Texte de Déguignet, p. 462
Non, l'amour en Bretagne, ni les chansons qu'il inspire ne sont pas tristes comme chez les peuples dits civilisés. Mais ce qu'il y a de triste pour les ignorants et les fanatisés, ce sont les guers, complaintes fabriquées par les prêtres pour effrayer leurs troupeaux,
§ la suite ...
complaintes sur les miracles opérés par les saints et les saintes, complaintes sur les crimes commis par des impies sur les choses sacrées et les punitions effroyables infligées immédiatement aux criminels, complaintes sur l'enfer et le purgatoire, complainte des morts (an Nanaon) et des ossements des cimetières, etc. etc. Et dans les derniers couplets de toutes ces complaintes, il est toujours fait appel à la bourse des ouailles pour dire des messes pour la conversion des impies et des hérétiques et pour la délivrance des âmes du purgatoire, surtout pour les âmes abandonnées (evit an Nanaon abandonet).
Dans la complainte des ossements (Guers ar garnel), ce sont les os eux-mêmes qui parlent. Ils disent aux vivants :
« Nint zo bet var an douar o ren ken coulz a c'hout
Hovale ac o tivis, o c'heva, o tebri
Cetu nint aman brema er stat mar zom renter
Goude mom bet an douar o vesur ar prenvet. »
("Nous avons été sur la terre aussi bien que vous
Marchant, causant, buvant et mangeant
Et voilà maintenant en quel état nous sommes
Après avoir été dans la terre nourrir les vers.")
Mais les derniers vers de cette complainte du charnier en montrent parfaitement le but :
« Lest ta madou ar bed man gred brezel dar visou
Disale c'houi vo ivez vel deomp ni er besiou. »
("Laissez donc les biens de ce monde, faites la guerre aux vices
Car sans tarder vous serez comme nous au tombeau.")
§ complément ...
Et les malins tonsurés qui composèrent cela en rirent comme des tourtes disant : « ces bonnes ouailles vont gober tout ça et nous laisseront les biens et les vices dont nous savons si bien user, tandis que ces imbéciles n'en savent que faire. » Cependant, ces tonsurés doivent avoir aussi l'âme de la Bretagne, car ils sont tous de purs Bretons, tous fils de paysans. Je ne vois pas cependant que ces fripons soient tristes, bien au contraire, je les vois toujours gais et riants, en vrais enfants de Bacchus. Ils n'ont rien à faire, que manger, boire et chanter. Où diable ont-ils donc trouvé cette âme triste de la Bretagne, ces chercheurs ou ces fabricateurs d'âmes ?
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Iconographie
Collectage, partitions |
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Légende de la mort, p. 280
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Le Braz, Union Agricole, 1889
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Kanaouennou Santel, 1842, p.270
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Thèse Eva Guillorel, 2008
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Texte complet du chant
Deomp d'ar garnell, kristenien, gwélomp ar relegou
Euz hor breudeur, c'hoarezed, bon tadou hor mammou,
Demeuz hon amezein, bor brasa mignoned,
Gwélomp ar stad truezuz e pini 'maint rentet.
Gwélet a reot anezho torret ha bruzunet,
Ha memès ann darn-vuia a zo e poultr kouezet ;
Ne wéler mui ho noblanz, ho danvez, ho ghened,
Ar maro hag ann douar ho deuz ho dismantret.
Ar paour hag ar pinvidik, ar mestr hag ar mevel,
Oll int dishévélébet, oll int lekeat henvel,
N'ez euz mui nemed eskern, poultr ha breinadurez
Dellezeg a zismeganz, ma na vent a druez.
Hoghen er stad truezuz e pini 'maint rentet,
E komzont hag ho c'homz-mut zo bhelavar meurbed,
Oc'h peb-unan e preegont, mar keromp profita,
Dre rua plijo gand Doue hol lezel er bed-ma.
Klevit eta ho c'hentel, ba taolit ho plet-mad,
Gand eur galon ioulek da brofita ervad.
Lavaret a rint d'e-hoc'b skler ez int bet er bed-ma,
Hag e varfot eveld-ho, pa zonjol nebeuta.
