La libération d'un missionnaire au royaume d'Annam, journaux de bord de l'Alcmène 1845 - GrandTerrier

La libération d'un missionnaire au royaume d'Annam, journaux de bord de l'Alcmène 1845

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Le journal de bord du commandant de l'Alcmène a été publié en 1907-1908 dans les tomes 29 et 30 du Bulletin de la Société de Géographie de Rochefort. Celui du chirurgien Bolloré a été édité en 1979 par son arrière petit-fils Gwenn-Aël et la Société Finistérienne d'Histoire et d'Archéologie. Le journal de bord du commandant de l'Alcmène a été publié en 1907-1908 dans les tomes 29 et 30 du Bulletin de la Société de Géographie de Rochefort. Celui du chirurgien Bolloré a été édité en 1979 par son arrière petit-fils Gwenn-Aël et la Société Finistérienne d'Histoire et d'Archéologie.
-Complémentaire. Dans un pays nommé Cochinchine ... mais en fait Annam ... Hué-Fo+Les deux journaux sont complémentaires et permettent de comprendre la situation historique de ce pays du Vietnam, nommé à l'époque Cochinchine, en incluant sa partie Nord en pays d'Annam où réside son empereur de la dynastie Nguyen.
-Bolloré : notes ajoutées, mission de paix, leçon d'histoire, touriste observateur et curieux. +Le journal du commandant Fornier-Duplan contient notamment les lettres officielles échangées entre les autorités cochinchinoises et françaises., On y trouve aussi le rôle de la corvette, où le jeune chirurgien-major Bolloré de 28 ans est dit de 2e classe (lors de sa première affection en 1839 il était chirurgien de 3e classe).
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-Fornier-Duplan : lettres originelles, rôles de navigation.+
[[Image:RoleAlcmène.jpg|400px|center|thumb|p. 294 du tome 29, 1907]] [[Image:RoleAlcmène.jpg|400px|center|thumb|p. 294 du tome 29, 1907]]
-Conclusion : pas suffit pour éviter la guerre ...+Le journal de J.-R. Bolloré est plus descriptif que celui du capitaine, des notes manuscrites rédigées plus tard ayant été manifestement ajoutées lors de la publication. Il développe notamment les origines de la présence missionnaire en Cochinchine, et propose une leçon d'histoire et de généalogie de la dynastie des empereurs : « <i>Migues-Man <ref name=MinhMang>{{PR-MinhMang}}</ref>, fils illégitime de Gya-Long <ref name="GiaLong">{{PR-GiaLong}}</ref>, monta alors sur le trône. Dès lors, la puissance des Français tomba en décadence.</i> »
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 +Le chirurgien est également attentif aux coutumes locales et à la beauté des lieux, notamment les 5 montagnes de marbre de Da Nang / Tourane <ref name=Tourane>{{Tourane}}</ref> avec ses magnifiques pagodes bouddhistes. C'est un véritable guide touristique qui pourraient intéresser les touristes d'aujourd'hui : « <i>Le hasard encore nous servit à souhaits, car nous vîmes la plus belle de toutes les pagodes, la 7e des merveilles... C'est en montant que nous vîmes cette inscription : grotte du ciel, de la terre et de la mer ... une demeure pour les Bonzes et une pagode où ils font leurs cérémonies ... Tel est le petit voyage que j'ai fait aux rochers de marbre, et dont le souvenir me sera toujours très agréable.</i> »
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 +Il exprime par ailleurs une critique du comportement des missionnaires chrétiens en Cochinchine : « <i>Toutes deux sont par trop partiales, et ne parlent uniquement que de tout ce qui serait possible de faire pour améliorer le sort des Missionnaires, et faire tolérer le christianisme en Cochinchine. M. Chamaison va même jusqu'à dire que, à cause de l'arrestation de Monseigneur Le Fèvre, ipso facto, dit-il, on pourrait menacer l'Empereur de la Cochinchine d'une guerre avec la France.</i> »
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 +Le portrait de l'évêque Dominique Lefèvre, après sa libération, donne l'image d'un certain fanatisme : « <i>M. Le Fèvre est un homme de 36 ans, de taille moyenne, paraissant fatigué, et ayant une figure brune avec longue barbe noire, et de grands yeux noirs. Je le trouve froid et peu communicatif ... Un des ministres lui proposa, au nom de l'Empereur, 10 piastres et des habits qu'il refusa. Il a fait la route de Hue à Tourane en 2 jours et 1 nuit.</i> »
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 +Néanmoins, la campagne de l'<i>Alcmène</i> a constitué une mission de paix avec les échanges de lettres entre le Commandant et les mandarins (grands commis) de l'Empereur de Cochinchine, les cérémonies de négociations à bord ou à terre dans les pagodes du village voisin, les remises de cadeaux cochinchinois, et enfin l'arrivée du prisonnier libéré.
