Blog 23.01.2021 - GrandTerrier

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[modifier] Une méthode pour lire le Français

Billet du 23.01.2021 - Comment Déguignet déchiffre pour la première fois des journaux en langue française grâce à un nouveau colloque et vocabulaire français / breton : origine de cet ouvrage via une étude d'Adolphe Le Goaziou en 1950 et facsimile complet de l'édition d'Eugène Blot de 1854.

Lorsque, dans ses mémoires (Intégrale page 142), Jean-Marie relate ses souvenirs de l'année 1854, il note qu'il vient de passer de l'état d'esclave agricole à celui de domestique dans une grande ferme où il profite de ses loisirs dominicaux pour étudier le français. Pour cela il achète un livre précieux : « J'avais acheté une petit colloque français / breton avec lequel j'allais me cacher tous les dimanches dans l'étable s'il faisait froid, ou dans un coin de champ s'il faisait beau temps, car je ne voulais pas que l'on sache que j'étudiais. ».

Ce "colloque" est en fait un lexique de vocabulaire et de conversation bilingue : « Il est particulièrement utile aux habitants de la campagne qui désirent apprendre le Français » (Avis de l'imprimeur / Ali ar mouler). Et ainsi il peut déchiffrer les articles de journaux de son patron, mais il note la difficulté de comprendre les mots français décrivant l'actualité internationale, notamment les conditions de la déclaration de la guerre de Crimée.

Il n'a pas de problème pour traduire les termes de l'agriculture, mais pour le reste « malheureusement, souvent, je ne trouvais pas le mot que je cherchais, car le breton est si vieux et si pauvre qu'il ne renferme pas la moitié des mots qui se trouvent aujourd'hui dans toutes les langues modernes  ».

Une question se pose : quelle édition Déguignet a-t-il utilisée ? Car cet ouvrage a fait l'objet entre le XVIIe siècle et le début du XXe de plus de 50 publications différentes qui sortirent des imprimeries de Morlaix, Brest, Quimper, Vannes, Saint-Brieuc, Landerrneau, Rennes et Caen. Adolphe Le Goaziou dans son étude historique note un véritable engouement populaire  : « Aucun ouvrage en langue bretonne n'a connu une vente aussi régulière que ces œuvres dont le succès fut bien supérieur à celui de toutes les publications lexicographiques. ».

Il est très probable que l'édition achetée en 1854 soit celle de l'imprimerie du quimpérois Eugène Blot qui a publié une nouvelle version cette année-là, légèrement augmentée par rapport à sa précédente de 1840. Ce colloque et vocabulaire français / breton a en fait été publié à Morlaix pour la première fois par réaction à de précédents colloques (au pluriel cette fois) trilingues français-bretons-latins beaucoup moins riches en vocabulaire.

Le nouveau colloque utilisé par Déguignet est un petit recueil in.16 (largeur : 14-16 cm) de 164 pages, incluant environ 2000 mots répartis en 45 thèmes (de l'Univers aux Mots familiers, en passant par les Métiers et les Parties du corps), 39 conversations usuelles (entre une gouvernante et une demoiselle, bretons se rencontrant à Paris, entre un médecin et un malade ...), 18 lettres types, des proverbes et des noms de villes et d'îles.

Les éditions d'Eugène Blot de 1840 ou de 1854 que Déguignet a utilisées sont bien enrichies par rapport aux autres versions de

 
l'époque, notamment celles de Prud'homme à Saint-Brieuc qui a été éditée à l'identique jusqu'en 1893.

Les termes français francisés ont été remplacés par leurs équivalents authentiques (« fautou > faziou ; avoui > anzao  ; eloignamant > pellidiguez ; cheffretes > gaour-vor »). Des mots nouveaux apparaissent comme poivrier, pipe à tabac et coqueluche. La lettre de change est rédigée en francs et non en livres, le mot carosse est remplacé par voiture.

Et pourtant cette évolution ne suffit pas à Déguignet pour appréhender le monde moderne. Il faut dire que les 32 premiers mots du vocabulaire, avant le 1er thème séparé de l'Univers, sont empreints de religiosité catholique : « Dieu - Doue ; la Trinité - an Dreindet ; Jésus-Christ - Jezuz Christ ; le Saint-Esprit - ar Spret-Santel ... », ce qui devait certainement agacer notre paysan autodidacte très anti-clérical.

Image:square.gifImage:Space.jpgEn savoir plus : « Le petit colloque/vocabulaire français/breton de Jean-Marie Déguignet »