Le voyage touristique à Jérusalem du permissionnaire Jean-Marie Déguignet en 1856 - GrandTerrier

Le voyage touristique à Jérusalem du permissionnaire Jean-Marie Déguignet en 1856

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<u>PALESTINE.</u> <u>PALESTINE.</u>
-<spoiler id="992" text ="De Beyrouth à Jérusalem ...">+<spoiler id="992" text ="De Beyrouth à Jérusalem ...">{{DéguignetJérusalem992}}
-VENDREDI 19. — Départ de l’Alexandra à 7 heures du matin. — Voix du timonier de notre barque qui me rappelle celle du marchand de mouron. — Nous prenons avec nous une petite Alsacienne qui va rejoindre son fiancé à Jérusalem et un jeune Allemand en lunettes qui l’accompagne. — Débarquement, embarras et colère ; bêtise des lazarets en général et du chef gardien du lazaret de Beyrout en particulier. — Le Docteur du bord prend un bain, sa balle avec son chapeau de paille dans l’eau. — On s’arrange. — Grand vent dans le lazaret. — Le soir, bain de mer : quelle mer ! — Liban couronné de nuages, cigales qui sautent dans les buissons. — Lazaret. — Voix de l’homme qui nous y conduit dans sa barque ; elle me rappelle celle du marchand de mouron. Palais du Lazaret où nous logeons : embarras du débarquement, le chef gardien, grand dégingandé avec un œil de travers, trois jours, grand vent par les fenêtres émigré italien cognant dans le corridor. — Bain de mer.+
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-Le mardi matin, nous en sortons. — Homme en veste bariolée, en coufieh, qui arrive au galop, figure pâle, fière tournure. — Haies de figuiers de Barbarie, café au bord de l’eau, voyageurs sur des ânes. Cela me fait l’effet d’un paquet de rubans qu’on me secoue devant les yeux.+
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-BEYROUT. — Les maisons sont en pierre, ce n’est plus l’Égypte ; je ne sais quoi qui fait déjà penser aux croisades. — Hôtel de Baptista sur le port. — Fort dans la mer, à droite, démoli par les Anglais. — Bataille pour les pastèques qui arrivent de Jaffa. — Les enfants qui se baignent là, toute la journée, se font des turbans verts avec les morceaux de pastèques qui flottent sur l’eau.+
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-Hôtel. — Le chancelier d’Autriche « Le séjour de Damas est-il délicieux ? y passez-vous des soirées sereines ? » — Un Russe, le capitaine maltais, l’émigré italien qui me fait l’effet d’une canaille et accepte très bien nos 50 francs. — Bazars : c’est très heurté, tassé, populeux, beaucoup de soie. — Soirées du Ramadan ; petite mécanique dans les cafés, qui fait du bruit ; on boit de la neige.+
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-MM. de Lesparda, Rogier, Peretié, M. et Mme Suquié.+
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-Cimetière, un soir, à la tombée du jour : trois moutons qui paissaient l’herbe parmi les pierres ; un Arabe couché sur un tombeau, avec deux ou trois autres qui avaient l’air de blaguer et faisaient tranquillement leur kief ; un chemin au beau milieu et par-dessus les tombes. — La mer, verdure, et Beyrout à droite ; beaucoup d’herbes. — Un vieux, maigre, à barbe grise, qui dit son chapelet sur une pierre. Enceinte qui renferme deux tombes, et a un dessus de tente pour protéger les branchages sur les deux tombes.+
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-Pique-nique sur l’herbe aux pins moines passant avec des chapeaux couverts de mouchoirs ; chameaux ; ciel violet sur les montagnes à travers les arbres. — Matinée chez Rogier la petite Turque, coiffure de jasmin, Fatmé mélancolique ; la grosse, la maigre, balle sereine de Rogier, importance d’Abdallah.+
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-Partis de Beyrout à 4 heures et demie du matin. — D’abord sables entre des haies, puis les montagnes ; grandes pentes. Entre les gorges une poussière de lumière comme de la neige éthérée qui se tiendrait en l’air immobile et en serait pénétrée à droite la mer. — Le cuir de ma semelle crie. — Des bouquets de caroubiers se versent sur la terre et ont l’air taillés comme des arbres de jardin. Rencontre de zingari (je ne crois pas que ça en soit) un enfant, portant une grosse caisse sur le dos, à la tête de mon cheval, me montre le ciel en levant les mains et répète plusieurs fois Allah d’une façon attendrissante ; femmes qui portent l’enfant dans une espèce de hamac suspendu à leurs mamelles. — Lauriers-roses, rivière el-Damour, un tournant où ça a l’air d’un coin de parc. — Un peu avant, effet d’un pont dont il ne reste plus que les arches initiales. — Les lauriers-roses en fleurs poussent jusque sur le bord de la mer. — Nos chevaux passent dans l’eau.+
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-Déjeuner à 11 heures et demie, à Habbi-Jones, endroit où Jonas fut vomi. — Une grande gorge qui se dévale vers le rivage, avec deux grands arbres. — Dormi sur une natte dans un café ; une petite varangue de branchages secs devant ; nos mulets débâtés se roulent. Nous repartons à 2 heures. La route (ancien chemin, on le suit par moments) monte des coteaux, descend, suit le bord de la mer, la mer, la mer, enfonce dans les sables, remonte parmi les pierres, où nos chevaux marchent lourdement. La pente des montagnes s’incline à cause de la quantité de pierres mêlées à la verdure, ça ressemble à un immense cimetière abandonné.+