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 +Cela ne suffira malheureusement pas pour éviter la guerre : en 1857, le nouvel empereur d'Annam Tự Đức fit mettre à mort deux missionnaires catholiques espagnols. En septembre, un corps franco-espagnol débarqua à Tourane (l'actuelle Da Nang) et la guerre s'enlisera jusqu'en 1862. Quant à Jean-René il est de retour au pays breton depuis fin 1846 et préside aux destinées de la papeterie familiale d'Odet.
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La pagode était triste et pauvre : quelques tables ornées de gâteaux et de fruits avaient été dressées pour nous à la hâte. Le Mandarin de première classe, du nom de <i>Li-Wan-Foc</i>, homme d'une soixantaine d'années, maigre, grand, à cheveux rares et blancs, moustaches et brbe, ou plutôt bouc, blancs et clairsemés, nous reçut à l'entrée de la pagode. Cet homme avait avait une physionomie expressive, ouverte et franche. Son costume rassemblait assez à celui des Mandarins chinois ; du milieu de sa large robe à fond bleu et à grands ramages, partaient deux ailerons qui se dirigeaient en haut et en arrière. Son chapeau, en crin tressé, avait la forme d'une cuve dominée en arrière par un segment de cylindre de même tissu et dont la partie plane regardait l'avant ; enfin, sur l'arrière du bonnet, était appliquée une bande transversale en crin encore, large d'environ 4 centimètres, et débordant de chaque côté de 12 à 5 centimètres. quelques petites plaques en cuivre étaient semées ça et là sur ce bonnet bizarre. Une ceinture avec quelques pierres d'un certain prix, formant des reliefs de distance en distance, terminait cet uniforme du mandarin cochinchinois. Quant aux officiers français, ils étaient en petite tenue, tous portant la robe et le turban noirs, nous entouraient silencieusement et à distance, les pieds nus. La pagode était triste et pauvre : quelques tables ornées de gâteaux et de fruits avaient été dressées pour nous à la hâte. Le Mandarin de première classe, du nom de <i>Li-Wan-Foc</i>, homme d'une soixantaine d'années, maigre, grand, à cheveux rares et blancs, moustaches et brbe, ou plutôt bouc, blancs et clairsemés, nous reçut à l'entrée de la pagode. Cet homme avait avait une physionomie expressive, ouverte et franche. Son costume rassemblait assez à celui des Mandarins chinois ; du milieu de sa large robe à fond bleu et à grands ramages, partaient deux ailerons qui se dirigeaient en haut et en arrière. Son chapeau, en crin tressé, avait la forme d'une cuve dominée en arrière par un segment de cylindre de même tissu et dont la partie plane regardait l'avant ; enfin, sur l'arrière du bonnet, était appliquée une bande transversale en crin encore, large d'environ 4 centimètres, et débordant de chaque côté de 12 à 5 centimètres. quelques petites plaques en cuivre étaient semées ça et là sur ce bonnet bizarre. Une ceinture avec quelques pierres d'un certain prix, formant des reliefs de distance en distance, terminait cet uniforme du mandarin cochinchinois. Quant aux officiers français, ils étaient en petite tenue, tous portant la robe et le turban noirs, nous entouraient silencieusement et à distance, les pieds nus.
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-<spoiler id='996' text="La séance ne fut pas de longue durée ...">La séance ne fut pas de longue durée : le commandant dit au mandarin, au moyen d'un interprète, qu'il avait fait parvenir à l'Empereur de Conchinchine une lettre de l'Amiral français, pour demander la liberté de M. Le Fèvre, sujet de la France, et retenu depuis six mois dans les prisons de Hue-Fo. Le mandarin ...+<spoiler id='996' text="La séance ne fut pas de longue durée ...">La séance ne fut pas de longue durée : le commandant dit au mandarin, au moyen d'un interprète, qu'il avait fait parvenir à l'Empereur de Conchinchine une lettre de l'Amiral français, pour demander la liberté de M. Le Fèvre, sujet de la France, et retenu depuis six mois dans les prisons de Hue-Fo. Le mandarin répondit que le Roi, à la réception de la lettre du grans mandarin français, lui avait sur-le-champ donné l'ordre de venir à Tourane <ref name=Tourane>{{Tourane}}</ref>, sans lui en donner connaissance. Néanmoins, il ajouta qu'il allait partir de suite pour la capitale, qu'il y serait dans 3 jours et que, dans 5 à 6 jours, que M. Le Fèvre serait à Tourane <ref name=Tourane>{{Tourane}}</ref>. On demanda aussi, qu'à l'exemple de l'Empereur de Chine, celui de la Cochinchine tolérât le christianisme dans ses états. Le mandarin répondit que cela dépassait ses pouvoirs, et qu'à son retour à Hue-Fo, il en parlerait au roi. - He ne pense pas qu'il accomplisse sa promesse au roi : en effet, dans une seconde entrevue à laquelle assistait le gouverneur de la province, ce dernier répondit à la même demande qu'on lui faisait, qu'il n'y avait que 3 ou 4 grands mandarins qui pussent parler au Roi, et qu'ils n'oseraient jamais l'entretenir sur des choses contraires aux lois du royaume, certains qu'ils seraient d'avoir le cou coupé immédiatement.
