Jean Espern sur les barricades du 1er mai à Paris, journaux locaux, L'Humanité 1934 - GrandTerrier

Jean Espern sur les barricades du 1er mai à Paris, journaux locaux, L'Humanité 1934

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Catégorie : Journaux
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§ E.D.F.
Un manifestant natif de Quélennec en Ergué-Gabéric, arrêté le 2 mai 1934 par la police suite aux violences dans la cité Jeanne-d'Arc dans le 13e arrondissement de Paris.

Les événements sont relatés dans les journaux locaux, notamment l'Ouest-Eclair [1], et dans le quotidien communiste L'Humanité.

Autres lectures : « Lockout et revendications des ouvriers de la mine d'antimoine, journaux loc. Humanité 1927 » ¤ « GAYE G. et A. & LOCARD J.P. - Quand Saint-Chéron vivait au rythme des carrières » ¤ « Les carrières ne s'éteindront pas ! » ¤ « CHAUVEUR Henri - Les pavés de Saint-Chéron » ¤ 

[modifier] 1 Présentation

Les émeutes de la cité Jeanne d'Arc le 1er mai 1934 à Paris ont été mentionnées très brièvement dans les journaux locaux « Le Finistère » et le « Courrier du Finistère ». Par contre dans « L'Ouest-Eclair » [1] les faits sont développés par un reportage sur place les jours suivants, et « L'Union Agricole » [2] reprend cette information en donnant également les noms des personnes interpellées d'origine bretonne : « Le lendemain matin, plusieurs arrestations étaient opérées, dont celles de trois Bretons : Jean-Marie Sinquin, François Péret, de Rosporden, et Jean Espern, d'Ergué-Gabéric. ».

Ces deux journaux font même la morale : « Ces trois petits Bretons auraient sans doute pu vivre chez eux, sinon dans l'opulence, du moins dans la paix et l'honnêteté, tandis que là-bas ... Puisse du moins leur exemple servir de leçon à d'autres qui pourraient se laisser tenter par le même rêve. »

Dans le journal communiste « L'Humanité », le déroulement de cette journée du 1er mai est détaillé, avec tout d'abord des échauffourées pendant la manifestation à Alfortville, puis des barricades et des tirs devant la cité Jeanne-D'arc du 13e arrondissement en fin d'après-midi et pendant la nuit. Le journaliste Paul Vaillant-Couturier [3] y écrit : « À peine la bataille d'Alfortville se terminait qu'une nouvelle provocation policière qui établit sans contestation possible la préméditation du gouvernement pour faire du Premier Mai une journée sanglante, éclatait. Cette fois c'était dans le treizième, où les ouvriers et les étudiants manifestaient pour exiger la libération de leur élu arrêté le matin, Monjauvis [4] »

Il ne s'agit pas de simples débordements, mais d'une rébellion plus profonde qui d'ailleurs peut expliquer l'arrivée du Front Populaire en 1936. L'un des combattants bretons donne son interprétation : « La misère ! Nous avons trop de misère. Montez donc chez moi, et vous verrez si on peut redouter la mort pour sortir d'où nous sommes. ».

Le journaliste obéit à l'injonction : « Je suis monté au "domicile" de Sinquin, sis au troisième étage de la trop fameuse cité, et je dois avouer que le Scaërois n'avait pas exagéré : je n'ai jamais rien vu de plus sordide, de plus sale, de plus triste que ce pauvre taudis. » La cité Jeanne-d'Arc sera entièrement rasée en 1939.

 



En mai 1934, une vingtaine d'ouvriers, la plupart âgés d'environ 25 ans, sont arrêtés pendant les émeutes, et surtout le lendemain matin de très bonne heure : « Vers 5 heures, des flics en bourgeois entrent dans la cité, où jusque-là personne ne s'est risqué. Sans mandat, ils arrêtent. Une femme, dans un escalier, simplement, parce qu'elle n'est pas couchée. ».

Parmi les ouvriers arrêtés, on compte Jean Espern né le 22 février 1906 à Quélennec, ses parents Mathias Espern et Marie Anne Le Meur y étant agriculteurs. Sans doute est-il venu en région parisienne après la vague d'émigration de gabéricois aux carrières de Saint-Chéron dans les années 1890-1910, car on trouve des Espern et des Le Meur de Quélennec dans la liste des émigrants carriers et terrassiers.

A priori, Jean Espern ne restera pas longtemps en prison après les événements de mai 1934 et quittera la cité Jeanne-d'Arc pour revenir au pays. En 1949, il se mariera avec Marie Catherine Daoudal à Ergué-Armel où il décèdera en 1953.