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-SIDON au fond de l’horizon, à la pointe, dans les flots, avancée en pâté. Devant la ville, un rocher, long, autour duquel plusieurs vaisseaux. — Jardins. — Silence de la ville en y entrant. — Un vieillard aveugle, en turban vert, conduit par un enfant. — Au milieu des rues est une espèce de rigole carrée pour les chevaux ; on sent l’encens, l’église, une odeur sacerdotale, quelque chose qui fait penser à la fraîcheur des églises en été. — Khan français : vasque carrée ; au milieu, bananier. — Chevaux de l’émir Beschir. — Couvent des frères de la Terre-Sainte. — Docteur Gaillardon, son divan. — Souper dans une grande salle pots en étain qui contiennent de l’eau d’où on la verse dans notre carafe. — Père Casimir, longue barbe, parlant italien, vite, et fermant l’œil.+
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-Mercredi 31 juillet, 9 heures du soir. — La journée d’aujourd’hui moins accidentée qu’hier. On sort de Saida par des jardins, puis on regagne la mer, que l’on suit presque toute la journée ; les montagnes sont plus basses que le jour précédent et plus loin du rivage. — Une vieille tour du temps des croisades, entourée de feuillages à sa base, éclairée par le soleil levant. — Presque toute la journée on traverse une lande couverte de chardons desséchés, de petits caroubiers que le vent de mer a rasés ; quelquefois un champ de mais, un plant de tabac. — Le matin nous avons passé une rivière, le pont à angle a sa troisième arche séparée de lui, le bloc s’en est allé se pencher sur le flanc et reste là au soleil.+
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-Déjeuner à Anhydra, au bord de la mer ; il y a une petite baie, nous la voyons à travers deux grands arbres. — Vasque carrée, sur le rebord de laquelle nous avons déjeuné avec des figues, de la viande froide et de la confiture de dattes. Un grand figuier dans la cour (derrière la maison), où coule dans un petit aqueduc l’eau qui va tomber dans la vasque. — Veau qui tétait une vache de couleur gris perle.+
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-Nous repartons ; seconde rivière ; je reste monté sur le bord à voir tous les mulets passer à travers le bois de lauriers-roses qui s’épanouissent à l’entour de l’eau. — La lande, triste, triste. — Troisième rivière ; nous la passons sur le pont, elle est trop large, l’eau est très verte. — Gourbi de branchages où nous haltons. — Vieux bonhomme assis là, qui est pris de convulsions.+
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-TYR est au milieu d’une espèce de demi-lune très évasée. — Arrivés à 2 heures, descendus au couvent grec ; plus rien, quelques méchants bazars, un silence de peste et de mort, çà et là un enfant magnifique. — La race ici (femmes), ce que j’en peux voir me semble fort belle. — Avant d’arriver à Tyr, sur le sable un vieux vaisseau échoué, un homme qui lave un mouton dans la mer. Le port est à gauche en arrivant. — Deux grands blocs restés debout dans l’eau. — Pour monter dans le haut quartier de la ville, il faut passer le long du mur d’une maison qui plonge ses pieds dans l’eau, sur quelques pierres mises là, ou qui sont là en forme de trottoir. — Personne c’est encore plus silencieux qu’en bas. Le drapeau blanc du consul de Naples flotte à son mât sur une maison. — Des remparts, vue bleue de la mer, le ciel est triste, quelques nuages, l’air est sombre quoique lumineux. — La ville entourée de remparts moyen âge, comme Aigues-Mortes. — En face de nous, à une demi-portée de fusil, un tas dispersé de colonnes de granit dans l’eau ; il y en a plusieurs dans le port aussi, la mer les lave et les relave sans cesse.+
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-À l’endroit où nous étions, il y avait un coude des remparts, ça faisait angle, le soleil cassebrillait sur les flots bleus. — M. Elias, agent français, va bientôt crever ; grand divan blanc avec un divan tout autour, voûté, ancienne église ; sa petite et grassouillette vieille femme pète dans un chibouk pour le curer. Effet de ses joues enflées, avec les longs fils de soie de sa chevelure qui lui pendent jusqu’au cul. — La grande négresse sur ses patins, qui jetait de l’eau dans la cour. — Femme mûre assise en face de nous, les genoux écartés, immobile, œil noir et fendu, nez aquilin arqué, visage marmoréen ; je pense aux races antiques et ce que devait être la femme d’un patricien de Tyr. Sa fille, visage ovale, blanche avec des cheveux noirs. — Légion de demoiselles dans l’appartement à droite en entrant.+
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-Du haut de la terrasse de cette maison, la mer, les remparts, les maisons avec leurs terrasses blanches que relèvent les verdures qui les séparent quelques palmiers (le palmier de Tyr sur les médailles) tournés vers la terre, une plaine. — Le Liban une chaîne basse, de couleur un peu gris violet ; derrière elle, une seconde chaîne, violet très pâle, noyée dans les nuages et teintée de lait, d’un effet aérien. — Mauvais dîner. — L’épouse du sieur Elias demande un petit batchis à Joseph. — Jeune homme, fils de l’agent d’Autriche, à qui nous donnons du sulfate de quinine. — Dans la cour du couvent grec, nous ne voyons ni couvent ni Grec, mais à droite, en entrant, d’assez belles filles avec des matelots grecs c’est une famille qui demeure là, ça m’a l’air un peu b… et ce qui me flatte, en pensant à l’Ennoia de Simon que j’ai fait danser nue devant des matelots grecs. — Couchés au premier, dans une grande chambre, sur des nattes. Toute la nuit démangeaisons de boutons de puces, de moustiques. La lampe suspendue près de la porte ouverte, éclaire. — Bruit des sonnettes des mulets.+