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 +Le mandarin demanda aussi des nouvelles du Roi de France, de la santé de l'équipage de la corvette et de celle des des deux grands mandarins français qui étaient restés si longtemps en Cochinchine. Il ajouta qu'il occupait la place de l'un d'eaux, et s'informa près du Commandant s'ils ne retourneraient plus en Cochinchine.
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 +Li-Wan-Foc accorda aussi, sur la demande qu'on lui en fit, la permission de se promener dans la campagne, sans aller cependant trop loin. Mais toutes les fois qu'il fut question des rochers de marbre, il dit toujours que cette permission dépassait ses pouvoirs et qu'il n'y avait que le Roi seul qui pût l'accorder.
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 +Enfin, après diverses causeries, nous levons la séance à 10 h 20 : à 11 h, nous étions à bord. Quelques instants après, nous recevions des présents consistant en 6 sacs de riz, 2 sacs de sucre, 5 cochons, 2 buffles, 50 canards et 50 poules, 4 cruchons de sanchou, et des fruits nombreux consistant en bananes, ananas et cocos. En échange de ces bons procédés, nous eûmes l'intention de donner un terçon de rhum et un autre de vin blanc ; mais nous partîmes sans rien laisser ...
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<spoiler id='997' text="Le samedi 7 juin ... fûmes visiter les rochers de marbre ...">Le samedi 7 juin, MM. Itier, Rejou, Kerangal, le Commissaire, Moisson, Lavollée, Rondor et moi, fûmes visiter les rochers de marbre. Le Commandant et les officiers y allèrent le 9. <spoiler id='997' text="Le samedi 7 juin ... fûmes visiter les rochers de marbre ...">Le samedi 7 juin, MM. Itier, Rejou, Kerangal, le Commissaire, Moisson, Lavollée, Rondor et moi, fûmes visiter les rochers de marbre. Le Commandant et les officiers y allèrent le 9.
-À 5 h du matin, ... nous débarquions au pied des rochers de marbre ...+À 5 h du matin, nous quittâmes la corvette ; à 6 h, nous passions devant Tourane <ref name=Tourane>{{Tourane}}</ref> et naviguions sur une petite rivière dont les bords sont plats, couverts de temps en temps de quelques pauvres chaumières et de petits bateaux pêcheurs. Plusieurs fois, on essaya, bien faiblement il est vrai, de nous empêcher de continuer notre course ; mais tous les obstacles furent surmontés avec facilité. À 7 h 1/2, nous prenions un petit embranchement sur la gauche, et à 8 h, nous débarquions au pied des rochers de marbre.
 + 
 +Six montagnes de marbre entourent une petite plaine de sable dans laquelle se voient quelques méchants tombeaux. Dans l'un d'elles, la plus rapprochée de la mer, sont les superbes pagodes que nous avons visitées : ce sont elles seules qui rendent si pittoresques et si curieux ces rochers dont la hauteur peut aller de 200 à 250 pieds.
 + 
 +Sur la montagne de marbre au pied de laquelle nous débarquâmes, et que j'ai gravie pour reconnaître ce bras de mer indiqué sur les cartes nautiques, et que je n'ai pas aperçu, il y avait une inscription en chinois, comme toutes celles du reste que nous avons trouvées, signifiant <i>grande montagne de feu</i>. M. Lavollée avait appris la langue chinoise à Macao, pendant quelques mois, et traduisit en français la plupart des inscriptions chinoises qui s'offrirent à nous.
 + 
 +Deux routes à escaliers, avec rampes soignées, le tout ayant vue sur la mer, conduisent sur la montagne de marbre qui renferme les pagodes. Celle que nous prîmes avait 154 marches et 17 plateaux. C'est en montant que nous vîmes cette inscription : <i>grotte du ciel, de la terre et de la mer</i>.
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 +À peine au haut, on a devant soi une petite pagode peu importante. Elle est entourée de murailles peu élevées que nous fûmes obligés d'escalader pour pénétrer plus avant, les portes en étant fermées, et les Bonzes refusant d'abord de nous ouvrir. Mais quand ils nous virent dans la cour de la pagode, ils eurent probablement peur de nous, et dès lors, aucun obstacle ne s'opposa plus à notre curiosité. Néanmoins, je dois dire que s'il n'y avait pas eu des soldats cochinchinois occupant les lieux à voir, la plupart des merveilles nous seraient restés inconnues. Nous ne savions pas où étaient les pagodes, lorsque 30 à 40 miliciens armés de lances, et accourus aux escaliers qui y conduisent, comme pour nous en barrer le passage, nous montrèrent le chemin à suivre ; et depuis le commencement jusqu'à la fin, ils suivirent ce procédé qui nous servit beaucoup.