A l'instar du journaliste de l'Union Agricole, il a peut-être déclamé les vers du poète Auguste Brizeux, déraciné également : « Oh ! ne quittez jamais, c'est moi qui vous le dis, Le devant de la porte où l'on jouait jadis ... »


[modifier] 2 Transcriptions

L'Ouest-Eclair, 03.05.1934 :

Après le 1er Mai. Le nombre des manifestants arrêtés à Paris ou dans la région parisienne s'élève à 138.

L'émeute de la rue Nationale est la conséquence douloureuse d'une journée d'excitations. L'enquête de notre collaborateur dans les immeubles sordides de la cité Jeanne-d'Arc.

Pais, 2 mai (de notre rédaction parisienne). - Dans ses dernières éditions, L'Ouest-Eclair a relaté les violentes batailles qui se sont déroulées dans le 13e arrondissement et à Alfortville. Alors que le 1er mai s'était déroulé, le matin et l'après-midi, dans le calmez, la fin de soirée fut particulièrement mouvementée par le fait des provocations communistes. Et l'on est même en droit de se demander si ce n'est pas la nouvelle du fiasco des manifestations de certains îlots bolcheviques de Paris et de sa banlieue.

[...]

Un déraciné !

Et puis, pour être parfaitement juste, il faudrait évoquer le délabrement réel des taudis que hantaient ces révoltés, qui sont aussi et surtout des « réprouvés ». Au Breton Sinquin, enchaîné entre deux agents, j'ai demandé les mobiles qui avaient armé son bras : les yeux dans les yeux, il m'a répondu : « La misère ! Nous avons trop de misère. Montez donc chez moi, et vous verrez si on peut redouter la mort pour sortir d'où nous sommes. »

Je suis monté au « domicile » de Sinquin, sis au troisième étage de la trop fameuse cité, et je dois avouer que le Scaërois n'avait pas exagéré : je n'ai jamais rien vu de plus sordide, de plus sale, de plus triste que ce pauvre taudis, et je me suis immédiatement demandé pourquoi tant de travailleurs quittent aussi facilement leurs champs, leur campagne, le pays de leurs ancêtres, pour venir mener pareille vie dans la capitale tentaculaire ! En raisonnant froidement, posément, on pourrait admettre que cette rébellion est moins politique que sociale.

[...]

On interroge les émeutiers

Paris, 2 mai. - Au total, treize manifestants arrêtés au cours de la perquisition cité Jeanne-d'Arc ont été conduits à la police judiciaire où ils ont été interrogés par M. Guillaume.

Quatre de ces manifestants qui avaient été gardés au commissariat du 13e arrondissement ont subi les premiers interrogatoires. Ce sont Maurice Laborde, mécanicien ; Jean Espern, né le 22 février 1906 à Ergué-Gabéric (Finistère) ; Marceau Delavallée, manœuvre ; Jean Dhubert, maçon, tous demeurant au 168, rue Nationale.

[...]


Le Finistère, 05.05.1934 :

Troubles à Paris.

Au soir du 1er mai, les extrémistes ont élevé des barricades dans le 13e arrondissement. Les émeutiers ont tiré à coups de revolver et de fusil sur le service d'ordre.

Il y a des victimes.


Le Courrier du Finistère, 05.05.1934 :

Le 1er mai.

D'une façon générale, le 1er mai a été calme dans toute la France, malgré les appels de grève des communistes et des socialistes.

Mais dans la nuit du 1er au 2 mai, une brève insurrection a eu lieu dans la cité Jeanne d'Arc, à Paris. Des barricades ont été élevées, des coups de feu tirés sur des agents. On a dû faire appel à d'importantes forces de police qui, à l'aide de gaz lacrymogènes, ont pris une à une toutes les maisons. Il y a plusieurs blessés graves. Le député communiste Monfauris a été arrêté. A huit heures mercredi matin, tout était fini et le paveurs remettaient en état les rues dépavées paru les communistes.


Union Agricole, 11.05.1934 :

Dans la soirée du 1er Mai dernier, des révolutionnaires ont dressé des barricades rue Nationale, puis se sont retranchés dans des immeubles, d'où ils ont tiré sur la police. Après un siège en règle, qui dura une bonne partie de la nuit, la police resta maîtresse de la place.

Le lendemain matin, plusieurs arrestations étaient opérées, dont celles de trois Bretons : Jean-Marie Sinquin, François Péret, de Rosporden, et Jean Espern, d'Ergué-Gabéric.

À un de nos confrères qui l'interrogeait sur les mobiles qui avaient armé son bras, Sinquin répondit : « La misère ! Nous avons trop de misère. Montez donc chez moi et vous verrez si on peut redouter la mort pour sortir d'où nous sommes ».