Ni zo bet war ann douar o rén kerkoulz ha c'houi,
O tiviz, hag o vale , oc'h eva , o tibri,
Ha chetu ama brema ar stad ma'z omp rentet
Goude m'omp ber enn douar o vesur ar prenved.
M’oa eunn den krén ha galant, ha me eunn dijentil,
Me oa eunn den pinvidik, ha me eunn den habil ;
Me 'm euz kollet va noblanz, ha me va oll zanvez
Me va nerz ha va ghened, ha me va gwisieghez.
N'hon euz kavet nemed-omp hag hon oberiou mad
Da ghinniga d'hor barner, d'hor roue ha d'hon tad ;
List eta madou 'nn douar, argarzit ar ziou
Ha gwiskit hoc'h eneou a bep seurt vertuziou.
§ A-c'houde ...
Mar goulennit da béleac'h eo eat hon eneou ;
Er purgator emaint-hi, pell c'hoaz euz ann envou ;
Emaint enn tann o tévi, da beur-baea dlé
Dastunmet war ann douar, e kenver gwir Doue.
Euz a wéled ar flammou n'ehanont o krial,
O choulenn ho pedennou, da zont er mez raktal
Euz ar prizoniou tenval e pere int taolet ;
Hastit, hastit d'ho zikour, ha na zaléit ket.
D’ehoc'h-hu en em erbedomp, kerent ha mignoned,
Ho pezit koun ac’hanomp, pa'z eot dre ar véred
Lavarit, enn eur dremen ; Doué ra bardono
D'ann anaoun er purgator, rak hou-nez eo hor bro.
Eunn alusen, eur beden great a greiz ar galon,
Eur iun pe eunn oferen, pe ar gommunion
A hell kalz her zoulaji, ha berraat hor poaniou,
Hag bon tenna enn eunn taol a weled ar flammou.
Béleien karantezuz, hoc’h euz hor chundurt
Enn hend hor zilvidighez pa edomp war ar bed,
Dalc'hit-mad c'hoas eunn nebeud da gaout truez ouz-omp,
Ha d'ober, dre drugarez, pep seurt mad evid-omp.
Pa. bignit euz ann aoter evid oferenni,
Pa zeu Doue daved-hoc'h, klevit neuze hor kri,
Euz a wéled, ar flammou a c’houlenn dighen-e-hoc’h
Ma teuot dre ar zakrifis d'ober gant-ban hor peoc'b.
Ha p'her bezo peur-baëet ar boan dlet d'hor pec’hed,
Ni ghinnigo evid-hoc'h da Zoue hor reket,
Pedit, ni a rai ivez ; en em zékouromp oll,
Eunn dailh vad eo da viret ne daï nikun da goll.
Evel ann dour o vouga ann tan gwall allumet,
Ann tan euz ar purgator a vez ivez moughet.
Dre ar zakrifis santel lidet war ann aoter,
Da c'houlenn hon dilivranz, dre Zoue hor Zalver.
Pa zeu ann heol lughernuz a-zidan eur goabren,
Ar bed oll a zo kentiz karghet a sklerijen,
Ni a zavo skler ivez evel steredennou,
Dre vertuz ar zakrifis a wéled hor poaniou.
Adeo, tadou ha mammou, breudeur ha c'hoarezcd ;
Adeo, kerent, mignoned ; adeo d'e-hoc’h tud ar bed,
Ober a reomp d'e-hoc'h brema hon diveza kimiad
Adeo d'e-hoc'h, kenavezo da draonien Josapbat !
Roit ann arzao peur-baduz, va Jezus, va Aotroµ,
D'ann anaoun-vad tremenet, pere zo er flammou;
Kasit-ho d'ar baradoz d'ho meuli da jamès,
War eunn dro gand ann oll zent, ha gand ann oll Elez.
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Traduction française
Venons au charnier, chrétiens, voyons les ossements
De nos frères, sœurs, pères et mères,
De nos voisins, de nos amis les plus chers ;
Voyons l’état pitoyable où ils sont réduits.
Vous les voyez cassés, émiettés ;
Même la plupart sont en poussière tombés.
Ici plus de noblesse, plus de fortune, plus de beauté !
La mort et la terre ont tout confondu.