 + 
 +En quittant la première pagode qui n'est nullement souterraine, on va devant soi ; et, à quelques pas, on aperçoit, à droite, une entrée dans le roc. Nous nous y engageâmes, et en grimpant par une ouverture étroite et assez difficile, nous arrivâmes dans une grotte que nous crûmes être la plus belle des rochers. Plus tard, nous vîmes avec plaisir que nous étions dans l'erreur. La grotte avait 10 mètres de long, sur 5m de large, et 16 à 18 m de haut ; le jour y arrivait d'en haut par un trou presque circulaire. Ici, comme dans les pagodes souterraines, l'art a fait peu de choses ; c'est la nature qui a tout embelli. Des gouttes d'eau froide tombent du haut, en suivant les parois de la grotte, dont quelques parties d'une couleur différente indiquent le séjour d'une humidité continuelle. Dans cette grotte sont inscrits trois caractères assez grands : <i>grotte laissant passer les nuages</i>, ou bien <i>nuages passant par la grotte</i>.
 + 
 +De là, nous descendîmes par une rampe semblable à la première que nous avions gravie, et arrivâmes à une petite esplanade ayant vue sur le rivage et la mer. Là se trouvait élevé un petit monument portant au milieu cette inscription en gros caractères : <i>Tour de la mer</i> et à gauche, en caractères beaucoup plus petits : <i>Ming-Mung <ref name=MinhMang>{{PR-MinhMang}}</ref> - 18e année - 7e mois - terme</i>, ce qu'on peut expliquer par ces paroles : <i>Terminé la 18e année du règne de Ming-Mung <ref name=MinhMang>{{PR-MinhMang}}</ref>, le 7e mois, jour heureux</i>, c'est-à-dire en 1837. À droite de la pierre, il y avait deux petits caractères qu'on ne peut traduire.
 + 
 +En descendant encore de ce petit belvédère, on arrive à une cour renfermant une pagode assez semblable à la première visitée et non souterraine : le second escalier dont j'ai parlé, vient y aboutir. À droite de la pagode est située la misérable demeure des bonzes sur le devant de laquelle il y a une inscription signifiant <i>Bonze</i>. Nous y entrâmes pour nous reposer quelques instants, car la chaleur était brûlante. Un vieillard et cinq à six jeunes d'assez bonne figure, mais d'une pâleur extrême, composaient le personnel de cette pauvre maison, dont le matériel consistait en quelques bancs, tables, images chinoises, et des livres probablement de prières. Ainsi donc, les deux escaliers mènent chacun à une petite cour renfermant chacune aussi une demeure pour les Bonzes et une pagode où ils font leurs cérémonies.
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<spoiler id='9915' text="... le Bonze qui nous reçu d'une manière hospitalière ...">Nous remerciâmes le Bonze qui nous reçu d'une manière hospitalière ; et en le quittant, nous lui laissâmes quelques pièces de monnaie qu'il accepta avec joie. <spoiler id='9915' text="... le Bonze qui nous reçu d'une manière hospitalière ...">Nous remerciâmes le Bonze qui nous reçu d'une manière hospitalière ; et en le quittant, nous lui laissâmes quelques pièces de monnaie qu'il accepta avec joie.
 +Derrière cette mesquine habitation, nous visitâmes deux grottes et deux pagodes charmantes. Ces dernières surtout étaient très pittoresques.
 +
 +Nous dîmes adieu à ces endroits que nous ne verrions peut-être plus jamais, et reprîmes le chemin par lequel nous étions venus. Arrivés à la cour de la première pagode, la vue d'inscription sur les côtés d'une porte d'entrée assez soignée, nous fit diriger nos pas de ce côté ; et le hasard encore nous servit à souhaits, car nous vîmes la plus belle de toutes les pagodes, la 7e des merveilles.
 +
 +Une petite allée conduit à un escalier de 4 à 5 marches avec rampe, à une petite chapelle consacrée à une déesse. Quant à l'extérieur, on ne pouvait mieux la comparer qu'à la Ste Vierge qu'on voit dans nos campagnes bretonnes, parée et habillée dans une belle niche, les jours de <i>pardons</i>. Sur la gauche et de haut en bas, 3 marches, une plate-forme, 15 marches plus un autre plateau suivi de 11 dernières marches, conduisent à la plus grande et à la plus belle des pagodes souterraines, 4 guerriers montés sur des tigres, je crois, car les animaux sont assez mal représentés, paraissent en défendre l'entrée. Une allée de briques, située au milieu de la pagode et large de 2 mètres, conduit à une anfractuosité du rocher, à six ou sept mètres au-dessus du sol, et dans laquelle on voit une divinité, probablement celle du lieu : une