Jean-Marie Déguignet et la lutte des classes au XIXe siècle
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- | <br><big>P. 514-515, Intégrale des Mémoires, An Here, cahier n° 16</big> | + | <br><big>P. 514-516, Intégrale des Mémoires, An Here, cahier n° 16</big> |
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Mais j'avais beau regarder, je ne voyais personne, d'abord parce que la vapeur m'en empêchait. Cependant, quand mes yeux parvinrent à percer la vapeur, j'entrevis trois ou quatre individus, les bras croisés sur la poitrine à la manière des paysans bretons. Ils étaient là comme des fantômes, les yeux fixés sur les machines, ne bougeant, ni parlant. D'abord, pour parler, il est impossible, au milieu de ces machines. | Mais j'avais beau regarder, je ne voyais personne, d'abord parce que la vapeur m'en empêchait. Cependant, quand mes yeux parvinrent à percer la vapeur, j'entrevis trois ou quatre individus, les bras croisés sur la poitrine à la manière des paysans bretons. Ils étaient là comme des fantômes, les yeux fixés sur les machines, ne bougeant, ni parlant. D'abord, pour parler, il est impossible, au milieu de ces machines. | ||
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+ | Il y a eu pourtant des coquins qui ont su arrêter l'essor de ce génie et pendant de longs siècles. Les théologiens, les inventeurs de dieux, de diables, des paradis, des purgatoires et des enfers ont pu pendant quinze siècles arrêter l'essor du génie humain, faire taire l'esprit et l'intelligence, étouffer la conscience et la raison, en réservant pour eux seuls le droit et le pouvoir à eux donnés par Dieu, disaient-ils, de tout diriger, de tout gouverner selon leurs bons plaisirs en envoyant au bûcher quiconque voulait attaquer ces droits et pouvoirs sacrés. Oui, ceux-là ont su arrêter l'essor de l'esprit humain, déjà si avancé avant l'invention de l'infect christianisme, chez les Grecs et les Romains. Oui, mais tous les progrès qui se font aujourd'hui dans les ans et sciences se font au profit des riches exploiteurs, par conséquent il ne faut pas les arrêter, d'autant plus que les misérables au détriment desquels ils se font « restent calmes», comme on le leur recommande, à crever de faim et de misère en présence de ces riches exploiteurs qui s'emparent de tout. Ceux-là s'entendent en socialisme sans en prendre le nom et laissent bien ergoter et blaguer ceux qui se disent socialistes. Tous, ministres, dépurés, sénateurs, magistrats de tout rang et tous ordres, jésuites, tonsurés et tous autres exploiteurs sont toujours d'accord pour tirer des contribuables le plus de milliards possibles pour se les partager ensuite entre eux et leurs amis. Voilà une société bien organisée et faisant du vrai socialisme pratique, à côté de ces farceurs qui s'intitulent pompeusement socialistes, qui ne font et ne peuvent faire que du socialisme idéal et platonique. Je viens de voir affiché sur les murs en grosses lettres rouges : « L'histoire du socialisme depuis un siècle par tous les grands écrivains socialistes. » Et ils engagent les paysans et les ouvriers à lire cela. Les paysans et les ouvriers ne lisent guère et quand même qu'ils liraient cette histoire du socialisme, ils n'y trouveraient que des phrases, toujours des phrases et encore des phrases. L'histoire du socialisme depuis un siècle, c'est l'histoire du socialisme bourgeois, des jésuites et autres tonsurés qui ont et font toujours de mieux en mieux du vrai socialisme pratique. Ces blagueurs socialistes de la plume veulent associer les cultivateurs avec les ouvriers et gens de la ville, c'est-à-dire, les ennemis les plus irréconciliables, les gens de la ville accusent les cultivateurs de posséder tous les biens de la terre et de leur vendre ces biens toujours trop cher et les cultivateurs accusent les gens de la ville d'être tous des voleurs qui vivent à leurs dépens, qui vont chasser et pêcher sur leurs terres, y voler des fruits et du bois et autres choses encore. Et lorsque ces cultivateurs viennent en ville pour y vendre quelque chose, on leur fait payer des droits excessifs alors même qu'ils n'y vendent pas leurs marchandises. Allez donc faire du socialisme avec ces éléments-là, autant vouloir faire du socialisme avec des loups et des moutons. | ||
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Version du 29 décembre ~ kerzu 2021 à 14:05
Dans ses mémoires de paysan bas-breton Jean-Marie Déguignet exprime assez régulièrement des convictions qu'on pourrait qualifier de marxistes. »
Extraction de certains passages de ses cahiers : première version éditée dans la Revue de Paris en 1905, et nouveaux cahiers publiés en 1998 et en 2001. Autres lectures : « Espace Déguignet » ¤ « Les 24 cahiers manuscrits de la seconde série des mémoires de Jean-Marie Déguignet » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ « LAVASSEUR Yolande - Une parution inattendue » ¤ « Déguignet face aux machines de la papeterie Bolloré à la fin du XIXe » ¤ |
Présentation
Jean-Marie Déguignet (1834-1905) était en quelque sorte contemporain de Karl Marx (1818-1883), mais dans ses mémoires il n'y a pas une seule évocation du théoricien de la luttes des classes. Sans doute parce que les livres, tracts ou journaux dits marxistes n'étaient pas disponibles dans les bibliothèques publiques quimpéroises où notre paysan bas-breton se forgeait ses opinions politiques. Mais pourtant les idées de Déguignet peuvent s'inscrire dans cette vision du monde, ainsi qu'il écrit en introduction dans la première version de ses cahiers manuscrits : « Quoique appartenant à cette classe, au sein de laquelle j’ai passé toute ma vie, je vais essayer d’écrire, sinon avec talent, du moins avec sincérité et franchise, comment j’ai vécu, pensé et réfléchi dans ce milieu misérable, comment j’y ai engagé et soutenu la terrible lutte pour l’existence. » |
Citations
Chapitre I de la première édition de la Revue de Paris
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Suite des pages 514-515
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Sources
Extraits des cahiers | |||||
Cahier n° 9 Mouvement ouvrier' | |||||
Annotations
- Le proverbe breton sous une forme plus actuelle : « El lec'h m'emañ stag ar c'havr eo ret dezhi peuriñ ». [Ref.↑]
Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet Date de création : Décembre 2021 Dernière modification : 29.12.2021 Avancement : [Développé] |