Entre le pauvre et le riche, le maître et le valet,
Plus de différence ; tous sont semblables.
Il ne reste d’eux que des os, de la poussière et de la pourriture.
Ils nous dégoûteraient, si nous n’en avions pitié.
Eh bien ! en ce pitoyable état où ils sont réduits,
Ils parlent, et leur parole muette est d’une singulière éloquence.
Ils nous font la leçon, et c’est à nous d’en profiter,
Tant qu’il plaira à Dieu de nous laisser en ce monde.
Écoutez donc leur enseignement, écoutez-le bien,
Avec un cœur désireux d’en tirer bon profit.
Ils vous disent clairement qu’eux aussi ont été de ce monde,
Et que vous mourrez comme eux, quand vous y penserez le moins.
— Nous avons vécu sur terre, tout comme vous,
Nous avons devisé, marché, bu, mangé,
Et voici maintenant en quel état nous sommes réduits,
Après avoir été en terre servir de pâture aux vers.
— J’étais un homme robuste et galant ! — Moi, un gentilhomme !
— Moi, un homme riche ! — Moi, un habile homme !…
— J’ai perdu ma noblesse ! — J’ai perdu ma fortune !…
— J’ai perdu force et beauté ! — J’ai perdu ma science !…
Nous n’avons eu que nos personnes et nos bonnes œuvres
À présenter à notre Juge, à notre Roi, à notre Père !
Laissez donc les biens de la terre, détestez les vices,
Et habillez vos âmes de toutes sortes de vertus.
§ Suite ...
Que si vous demandez où s’en sont allées nos âmes,
Au purgatoire elles sont, loin encore des cieux.
Elles sont dans le feu, qui brûlent, pour achever de payer la dette
Qu’elles ont contractée sur terre envers le vrai Dieu.
Terrifiées par les flammes, elles s’époumonent à crier,
À implorer vos prières, pour s’évader au plus vite
Des prisons ténébreuses où elles sont jetées.
Hâtez, hâtez-vous de les secourir, et ne différez point !
À vous nous nous adressons, parents et amis !
Ayez souvenir de nous ! quand vous allez par le cimetière,
Dites, en passant : « Dieu pardonne
À l’Anaon dans le purgatoire ! » (Car c’est là notre pays.)
Une aumône, une prière faite à plein cœur,
Un jeûne, ou une messe, ou une communion
Peuvent beaucoup pour nous soulager, pour abréger nos peines,
Et pour nous arracher d’un coup à l’horreur des flammes.
Prêtres aimants, qui nous avez guidés
Dans le chemin du salut, lorsque nous étions du monde,
Continuez encore quelque peu à avoir pitié de nous
Et à nous donner, par bonté d’âme, toutes sortes de biens.
Quand vous montez à l’autel, pour officier,
Quand Dieu descend vers vous, écoutez alors notre cri :
Du sein des flammes nous vous supplions
De nous aider, par le saint sacrifice, à faire avec Dieu notre paix.
Et quand nous aurons fini d’expier notre péché,
Nous adresserons pour vous à Dieu notre requête.
Priez. Nous le ferons à notre tour. Aidons-nous les uns les autres ;
C’est un bon moyen pour empêcher que personne se perde.
Comme l’eau éteint le pire incendie,
Ainsi, le feu du purgatoire est aussi éteint
Par le saint sacrifice épandu sur l’autel.
Demandez notre délivrance, au nom de Dieu le Sauveur.
Dès que le soleil lumineux s’élance hors des nuages,
Le monde entier, aussitôt, resplendit de clarté.
Nous aussi, nous nous lèverons, clairs, comme les étoiles,
Par la vertu du saint sacrifice, quand seront terminées nos peines.
Adieu, pères et mères, frères et sœurs !
Adieu, parents, amis ! Adieu, vous, les vivants du monde !
Nous vous faisons maintenant nos derniers adieux.
Adieu, tous ! Au revoir dans la vallée de Josaphat
Donnez le durable repos, Jésus, notre Maître,
Au bon Anaon trépassé qui est dans les flammes !
Envoyez-le au paradis pour vous louer à jamais
Avec les saints, avec tous les anges !
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