petite bougie était allumée devant son autel. Le reste de la pagode était sablé avec soin. À droite et à gauche existaient aussi deux petits autels, et au centre, une urne servant probablement à brûler des encens. Il y a encore quelques inscriptions qu'on n'a pu traduire ; mais dont M. Lavollée a pris les caractères chinois. Cette pagode souterraine peut avoir 18 mètres de longueur, sur autant de largeur, et 35 m environ de hauteur ; elle a la forme circulaire. Au sommet, 3 ouvertures de grande différente laissent pénétrer le jour ; et de nombreuses lianes tombent, tantôt perpendiculaires, tantôt tortueuses, dans ce lieu enchanteurs. Quel séjour pour la méditation, et comme l'âme se recueille facilement devant ces beautés de la nature ! ...
 +
 +À 10 h 1/2, nous quittâmes ces rochers que nous venions de tant admirer, et à 11 h, nous étions à notre canot où nous déjeunâmes avec plaisir.
 +
 +Dans l'après-midi, nous visitâmes un misérable petit village près de l'endroit où nous avions débarqué ; j'y achetait, comme curiosité, un hamac fait de cordes, lit ordinaire des Cochnichinois ; j'emportai aussi des rochers plusieurs échantillons.
 +
 +À 3 h 1/2, nous mîmes à la voile, par une jolie brise ; à 5 h nous étions à Tourane <ref name=Tourane>{{Tourane}}</ref> que nous parcourûmes encore avec les environs, pendant 1 h. À 6 h, nous laissâmes ce village, et arrivâmes à bord à 7 h 1/2 du soir, après avoir échoué plusieurs fois dans la baie.
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 +Tel est le petit voyage que j'ai fait aux rochers de marbre, et dont le souvenir me sera toujours très agréable.
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-<spoiler id='998' text="En effet, le 12, à 6 h du matin ... l'arrivée du prisonnier français ...">En effet, le 12, à 6 h du matin, un petit mandarinet vint à bord annoncer l'arrivée du prisonnier français. À 7 h, le commandant allai à terre. Il fut reçu à la même pagode par deux mandarins, Nguy-Khoc-Thuan, mandarin de première classe, gouverneur de la province, et Mguyen-Thuong, mandarin de 4r classe, envoyé de Hue-Fo. C'est lui qui remit au commandant une lettre du ministre de la marine cochinchinoise à Hue : il paraissait plus poli et plus aimable que les autres ; il était du nombre des 4 et 5 Cochinchinois qui furent en France de 1840 à 1841, et disait qu'il se la rappelait avec plaisir. Li-Wan-Foc, lui, était resté probablement à la capitale. C'est le mandarin de 4e classe qui fit savoir au commandant que 3 ou 4 mandarins au plus avaient le droit de parler à l'Empereur de Cochinchine, et que jamais ils n'oseraient lui proposer de tolérer le christianisme dans le royaume, certains qu'ils seraient d'avoir le cou coupé.+<spoiler id='998' text="Le mercredi 11 juin, ... annoncer l'arrivée du prisonnier français ...">Le mercredi 11 juin, voyant qu'il n'était nullement question de l'évêque, le commandant expédia à terre M. Kerangal, pour savoir du mandarin de Tourane <ref name=Tourane>{{Tourane}}</ref> quand il arriverait. Il fut répondu que ce serait le lendemain ou le surlendemain au plus tard.
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 +En effet, le 12, à 6 h du matin, un petit mandarinet vint à bord annoncer l'arrivée du prisonnier français. À 7 h, le commandant allai à terre. Il fut reçu à la même pagode par deux mandarins, Nguy-Khoc-Thuan, mandarin de première classe, gouverneur de la province, et Mguyen-Thuong, mandarin de 4r classe, envoyé de Hue-Fo. C'est lui qui remit au commandant une lettre du ministre de la marine cochinchinoise à Hue : il paraissait plus poli et plus aimable que les autres ; il était du nombre des 4 et 5 Cochinchinois qui furent en France de 1840 à 1841, et disait qu'il se la rappelait avec plaisir. Li-Wan-Foc, lui, était resté probablement à la capitale. C'est le mandarin de 4e classe qui fit savoir au commandant que 3 ou 4 mandarins au plus avaient le droit de parler à l'Empereur de Cochinchine, et que jamais ils n'oseraient lui proposer de tolérer le christianisme dans le royaume, certains qu'ils seraient d'avoir le cou coupé.
Le mandarin de la province et celui de 4e classe demandèrent un reçu pour l'évêque, reçu que le Commandant leur donna : <i>Le capitaine de vaisseau F.D., commandant la corvette de guerre l'Alcmène, reconnaît avoir reçu de Nguy etc., etc., Monsieur Le Fèvre, missionnaire français</i>. Le mandarin de la province et celui de 4e classe demandèrent un reçu pour l'évêque, reçu que le Commandant leur donna : <i>Le capitaine de vaisseau F.D., commandant la corvette de guerre l'Alcmène, reconnaît avoir reçu de Nguy etc., etc., Monsieur Le Fèvre, missionnaire français</i>.

