Recueil des bretonnismes de Jean-Marie Déguignet - GrandTerrier

Recueil des bretonnismes de Jean-Marie Déguignet

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Image:Espacedeguignetter.jpg Inventaire et analyse des bretonnismes utilisés par Jean-Marie Déguignet dans ses écrits et publications, notamment les « Mémoires d'un paysan bas-breton » dans sa version intégrale.

Le repérage des termes d'antan et expressions fleuries est loin d'être achevé. Toute aide est la bienvenue, signalez nous les mots trouvés (avec n° de page), les corrections et explications complémentaires ...

Sommaire

Autres lectures : « LOSSEC Hervé - Les Bretonnismes » ¤ « Bretonnisme du payot » ¤ 

1 Définition des bretonnismes

Wikipedia définit comme suit le néologisme introduit par l'ouvrage d'Hervé Lossec : « Un bretonnisme désigne une tournure propre à la langue bretonne passé dans la langue française. Il peut s'agir alors d'une forme grammaticale traduite mot à mot et qui peut choquer certains francophones ou d'un mot breton passé dans le français local ».

Sur Wikipedia encore, la qualité des écrits de Jean-Marie Déguignet est évoquée ainsi : « Son français est parfois hasardeux (plein de bretonnismes), mais il écrivait avec passion ».

La question est donc posée : quels sont les bretonnismes que le paysan bas-breton a emprunté à sa langue et culture maternelle ?

Tout d'abord excluons les citations et proverbes bretons dont généralement l'auteur donne la traduction en français, car ne constituant pas des bretonnismes, tout comme les autres citations en langues étrangères (latin, italien, occitan ...) peuvent attester de ses connaissances linguistiques.

Par contre on trouvera ici une tentative de classification de ses bretonnismes, à savoir :

  • Les tournures particulières de phrases en langue française dont les constructions sont inspirées par une expression typique bretonne, ou alors contenant une forme complètement francisée d'un mot breton.
  • Les mots bretons communs que Déguignet a inclus dans une phrase en français, ne connaissant sans doute pas le terme français, et pensant que les lecteurs ne pouvaient que comprendre.
 

Dans les textes de Déguignet, les mots de la seconde catégorie, à savoir les termes bretons insérés dans une phrase, sont plus fréquents et répétés que les expressions de la première catégorie. En tant qu'autodidacte dans l'apprentissage des langues, le narrateur évite les tournures françaises calquées sur des expressions bretonnes. On en trouve néanmoins quelques-unes très typiques, et notamment dans certains dialogues.


2 Tournures de phrases, ou mots francisés

Les 800 pages de l'Intégrale des Mémoires de Jean-Marie Déguignet sont écrites en grande partie dans un français très correct, voire académique. De temps à autres, on reconnait une expression fleurie inspirée du breton, car ne l'oublions pas, la langue maternelle et de conversation quotidienne de l'auteur n'était pas le français.


2.1 « avoir resté ... »

Page 69 : « elle croyait qu'au lieu de mendier j'avais resté jouer ».

En breton le verbe « être » (bezañ) peut aussi prendre le sens de « avoir » en fonction de la préposition qui suit, d'où les confusions en français entre les deux verbes.


2.2 « tours de physique ... »

Page 337 : « On voulut que je fisse encore quelques tours de physique très en vogue en ce temps-là ».

Il s'agit de tours de magie. Le breton « fuzik », du français « physique », a le sens de magie. « Troioù fuzik » : tours de magie.


2.3 « un/le monsieur »

Page 126 : « En ce temps-là, il était venu un monsieur à Kerfeunteun comme professeur d'agriculture, pour apprendre aux Bretons l'art de cultiver la terre »

Page 127 : « Malgré que le monsieur ne pouvait me parler, il me faisait entendre que je lui convenais assez bien »

Page 128 : « Le monsieur faisait l'école au Likès de Quimper en ce qui concernait l'agriculture [...] La dame venait tous les soirs dire les grâces »

Page 137 : « Je m'attendais le lendemain matin à recevoir un savon de monsieur et de madame ».

