Les deux fêtes des feux de Saint-Jean et de Saint-Pierre selon Jean-Marie Déguignet - GrandTerrier

Les deux fêtes des feux de Saint-Jean et de Saint-Pierre selon Jean-Marie Déguignet

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Jean-Marie Déguignet (1834-1905) a bien décrit dans ses mémoires comment se passaient les fêtes villageoises de la Saint-Jean (24 juin) et de Saint-Pierre (29 juin) dans les campagnes de Basse-Bretagne au 19e siècle.

Ces fêtes nocturnes « tan sant Yann » et « tan sant Per » (tan = feu en breton) étaient l'occasion de brûler les réserves de landes et étaient annoncées par le son grave des « corn boud » .

La tradition du « corn boud » est pratiquée ailleurs en Bretagne sous le nom de « paesle » (désigne le chaudron de cuivre), de tirage de jonc ailleurs en France, ou encore de « Faithe braithe les peîles » sur l'île de Jersey.

Autres lectures : « Espace Déguignet » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Mémoires d'un Paysan Bas-Breton » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ « Les 24 cahiers manuscrits de la seconde série des mémoires de Jean-Marie Déguignet » ¤ « L'invention des légendes de l'Ankou selon Jean-Marie Déguignet) » ¤ « L'histoire de la Bossen, la peste d'Elliant, par Jean-Marie Déguignet » ¤ 

« Bachîn ringing hands vibration », Jersey.

1 Présentation

Jean-Marie Déguignet s'oppose à là l'idée qu'il n'y avait qu'un feu unique à la Saint-Jean, ce « Tantad », feu du 24 juin autour duquel quelques paysans se rassemblaient pour dire des grâces.

Pour lui « c'était au contraire une des plus grandes réjouissances des paysans bretons, où tout le monde d'un même village se trouvait depuis les plus vieux jusqu'aux nourrissons. Il y avait deux feux et par conséquent deux fêtes nocturnes, et non un ; le premier s'appelait non Tantad, mais bien Tan San Yan en l'honneur duquel on l'allumait et l'autre, quatre ou cinq jours après s'appelait Tan San Per. »

Tout le monde participait au feu : « On y brûlait des charretées de lande, de ronces et d'épines ; et chaque habitant, grands et petits, pauvres et riches, était obligé d'y apporter un fagot ou une brassée d'épines en s'y rendant sous peine d'amende ou d'avoir un doigt coupé. »

Le début des réjouissances était annoncé de façon à être entendu de très loin : « On annonçait la fête par des coups de fusil, puis de grands coups frappés sur de grandes bassines en cuivre et on sonnait du corn boud [1]. Et on y jouait une musique que je n'ai jamais vu jouer nulle part ailleurs. »

La pratique du corn-boud était la suivante :

  • « On posait une bassine sur un trépied puis un individu prenait deux joncs de pré très longs et résistants et les posait en travers sur la bassine au fond de laquelle on mettait de l'eau ; »
  • « alors, une femme qui avait l'habitude de traire les vaches prenait ces joncs que le premier tenait appuyés sur le bord de la bassine, se mettait à tirer sur ces joncs en faisant [glisser] ses doigts tout le long, absolument comme si elle eût tiré sur les trayons d'une vache. »
  • « Alors, comme chez les spirites et mieux sans doute, la bassine se mettait à trembler et à danser sur le trépied »
  • « puis deux ou trois autres femmes ou enfants tenant des clefs suspendues à des fils les mettaient en contact avec l'intérieur de la bassine. Ces clefs de différentes grosseurs faisaient des notes différentes par leur trépidation sur le bord de la bassine en mouvement. »
  • « cela faisait une musique extraordinaire qui s'entendait d'un bout de la commune à l'autre, surtout quand, dans les grands villages on employait plusieurs bassines de grandeur et d'épaisseur différentes. »
  • « Non, je n'ai vu nulle part, quoique j'aie vu bien des musiques, une semblable à celle-là. Le Dieu Triton, le trompette de Neptune, ne savait pas faire de la musique semblable. »
  • Ensuite « les jeunes gâs s'essayaient au saut du feu, jeu assez dangereux car il y en avait qui s'y brûlaient les pieds. Il s'agissait de sauter par dessus le feu qui avait plusieurs mètres de largeur, et lorsque la flamme était à sa plus grande hauteur. »
 

Vidéo Youtube dans laquelle on voit des amis s'essayer au tirage de joncs (attendez les séquences 1:47 ou 2:20 pour entendre le son grave) :

Extrait de l'album « Mamalasecska » du groupe de fest-noz du Pays de Dol-de-Bretagne Rozaroun, plage n° 12 Laridé, le paesle est joué par Cécile Louyer :

À Jersey on faisait aussi "braire les peiles" comme l'atteste ce texte en vieille langue Jèrriaise (Wikipedia) :

Faithe braithe les peîles est eune couôteunme qué nou soulait pratitchi l'travèrs d'la Nouormandie et la Brétangne. Nou l'fait acouo par des bords en Brétangne, et nou-s'a ravigoté la bachinn'nie en Jèrri à ches drein. Nou fait braithe les peîles à la St. Jean pouor chasser les mauvais esprits. I' faut un bachîn, un ros (du jonc) et dé l'ieau. Deux pèrsonnes peuvent faithe braithe la peîle: iun tchi tcheint l'ros sus l'bord du bachîn, l'aut' à traithe lé ros auve de mains mouoillies. La tressonn'nie du ros fait tressonner tout l'bachîn et nou vait coumme tchi qu'l'ieau bouort et danse. La braithie fait eune manniéthe dé mûsique.

