Le procès d'Yves Pennec. Mémoires d'un touriste (Stendhal) - GrandTerrier

Le procès d'Yves Pennec. Mémoires d'un touriste (Stendhal)

Un article de GrandTerrier.

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Mémoires d'un touriste (Voyage en Bretagne et en Normandie) de Stendhal.

(extrait du site ABU : http://abu.cnam.fr/cgi-bin/go?bretagne1,809,828)

Autres sources référencées :




Il y a beaucoup de sorciers en Bretagne, du moins c'est ce que je devrais croire d'après le témoignage à peu près universel. Un homme riche me disait hier avec un fonds d'aigreur mal dissimulée: « Pourquoi est-ce qu'il y aurait plus de magiciens en Bretagne que partout ailleurs? Qui est-ce qui croit maintenant à ces choses-là? » J'aurais pu lui répondre: « Vous, tout le premier. » On peut supposer que beaucoup de Bretons, dont le père n'avait pas mille francs de rente à l'époque de leur naissance, croient un peu à la sorcellerie. La raison en est que ces messieurs qui vendent des terres dans un pays inconnu ne sont pas fâchés qu'on exerce à croire: la terreur rend les peuples dociles.

Voici un procès authentique. On écrit de Quimper le 26 janvier:

« Yves Pennec, enfant de l'Armorique, est venu s'asseoir hier sur le banc de la Cour d'assises. Il a dix-huit ans; ses traits irréguliers, ses yeux noirs et pleins de vivacité annoncent de l'intelligence et de la finesse. Les anneaux de son épaisse chevelure couvrent ses épaules, suivant la mode bretonne.

« M. le Président: Accusé, où demeuriez-vous quand vous avez été arrêté?

« Yves Pennec : Dans la commune d'Ergué-Gobéric.

« D. Quelle était votre profession ? -- R. Valet de ferme: mais j'avais quitté ce métier; je me disposais à entrer au service militaire.

« D. N'avez-vous pas été au service de Leberre ? -- R. Oui.

« D. Eh bien! depuis que vous avez quitté sa maison, on lui a volé une forte somme d'argent. Le voleur devait nécessairement bien connaître les habitudes des époux Leberre; leurs soupçons se portent-sur vous. -- R. Ils se sont portés sur bien d'autres; mais je n'ai rien volé chez eux.

« D. Cependant, depuis cette époque, vous êtes mis comme un des plus cossus du village; vous ne travaillez pas; vous fréquentez les cabarets; vous jouez; vous perdez beaucoup d'argent, et l'argent employé à toutes ces dépenses ne vient sans doute pas de vos économies comme simple valet de ferme? -- R. C'est vrai, j'aime le jeu pour le plaisir qu'il me rapporte; j' y gagne quelquefois; j'y perds plus souvent, mais de petites sommes; et puis j'ai des ressources. Quant aux beaux vêtements dont vous parlez, j'en avais une grande partie avant le vol, entre autres ce beau chupen que voilà.

« D. Mais quelles étaient donc vos ressources ?

« Pennec, après s'être recueilli un instant et avec un air de profonde bonne foi : « J'ai trouvé un trésor, voilà de cela trois ans. C'était un soir; je dormais: une voix vint tout à coup frapper à mon chevet: « Pennec, me dit-elle, réveille-toi. » J'avais peur, et je me cachai sous ma couverture: elle m'appela de nouveau; je ne voulus pas répondre. Le lendemain, je dormais encore; la voix revint, et me dit de n'avoir pas peur: « Qui êtes-vous? lui dis-je; êtes-vous le démon ou Notre-Dame de Kerdévote ou Notre-Dame de Sainte-Anne, ou bien ne seriez-vous pas encore quelque voix de parent ou d'ami qui vient du séjour des morts? -- Je viens, me répliqua la voix avec douceur, pour t'indiquer un trésor. » Mais l'avais peur, je restai au lit. Le surlendemain, la voix frappa encore: « Pennec, Pennec, mon ami, lève-toi, n'aie aucune peur. Va près de La grange de ton maître Gourmelen, contre le mur de la grange, sous une pierre plate, et là tu trouveras ton bonheur. » Je me levai, la voix me conduisit et je trouvai une somme de 350 francs.

« Le silence passionné de la plus extrême attention règne dans l'auditoire. Il est évident que l'immense majorité croit au récit de Pennec.