La forme passive « il était venu » placée en tête de phrase dans le premier exemple comme cela est usuel en breton. Et les termes respectueux « monsieur » inspiré du « an Aotrou » désignant un maitre et la « dame » pour « an Intron ».


2.4 « friter en amour »

Page 126 : « Nous n'avions pas eu le temps de fliter, ou de friter en amour, comme on dit en breton »

Traduction littérale de « fritañ ar garantez ». Le verbe fritañ signifie frire, claquer, gaspiller., dépenser exagérément.


2.5 « des camots et demi-camots »

Page 326 : « Lesquels étaient remplis de gens buvant des camots et demi-camots, c'est-à-dire de l'eau noircie mêlée de la plus mauvaise eau-de-vie »

Camot : café mêlé d'eau-de-vie, du breton « mikamo ».


2.6 « gallegant ... »

Page 416 : « Mon commis, qui ne savait pas un mot de français, blaguait avec les Bretons non gallégants ... ».

Gallégant : parlant français. Du breton « galleg » (langue française), néologisme de J.-M. Déguignet signifiant « francisant ».

 

2.7 « envoyer ... »

Page 155 : « Vous avez l'habitude d'avoir des clients payants, je vous envoie un ici qui ne payera pas, du moins son lit ».

Page 283 : « Embêtés par ces cavaliers qui venaient presque sous nos yeux nous narguer et nous envoyer quelques projectiles en passant ».

Page 578 : « Les juifs, les protestants, les fracs-maçons et les libres-penseurs qu'il aurait envoyé tous dans son enfer ».

En Bretagne on « envoie » tout .... du fait de l'utilisation très fréquente des verbes « kas » et « degas ».


2.8 « gardé avec lui ... »

Page 160 : « Il avait gardé avec lui ma solde et mon pain ... ».

Derrière le « avec » on entend bien le fameux « gant » qui, en breton, est le complément passe-partout de toute forme passive. On n'est pas loin de la phrase fétiche « j'espère que ça va bien avec vous ».


2.9 « gouapeurs ... »

Page 374 : « Les bretons, étant menteurs, blagueurs, trompeurs, gouapeurs ... ».

Ce terme français peut signifier « vaurien, coupe-jarets », et provenir du mot espagnol guapo. Mais il est plus vraisemblable ici qu'il vienne du breton « goaper » qui veut dire « moqueur .


2.10 « ramasser ... »

Page 335 : « Il y avait même "grande journée", ce jour-là pour ramasser des pommes ... ».

Le verbe ramasser est employé souvant en lieu et place de « ranger, rentrer, cueillir ». A l'école on entend toujours : « Maintenant, ramassez vos cahiers ». Pas totalement incorrect mais surprenant.

Dans la phrase ci-dessus, notons également l'expression « grande journée », pour « devezhioù bras » qui désignaient les jours de grands travaux dans les fermes.


2.11 « extrémiser »

Page 401 : « Elle pensait sans doute, en me faisant extrémiser par ce jeune fripon tonsuré, acheter les crimes qu'elle avait commis envers moi »

Extrémiser : Donner l'extrême-onction. Source : Émile Littré, Dictionnaire de la langue française (1872-77), avec cette précision : Mot de la Bretagne.

Cité également comme une expression de Quimper et ses environs (http://www.bagadoo.tm.fr/kemper/parler.html). Aux halles : « Ils sont morts vos crabes, Henriette ! Morts ? Celle-ci est pas bien ! Regardez donc, ils sont tout à faire du bourboul ! Tout de même ! Pas morts, je vous dis, extrêmisés ! ».


3 Termes communs bretons, sans francisation

3.1 Chupen « veste courte »

Page 36 : « j'eus mon habillement neuf comme on me l'avais promis, c'est-à-dire un pantalon en toile, un chupen, et un chapeau ».

