Début de l'histoire :
Au temps où la forêt n’était encore qu’une forêt, noire en novembre et claire en mai, vivait à Keranguéo, au lieu dit « la grotte aux nains », un korrigan de bonne famille et d’excellente éducation. Il avait appris de son père, lequel le tenait du sien, que la vie était simple, la nature généreuse et le temps immobile. Il vivait seul et caché, donc heureux, forcément heureux, sous un amas de roches, dures aux pas et doux à sa quiétude, à mi-hauteur du vallon de Stang Luzigou au fond duquel chantait l’Odet. De nature craintive et volontiers casanier, il se terrait sous sa roche au moindre bruissement de feuilles prévenant l’arrivée d’un lapin, d’un chevreuil ou de tout autre intrus aux frontières de son domaine. Du fond de sa grotte, par un trou qui ouvrait sur le ciel, il
s’amusait des dessins qu’inventent les nuages et s’extasiait de la puissance des arbres. Il
aimait les arbres de sa forêt, tous les arbres, dont il ne connaissait en fait que les troncs
car il était trop petit pour imaginer que les feuilles dans le ciel fussent le produit des
racines fichées dans la terre. Écorces rouge sombre des sapins noirs, troncs lisses des
hêtres, droits de peupliers clairs ou troncs noueux des houx, il vouait un culte égal à tous
et tous étaient ses amis. Toutes les trois semaines, la nuit où la lune parfaitement ronde
faisait danser ses ombres mouvantes dans chaque repli de la forêt, le Korrigan descendait
au bord de l’Odet. Là, sur une pierre plate dressée comme une table au bord du chemin
que caressaient les doigts souterrains des arbres, il trouvait du pain, des pommes, du miel
et des galettes, dont il faisait festin. Une vieille légende en cours chez les korrigans
prétendait que ce repas était offert par des hommes, sortes de créatures tantôt
monstrueuses et tantôt comiques, capables du meilleur comme du pire dont les vieux
racontaient le soir les aventures aux petits enfants. Le Korrigan de la grotte aux nains
avait dépassé depuis belle lurette l’âge où de croire aux contes. Il savait bien que les
hommes n’existent pas et que son repas de chaque lune venait d’un arbre voyageur qui
laissait tomber ses fruits toutes les trois semaines au bord de la rivière. Il mangeait donc
sans crainte et de bon appétit. Avant l’aube, le ventre plein et la tête légère quand, par,
bonheur l’arbre voyageur avait ajouté à ses fruits une bolée de sa sève pétillante et
enivrante aux saveurs de pomme, le korrigan regagnait sa cachette, rassasié pour une
lune. Il en allait ainsi depuis que la mousse aime le granit et que le granit aime la pluie,
ainsi depuis le commencement des commencements dans la forêt du Stang Luzigou, le
vallon des myrtilles.
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Le match de foot :
L’équipe entra sur le terrain sous les acclamations du public. Ça hurlait de tous
les côtés, des voix d’hommes surtout, mais aussi des voix de femmes. Bazar ! Bazar !
Aujourd’hui, c’est un autre rythme : Allez paotred ! AEG ! AEG ! Le Korrigan sentit
qu’on le posait au sol. Il y eut un coup de sifflet. La sarabande infernale se mit en branle.
A droite, à gauche, à droite, à gauche, en avant, en avant, choc, en arrière, shoot, vol
plané, long dégagement à l’aile, réception de la tête, et bing un grand rebond sur le
poteau dur d’une cage de but. Clameur de la foule, à pleine voix, à plein poumons. Il n’y
a pas que les joueurs qui se dépensent quand les Poatred Dispount affrontent l’AEG du
bourg ! Hurlements, protestation. Chiqué ! Coup de sifflet ! Penalty ! Le ballon
immobile. Silence sur le stade, silence de drame. Coup de sifflet et brusquement, bang !
coup de canon ! Catapulte à la vitesse de la lumière. Le korrigan plaqué contre le cuir de
la balle jusqu’au ciel, jusqu’à la lune, jusqu’au soleil, jusqu’au fond des buts du gardien
de l’AEG. Explosion de joie, explosion de douleur. Ça chante et ça gueule. Paotred
Dispount ! Paotred dispount ! Et c’est reparti, balle au centre, une deux une deux, la
passe. Mal de mer, grand roulis, les quarantièmes rugissant, le cap Horn et l’Odet en
crue. Roulis, tangage, grand huit et train fantôme. Et ça monte, et ça vole, au-dessus des
têtes des paotred, au-dessus des poings du gardien jaillit comme un diable de sa cage,
dans la lucarne, oui ! et roulez jeunesse au fond des buts des gars sans peur. AEG !
AEG ! Un but partout. Égalité ! Pour la Fraternité, faudra repasser un autre jour ! Le
pauvre korrigan saoulé de bruit et de mouvement ne sait plus où il en est, qui il est et
même s’il est encore vivant. Le ballon disparaît sous les joueurs qui s’entassent dessus.
Et un et deux et trois en tas ! Coups de poings, coups de pieds. Coup de sifflet, carton
rouge. Penalty. Le silence à nouveau, le même silence que tout à l’heure. Le korrigan a
compris. Non pas de penalty, pas le coup de canon ! Ça va être terrible. Le joueur se
concentre. C’est un gars de l’AEG qui va tirer, le plus costaud, celui qui est arrivé tout à
l’heure sur son tracteur juste pour le début du match. Le meilleur du bourg. Kercannon
Ball ! Il prend son élan, court. Non ! Comme un hamster dans sa cage, le korrigan court
à l’intérieur du ballon qui se met à bouger tout seul. Kercannon Ball arrive à pleine
vitesse, shoot... dans le vide ! Clameur. Éclats de rire. La colère vire à la haine, les
femmes sortent leurs parapluies. Les gars qui boivent le coup ensemble se traitent à la
troisième génération, les gabiers qui chantent en canon à la MPT le jeudi soir vocalisent
des injures discordantes. La confusion est totale.
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