Blog 27.03.2021
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[modifier] Ainsi parlait Jean-Marie Déguignet
Billet du 27.03.2021 - « Ah ! C’est ici que nous allons avoir du bec'h comme on dit en breton, c’est-à-dire de la rude besogne. J’ai dit dans mon précédent cahier que, ennuyé et écœuré par les comédies de nos gouvernants temporels et spirituels, j’allais traiter de la mythologie ... »
Ainsi commencent les trois cahiers manuscrits intitulés « Explication des mythes » dans lesquels Jean-Marie Déguignet présente sa vision de l'origine des religions dans la lignée du mythographe Charles-François Dupuis et de l'anticlérical Voltaire. La réflexion initiale de ces 77 pages dactylographiées de cahiers d'écolier numérotés 26,27 et 28 est ce gros livre de l'écossais Andrew Lang « Mythes, cultes et religions » qu'on a bien voulu lui prêter. Le traducteur en langue française est Léon Le Marillier, le beau-frère d'Anatole Le Braz, ce dernier étant souvent par ailleurs la cible de nombres de railleries de la part de Déguignet.
Notre paysan bas breton ne peut qu'être en désaccord absolu avec la thèse de Lang et de Le Marillier qui défendent tous les deux l'idée que la religion et les mythes s'expliquent par le milieu naturel et la curiosité des sociétés tribales.
Et pour donner plus de poids à sa contre-argumentation Déguignet donne sa propre expérience d'homme sauvage : « Je le répète sans outrecuidance, je ne crois pas que personne ait jamais été mieux placé que moi pour connaître les sauvages tels que Lang les conçoit. Élevé là-bas au Guélénec - Ergué-Gabéric -, au bord de ces fameux Stang Odet, ces gouffres profonds et rocheux, peuplés de nains, de lutins, de fées méchantes et de coriquets [...], Jamais je n’ai entendu personne parler des choses scientifiques et naturelles, ni chercher à expliquer le moindre phénomène. »
La théorie de Déguignet est, a contrario, que les croyances des religions sont des héritages successifs des religions précédentes, et ce depuis la nuit des temps, c'est-à-dire notamment du côté des Perses et des mythologies pré-védiques en Inde.
Pour asseoir cette vision il a lu les travaux d'un scientifique, Charles-François Dupuis (1742-1909), qu'il l'appelle « Monsieur Dupuy le grand savant » dans ses Mémoires (Intégrale page 653). Il lui consacre 4 pages de citations et d'exemples de filiations entre les écritures saintes chrétiennes et juives d'une part, et les dieux persans, romains et grecs d'autre part. Les 77 pages des cahiers 26 et 27, au-delà de l'attaque en règle contre l'anglais Lang constitue un long exposé des exemples de Dupuis.
Le texte de Déguignet sur les mythes est donc très largement influencé par l'ouvrage de Charles-François Dupuis « L'ori-gine de tous les cultes ou religion universelle » publié en 1795 et dont les deux tomes ont été amplement diffusés dès 1822 ; un abrégé a également publié en 1798 pour la vulgarisation de ce qui est considéré comme un véritable bréviaire de l’athéisme philosophique. D'après Dupuis et Déguignet, tous les cultes, y compris chrétiens, se rattachent dans leur essence et héritage à l'adoration du soleil. Et ce n'est pas le seul point commun entre le Christ et le Mithra persan.
Les pages respectives de Déguignet et de Dupuis détaillent aussi les filiations évidentes vis-à-vis de la religion persane appelée Zoroastrisme, son prophète Zarathoustra et sa divinité Ahura Mazda, nommée aussi Ormuzd : « Là nous voyons aussi les premiers hommes placés par Ormuzd, le bon principe, dans un jardin délicieux appelé Eirein, mais où la félicité fut également troublée par le serpent Ahriman » (cahier 28 page 42).
Par ailleurs, Jean-Marie Déguignet s'est inspiré d'un passage d'un ouvrage d'un autre maitre à penser, à savoir Voltaire et ses « Lettres chinoises, indiennes et tartares » (Lettre IX, page 44). Ce dernier y reprenait les conclusions de l'archéologue anglais J. Z. Holwell sur la datation de textes pré-védiques de 5000 ans avant J.-C. Il est aujourd'hui communément admis que les textes les plus anciens d'Inde sont les « Veda », et dateraient de 1500 ans environ avant J.-C.
Autant, sur ce dernier point, Voltaire a été scientifiquement quelque peu contesté, autant les travaux de Dupuis, repris par Déguignet « contenaient nombres de découvertes particulières importantes, et qu'il y a donc toujours avantage à les lire » (Dictionnaire critique de mythologie, CNRS Éditions, 2017).En savoir plus : « L'explication des mythes selon Déguignet, Dupuis et Voltaire », incluant la retranscription complète réalisée par Norbert Bernard en 2004 et la publication des cahiers d'origine numérisés par la Médiathèque de Quimper en 2018.