Page 144 : « son esprit à elle se haussait plus haut que le pourpoint, le chupen, et se baissait plus bas que le haut-de-chausses, le bragou  », (adaptation d'un passage des Femmes savantes de Molière).

« Chupenn », féminin /ˈʃy.pːɛn/ (pluriel: chupennoù /ʃy.ˈpɛ.nːu/). Veste courte pour homme, veston, pourpoint. Source : Wiktionary.


3.2 Paotr-saout « garçon vacher »

Page 127 : « Le journalier, potr saout, couchait à l'étable, car tel était l'ordre de monsieur ».

Page 142 : « On avait enfin trouvé un autre potr-saout pour me remplacer ».

Page 853 : « Il n'aura jamais rendu autant de services à l'humanité que dernier pot saout de son pays ».

De « paotr » pour « garçon », et « saout » pour les vaches, soit donc le garçon vacher. À noter que lorsque le métier de surveillance des troupeaux de vaches fut assuré par des clôtures électriques, celles-ci étaient appelées « paotr-saout electrik ».


3.3 Ma Doue benniget « mon Dieu béni »

Page 620 : « On sait quels furent l'honneur, la gloire et le bonheur qu'ils en tirèrent, ma Doue beniguet ».

Page 696 : « Eh ! Ma Doue beniguet, il auraut pu écrire 750 pages sans en être plus avancé ».

Page 841 : « Quelle guerre, ma Doue beniguet, sur terre et sur mer, toute la planète en feu, quoi ! ».

Page 834 : « 6 milliards, Ah ma Doue beniguet ».

Page 853 : « Oh ma Doue beniguet, comme on serait reçu ! ».

Pzge 848 : « Les autres ? Ma Doue Beniguet ! Je les vois par ici ; j'en vois des vieux qui n'ont rien oublié, n'ayant jamais rien appris ».

Page 851 : « Ah ! ma Doue béniguet ! Comme ça doit encourager les professeurs à donner des leçons d'histoire à la jeunesse ».

« Va Doue », ou « ma Doue » pour les non Léonards, c'est sans doute le bretonnisme dont Déguignet use le plus. Notez l'absence d'accentuation sur le E breton qui se prononce é ou è suivant le cas. Correspond à « mon Dieu ! » et marque, tout à la fois, la surprise, l'étonnement, la pitié, le regret. Très souvent suivi de benniget (béni).


3.4 Pilhaouer « chiffonnier »

Page 41 : « D'autres cherchant des chiffons et des pilloyers ».

Page 562 : « J'ai donné toutes mes pauvres chemises au nombre de quatre qui ne tenaient plus, à un pilaouer pour 50 centimes ».

Du breton « pilhoù » (chiffons), « Pilhaouer » : chiffonnier.


3.5 Lamm kein « chute sur le dos »

Page 582 : « Sans avoir pu, comme on dit en breton, me donner un véritable lamkeign, faire toucher les reins et les épaules ».

« Lamm kein » : prise de lutte bretonne, qui consiste à faire chuter (lamm) l'adversaire sur le dos (kein). Cette prise assure la victoire.


3.6 Kaoc'h « merde »

Page 805 : « Une mère morte dans une ruche peut être remplacée par un épi de seigle trempé dans coc'h pimoc'h ».

Page 505 : « Ce sont là des mots et des phrases que les journaux opportuno-Koc'hki approuvèrent en ce temps-là ».

« Kaoc'h pemoc'h » : merde de cochon. « Kaoc'h ki » : merde de chien.

 

3.7 Gast « putain »

Page 673 : « Oh ! gast non par exemple ».

Page 668 : « Je me disais à moi-même. " Gast, on continuera toujours et partout de me traiter de gamin" ».

Page 146 : « Pas moyen de trouver une seule sainte née en Bretagne. "Eh ben, gast avat !, c'est de plus en plus fort" ».