Version actuelle

Catégorie : Journaux
Site : GrandTerrier

Statut de l'article :
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§ E.D.F.

Un évènement historique observé par deux marins, le chirurgien breton Jean-René Bolloré et le commandant Fornier-Duplan, tous deux sur la corvette à voiles l'Alcmène, en campagne militaire dans un royaume qui allait ensuite devenir un protectorat français après une période de guerre.

Le breton note avec émerveillement tout ce qu'il voit, les protagonistes de la libération, et également les lieux sacrés environnants : « la plus belle de toutes les pagodes, la 7e des merveilles ... une petite chapelle consacrée à une déesse, ... on ne pouvait mieux la comparer qu'à la Ste Vierge qu'on voit dans nos campagnes bretonnes, parée et habillée dans une belle niche, les jours de pardons ».

Autres lectures : « BOLLORÉ Jean-René - Voyages en Chine et autres lieux‎ » ¤ « Jean-René Bolloré (1818-1881), chirurgien et entrepreneur » ¤ 

[modifier] 1 Présentation

Le journal de bord du commandant de l'Alcmène a été publié en 1907-1908 dans les tomes 29 et 30 du Bulletin de la Société de Géographie de Rochefort. Celui du chirurgien Bolloré a été édité en 1979 par son arrière petit-fils Gwenn-Aël et la Société Finistérienne d'Histoire et d'Archéologie.

Les deux journaux sont complémentaires et permettent de comprendre la situation historique de ce pays du Vietnam, nommé à l'époque Cochinchine, en incluant sa partie Nord en pays d'Annam où réside son empereur de la dynastie Nguyen.