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-Vendredi. Partis à 4 heures du matin, avant le lever du soleil. — Me semble plus courte que la précédente, quoiqu’elle soit plus longue. — Moins de lauriers-roses, mais ça change. La montagne, toujours à notre gauche, s’abaisse de façon à ne plus être que des mouvements de terrain. — Bouquets d’arbrisseaux à fleurs violettes, qui ressemblent à de la lavande ; les arbres du côté de la mer sont courbés et rasés par le vent.+
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-En sortant de la ville, tour carrée, enfoncée dans la verdure ; le soleil n’est pas encore levé, c’est d’un ton dur et verdâtre ; la tour est carrée, ronde sur ses angles, les fenêtres vont s’élargissant de l’intérieur à l’extérieur. Un escalier conduisait à l’entrée de la tour, on n’y peut monter, il y a brèche entre lui et la tour. — En fait de vasques de Salomon (nous tournons autour d’un clos sans savoir pourquoi, cheval de Joseph), je vois une grande auge carrée, mais c’est un assemblage de moulins, de bruit d’eau, de cabanes et de verdure accoudés à un déval de terrain. Nous sommes joints par un jeune homme en veste verte, à nez cambré comme M. de Radepont, et à yeux noirs, qui me paraît beau de loin et assez laid de près, monté sur un cheval, à la turque avec un tapis sur la selle. — L’ancienne voie reparaît par places ; elfe est droite, tirée au cordeau et de la largeur d’une grande route de troisième classe nos chevaux trébuchent sur ces grosses pierres. À gauche pente qui monte, à droite pente qui descend ; rochers parmi la verdure ou verdure parmi les rochers ; les fleurs violettes de la veille, caroubiers, etc. — On monte. — Djebel EI-Abbiat (cap blanc). — Chemin ardu, la corniche en grand, on monte, on monte, les chevaux donnent de grands coups de reins ; on donne en plein sur la mer. Grandes marches naturelles, comme d’un escalier, ça tourne quelquefois. On aperçoit tout à coup la mer entre les deux oreilles de son cheval, à quelques centaines de pieds au-dessous de soi. Comme c’est beau ! La descente est plus difficile. La voie recommence, elle s’arrête à deux fontaines qui coulent à pleine gorge. — Collines qu’on monte et qu’on descend. — Autre montagne, mais d’un effet moins magnifiquement empoignant comme montée ; il n’y a qu’au haut, d’où l’on a une vue immense de la mer, tout à coup. C’est sur celle-là qu’allaient, faites pour elle, les galères à proues peintes. De là on peut voir Tyr, là sans doute on venait pour voir arriver les vaisseaux qui revenaient de ?… ; plaine à nos pieds à gauche. — Une ancienne maison à l’ombre de laquelle nous haltons un instant, deux étrons à l’endroit le plus beau. Il faut repartir, nous redescendons. — Déjeuner dans le bouquet d’arbres que nous apercevions d’en haut ; nous dormons au bord de la route sous un saule.+
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-Repartis, on va tout droit ; un janissaire, vêtu de blanc, passe au galop devant nous ; à l’entrée d’un petit pont nous rencontrons une troupe de gens à mine étrange, bronzés, hâlés, quelques-uns avec des peaux de gazelle et de mouton, coiffés de bonnets pointus ; deux portent sur leurs épaules quelque chose d’enveloppé dans une coiffe, qui m’a l’air de guitare et qui pourrait être des carabines ce sont des derviches, arrêtés par la police du lieu pour voyager sans tesquereh. Cette bande n’a pas l’air rassurant, Max se rapproche des bagages. — Rencontre de Bédouins du pays de Hauvay, ils viennent vendre des blés à Saint-Jean-d’Acre. — Gens hâlés, beaux comme chic, avec des cordes de chameau à la tête et de grandes couvertures à raies sur les épaules. — Deux femmes marchant à pied, l’une a les lèvres peintes en bleu.+
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-Aqueduc de Djesaher-Pacha, que nous voyons à El-Maya ; il traverse le paysage. Nous l’avions passé quelque temps auparavant, il était couvert de verdure et disparaissait dessous. Rien n’est joli comme la campagne vue dans l’encadrement d’une arche d’un de ces ponts ou d’un aqueduc, surtout quand passent dessous des chameaux ou des mulets.+
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-SAINT-JEAN-D’ACRE, de loin un carré long avec une tour à chaque bout. La ville me semble, à l’arrivée, un bazar animé ; marchand de sherbet et de boissons froides, avec un morceau de neige sur un pic en fer. — Khan sale et abandonné, où nous déposons nos bagages. — Nous dînons dans un cabaret, avec une ratatouille où il y avait des tomates, et que nous dévorons à pleines mains en buvant du sherbet à la neige qui sent le raisin, la rosée et la mélasse. — Espèce de canaille grisonnante, à accent anglais, qui nous fait des questions de gendarmes. — Couchés près de la vasque vide du khan, sur nos lits, sous un saule où brûle suspendue une mèche dans un verre d’huile, elle éclaire le feuillage sur ma tête.+
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-Saint-Jean-d’Acre, désolé, vide, maisons en pierres comme dans les autres petites villes. On y pense à des engagements de croisés dans les rues. La ville est pleine de ces Bédouins, leurs tas de blé encombrent une cour qui ferme sur la mer c’est l’entrée du port qui n’existe pas. La rade est fort grande, mais c’est plutôt à Caïffa que l’on pourrait en faire un. — Deux tombes d’officiers anglais au milieu de la ville ; pourquoi ne pas les avoir mises au cimetière turc ? c’est d’une vanité triste. — Tombes antiques, l’une couronnée d’une urne et la seconde carrée à la romaine, les chiens ch… tout autour.+
