En 1905
Décès de JM Déguignet
« Dans l'Union Agricole du 6 septembre 1905, je lis aujourd'hui, à la rubrique des décès de Quimper, le nom de " Déguignet Jean, 71 ans, s.p. (sans profession), veuf de Marie Rospart ". Ainsi donc, il s'en est allé, le pauvre vieux. Est-il resté fidèle jusqu'au bout aux convictions qu'il s'était faites et dans cet admirable mépris des dieux qu'il proclamait avec tant de ferveur ? Il faudra que je tâche de m'informer de la date exacte de sa mort et de la façon dont il a franchi le grand pas. J'ai sa dernière lettre où il protestait contre la vie qu'il était condamné à mener à l'Hôpital. Je salue ici sa mémoire et vais tâcher de la prolonger le plus possible par la publicité de ses papiers. ».
(carnet EG, page 96)
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Lettre au fils Déguignet
« Aujourd'hui, 14 sept 1905, je reçois de J.M. Deguignet, clerc de notaire à Pont-L'Abbé, une lettre me demandant de lui remettre les manuscrits de son père. Je lui réponds par la lettre ci-desous :
"Je suis, en effet, possesseur de 24 cahiers manuscrits que votre regretté père est venu m'apporter spontanément en juin 1898. Il voulait m'en laisser la libre disposition sans condition, affirmant qu'il n'avait plus personne qui s'intéressait à lui. Lecture faite de ces manuscrits et ayant constaté qu'ils présentaient un tableau, d'autant plus curieux qu'il était plus sincère, de la vie d'un homme du peuple en Basse-Bretagne, je ne me reconnus pas le droit de les accepter en don et il fut convenu, entre M. Deguignet et moi, que je lui verserais une somme totale de 200 fr. (deux cents), moyennant quoi il me confirait la propriété de ces manuscrits et le droit exclusif de les faire paraître à ma convenance et sous telle forme que jugerais préférable. Si je trouvais un éditeur pour les publier en volume, il était entendu qu'au cas où il y aurait des droits d'auteur, ils me reviendraient après sa mort. cette éventualité ne s'est pas encore produite. Mais les deux cents francs ont été versés à votre père, en deux fois, et j'en ai quittance de sa main. Quant aux conventions relatives à la propriété exclusive qu'il me transférait et aux arrangements ultérieurs, elles ont été consignées dans un papier également écrit tout entier de sa main, signé et daté.
Voilà, Monsieur, dans quelles conditions je suis devenu, non pas dépositaire, mais possesseur des manuscrits de feu M. Deguignet. J'ajoute qu'en apprenant sa mort, au regret que j'en ai éprouvé s'est mêlée quelque satisfaction d'avoir pu lui donner dans ses derniers jours, la joie de lire un fragment de ses mémoires dans la Revue de Paris.
J'espère, Monsieur, que ces renseignements vous paraîtront suffisants, mais il va sans dire que je m'empresserai, si vous le désirez, de vous expédier copie des quittances que j'ai mentionnées ci-dessus, comme aussi de la pièce olographe qui fait foi de mes titres de possession.
Avec mes condoléances, Monsieur, pour la perte que vous venez de faire, veuillez agréer l'expression de mes distingués sentiments.
Port Blanc, 14 sept. 1905". ».
(carnet EG, pages 104-105)
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En 1897
Les nomades montagnards
« Conversation avec Déguignet - 18 décembre 1897, soir.
"On voyait, quand je mendiais, on voyait par les campagnes des nomades montagnards, voyageant avec des petit chevaux surmontés de mannequins et qui donnaient des écuelles de Locmaria en échange de la vieille ferraille. On les appelait Potred an Houarn Coz. Ils logeaient dans les fermes, dans les étables, comme les mendiants. Nous les appelions aussi Potred ar Feuill, les gens de la Feuillée, ou potred ar chupen rouz. Il y en avait qui étaient riches, de ces batteurs de routes.
Les fermiers qui les logeaient et qui restaient les écouter causer, à la porte de l'étable, entendaient parfois des propos extraordinaires.
Un fermier d'Ergué-Gabéric, assez riche, [...]ayant une étable bien garnie, logea un jour deux de ces compagnons : il alla lui-même, avec une lanterne, les conduire à la crèche où il leur avait préparé une couchette de paille.
- Voilà, Messieurs. Et maintenant bonne nuit.
Mais, après avoir tiré la porte derrière lui, la curiosité lui vient de rester écouter la conversation des deux hommes. L'un disait :
- Il nous prend pour de pauvres gens et nous regarde en pitié. Mais, j'ai dans mon étable huit paires de boeufs auprès desquels les siens feraient triste mine.
- Et moi, dit l'autre, j'en ai dix.
On conçoit si le fermier le lendemain les pria d'aller loger à leurs frais.
Il y avait encore les stouper et les struprezed, toujours de la montagne aussi. Ils avaient une chanson qu'ils chantaient. Au lieu de dire leur prière comme les mendiants, ils chantaient cette chanson amusante, la leur, en guise d'écot pour leur souper et leur logement. Ils arrivaient dans le pays à l'époque de Noël. Ils portaient un sac sur le dos : ils n'avaient pas de chevaux comme les gars de La Feuillée. »
( Deguignet )
(carnet ED, pages 253-254)
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Déguignet
« Déguignet vit seul, rue du Pont-Firmin, dans "un trou de sept mètres cubes". Il habite à côté d'un porteur de contraintes qu'il accompagne quelquefois dans ses tournées. J'extrais ce récit de ses mémoires : "En novembre 1895, je suivis notre huissier à Pont-Croix et à Audierne où il avait à pratiquer plusieurs saisies, presque toutes chez des pêcheurs. Un matin, près d'Audierne, en la commune de Plouhinec, nous entrons dans une pauvre cahutte au bord de la mer, pour saisir un pauvre pêcheur qui devait au trésor une somme de 50 francs. En entrant, j'entendais des cris et des plaintes sortir de tous les coins de la cahutte, quoique je ne vis personne. Car cette pauvre case n'était éclairée que par un trou pratiqué près de la cheminée, et tous ceux qui poussaient ces cris ou ces plaintes étaient couchés presque par terre dans ce que nous appelons en breton kel (kével) ou petites loges à cochons. Ces êtres qui criaient et se plaignaient étaient les enfants du pêcheur au nombre de sept, tous malades. L'homme était à la mer. La mère était dans un de ces kel, avec trois petits autour d'elle qui demandaient à manger. Mais quoi ? Il n'y avait absolument rien dans la cahutte. Lorsque le porteur de contraintes dit à la mère de se lever pour lui ouvrir le seul meuble qui fût là, une vieille armoire. Elle répondit en pleurant qu'elle ne pouvait pas se tenir debout et de plus elle était presque aveugle. L'armoire, du reste, n'était pas fermée à clef.
L'huissier l'ouvrit, mais il n'y trouva rien qu'un filet de pêche tout neuf.
Il s'en fut pas moins satisfait. Ce filet était plus que suffisant pour payer ce qui était dû au fisc. Pendant que l'huissier écrivait sa saisie, je fus obligé de sortir, je me sentais près d'étouffer par les efforts que je faisais pour retenir mes sanglots en présence de pareilles horreurs". (24e cahier). »
(carnet ED, page 253)
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