Beaucoup d'autres auraient sans doute pu faire la même réponse.

Ils étaient venus dans la grande ville à la recherche du bonheur ; ils ont trouvé la misère, la misère noire, si noire que la mort même serait pour eux presque une délivrance.

Et l'on se demande avec notre confrère « pourquoi tant de travailleurs quittent aussi facilement leurs champs, leur campagne, le pays de leurs ancêtres pour venir mener pareille vie dans la capitale ».

Ces trois petits Bretons auraient sans doute pu vivre chez eux, sinon dans l'opulence, du moins dans la paix et l'honnêteté, tandis que là-bas ...

Puisse du moins leur exemple servir de leçon à d'autres qui pourraient se laisser tenter par le même rêve.

Puissent-ils lire et méditer les vers du poète :

« Oh! ne quittez jamais, c'est moi qui vous le dis,
Le seuil de la maison où l'on jouait jadis.
[5] »

J. G.

 

L'Humanité, 02.05.1934 :

Violentes batailles de rue, dans le XIIIe, la nuit. La police provoque les travailleurs manifestant pour la libération de Monjauvis [4].

Les ouvriers se retranchent dans la cité Jeanne-d'Arc. À la lueur des projecteurs, la police tire sur les fenêtres des maisons. Les habitants chantant « L'Internationale » répondent avec vigueur à l'agression.

À peine la bataille d'Alfortville se terminait qu'une nouvelle provocation policière qui établit sans contestation possible la préméditation du gouvernement pour faire du Premier Mai une journée sanglante, éclatait.

Cette fois c'était dans le treizième, où les ouvriers et les étudiants manifestaient pour exiger la libération de leur élu arrêté le matin, Monjauvis [4].

La bataille dure encore au moment où nous mettons sous presse, à trois heures du matin. C'est devant la cité Jeanne-d'Arc qu'elle s'est localisée. Les ouvriers de la cité ont dépavé la rue. Les femmes ont construit avec eux deux barricades sous le feu de la police.

La riposte part des fenêtres, balayées par les projecteurs. Deux grands feux sont allumés devant la barricade.

Les cars de police arrivent sans cesse et reculent sous les projectiles divers. Tout le quartier est debout acclamant les défenseurs de la cité, qui chantent l'Internationale et acclament les Soviets.

Le gouvernement aura pu s'apercevoir, hier et cette nuit que les ouvriers de Paris, fils de la Commune, ne se sont pas laissés intimider par l'occupation militaire de Paris et ne sont pas disposés à livrer leurs quartiers au fascisme et à sa police. - P. V.-C. [3]

[...]


L'Humanité, 03.05.1934 :

Après le siège et les arrestations dans la cité Jeanne d'Arc

Au cours de ce Premier mai d'une ampleur considérable que les mensonges grassement rétribuées de la presse bourgeoise ne peuvent arriver à cacher, deux noms surgissent Alfortville et la cité Jeanne-d'Arc.

Sur ces deux points, les prolétaires avaient eu à subir les pires violences de la police tirant sur des maisons pleines de femmes et d'enfants.

[...]

Au matin

Vers 5 heures, des flics en bourgeois entrent dans la cité, où jusque-là personne ne s'est risqué.

Sans mandat, ils arrêtent. Une femme, dans un escalier, simplement, parce qu'elle n'est pas couchée.

À l'hôtel de Bretagne, à côté de la cité, ils entrent chez Sinquin, ouvrier terrassier, chez lequel il suffit d'avoir trouvé un vieux fusil au mur, piur qu'il soit jeté au bas du lit, d'où il était tiré par les cheveux : on l'emmène.

Puis ils arrêtent le camelot André Noblet, les deux frères Laborde, Follete, débardeur, le manœuvre Hildrebrand. Puis trois ouvriers qui n'habitaient pas la cité Jeanne-d'Arc : François Péret, Emile Brillant, Paul Linier. Ils se saisissent d'un mutilé de guerre, Julien Ménard, qui souffre d'une grave maladie d'estomac et auquel ils ne permettent pas même de prendre le ratelier, sans lequel il ne peut pas manger. Vingt-trois arrestations sont ainsi opérées, au hasard, sans mandat.

[...]


L'Humanité, 04.05.1934 :

Par une féroce répression le gouvernement Tardieu-Doumergue veut se venger des combattants ouvriers.

[...]