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-Grande cour, ancien camp fortifié, garni de quantité de petites arcades supportant des arcades ; ça a un aspect de cirque et me rappelle au premier coup d’œil les arènes de Nîmes. — Traces de boulets anglais ; la veille, avant d’arriver à Saint-Jean-d’Acre, nous avions trouvé un obus dans les champs. — Nous voyons des femmes qui s’enfilent sur un côté de la tête des brochettes de piastres d’argent ou des talaris.+
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-Jusqu’à Caiffa on suit le bord de la mer ; sur le rivage des débris de pastèques, quelques-uns blanchis par le soleil, à l’intérieur, ont l’air de crânes vidés. Rien n’est plus triste qu’un beau fruit sale. — Paniers échoués, débris des naufrages, des nattes aussi, carcasses de vaisseaux enfouis dans le sable comme seraient d’animaux marins morts de vieillesse sur la grève. Au fond de la rade un vaisseau sur le flanc, qui n’a plus que sa membrure et un mât, ressemble à une mâchoire dans laquelle serait fiché un cure-dent. — Nous passons deux rivières à gué, la seconde assez large et plus profonde, nos chevaux ont de l’eau jusqu’au ventre.+
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-CAÏFFA. — Rien, ville neuve, bazar ouvert, sans nattes pour garantir du soleil. — L’agent français nous dit que les Wahabites se sont emparés de la Mecque. — Sur la plage, un oiseau de mer, gris avec le bout des plumes noires et bas sur pattes (une mouette), volait et marchait devant moi, tantôt partait puis se rabattait tout doucement. J’étais dans un bon état. — De Caïffa au Carmel on monte. Au pied du raidillon qui mène au monastère, énormes oliviers, creux en dedans la Terre Sainte commence, ils sont au bas de la montagne et sur la pente ; on a vu ça dans les vieilles histoires saintes. Je songe à Chateaubriand en Palestine, à Jésus-Christ qui marchait nu-pieds par ces routes. Arrivés au monastère à midi environ il fait grand vent ; devant le couvent, jardin potager avec une petite pyramide au milieu, elle indique les restes des Français à Saint-Jean-d’Acre, pendant l’expédition de Bonaparte.+
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-MONT-CARMEL. — Samedi 3 août 1850, 9 heures et demie du soir. — Le couvent, grande bâtisse blanche. — Eglise en dôme, fortifiée il y a même des moucharabiehs dissimulés. — Rien de curieux, ça sent le couvent moderne, le Sacré-Cœur, c’est propre et froid, rien de vrai. Comme ça contrarie le sens religieux de l’endroit que c’est peu le Carmel quoique ce soit au Carmel ! Au-dessous du chœur de l’église, grotte d’Élie. — Le Père Charles, le Père hospitalier. — Sieste, pris nos notes, dîner. — Max copie les plus belles choses des voyageurs dans le livre.+
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-Dimanche 4, visité le couvent. — Un capitaine marchand, marseillais, avec son gamin. — Partis à 9 heures jusqu’à Castel-Pelegrino, au bord de la mer, dans des sables tirants.+
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-CASTEL-PELEGRINO. — Ruine d’un effet charmant et terrible. Quels gars que les croisés ! quelles poitrines et quels bras ça avait ! C’est maçonné comme le Château-Gaillard, qui est de la même époque (3e croisade, Philippe Auguste, Richard Cœur de Lion), seulement la maçonnerie de galets et de mortier est recouverte de pierres de taille. Un grand pan de mur, du côté du Carmel, encore debout tout droit ; de ce côté une petite tour ( arabe ? ) ; du côté de la pleine mer, belle et vaste salle ogivale (des gardes ? ) ; — bâti en pierres énormes, porte sur la mer. Du côté faisant face à la terre, petit navire à droite (avec une grue qui sert à transporter des pierres à Saint-Jean-d’Acre). — Vue générale de la ruine à gauche, un puits comblé ; en haut, une construction carrée, plus moderne, faite avec les débris de la forteresse et habitée par quelques Arabes dont l’un demande à voir le couteau de chasse de Joseph. — Dans les environs quelques cahutes arabes, des chiens aboient après nous. — Contraste de cette ruine du monde germanique, normand, roux, et brumeux, avec ce ciel, ce soleil et cette mer.+
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-La vue jusqu’à Thura (Dora). À notre gauche, la chaîne de collines couleur de terre est brodée et comme fresquée en gris par les pierres ; à un endroit, mouvement de terrain, tout gris blanc, à cause d’elles ; ce sont de grandes dalles. — Deux ou trois maisons carrées en haut. En bas de la pente, à peu près, un arbre, sorte de frêne, déchiqueté et dont les racines, sorties et couchées sur le sol, ont plus de deux longueurs de cheval de long. C’est comme d’énormes câbles les uns sur les autres et étendus, mal attachés, au pied de l’arbre.+
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-Tous ces jours-ci, quantité de cigales, de lézards ou de salamandres et de caméléons ; ceux-ci se promènent lentement sur la pointe des buissons desséchés ou sur les grosses feuilles piquantes des figuiers de Barbarie. Hanna en a pris un par la queue, l’a donné à Max, qui l’a lâché sur fa crinière de son cheval (il avait des taches chocolat), est monté jusqu’aux oreilles, d’où il a dégringolé par terre ; le cheval de Joseph, derrière nous, a failli l’écraser en passant.+
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-THURA. — Chétif village au bord de la mer. Au coin du khan où nous descendons, hommes accroupis ; l’un lit le Koran à haute voix à la société, un autre se fait raser. Nous logions au premier, dans une salle qui me semble remonter aux croisades, ouverte à tous les vents. — Dîner par terre, sur le tapis, sur la terrasse en vue de la mer. — Avant le dîner, promenade au bord des flots le long de la petite anse, pour aller vers un pan d’une tour ruinée qui domine la mer. Là, restes, dans l’eau, d’anciennes constructions probablement du temps de Castel-Pelegrino, que l’on voit au loin. Nous revenons les pieds dans l’eau. — Nuit insectée.+