Le journal du commandant Fornier-Duplan contient notamment les lettres officielles échangées entre les autorités cochinchinoises et françaises., On y trouve aussi le rôle de la corvette, où le jeune chirurgien-major Bolloré de 28 ans est dit de 2e classe (lors de sa première affection en 1839 il était chirurgien de 3e classe).

p. 294 du tome 29, 1907
p. 294 du tome 29, 1907

Le journal de J.-R. Bolloré est plus descriptif que celui du capitaine, des notes manuscrites rédigées plus tard ayant été manifestement ajoutées lors de la publication. Il développe notamment les origines de la présence missionnaire en Cochinchine, et propose une leçon d'histoire et de généalogie de la dynastie des empereurs : « Migues-Man [1], fils illégitime de Gya-Long [2], monta alors sur le trône. Dès lors, la puissance des Français tomba en décadence. »

Le chirurgien est également attentif aux coutumes locales et à la beauté des lieux, notamment les 5 montagnes de marbre de Da Nang / Tourane [3] avec ses magnifiques pagodes bouddhistes. C'est un véritable guide touristique qui pourraient intéresser les touristes d'aujourd'hui : « Le hasard encore nous servit à souhaits, car nous vîmes la plus belle de toutes les pagodes, la 7e des merveilles... C'est en montant que nous vîmes cette inscription : grotte du ciel, de la terre et de la mer ... une demeure pour les Bonzes et une pagode où ils font leurs cérémonies ... Tel est le petit voyage que j'ai fait aux rochers de marbre, et dont le souvenir me sera toujours très agréable. »

Il exprime par ailleurs une critique du comportement des missionnaires chrétiens en Cochinchine : « Toutes deux sont par trop partiales, et ne parlent uniquement que de tout ce qui serait possible de faire pour améliorer le sort des Missionnaires, et faire tolérer le christianisme en Cochinchine. M. Chamaison va même jusqu'à dire que, à cause de l'arrestation de Monseigneur Le Fèvre, ipso facto, dit-il, on pourrait menacer l'Empereur de la Cochinchine d'une guerre avec la France. »

 

Le portrait de l'évêque Dominique Lefèvre, après sa libération, donne l'image d'un certain fanatisme : « M. Le Fèvre est un homme de 36 ans, de taille moyenne, paraissant fatigué, et ayant une figure brune avec longue barbe noire, et de grands yeux noirs. Je le trouve froid et peu communicatif ... Un des ministres lui proposa, au nom de l'Empereur, 10 piastres et des habits qu'il refusa. Il a fait la route de Hue à Tourane en 2 jours et 1 nuit. »

Néanmoins, la campagne de l'Alcmène a constitué une mission de paix avec les échanges de lettres entre le Commandant et les mandarins (grands commis) de l'Empereur de Cochinchine, les cérémonies de négociations à bord ou à terre dans les pagodes du village voisin, les remises de cadeaux cochinchinois, et enfin l'arrivée du prisonnier libéré.

Cela ne suffira malheureusement pas pour éviter la guerre : en 1857, le nouvel empereur d'Annam Tự Đức fit mettre à mort deux missionnaires catholiques espagnols. En septembre, un corps franco-espagnol débarqua à Tourane (l'actuelle Da Nang) et la guerre s'enlisera jusqu'en 1862. Quant à Jean-René il est de retour au pays breton depuis fin 1846 et préside aux destinées de la papeterie familiale d'Odet.


[modifier] 2 Transcriptions

Les textes transcrits ci-dessous contiennent des paragraphes ( § ) non déployés. Vous pouvez les afficher en un seul clic : § Tout montrer/cacher

Journal du chirurgien J.R. Bolloré

VOYAGES EN CHINE ET AUTRES LIEUX

Le vendredi 16, nous appareillons à 5 h 1/4 du matin, avec des paquets à ne décacheter qu'à une certaine distance en mer. Mais nous savions déjà à Tourane [3], en Cochinchine. Monseigneur Le Fèvre, évêque coadjuteur, était dans les prisons de Hue-Fo, depuis octobre 44, et avait demandé à l'Amiral et à l'Ambassadeur français secours et assistance. M. Cécille donna à notre commandant une lettre cachetée pour l'Empereur de la Cochinchine, avec l'ordre de ne séjourner à Tourane [3] que 10 jours au plus.

§ La frégate ne devait quitter Singapour que le 14 mai ...

§ Le 2 juin, un Cochinois chrétien remet ... deux lettres ...

§ Tourane est un misérable petit village situé sur une langue ...

§ Tout le monde sait qu'un missionnaire ... en 1787 ...

§ Le mercredi 4 juin ... le recevrait à terre le lendemain ...

§ La séance ne fut pas de longue durée ...

§ Le samedi 7 juin ... fûmes visiter les rochers de marbre ...

§ ... le Bonze qui nous reçu d'une manière hospitalière ...

§ Le mercredi 11 juin, ... annoncer l'arrivée du prisonnier français ...