Les 16 autres ouvriers arrêtés

Voici la liste des autres camarades arrêtés dans le 13e arrondissement :

  • Emile LABORDE, ouvrier mécanicien, 17 ans ...
  • Maurice LABORDE, ouvrier mécanicien, 21 ans ...
  • Jean-Marie SINQUIN, puisatier, 30 ans ...
  • Marcel NOBLET, camelot, 24 ans ...
  • Georges HILDEBRAND, chômeur, 28 ans ...
  • Emile FOLLETTE, débardeaur, 33 ans ...
  • Joseph MENARD, ouvrier manœuvre, 48 ans ...
  • Paul LIMIER, serrurier, 22 ans ...
  • François PERET, ajusteur, 26 ans ...
  • Emile BRILLANT, tôlier, 18 ans ...
  • Jean ESPERN, terrassier, 28 ans, arrêté dans la chambre de Emile Laborde.
  • Marceau DELAVALLÉE, manœuvre, 27 ans ...
  • Jean DHUBERT, maçon, 37 ans ...
  • Robert MERNIN, menuisier, 17 ans ...
  • Raymond BAYARD, peintre, en chômage, 27 ans ...

Tous ces travailleurs seront défendus par les avocats du service juridique du Secours Rouge International. [...]


L'Humanité, 10.05.1934 :

La police parisienne a terriblement torturé pour monter une machination contre les combattants de la cité Jeanne-d'Arc.

Linier, Perez, Brillant, Ménard, Delavallée, Maurice Laborde et Espern doivent être libérés !

« Sinquin était affolé par la douleur ! » déclare un des inculpés.

Nous avons dit hier que contre Linier, Perez et Brillant, arrêtés au cours des événements de la Cité Jeanne-d'Arc, l'instruction n'avait pu rien formuler. Ajoutons qu'il en est de même pour Ménard, Delavallée, Maurice Laborde et Espern.

Nous exigeons la libération immédiate de ces sept camarades. Leur maintien en prison doit cesser sans plus tarder. [...]


[modifier] 3 Coupures de presse

 


[modifier] 4 Annotations

  1. L'Ouest-Éclair est un ancien quotidien régional français, créé par deux Bretons chrétiens d'une sensibilité républicaine et sociale, l'abbé Félix Trochu, prêtre en Ille-et-Vilaine, et Emmanuel Desgrées du Lou, natif de Vannes, commissaire de la Marine, puis avocat. Les ventes décollent après la Première Guerre mondiale et, en 1930, le patron embauche son gendre, Paul Hutin, un Lorrain de 42 ans qui deviendra son gendre. Le journal rayonnait, à ses débuts, sur cinq régions, la Bretagne, la Normandie, l'Anjou, le Maine et le Poitou, comme Journal républicain du matin. En 1940, Paul Hutin, militant antinazi comme sa femme, souhaite que L'Ouest-Eclair ne paraisse pas sous le joug allemand et s'engage dans la Résistance. L'Ouest-Éclair sera interdit à la Libération pour acte de collaboration. Paul Hutin revient à Rennes, à peine libérée, le 4 août 1944 pour créer le Ouest-France. [Ref.↑ 1,0 1,1]
  2. L'Union agricole et maritime, qui a d'abord été appelée L'Union agricole du Finistère est un journal local d'informations générales qui a paru à Quimperlé (Finistère) de 1884 à 1942. Il a connu des orientations éditoriales différentes, selon ses propriétaires successifs. La périodicité a aussi été variable : bi-hebdoadaire, tri-hebdomadaire et hebdomadaire. Avec pour sous-titre Organe Républicain Démocratique de la région du Nord-Ouest, le journal paraît le 1er août 1884 à l'initiative du conseiller général de Quimperlé, James Monjaret de Kerjégu, un riche propriétaire terrien et ancien diplomate résidant à Scaër. [Ref.↑]
  3. Paul Couturier (1892-1937), connu sous le pseudonyme de Paul Vaillant-Couturier, est un écrivain, journaliste et homme politique français. Il a participé à la fondation du Parti communiste français, et a collaboré aux journaux du Canard enchaîné et de L'Humanité. [Ref.↑ 3,0 3,1]
  4. Lucien Monjauvis (1904-1986) est un homme politique et syndicaliste français. Il est député communiste de la Seine (2e circonscription du 13e arrondissement de Paris) de 1932 à 1936. [Ref.↑ 4,0 4,1 4,2]
  5. Poème d'Auguste Brizeux, recueil "Marie" : « Oh ! ne quittez jamais, c'est moi qui vous le dis, Le devant de la porte où l'on jouait jadis... » [Ref.↑]


Thème de l'article : Revue de presse

Date de création : Décembre 2018    Dernière modification : 29.12.2018    Avancement : Image:Bullorange.gif [Développé]