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-Lundi, partis avant le jour. — Froid du matin, nos tarbouchs sont trempés par l’humidité ; jusqu’à Césarée nous enfonçons dans les sables.+
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-CÉSARÉE. — L’enceinte se voit encore, mur continu avec des avancées carrées, en partie couvertes de verdure, multipliées et très larges de la base. — Anse et restes de constructions (tours ? ) qui défendaient sans doute l’entrée du port.+
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-Nous siestons à 10 heures, à Mina-Saboura, au bord de la mer, sous une avancée de rochers qui nous protège du soleil. De toute la journée nous n’avons pas vu de montagnes, c’est seulement un mouvement de terrain continu ; à notre gauche, sables, sables parsemés de caroubiers. Nous rencontrons un homme presque nu avec deux gros bardachs pendus à son corps ; il porte sur l’épaule un long bâton. Avant d’arriver à Omkaled-el-Mukhaled, en sortant d’une lande complètement nue, à la teinte roussie par les herbes desséchées et qui va en montant, on découvre tout à coup une plaine immense, d’une teinte vert très pâle, piquée au fond par les boules vertes des oliviers à l’horizon un bourrelet de montagnes. — En arrivant ici, femme vêtue en bleu, qui montait le chemin en portant un vase sur sa tête ; elle revenait de la fontaine, qui est à gauche, au bas du village en y arrivant. — Nous avions guigné un arbre pour y passer la nuit, mais une petite caravane s’est trouvée être dessous ; nous avons traversé le village, nous sommes de l’autre côté, sous un vieux sycomore, les mulets, les muletiers et le bagage devant nous, les chevaux derrière. À notre gauche repose, couché, appuyé sur son habarah, notre guide de la journée, sheik Mohammed, homme à grand nez recourbé et qui porte le poids de son turban sur le côté droit ; il a son fusil en travers sous l’oreille. — Hier, galopage de Hanna pour attraper des crabes ; aujourd’hui ces messieurs ont plaisanté à coups de poing et à coups de pied. Le matin, trous de pieds de bêtes fauves sur le sable.+
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-Après une nuit blanche, causée par les puces, sous le beau sycomore, nous partons au petit jour jusqu’à Ali-ebu-Arami, dans l’intérieur des terres, landes parsemées de pierres et de caroubiers.+
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-ALI-EBU-ARAMI. — Restes de forteresse à droite ; là, on prend le bord de la mer et l’on voit au loin le pâté long des maisons étagées de Jaffa. Sables où l’on enfonce, passage d’une rivière.+
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-Arrivés à JAFFA vers midi. — Cinq vaisseaux en rade. — On monte pour arriver à la ville. — Cimetière en pente. — Quelques dômes s’arrondissent au-dessus des maisons, le cimetière au premier plan, la ville au second ; plus haut, à gauche, des nopals, des jardins (c’est à la place du camp français de Bonaparte). — Entrée tumultueuse dans Jaffa ; nous traversons toute la ville. — Couloir entre les maisons et le rempart en partie dénudé et dont plusieurs blocs sont tombés dans la mer. — Khan arménien ; nous logeons dans un appartement de femmes, petite pièce carrée à croisillons de bois. — Rues en pente d’une saleté inouïe, toutes espèces d’immondices et de reliques. M. B. Damiani et son père, officiers du Mercure ; nous faisons avec lui une promenade. — Hôpital des pestiférés de Jaffa. — Couvent arménien à arcades au premier. — Couvent catholique nul. — M. Damiani nous montre, au pied des remparts, du côté des jardins, un pied qui est l’extrémité de la mine par où Bonaparte a attaqué la ville. — Khan charmant, avec une fontaine à arceaux au milieu ; dans l’intervalle des arcades, sur la face intérieure, sortes de fausses tourelles, terminées par des cônes. — Déjeuner dans une locanda grecque, avec du vin de Chypre, du poisson frit froid et des raisins. — Le soir, chicheh dans un café, au pied de notre khan. — Matelots du Mercure.+
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-Mercredi matin 7. — Déjeuner chez M. Damiani avec M. Houman, vice-consul à Saida, et un Polonais, chef de la quarantaine de Jaffa.+
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-Partis à 5 heures, routes dans les sables, entre des nopals, comme en sortant de Beyrout du côté des pins. Fontaine d’une construction pareille à celle du khan ci-dessus colonnes, tourelles à cônes, une grande arcade au milieu, qui est la fontaine ; derrière, trois cyprès. C’est un carrefour : un homme se tenant près de la fontaine, à gauche. — Campagne plate, avec de doux et larges mouvements (çà et là un carré de sésame, en approchant de Ramleh), ton général blond quoique très cru. Le ciel est excessivement bleu et sec, sans nuages ; à l’horizon, fond laiteux des montagnes. Nous rencontrons quelques voyageurs, les femmes (une petite noire, un peu bouffie) voyagent à visage découvert.+
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-Ramleh au fond de la plaine plate, au pied des montagnes. Plaine unie ; on aperçoit la ville en descendant d’une espèce de mouvement de terrain en dos d’âne. — Quelques oliviers, rien n’est plus Palestine et Terre-Sainte. — Singulière transparence des couleurs la route, en sable, est vermeille, textuellement, et toute la plaine grise, illuminée d’une teinte d’or très pâle. — Cimetière avant d’arriver à Ramleh : larges tombes carrées en maçonnerie ; Max fait marcher son cheval dessus.+