Page 829 : « Il ne serait pas possible d'avoir un meilleur gouvernement. O nan gast a vat ».

« Gast ! » : putain !. Juron très connu. Suivi quelquefois de « a vat » : alors, pour de bon.


3.8 Penn-Bazh « bâton »

Page 668 : « Ils n'auraient même pas besoin d'armes, avec des triques et des pen bas ».

Page 681 : « Ne viennent prêcher le peuple travailleur et les pousser à prendre des pen-bas, des triques et des balais pour jeter aux égouts toutes ces pourritures ».

« Penn-bazh » : bâton de marche qui servait d'arme à l'occasion.


3.9 Penn-Ty « bout de maison »

Page 31 : « Il trouva enfin à louer un penn-ty au Guelenec, en Ergué-Gabéric, et pouvait aller en journée chez les fermiers où il gagnait de huit à douze sous par jour ».

Page 56 : « Celui-ci, pour être fils d'un pauvre pen-ty, était assez intelligent. [...] Dans leur pen-ty, il n'y avait rien que quelques poules et un vieux coq ».

Littéralement « bout de maison », désignant les bâtisses, composées généralement d'une seule pièce, où s'entassaient avec leur famille les ouvriers agricoles et journaliers de Basse-Bretagne. Source : Revue de Paris 1904, note d'Anatole Le Braz [1].

Pennty, penn-ti : littéralement « bout de maison », désignant les bâtisses, composées généralement d'une seule pièce, où s'entassaient avec leur famille les ouvriers agricoles et journaliers de Basse-Bretagne (Revue de Paris 1904, note d'Anatole Le Braz). Par extension, le penn-ty est le journalier à qui un propriétaire loue, ou à qui un fermier sous-loue une petite maison et quelques terres, l'appellation étant synonyme d'une origine très modeste. [Terme BR] [Lexique BR]


3.10 Rastell « râtelier »

Page 390 : « Ils donnaient, comme on disait alors, des rastels pleins, c'est-à-dire à boire et à manger à volonté ».

Page 391 : « Je ne fus pas convoqué au rastel du samedi soir, ni au rendez-vous du dimanche matin ».

Rastell : râtelier, terme consacré pour ces « apéros » pré-électoraux de l'époque.


3.11 Stank « vallée encaissée »

Page 40 : « Dans ce stang il y avait d'immenses étendues de forêts vierges ».

Page 802 : « Je n'étais pas toujours seul dans ces stang à chercher du bois [...] Chaque fois que je vais dans ces stangs sauvages pourtant si pittoresques et pleins de merveilles naturelles [...] ».

Page 328 : «La partie la plus abrupte, la plus sauvage et la plus inaccessible du stang [...] Partout aux flancs de ces stangs, il y a des grottes, demeures naturelles des couriquets surnaturelles ».

Stank : ce mot très courant en toponymie bretonne désigne, dans la région de Quimper, une vallée encaissée.

Peut désigner aussi un barrage et sa retenue d'eau, mais généralement le terme désigne les méandres resserrés d'une rivière avec ses pentes boisées de part et d'autre.


3.12 Gwin ardant « alcool apéritif »

Page 390 : « Qui distribuaient partout des discours et des boniments appris par cœur, des brochures, des journaux, des cigares et du gwin ardent [...] Il y aurait encore distribution de gwin ardent et des bulletins ... ».

Gwin ardant : eau-de-vie de raisin, alcool apéritif traditionnel de 18 à 25o, du breton « gwin » (vin) et « ardant » (ardent).


4 Annotations et commentaires

  1. Anatole Le Braz (1859 - 1926) est un écrivain et un folkloriste français de langue bretonne, mais n'ayant écrit qu'en français. Il reçut et publia partiellement la première version manuscrite de l'autobiographie de Jean-Marie Déguignet dans la Revue de Paris pendant l'hiver 1904-1905. [Ref.↑]


Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet

Date de création : Novembre 2011    Dernière modification : 4.02.2012    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]