 

Journal du commandant Fornier-Duplan

V. Mission de l'Alcmène en Annam - De Singapore à Tourane [3] - Remise d'une lettre adressée au Roi de Cochinchine ; pourparlers avec les mandarins - Mgr Lefèvre remis au commandant Fornier-Duplan - Lettres de missionnaires français - Départ de Tourane [3] ...

Le 16 mai 1845, nous avons appareillé à cinq heures et demie du matin, laissant la Cléopâtre et la Victorieuse au mouillage. Pour cette campagne, que nous fîmes en Annam, je transcrirai le rapport que que j'en ai remis à l'amiral à mon arrivée à Manille ; j'y joindrai deux lettres assez curieuses, que j'ai reçues en Cochinchine :

« À M. l'amiral Cécille, commandant la station des mers d'Indo-Chine. Amiral. J'ai l'honneur de vous transmettre le rapport suivant, de la campagne de l'Alcmène en Cochinchine.

§ Vous nous avez vus appareiller de Singapour, le 16 mai ...

§ Le 2 juin, j'ai reçu, par le canot des provisions ... les 2 lettres ...

§ Le 12 juin, ... me prévenir que Mgr Lefère était arrivé ...

§ N° 1. Lettre de M. Chamoison au commandant ...

§ N° 2. Lettre de Mgr Lefèvre, évêque d'Isauropolis ...

§ N° 3. Traduction de la lettre adressée par le mandarin ...


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  1. Minh Mạng (1791-1841) est le deuxième empereur de la dynastie des Nguyen du Viêt Nam. Il est le plus jeune fils de l'empereur Gia Long, dont le fils aîné, le prince héritier Canh, est mort en 1801. Il est connu pour son opposition à l'implication de la France dans les affaires vietnamiennes et son orthodoxie confucéenne rigide. [Ref.↑ 1,0 1,1 1,2 1,3 1,4]
  2. Gia Long, né à Hué en 1762, connu dans sa jeunesse sous le nom de Nguyen Phúc Ánh, mort à Hué en 1820, est le fondateur de la dynastie impériale des Nguyen, qui régna sur le Viêt Nam jusqu'en 1945. À 16 ans, sa famille est renversée par les Tây Sơn, et tous ses parents sont tués. En 1802, il prend le pouvoir et réunifie le Nam Viêt, séparé par la guerre civile depuis le XVIIe siècle. [Ref.↑ 2,0 2,1 2,2 2,3 2,4 2,5]
  3. Anciennement appelée Tourane par les Français lors de la colonisation française, Da Nang est une ville de la région de la Côte centrale du Sud du Viêt Nam, située sur l'estuaire du fleuve Han et au pied de la montagne Sơn Trà, et à proximité de Huế (ancienne capitale impériale jusqu'à Bao Dai, dernier empereur de 1955 à 1997). [Ref.↑ 3,00 3,01 3,02 3,03 3,04 3,05 3,06 3,07 3,08 3,09 3,10 3,11 3,12 3,13 3,14 3,15 3,16 3,17 3,18 3,19 3,20 3,21 3,22 3,23 3,24 3,25 3,26 3,27 3,28 3,29 3,30 3,31 3,32 3,33 3,34 3,35 3,36 3,37 3,38 3,39 3,40 3,41 3,42]
  4. Pavillon jaune, g.s.m. : terme de marine, on hisse le pavillon jaunede demande de libre pratique pour signifier son arrivée en attendant d'avoir effectué les formalités réglementaires. Les formalités d'entrée dans le pays ("clearance in" comme disent les anglo-saxons) n'ayant pas encore été faites, le bâteau est supposé recevoir la visite de la Douane, de la police maritime, du capitaine de port, de l'immigration, des services sanitaires etc... [Terme] [Lexique] [Ref.↑ 4,0 4,1]
  5. Jules Dumont d’Urville, (1790-1842), est un officier de marine et explorateur français qui mena de nombreuses expéditions, notamment à bord de l'Astrolabe. Il eut notamment pour mission d’explorer l’Océanie et l’Antarctique. [Ref.↑]
  6. L'empereur Thiệu Trị du Viêtnam, né Nguyễn Phúc Miên Tông, est le 3e souverain de la dynastie des Nguyen. Il est le fils aîné de l'empereur Minh Mang et le père de l'empereur Tự Đức. Il règne du 14 février 1841 à sa mort le 4 novembre 1847. [Ref.↑]


Thème de l'article : Coupures de presse relatant l'histoire et la mémoire d'Ergué-Gabéric

Date de création : Juin 2016    Dernière modification : 12.07.2016    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]