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-RAMLEH. — Rue déserte, dômes, quelques palmiers maigres entre eux, le ciel bleuissant de la nuit au milieu de tout ça, passant sur les arbres et entre les maisons démantelées. — Les constructions sont en grosses pierres, anciennes destinations militaires. — Nous passons sous une voûte ogivale, où un cheval est attaché ; la ville me paraît aux trois quarts inhabitée. Nous campons en aval de la ville, sous des oliviers.+
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-À cause des moustiques, des chevaux et de l’idée que je dois voir Jérusalem le jour suivant, nuit blanche.+
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-Le matin jeudi 8, promenade au jour levant dans Ramleh rien que nous n’ayons vu la veille, c’est grand, vide et sale. — Jeune homme boiteux qui tenait nos chevaux pendant cela ; c’était un de nos gardes de la nuit passée. — Nous rejoignons notre bagage parti trois quarts d’heure avant nous, nous marchons pendant trois heures avant d’atteindre le pied de la montagne. — Village de Rohab, on battait les blés ; Max me parle de Ruth. — Vers le pied de la montagne, nous sommes accostés par une espèce de vieux gredin à barbe blanche et l’épaule couverte d’un habar noir et blanc ; il nous sert de garde pendant quelque temps et nous quitte à une maison de pierres, à gauche. La montagne est une succession de gorges les unes sur les autres ; quand on croit en avoir fini, on en a encore. — Oliviers magnifiques, vieux, creusés en dedans, larges ; les pierres ont des trous et ressemblent à des éponges ; elles tachent en gris la verdure des touffes de caroubiers, de lentisques et d’une espèce de petits chênes en buissons (rouvre ? ). Plus on monte, plus les pierres augmentent, la lumière blanchit et donne un ton d’une crudité féroce à la montagne grise (arbustes et herbes sur lesquelles la trace des limaces a l’air de givre, mais c’est avant la montagne). — Çà et là un carré foui d’oliviers, mais plus petits. — Plateau.+
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-Le village de Kariet-el-Aneb est en descendant déjà, à droite. — Maisons en pierre. — Une grande construction, qui était une église. — Jeune homme, en turban jaune, qui me sourit à la porte de l’ancienne église où Max était entré. — Nous remontons à cheval.+
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-Hannah avait pris à droite, sous les oliviers, et était descendu par le plus court ; Joseph file vite et sans lever la tête. — Femmes qui dansaient en rond. « C’est un mort ». Je crie à Sassetti de ne pas s’arrêter, il le dit en arabe d’une façon brutale, à Abou-Issa. — On descend encore quelque temps. — Sur les sommets de cet entonnoir, quelques petites tours anciennes. — On remonte ; c’est de plus en plus sec et dur. Pour descendre il faut quitter son cheval, larges dalles. (Avant le village, la montagne est ainsi, surtout vers le bas une ligne de pierres, c’est la couche calcaire ; une ligne de verdure, et ces lignes parallèles vont dans le sens de la montée.) Enfin nous arrivons, mourant de faim, la tête vide et tout nous dansant dans le cerveau, au fond d’une vallée pleine d’arbres où il y a de l’eau. — Un pont.+
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-GAZEREL-KAROUM. — Jardin, citronniers, vignes. — Famille juive qui nous donne des tapis. — Les femmes avec leur espèce de chapeau en visière ou de visière qui fait chapeau. — La femme du jeune homme qui nous avait fait toutes ces politesses, plaquée un peu, tétons que l’on voit facilement, grâce au décolletage intermédiaire complet elle nourrissait son enfant. — Nous dormons une heure sous un citronnier, nous nous lavons la figure sous le pont et nous remontons à cheval à 3 heures.+
</spoiler> </spoiler>
On monte encore pendant une grande heure. Arrivée sur le plateau ; tous les terrains des montagnes ont une couleur de poudre de bois, rouge foncé, ou mieux de mortier. À chaque instant je m’attends à voir Jérusalem et je ne la vois pas. — La route (on distingue la trace d’un ancien chemin) est exécrable, il n’y a pas moyen de trotter. — Enclos de pierres sèches dans ce terrain de pierres. Enfin, au coin d’un mur, cour dans laquelle sont des oliviers ; j’aperçois un santon, c’est tout. — Je vais encore quelque temps ; des Arabes que je rencontre me font signe de me dépêcher et me crient : el Kods, el Kods ! (prononcé il m’a semblé codesse) : 27 femmes vêtues de blouses bleues, qui m’ont l’air de revenir du bazar ; au bout de trois minutes, Jérusalem. On monte encore pendant une grande heure. Arrivée sur le plateau ; tous les terrains des montagnes ont une couleur de poudre de bois, rouge foncé, ou mieux de mortier. À chaque instant je m’attends à voir Jérusalem et je ne la vois pas. — La route (on distingue la trace d’un ancien chemin) est exécrable, il n’y a pas moyen de trotter. — Enclos de pierres sèches dans ce terrain de pierres. Enfin, au coin d’un mur, cour dans laquelle sont des oliviers ; j’aperçois un santon, c’est tout. — Je vais encore quelque temps ; des Arabes que je rencontre me font signe de me dépêcher et me crient : el Kods, el Kods ! (prononcé il m’a semblé codesse) : 27 femmes vêtues de blouses bleues, qui m’ont l’air de revenir du bazar ; au bout de trois minutes, Jérusalem.

