Modèle:GwenanJMD-329 - GrandTerrier

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Un article de GrandTerrier.

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Au sujet de ces petites bêtes, les Bretons ont et auront toujours, je crois, les idées les plus erronées, comme ils en ont du reste sur bien d'autres bêtes et choses. Des paysans, à commencer par mon père, qui ont cultivé des abeilles toute leur vie, ne savent pas comment ces insectes construisent la belle architecture intérieure de leur demeure, ni comment ils se reproduisent. Le meilleur et le plus expérimenté des apiculteurs bretons vous répondra que ce sont là des secrets que personne ne connaît et ne connaitra jamais. Il y a une légende, comme il y en a tant en Bretagne qui dit qu'il absolument défendu à tout apiculteur de chercher à connaître les secrets des abeilles. Il ne doit pas même se poser ces questions sous peine d'être sévèrement châtié comme plusieurs ont déjà été, d'après cette légende. Mon père, un vieil apiculteur consommé, affirmait, et il était cru par tout le monde, que les essaims qui sortaient pendant les huit jours qui suivent la fête de ce nommé Dieu ou fête du Saint-Sacrement, construisaient tous, dans l'intérieur de leurs ruches, l'image de ce Saint-Sacrement, quoiqu'il n'avait jamais vu ça assurément qu'en rêve. Comme il affirmait que la mère qu'on appelle aussi reine, pouvait en cas de mort, être remplacée par un épi de seigle trempé dans les excréments de porc. [...]

Je restais longtemps à considérer ce lieu où je pensais venir en paix et en liberté, dans cette liberté dont je jouissais tant en ce moment, et avec autant plus d'intensité que j'avais toujours été jusque là dans le plus dur esclavage. Et je songeais que tout en me retirant de la société des hommes, je leur serais encore utile puisque j'allais, de société avec les abeilles, créer pour eux des produits bons et utiles. Je ne serais pas un ermite comme Siméon Stylite [1] qui passa trente ans au sommet d'une colonne à regarder la nuit, les étoiles et le jour, son nombril. À l'exemple des ouvrières dont je comptais m'entourer, je travaillerais aussi de concert avec elles. Car il n'y a pas au monde aucune société de bipèdes ou quadrupèdes travaillant et se gouvernant comme les abeilles. Là tout le monde travaille dans un accord parfait. Chacun pour tous et tous pour chacun. Il n'y a ni fainéants, ni parasites, ni tyrans, ni despotes, ni fripons, ni charlatans parlementaires ou sermontaires. Il y en a qui croient que la reine gouverne et commande à sa colonie. Non, cette reine, unique mère de toute sa population, ne commande rien. Son unique occupation dans la ruche est de pondre des œufs au printemps dans les cellules vides des rayons. Elle peut pondre jusqu'à trente mille œufs durant son existence qui est ordinairement de quatre ans si elle ne meurt pas d'accident. Et tous ces œufs ont été fécondés par une seule copulation avec un mâle. C'est aux ouvrières qu'incombe le soin de couver ces œufs jusqu'à ce qu'ils soient transformés en larves, ensuite de nourrir ces larves avec du pollen des fleurs jusqu'à ce qu'elles soient transformées en chrysalides.

Alors ces chrysalides sont renfermées dans leurs cellules avec un mastic spécial d'où elles sortent enfin en papillon,en ouvrières complètes. Ce sont les femelles, mais des femelles dont les organes génitaux sont atrophiés. Elles sont aussi exemptes de tout besoin, de toute passion créatrice qui tourmente tant les autres femelles. Cette déformation des abeilles ouvrières provient de la forme des cellules où elles sont fabriquées. Lorsque ces abeilles veulent une femelle complète, une future mère, elles allongent la cellule d'une larve en forme de gland, de manière que cette larve puisse prendre tout son développement. Les abeilles fabriquent aussi des mâles dans des cellules spéciales dans lesquelles la mère pond des œufs masculins car il faut des mâles pour féconder les jeunes femelles destinées au repeuplement. À la fin du printemps et au commencement de l'été, lorsqu'une ruche a trop de peuple, elle essaime, c'est-à-dire une partie de la population émigre et va ailleurs former une nouvelle colonie en entrainant avec elle la mère. Mais cette émigration étant prévue, les abeilles ont préparé une autre mère qui sort de sa cellule dès que l'autre la quittée.

Deux ou trois jours après, cette jeune vierge sort de la ruche dans un après-midi, si le temps le permet, et va dans les airs flirter avec les mâles qui sont partis en avant pour l'attendre. Dès qu'elle en a trouvé un qui lui plaît, elle se marie avec lui sans formalité ni cérémonie. Un instant après elle retourne à la ruche laissant là son mari qui tombe à terre et meurt immédiatement après son acte comme les hannetons et autres mâles de coléoptères. Mais il a assuré avant de mourir une nombreuse descendance. La jeune future mère a reçu de lui, dans cette étreinte d'amour, de quoi donner la vie à trente mille individus, ce qui prouve l'infini divisibilité de la matière. Mais ces mâles, dont les abeilles fabriquaient toujours beaucoup plus qu'il n'en faudrait sont impitoyablement mis à mort dès que la campagne est terminée. Car ce ne sont que des parasites qui mangent beaucoup et ne produisent rien. Or dans les sociétés humaines où les inutiles, les parasites et les sybarites [2] sont si nombreux et sont les plus fiers et les plus hautains parce que les ouvriers et ouvrières humains, au lieu de faire comme les abeilles, d'occire tous ces inutiles parasites, se laissent au contraire tondre et égorger par eux.