« Yves Pennec, enfant de l'Armorique, est venu s'asseoir hier sur le banc de la Cour d'assises. Il a dix-huit ans; ses traits irréguliers, ses yeux noirs et pleins de vivacité annoncent de l'intelligence et de la finesse. Les anneaux de son épaisse chevelure couvrent ses épaules, suivant la mode bretonne.

« M. le Président: Accusé, où demeuriez-vous quand vous avez été arrêté?

« Yves Pennec : Dans la commune d'Ergué-Gobéric.

« D. Quelle était votre profession ? -- R. Valet de ferme: mais j'avais quitté ce métier; je me disposais à entrer au service militaire.

« D. N'avez-vous pas été au service de Leberre ? -- R. Oui.

« D. Eh bien! depuis que vous avez quitté sa maison, on lui a volé une forte somme d'argent. Le voleur devait nécessairement bien connaître les habitudes des époux Leberre; leurs soupçons se portent-sur vous. -- R. Ils se sont portés sur bien d'autres; mais je n'ai rien volé chez eux.

« D. Cependant, depuis cette époque, vous êtes mis comme un des plus cossus du village; vous ne travaillez pas; vous fréquentez les cabarets; vous jouez; vous perdez beaucoup d'argent, et l'argent employé à toutes ces dépenses ne vient sans doute pas de vos économies comme simple valet de ferme? -- R. C'est vrai, j'aime le jeu pour le plaisir qu'il me rapporte; j' y gagne quelquefois; j'y perds plus souvent, mais de petites sommes; et puis j'ai des ressources. Quant aux beaux vêtements dont vous parlez, j'en avais une grande partie avant le vol, entre autres ce beau chupen que voilà.

« D. Mais quelles étaient donc vos ressources ?

« Pennec, après s'être recueilli un instant et avec un air de profonde bonne foi : « J'ai trouvé un trésor, voilà de cela trois ans. C'était un soir; je dormais: une voix vint tout à coup frapper à mon chevet: « Pennec, me dit-elle, réveille-toi. » J'avais peur, et je me cachai sous ma couverture: elle m'appela de nouveau; je ne voulus pas répondre. Le lendemain, je dormais encore; la voix revint, et me dit de n'avoir pas peur: « Qui êtes-vous? lui dis-je; êtes-vous le démon ou Notre-Dame de Kerdévote ou Notre-Dame de Sainte-Anne, ou bien ne seriez-vous pas encore quelque voix de parent ou d'ami qui vient du séjour des morts? -- Je viens, me répliqua la voix avec douceur, pour t'indiquer un trésor. » Mais l'avais peur, je restai au lit. Le surlendemain, la voix frappa encore: « Pennec, Pennec, mon ami, lève-toi, n'aie aucune peur. Va près de La grange de ton maître Gourmelen, contre le mur de la grange, sous une pierre plate, et là tu trouveras ton bonheur. » Je me levai, la voix me conduisit et je trouvai une somme de 350 francs.

« Le silence passionné de la plus extrême attention règne dans l'auditoire. Il est évident que l'immense majorité croit au récit de Pennec.

« Après le réquisitoire de M. l'avocat du roi et la plaidoirie de Me Cuzon, qui a plus d'une fois égayé la cour, le jury et l'auditoire, M. le président fait le résumé des débats. Au bout de quelques minutes, le jury, qui probablement ne veut pas que la commune d'Ergué-Gobéric soit privée de son sorcier, déclare l'accusé non coupable.

« Sur une observation de Me Cuzon, la Cour ordonne que les beaux habits seront immédiatement restitués à Pennec, qui n'a en ce moment qu'une simple chemise de toile et un pantalon de même étoffe. Aussitôt tous les témoins accourent et viennent respectueusement aider Pennec à emporter ses élégants costumes. Pennec a bientôt endossé le beau chupen, l'élégant bragonbras et le large chapeau surmonté d'une belle plume de paon, il s'en retourne triomphant. » (Gazette des Tribunaux)

Si le lecteur avait la patience d'un Allemand, je lui aurais présenté, pour chaque province, le récit authentique de la dernière cause célèbre qu'on y a jugée.

Comment ne pas croire aux sorciers sur la côte terrible d'Ouessant, à Saint-Malo? La tempête et les dangers s'y montrent presque tous les jours, et ces marins si braves passent leur vie tête à tête avec leur imagination.



Thème de l'article : Extrait de livre

Date de création : février 2007    Dernière modification : 15.02.2007    Avancement : Image:Bullgreen.gif [Fignolé]