Version du 22 mai ~ mae 2018 à 07:57

On a souvent écrit que Jean-Marie Déguignet avait perdu la foi en faisant un pèlerinage à Jérusalem en 1856. Mais ce n'est pas vraiment le cas, car son athéisme avait été nourri par ses lectures et observations préalables.

On trouvera ici les deux versions écrites de ses récits, ceux publiées en 1905 dans la Revue de Paris et l'édition intégrale de la 2e série de cahiers en 2001, qu'on comparera avec les notes de voyages d'un autre écrivain, Gustave Flaubert en 1850.

A cette époque-là, on pourrait citer aussi d'autres voyageurs, écrivains célèbres, qui ont décrit leur découverte de la terre sainte : Hermann Melville en 1856 avec son poème "Clarel: A Poem and Pilgrimage in the Holy Land", Mark Twain en 1867 et son "The Innocents Abroad, or The New Pilgrims' Progress".

Autres lectures : « DÉGUIGNET Jean-Marie - Jésus, fils aîné de Marie-Joachim » ¤ « Cahier de notes sur la "Vie de Jésus" d'Ernest Renan » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ 

St-Sépulcre de Jérusalem, A. Salzmann 1856
St-Sépulcre de Jérusalem, A. Salzmann 1856

1 Présentation

 

2 Citations

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Chapitre XI de la Revue de Paris 1904-05

Transcription d'Ewan ar Born sur Wikisource à partir de la version Gallica.

§ Jérusalem, cette cité si célèbre où se sont accomplis les mystères ...

JÉRUSALEM

Moins d’une demi-heure après le débarquement à Jaffa, nous trottions sur la route de Jérusalem, cahotés dans cette voiture d’un genre tout particulier. De route, je ne sais pas s’il y en avait : je n’en voyais guère ; nous étions du reste aveuglés par la poussière et les rayons du soleil. J’entrevoyais cependant des champs et des jardins bien cultivés, des arbres dont le nom nous était inconnu ; l’Arménien nous donna le nom des espèces qui étaient les plus nombreuses : c’étaient des oliviers et des cactus géants. Les oliviers me rappelaient certains joncs verts de mon pays.

Nous pouvions aller à Jérusalem d’une seule traite ; mais notre Arménien préféra passer la nuit dans une espèce de bourgade appelée Ramleh, chez un ami qu’il connaissait pour un excellent hospitalier. Il y avait là un grand couvent de moines franciscains, qui logeaient les pèlerins et même les tou­ristes, moyennant finances, bien entendu. J’aurais bien voulu aller voir ce couvent et ces moines, parmi lesquels il y avait, disait notre hôte, beaucoup de Français ; mais nous étions trop fatigués, dix fois plus que si nous avions fait la route à pied et sac au dos. Nous fûmes du reste fort bien reçus chez l’ami de notre ami, qui était un musulman : on sait que la première vertu des enfants du Prophète, c’est l’hospitalité.

Nous couchâmes par terre sur des nattes, avec des couvertures blanches pour nous envelopper. Le lendemain, nous nous mîmes en route de très bonne heure, avant tous les autres voyageurs, pour avoir moins de poussière. À quelque distance de Ramleh, le pays avait complètement changé, on ne voyait plus de champs cultivés, plus de jardins, plus d’arbres, ni même aucune espèce de verdure ; de tous côtés, des montagnes brûlées. Le ciel avait aussi à peu près la même couleur que la terre. Cela ressemblait bien au pays du prophète : l’abomination de la désolation.

§ Nous étions dans la Judée, le pays de Juda ...


Pages 202-209 de l'Intégrale (début)

Histoire de ma vie. L'intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton. An Here, 2001.

§ Un jour, ce brave Arménie, qui était aussi un chrétien ...

Le voyage à Jérusalem (Avril 1856)

Ce pèlerinage de Jérusalem est obligatoire pour tous les Russes orthodoxes, comme celui de la Mecque pour les vrais croyants. Nous étions habillés à l'européenne, et nous n'avions un peu l'air de deux gentlemen faisant notre tour du monde.

Le navire était bondé de pèlerins de toutes les parties de la Russie, gens qui n'avaient pas l'air bien riche. Ils étaient mal habillés, malpropres avec des cheveux longs et crasseux. Si les hommes eussent porté des chapeaux à larges bords, je les aurais pris pour des Bretons des montagnes d'Arez ! Nous débarquâmes à Beyrouth, et un peu au-delà, à Jaffa, nous trouvâmes une voiture, ou plutôt une charrette qui nous attendait. Là du reste, les pèlerins pouvaient choisir les moyens de transport à leur convenance. Il y avait des ânes, des mulets, des chevaux et des espèces de carrioles pouvant s'atteler des deux bouts. La nôtre avait été commandée et préparée d'avance. Celle-là n'était pas à louer. Aussi, nous n'y montâmes que nous trois. L'Arménien voulait aller en avant, car la route serait bien encombrée, et on serait aveuglés par la poussière.

À Jaffa, on montre encore aux fidèles croyants ou crédules, la maison de Simon le corroyeur [2], dans laquelle le fameux Pierre eut cette vision d'une immense nappe descendant du ciel remplie de toutes sortes de gibiers rôtis. Nous pouvions aller d'une seule traite de Jaffa à Jérusalem, mais notre bon guide voulut nous arrêter au Rameleh [3] où s'arrêtent du reste presque tous les pèlerins pour passer la nuit, car, en ce temps-là, la route de Jérusalem n'était pas encore trop sûre. On voyait roder par là des bandes de vilains types avec des pistolets et des poignards dans leurs ceintures de cuir, et qui ressemblaient fort au fils aîné de Marie, Joachim et ses compagnons bandits. Il y avait bien des gendarmes turcs, zapotiés [4], établis par poste de distance en distance pour garder les routes, mais ces curieux gendarmes faisaient autant peur aux voyageurs que les bandits qu'ils étaient chargés de surveiller.

§ Le Ramaleh n'est qu'un pauvre village ...