La traduction en français est inutile car en lisant le Jièrriais à haute voix on en comprend immédiatement le sens.

2 Texte transcrit et manuscrit

Pages 119-120 de l'Intégrale des Mémoires : La fête de saint Jean

Lorsque je lis les récits de ces chercheurs de légendes bretonnes, je suis de plus en plus certain qu'ils n'ont rien vu de ce qu'ils rapportent, et qu'ils ont été mystifiés et roulés par les vieux malins et les vieilles ivrognesses en tout et partout. Je ne vois rien dans leurs récits qui soit conforme à la réalité. Ainsi l'un d'eux, parlant de la fête de Saint Jean dit que les paysans se réunissent autour d'un feu le soir pour dire des grâces et que cela s'appelle Tantad. Non, ce n'est pas ainsi que cela se passait. C'était au contraire une des plus grandes réjouissances des paysans bretons, où tout le monde d'un même village se trouvait depuis les plus vieux jusqu'aux nourrissons. Il y avait deux feux et par conséquent deux fêtes nocturnes, et non un ; le premier s'appelait non Tantad, mais bien Tan San Yan en l'honneur duquel on l'allumait et l'autre, quatre ou cinq jours après s'appelait Tan San Per. Et ces fêtes nocturnes duraient souvent depuis un instant après le coucher du soleil jusqu'à minuit. On y brûlait des charretées de lande, de ronces et d'épines ; et chaque habitant, grands et petits, pauvres et riches, était obligé d'y apporter un fagot ou une brassée d'épines en s'y rendant sous peine d'amende ou d'avoir un doigt coupé. On annonçait la fête par des coups de fusil, puis de grands coups frappés sur de grandes bassines en cuivre et on sonnait du corn boud [1]. Et on y jouait une musique que je n'ai jamais vu jouer nulle part ailleurs. On posait une bassine sur un trépied puis un individu prenait deux joncs de pré très longs et résistants et les posait en travers sur la bassine au fond de laquelle on mettait de l'eau; alors, une femme qui avait l'habitude de traire les vaches prenait ces joncs que le premier tenait appuyés sur le bord de la bassine, se mettait à tirer sur ces joncs en faisant [glisser] ses doigts tout le long, absolument comme si elle eût tiré sur les trayons d'une vache. Alors, comme chez les spirites et mieux sans doute, la bassine se mettait à trembler et à danser sur le trépied puis deux ou trois autres femmes ou enfants tenant des clefs suspendues à des fils les mettaient en contact avec l'intérieur de la bassine. Ces clefs de différentes grosseurs faisaient des notes différentes par leur trépidation sur le bord de la bassine en mouvement. Tout cela faisait une musique extraordinaire qui s'entendait d'un bout de la commune à l'autre, surtout quand, dans les grands villages on employait plusieurs bassines de grandeur et d'épaisseur différentes.

 

Suite :

Non, je n'ai vu nulle part, quoique j'aie vu bien des musiques, une semblable à celle-là. Le Dieu Triton, le trompette de Neptune, ne savait pas faire de la musique semblable et qu'est ce que c'était les sept sacrificateurs de Josué avec leurs sept cors de bélier auprès de cela, quoi qu'ils firent, dit-on, écrouler les murs de Jéricho du bruit de leurs cors.

Pendant que les femmes faisaient de la musique, et que quelques anciens chasseurs tiraient des coups de fusil, les jeunes gâs s'essayaient au saut du feu, jeu assez dangereux car il y en avait qui s'y brûlaient les pieds. Il s'agissait de sauter par dessus le feu qui avait plusieurs mètres de largeur, et lorsque la flamme était à sa plus grande hauteur. Et aussi, pendant que tous ces gens s'amusaient autour du feu, il y avait des amoureux qui faisaient la cour à quelque distance derrière. Quand la provision de lande était toute brûlée, alors on disait les grâces pour terminer la fête. A la fin des prières on faisait trois tours autour du feu, puis on mettait la cendre à l'encan. Elle se vendait quelquefois très cher cette cendre, parce que tout le monde voulait l'avoir, du moins les fermiers, car on disait que là où l'on semait cette cendre on était sûr d'avoir du bon blé noir. Voilà comment se passaient ces fêtes de Tan San Yan et Sant Per.


3 Annotations

  1. Korn Boud, sm. : corne d'appel à son grave (dictionnaire Vallée) ; bourdon qui tient la tonique en son continu grave sur un biniou. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑ 1,0 1,1]


Thème de l'article : Écrits de Jean-Marie Déguignet

Date de création : Mai 2019    Dernière modification : 29.06.2019    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]