la mémoire d'Ergué-Gabéric

Date de création : Octobre 2022    Dernière modification : 8.10.2022    Avancement : Image:Bullgreen.gif [Fignolé]