 

Pages 209-213 de l'Intégrale (Suite)

Histoire de ma vie. L'intégrale des Mémoires d'un paysan bas-breton. An Here, 2001.

Ce jour-là, quand nous eûmes déjeuné, le patron nous dit que maintenant, puisque nous connaissions à peu près la ville, nous étions libres d'aller tous les deux où cela nous ferait plaisir. Mais je ne savais trop quel plaisir que nous aurions d'entendre les gamins crier leurs bibelots saints et frauduleux dans toutes les langues, de voir les moujiks russes, dont c'était alors la grande fête de Pâques, se traîner à genoux depuis la prétendue maison de Pilate jusqu'au Saint-Sépulcre en pleurant, embrassant la terre, les pierres, les coins de maisons. Nous allions cependant, suivant ces pauvres abrutis, dont on ne savait si on devait en rire ou en avoir pitié.

Nous arrivâmes ainsi devant le Saint-Sépulcre, dont je me mis à contempler la grande coupole d'or, parce que mon jeune précepteur de Kamiech m'avait dit que cette coupole avait été enlevée une certaine nuit. Mais comme on ne trouvait pas le coupable, les chrétiens de Jérusalem avaient mis le fait sur le compte des Turcs, et crièrent au vol, au viol, à l'insulte, à la profanation. Le tzar Nicolas prit prétexte de cela pour attaquer les Turcs, espérant les chasser de Constantinople et en même temps de Jérusalem, et rendre enfin cette ville aux chrétiens, puis le dieu de ceux-ci, quoiqu'il ait, dit-on, tout puissance, ne veut pas la leur donner, préférant que son tombeau fût gardé par les enfants du Prophète. Et c'est pour ça, sans doute, que sa Mère était venue donner un coup de main aux Turcs dans la personne de Pélissier, pour écraser ces maudits chrétiens orthodoxes et des aryens, qui voulaient prendre un pays qui a de tout temps appartenu à la race sémitique, à elle octroyé à perpétuité par le dieu de Sem et d'Abraham.

Nous vîmes en effet une garde turque à la porte même de ce grand tempe chrétien. Et ils étaient là comme la garde que j'avais vue à Lyon, à la porte de Castellane. Mais ces soldats turcs n'étaient pas là précisément pour garder la personne de Jésus, ou son prétendu tombeau, mais plutôt pour mettre ordre entre les prêtres des différents cultes chrétiens qui exploitent ce tombeau à qui mieux-mieux.

§ Ainsi, il y a vingt-et-un autels dans ce temple ...


Chapitre "Palestine" des Notes de Flaubert

Transcription sur Wikisource à partir de l'édition compléte L. Conard de 1910.

PALESTINE.

§ De Beyrouth à Jérusalem ...

On monte encore pendant une grande heure. Arrivée sur le plateau ; tous les terrains des montagnes ont une couleur de poudre de bois, rouge foncé, ou mieux de mortier. À chaque instant je m’attends à voir Jérusalem et je ne la vois pas. — La route (on distingue la trace d’un ancien chemin) est exécrable, il n’y a pas moyen de trotter. — Enclos de pierres sèches dans ce terrain de pierres. Enfin, au coin d’un mur, cour dans laquelle sont des oliviers ; j’aperçois un santon, c’est tout. — Je vais encore quelque temps ; des Arabes que je rencontre me font signe de me dépêcher et me crient : el Kods, el Kods ! (prononcé il m’a semblé codesse) : 27 femmes vêtues de blouses bleues, qui m’ont l’air de revenir du bazar ; au bout de trois minutes, Jérusalem.

Comme c’est propre ! les murs sont tous conservés. — Je pense à Jésus-Christ entrant et sortant pour monter au bois des Oliviers ; je l’y vois par la porte qui est devant moi, les montagnes d’Ebron derrière la ville, à ma droite, dans une transparence vaporeuse ; tout le reste est sec, dur, gris : a lumière me semble celle d’un jour d’hiver, tant elle est crue et blanche. C’est pourtant très chaud de ton, je ne sais comment cela se fait. — Max me rejoint avec le bagage, il fumait une cigarette. Piscine de Sainte-Hélène, grand carré à notre droite.

Nous touchons presque aux murs ; la voilà donc ! nous disons-nous en dedans de nous-mêmes. — M. Stephano, avec son fusil sur l’épaule, nous propose son hôtel. — Nous entrons par la porte de Jaffa et je lâche dessous un pet en franchissant le seuil, très involontairement ; j’ai même au fond été fâché de ce voltairianisme de mon anus. Nous longeons les murs du couvent grec ; ces petites rues en pente sont propres et désertes. — Hôtel. — Visite à Botta. — Couchés de bonne heure.

§ Vendredi 9, promenade dans la ville ...

3 Annotations

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  1. Déguignet effectue son voyage organisé par l'Arménien en compagnie d'un camarade affecté comme lui au dépôt d'Ahoutpacha en Crimée : « J'y avais trouvé un bon camarade, beaucoup plus ancien que moi, bon enfant, toujours content mais sans instruction. C'était aussi un pauvre paysan comme moi. ». [Ref.↑]
  2. Bible, Acte des Apôtres, IX. 43, X. 1 et X. 76. [Ref.↑]
  3. Ville de Ramlah. [Ref.↑]
  4. Zaptié : corps de troupe de l'empire turc. [Ref.↑]
  5. Le consol Napoléon séjourna à Ramlah entre le 1er et le 3 mars 1799. [Ref.↑]
  6. Antinoüs (mort en 122) : favori de l'empereur romain Hadrien, il est le type même de la beauté plastique. [Ref.↑]


Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet

Date de création : Mai 2018    Dernière modification : 22.05.2018    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]