En 1936, pour une majorité d'ouvriers, c'est la première fois. La première fois qu'ils peuvent s'arrêter de travailler tout en continuant à être payés, le premier départ en vacances. Retour sur un été mythique, inoubliable pour ceux qui l'ont connu.
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Des quais bondés, des trépignements d'enfants, des parents stressés. Difficile, pour la France des juillettistes qui envahissent ces jours-ci les gares, de se représenter la liesse de l'été 1936. Pour la première fois, des centaines de milliers de familles d'ouvriers partent en vacances. « En allant à la plage, j'avais l'impression de respirer un autre air, celui du changement », analyse, avec soixante-seize ans de recul, René Huguen, alors lycéen à Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor).
Elu le 3 mai, le Front populaire de Léon Blum a signé, un mois plus tard, les accords de Matignon qui instituent deux semaines de congés payés. Une conquête sociale historique obtenue après un mois de grèves et d'occupations, pacifiques, des usines. « C'est l'un des rares moments de notre histoire où le fruit de la lutte s'inscrit immédiatement dans le quotidien des ouvriers qui l'ont menée », analyse Danielle Tartakowsky, professeure d'histoire à l'université Paris-VIII.
En juillet-août, 560000 personnes prennent d'assaut les gares parisiennes grâce au billet à tarif réduit de Léo Lagrange, sous-secrétaire d'Etat aux Sports et à l'Organisation des loisirs. « Les hommes qui descendaient du train portaient un bleu tout neuf acheté pour l'occasion », se souvient avec émotion René Huguen, 92 ans. Cet été là, ce fils de cheminot part en famille chez ses grands-parents, à Ergué-Gabéric (Finistère), où tout le village est employé à l'usine de papier Bolloré. « Pour la première fois, ces ouvriers s'arrêtaient de travailler sans perte de salaire, raconte-t-il. Je revois mon oncle ivre de joie levant le poing en criant : Vive Blum ! » Parmi les images qui restent gravées dans sa mémoire, celle de ces familles assises, parfois inconfortablement, sur le pas de la porte. « Ils ne faisaient rien, ils savouraient simplement le moment, en discutant, décrit René. Les gens se rendaient aussi visite, on mangeait des gâteaux bretons, c'était une fête permanente. »
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