Or ce barrage disparu, une puissante compagnie d'électricité médite aujourd'hui de le relever. Elle veut transformer la gorge du Stangala en un bassin qui capterait le libre Odet, cher à Brizeux, et l'abaisserait au rang de moteur industriel. Ce serait désoler, avilir un beau site. Moins connu que les côtes fameuses de Beuzec, de la pointe du Raz, de Penmarc'h ou de Beg-Meil, le Stangala n'en est pas moins, du commun avis, le plus émouvant paysage terrestre de la Basse Cornouaille.
Échappé des Monts de Laz, l'Odet a d'abord roulé ses ondes fraiches à travers de molles prairies. Puis à trois lieues en amont de Quimper, il se creuse un fossé étroit et onduleux, et vient décrire autour de l'altière falaise granitique du Griffonnez, un étonnant "virage en épingle à cheveux". Au milieu des riants terroirs d'Ergué et de Kerfeunteun, cette courbe désertique évoque, dans l'imprévu de son sauvage décor, les paysages du Jura et des Vosges.
De la terrasse naturelle de Griffonnez, le coup d'oeil est d'une ampleur et d'un charme saisissant. A 100 mètres sous vos pieds, court, parmi les blocs roulés, l'eau rapide et bouillonnante. La vallée sinue entre des versants fauves, d'âpres mamelons, des collines au riche manteau bocager, au loin les flèches de la cathédrale de Quimper émergent.
Tout à l'entour de ce ravin farouche, la jolie Cornouaille développe les courbes lentes de ses côteaux, ses landes aux tons roux, ses vallons d'un vert lumineux et son calme horizon de vaporeuses montagnes bleues.
Entre l'industrialisation et l'esthétique, le duel est à présent engagé. Qui triomphera ? Si l'une se prévaut de solides raisons utilitaires, l'autre se trouve des alliés inattendues dans le corps médical de Quimper qui vient d'attirer l'attention des autorités sur les inconvénients qui pourraient naître à la saison chaude, du dessèchement quasi total de l'Odet. Les propriétaires riverains, les conseils municipaux des communes intéressées joignent leurs protestations à celle du Comité Départemental des Sites et Monuments et du Syndicat d'Initiative de Cornouaille.
Cette levée de boucliers, appuyée par la presse régionale, paraît de bon augure. Ne laissons pas saboter nos sites ! Assez de houille blanche et de houille verte se perdent ailleurs, inutilisées, pour qu'on ne vienne pas gâter irrémédiablement par des digues, des tranchées, des remblais, des conduites de métal, des édifices de briques et de zinc, tout l'odieux appareil de l'industrie moderne, l'inoubliable vallée avec laquelle s'harmonise incomparablement mieux, le très vieux moulin du Poul, croûlant à l'angle de sa passerelle moussue.
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